1 440 inconnus du monde entier ont fabriqué une Torah au point de croix
Actuellement exposé au musée du Textile du Canada, le "Point de Torah" par le projet Point devrait être achevé d'ici deux ans
Liat Bartal est une Juive israélienne originaire de Givataym, à proximité de Tel Aviv. Mère Xavier est elle une religieuse chrétienne au couvent Tyburn à Londres, en Angleterre. Ayse Yegul est une musulmane de Turquie qui vit maintenant à Toronto au Canada. Ces femmes ne se sont jamais rencontrées, mais elle ont quelque chose en commun : toutes les trois ont participé à un projet créatif qui a impliqué environ 1 400 personnes de religions différentes dans le monde entier visant à fabriquer une Torah au point de croix.
Dirigé exclusivement par des volontaires qui ont dédié 130 000 heures de travail bénévole au cours des six dernières années, le « Point de Torah » par le projet Point touche maintenant à sa fin. La première moitié de cette énorme tapisserie est composée de panneaux individuels de quatre versets qui s’assemblent et d’illuminations faites au point de croix par les participants. La tapisserie est exposée jusqu’au 17 novembre dans une exposition intitulée « Tapisserie de l’Esprit » au musée du Textile du Canada, à Toronto.
Les organisateurs du projet espèrent finir la tapisserie entière dans les deux prochaines années, et de créer des partenariats permettant au travail d’être exposé dans plusieurs musées à travers le monde. À la fin du projet, le « Point de Torah » inclura environ 2 000 textes individuels en hébreu et des panneaux d’illumination. La Torah se dressera à deux mètres de haut et sera presque aussi longue qu’un terrain de football américain (environ 91 mètres).
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Quand Temma Gentles, artiste Judaïca et éducatrice artistique à Toronto, a fondé le « Point de Torah » du projet Point en juin 2013, elle n’avait pas l’intention d’en faire quelque chose d’aussi imposant.
« En 2013, je voyais cela comme un projet éducatif limité en lien avec le judaïsme que je dirigerais tout en étant une artiste résidant au Temple Holy Blossom« , a déclaré Gentles au Times of Israël.
Gentles, âgée de 73 ans, réfléchissait à la manière dont les gens pourraient exprimer comment le judaïsme « imprègne leur être ». Après avoir considéré plusieurs approches artistiques, elle a opté pour le point de croix.
En tant que personne expérimentée dans la calligraphie, elle aimait la manière dont le point de croix pouvait se focaliser sur la forme des lettres hébraïques de la Torah. Elle a également apprécié le fond historique du point de croix, un art populaire associé pendant des siècles aux femmes de nombreuses cultures.
« Je n’ai jamais eu la prétention de finir toute la Torah ou d’avoir une exposition. Mais le projet a pris une ampleur internationale après que le magazine Hadassah a publié un article dessus en 2013″, a déclaré Gentles, qui est devenue la directrice artistique du projet.
Selon Lili Shain, présidente du Point de Torah du projet Point, âgée de 65 ans, des personnes de nombreuses religions – et sans religion – de 28 pays différents ont demandé à faire des panneaux au point de croix. La majorité des participants venaient d’Amérique du Nord, mais il y avait aussi des personnes d’autres pays du monde, dont le Japon, le Guatemala, l’Afrique du Sud, l’Espagne, l’Angleterre et les Philippines. La plupart des participants étaient des participantes, mais il y avait quelques hommes. Des adolescentes comme des nonagénaires y ont participé. Dans certaines familles, le point de croix est devenu une activité multigénérationnelle.
Bartal, une enseignante d’hébreu, est l’une des 30 participantes en Israël. Comme tous les participants, elle a payé 18 dollars pour recevoir par la poste un kit contenant tout le matériel nécessaire, y compris une aiguille, des fils, le panneau de tissus et le schéma pour les quatre versets de Torah qui lui ont été assignés (seuls les premiers participants ont eu le choix de versets). Les participants étaient encouragés à illuminer ou à embellir leurs panneaux avec des bordures et des illustrations. Pour ceux qui cherchaient de l’inspiration, les organisateurs ont fourni des exemples d’images créés par Gentles et d’autres artistes.
