À New York, une enseignante de yeshiva transgenre poussée au départ
L’enseignante a accepté de démissionner suite à une intense controverse doublée de harcèlement. La yeshiva évoque une séparation « amicale et professionnelle »
Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël
BROOKLYN, New York – Une femme transgenre a démissionné de son poste d’enseignante au sein d’une école juive orthodoxe de New York, cette semaine, après un scandale lié à son identité.
L’enseignante, Talia Avrahami, a fait l’objet de harcèlement, la semaine passée, et a accepté vendredi de quitter son poste de la Yeshivah Magen David, à Brooklyn.
« C’est triste de voir à quel point certaines personnes peuvent vouloir faire du mal », confie Avrahami au Times of Israel. « Peut-être que c’est ma vie entière qui est ruinée. C’est un moment très difficile. »
L’école lui a fait savoir qu’elle n’était pas une bonne candidate pour le cours de questions sociales.
L’école juive religieuse, ou yeshiva, a adressé un courriel aux parents, le week-end dernier, disant : « Veuillez noter qu’à partir du lundi 19 septembre, un remplaçant assurera le cours de questions sociales. »
« Nous avons beaucoup de respect pour cette professeure, dont nous nous sommes séparés d’un accord mutuel, de manière amicale et professionnelle », a indiqué l’école au Times of Israel.
Avrahami a regretté ne pas être en mesure de donner des détails sur les conditions de son départ.
Cette affaire a été largement évoquée dans les forums publics en ligne de la communauté juive religieuse de New York.
On a demandé à Avrahami de partir, quelques jours seulement après la tenue de la traditionnelle « soirée des parents », événement durant lequel les parents d’élèves rencontrent les enseignants.
L’un des parents a filmé Avrahami et publié la vidéo, qui s’est diffusée très rapidement et a alimenté nombre de conversations à propos de son identité. Certains ont indiqué qu’Avrahami était un homme qui se faisait passer pour une femme.
Avrahami a été prise à partie, en ligne et dans sa vie quotidienne. On l’a attaquée sur les réseaux sociaux et des sites communautaires ont publié des articles avec des titres accusateurs. Elle a reçu des messages de menaces anonymes : ses coordonnées téléphoniques et réseaux sociaux ont abondamment circulé en ligne.
« Ils ont publié des photos de ma famille, de l’endroit où nous vivons. Nous avons reçu des menaces de mort. Ils sont venus filmer notre maison », confie-t-elle.
Quelqu’un l’a filmée en train de sortir de chez elle, avec son mari et sa fille en bas âge, vendredi, avant de publier la vidéo en ligne.
Certaines vidéos, qui présentent Avrahami comme un homme déguisé en femme, et non comme une personne transgenre, ont depuis été retirées des plateformes.
Des « agitateurs » ont exhumé des photos d’Avrahami datant de l’époque où elle se présentait comme un homme, dit-elle, qu’ils ont publiées à côté de photos actuelles, avec son mari et leur enfant.
Elle ajoute que le harcèlement qu’elle a subi, dernièrement, n’a rien à voir avec la situation qu’elle rencontrait à l’école. Jusqu’à ces derniers jours, elle n’avait eu à déplorer aucun incident important lié à son identité.
Tout a commencé lorsque, quelques semaines après la rentrée, une élève a effacé le « s » de « Mrs Avrahami [Mme Avrahami] » sur le panonceau de son nom pour en faire « Mr Avrahami [M. Avrahami] ». Rien ne permet de savoir à ce stade s’il s’agissait d’une plaisanterie ou si l’étudiante souhaitait mettre en évidence l’identité transgenre de sa professeure. La yeshiva Magen David a rapidement condamné l’incident et rappelé aux étudiants que ce type de comportement était inacceptable, rappelle-t-elle.
Avant la controverse, « tout allait bien, et maintenant plus rien ne va », confie-t-elle.
Avrahami et son mari, qui n’ont pas grandi dans le milieu orthodoxe, se consacrent depuis des années à l’éducation au sein de leur communauté. Une amie de la famille, qui les soutient face à la controverse, qualifie Avrahami de « Haredi hardcore » – ultra-orthodoxe – ajoutant qu’elle respecte strictement les traditions de la communauté en matière vestimentaire, entre autres.
Cette amie précise qu’être transgenre au sein de cette communauté religieuse est en soi une affirmation de genre parce que certaines conventions sont clairement définies.
« Il y a tellement de vêtements et de comportements de la femme frum qui peuvent constituer des expériences positives », déclare cette amie, qui emploie le mot yiddish pour qualifier la religiosité. « Elle coche toutes les cases – jupes, chevelure. Elle a fait énormément d’efforts pour réussir sa transition. »
Le couple est membre de la communauté juive de Washington Heights, à Manhattan, qui les a soutenus dans son ensemble, précise Avrahami. Elle et son mari vont régulièrement à la synagogue et organisent des dîners de Shabbat.
Elle souligne que les jeunes de la communauté juive orthodoxe l’ont soutenue au plus dur de la controverse. La communauté de Washington Heights est, dans l’ensemble, plus jeune, ajoute-t-elle, évoquant pour certains l’existence d’un « fossé générationnel ».