Bartal, âgée de 40 ans, n’avait pas de réelle expérience avec le point de croix, mais ce n’était pas important. « Nous n’avions pas les moyens de vérifier l’expérience des participants », a déclaré Gentles.
« J’avais seulement fait quelques points pour m’amuser quand je voyageais en Inde il y a 20 ans, a déclaré Bartal. Et pourtant, l’idée de joindre des centaines de personnes dans le monde et de profiter de cette opportunité comme un moyen de se connecter à son héritage juif d’une manière originale l’a encouragée pour s’atteler à la tâche. Au final, il lui a fallu presque deux mois pour terminer les quatre versets. (Selon la présidente du Point de Torah, entre 50 et 100 heures en moyenne ont été nécessaires aux participants pour terminer leurs panneaux, en fonction de la longueur des versets et de la complexité des illuminations ajoutées.)
Bartal, qui se définit elle-même comme non religieuse, a eu pour mission de réaliser une partie du livre des Nombres. Le nom en hébreu du livre est BaMidbar, ce qui signifie « dans le désert ». C’était une bonne mission pour Bartal, qui a fait ses versets tout en aidant à s’occuper de la petite fille de sa sœur qui venait de naître, tout cela dans la maison de sa sœur à Mitzpe Ramon, dans le désert du Negev.
« J’étais assise à faire du point de croix comme une vieille tante », a plaisanté Bartal.
Elle a choisi d’illuminer son panneau avec l’image d’un arbre du désert. Tout en saluant le projet qui a permis de rassembler autant de gens, elle a également apprécié le fait que le projet ait une signification personnelle. « Ces quatre versets me rappelleront à jamais ma nouvelle nièce », a-t-elle dit.
Bartal a eu la chance de rencontrer Shain du Point de Torah alors que cette dernière était en visite en Israël. Shain a présenté le projet à Bartal et lui a appris à faire du point de croix avec précision. Les organisateurs du projet ont organisé des formations supervisées par des personnes plus expérimentées dans le point de croix afin de l’enseigner aux débutants, soit en personne ou à distance, individuellement ou dans des groupes.
Résidant depuis longtemps à Jérusalem, Sharon Binder est une artiste, designer et calligraphe. Binder, âgée de 71 ans, comptait parmi les personnes que Gentles a consultées quand elle a essayé de choisir la typographie spécifique en hébreu qu’elle voulait utiliser (elle devait avoir une nature géométrique qui se prête bien à l’effet de pixellisation du point de croix).
Binder fait de la broderie. Pourtant, au début, l’apprentissage du point de croix a constitué un défi pour elle. « Une amie âgée de 90 ans m’a montré comment faire. Il y a toute une technique. Il m’a fallu trois fois pour bien comprendre le geste. Il faut faire très attention en comptant », a expliqué Binder.
Et il était encore plus difficile de comprendre comment créer l’illusion du mouvement dans l’illumination abstraite que Binder avait dessinée pour les versets de la Genèse relatant la création des premier et deuxième jours. Elle devait utiliser seulement sept couleurs approuvées pour les fils.
« J’ai fini par combiner des fils afin de créer des variations de couleurs », a-t-elle expliqué.
Alors que les participants travaillant sur des panneaux individuels ont été confrontés à des obstacles, le plus grand défi est revenu à l’équipe de 20 volontaires qui a travaillé sans arrêt afin d’assembler les 2 000 panneaux et obtenir le résultat final. Les panneaux sont cousus en colonnes et ensuite en unités (trois colonnes par unité). Chaque colonne doit compter exactement 1 092 carrés (un « carré » correspond à un point de croix unique, avec 14 carrés tous les 2,5 cm). Tous les panneaux ne sont pas de la même longueur, donc des panneaux d’illumination doivent être utilisés pour combler les trous afin de créer des unités de longueur uniforme.
Ce travail fastidieux était principalement de la responsabilité de Pat Little, âgée de 73 ans, qui s’est portée volontaire pour diriger l’équipe d’assemblage. Celle-ci se rassemble habituellement dans la maison de Little à Toronto.
« Le travail doit souvent été détaché et refait. C’est un exercice de patience », a déclaré Little, qui est chrétienne et mariée à un homme juif.
L’exposition de la tapisserie partiellement complétée a ému Little aux larmes.
« J’ai été submergée par l’émotion et j’ai pleuré quand je l’ai vue montée au musée. J’était surpris par ce que nous avions fait. Cela avait tellement de sens, tout particulièrement parce que je connais les histories personnelles de nombreux participants », a-t-elle dit.
De fait, Gentles a déclaré que les panneaux « sont le fruit d’expériences humaines ». Par exemple, certains ont été confectionnés par des participants à l’hôpital. Des participants étaient en phase terminale et se sont accrochés à la vie pour finir leur travail.
Binder a dit qu’elle aimait la nature contemplative du découpage des lettres de la Torah en carrés minuscules, tout en prenant du recul pour avoir une nouvelle perspective sur la Torah dans son ensemble, à travers cette forme d’art particulier. En fait, la structure de l’exposition renforce le sentiment de se tenir littéralement dans la Torah. La tapisserie est montée sur une structure spécialement conçue par Martin Gaudet, qui retransmet les courbes et la fluidité d’un rouleau. L’installation peut tenir d’elle-même ou être attachée aux murs d’une galerie.
« C’est viscéral et puissant pour les gens de se trouver parmi les mots de la Torah », a déclaré Gentles.
Même si les organisateurs du Point de Torah veulent s’assurer que chaque lettre et chaque mot soit correct, et que la présentation de leur travail reprend la forme d’un rouleau de Torah, Gentles s’est empressée de souligner qu’il s’agissait d’une œuvre d’art populaire – et pas d’une véritable Torah. (Toutefois, Gentles avait plusieurs yads en bois de grande taille pour les responsables du musée qui voulaient toucher la tapisserie, comme s’ils touchaient une véritable Torah.)
« Nous avons eu l’approbation de plusieurs rabbins orthodoxes en Amérique du Nord et en Israël concernant ce projet », a déclaré Gentles.
Shain a expliqué que les participants orthodoxes n’étaient pas à l’aise avec l’idée d’écrire le nom de Dieu au point de croix. « On leur donné des versets qui n’avaient pas le nom de Dieu. »
Les participants connaissaient les lettres hébraïques à des degrés divers. Pour Janice Rock, âgée de 73 ans, une chrétienne d’Oakville à proximité de Toronto, il s’agissait d’une opportunité intéressante d’en apprendre plus sur l’alphabet hébreu. Travailler sur le projet l’a conduite à lire des livres sur les aspects mystiques de l’alphabet hébraïque, comme Le livre des lettres : un alphabet hébraïque mystique par le rabbin Lawrence Kushner.
« Lamed est ma lettre favorite. J’aime sa forme, et quand je suis revenue voir mon panneau, il s’est avéré que la première lettre que j’avais réalisée était Lamed ! », a déclaré Rock avec enthousiasme.
Le projet comprend également des tapisseries plus petites, une tapisserie avec des sourates du Coran et une avec des versets du Nouveau Testament. Les deux textes font référence à la création. « Des trois religions part l’histoire de la création. Nous avons choisi ce qu’elles avaient en commun », a déclaré Shain.
Même si la Torah – en hébreu – est le centre d’intérêt principal du projet, elle a attiré un public large et divers au Musée du textile du Canada, selon la directrice du musée Emma Quin.
« C’est un projet gigantesque et incroyablement puissant. Même si nous avons des articles faits à la main dans notre collection, je n’avais jamais rien vu de pareil. C’est un témoignage de la force d’une communauté mondiale de participants », a déclaré Quin.
Dans un petit film réalisé sur le projet qui tourne en boucle à l’exposition du musée, Yegul, une participante originaire de Turquie, a déclaré que le projet arrivait à point nommé.
« Je crois vraiment que quand les gens se rassemblent autour d’un projet, ils peuvent réussir à faire quelque chose. Dans ce monde, particulièrement en cette période, c’est véritablement important que les gens se connaissent entre eux – parce que si vous ne vous connaissez pas, vous avez peur », a-t-elle déclaré.
« Je suis très reconnaissante d’avoir les racines de ma religion dans la Torah », a déclaré Mère Xavier dans le film.
« Le monde entier est simplement empli de violence et de colère… Toutes ces femmes ont travaillé ensemble et elle ne se connaissaient même pas. Dans ce projet, elle se sont assises en paix, à faire du point de croix patiemment », a-t-elle déclaré.
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