« Cela renforce une conviction que j’avais déjà auparavant, à savoir que les enfants représentent l’avenir », se confie-t-elle. Les jeunes Juifs orthodoxes « m’ont soutenue sans ciller ».
« Ils sont l’avenir des Juifs orthodoxes », ajoute-t-elle. « Évidemment qu’il y a de la place pour les personnes transgenres au sein des communautés juives orthodoxes et dans la halakha », ou loi juive, assure-t-elle.
Une pétition en ligne en soutien à la communauté LGBTQ de la Yeshiva University, également en proie à la controverse, a réuni 55 pages de signatures.
Avrahami et son mari, tous deux nés aux États-Unis, se sont rencontrés lors de leurs études en Israël et sont venus à New York suivre des cours à la Yeshiva University. Avrahami, déjà titulaire d’une maîtrise en éducation juive, continue d’étudier, à temps partiel, pour décrocher un autre diplôme en histoire juive.
C’est l’amie de la famille, qui travaille également dans le domaine de l’éducation, qui a aidé Avrahami à obtenir cet emploi chez Magen David, à la fin de l’été.
L’amie en question a demandé à ce que son identité ne soit pas divulguée, pour des raisons de protection de la vie privée, car la question est très clivante au sein de la communauté.
« Elle a tout à fait le droit de travailler dans une école juive », affirme son amie, qui essuie d’un revers de main les rumeurs selon lesquelles Avrahami souhaitait se faire renvoyer pour pouvoir ensuite déposer plainte. Elle parle du temps et de l’argent investis pour se conformer à ce mode de vie et se former à la profession d’enseignante.
« Talia a consacré de nombreuses années à devenir une femme frum, à enseigner dans une yeshiva », précise l’amie. « Tout ce qu’elle veut, c’est qu’on la laisse vivre sa vie de femme. »
« Elle a passé tant d’années pour devenir cette personne et aujourd’hui, tout lui est brutalement retiré », regrette-t-elle. « Elle mérite, tout autant que les autres, de faire partie de la communauté juive. »
« Je suis une femme juive orthodoxe transgenre, tout comme il existe des femmes juives orthodoxes aux cheveux roux », assure Avrahami. « Avant cette affaire, ce n’était pas un problème : je n’y pensais pas vraiment. »
« Pour moi, ce n’est pas une facette importante de mon identité et cela ne devrait l’être pour personne. »
Avrahami a choisi de se faire représenter par un avocat, sans toutefois savoir où l’affaire la conduira.
La loi de New York protège les employés contre toute discrimination ou harcèlement fondés sur des caractéristiques telles que l’identité ou l’expression de genre.
Dans le talk-show de Zev Brenner, le célèbre avocat Alan Dershowitz a suggéré que les affaires Magen David et Yeshiva University relevaient toutes deux de la liberté de religion au sein du système éducatif.
« Ce sont des questions compliquées, très compliquées, et justice doit être faite. La justice doit être égale pour tous », a-t-il déclaré.
« S’il s’agit d’une personne qui passe d’un sexe à un autre, elle sera plus protégée que si elle se livrait à une dissimulation. »
Il pense que la Yeshiva University et Magen David pourraient gagner leur procès devant les tribunaux, tout en admettant avoir trop peu d’éléments sur l’affaire Avrahami.
L’émission de radio a présenté l’affaire comme le « licenciement d’un homme orthodoxe qui se fait passer pour une femme, dans une yeshiva de Brooklyn ».
L’amie de la famille dénonce la controverse alimentée par l’école et la communauté.
« La communauté et Magen sont toutes deux coupables de lui avoir dit, ainsi qu’à toutes les personnes trans : ‘Vous n’êtes pas les bienvenues’. Qu’est-ce que cela dit de nous, que seules certaines personnes sont dignes d’être aimées ? » se demande l’amie. « Ce sont des personnes normales qui tentent de vivre une vie normale. »
« De nombreuses personnes se sont montrées extrêmement malveillantes », déplore-t-elle.
« Certaines ne voulaient qu’une chose, ruiner sa vie. »
Cette nouvelle controverse s’ajoute à une actualité déjà chargée pour les yeshivot de New York, critiquées pour leur manque de contenus laïcs enseignés aux élèves. En outre, les droits LGBTQ au sein de la communauté sont sous le feu des projecteurs depuis que la Yeshiva University de New York a mis son veto à la création d’un club des fiertés sur le campus. L’université orthodoxe de New York, a ensuite interdit tous les clubs étudiants, pour ne pas avoir à autoriser la constitution d’une organisation LGBTQ. L’université a fait appel devant la Cour suprême des États-Unis, qui a refusé d’entendre l’affaire. Les juges conservateurs ont précisé que l’université pourrait de nouveau présenter un recours après avoir épuisé toutes les voies de recours inférieures et qu’elle « l’emporterait probablement ».
(Avrahami a déclaré que sa vie et celle de son mari avaient tourné autour de la Yeshiva University ces dernières années, et que cette dernière « avait été formidable avec nous ».)
La semaine passée, les autorités de l’État de New York ont approuvé les règles qui présideront désormais à l’éducation laïque au sein des écoles non publiques, au terme d’une bataille de plusieurs années sur le programme d’études, point de discorde majeur pour les communautés haredi de New York.
Ces nouvelles règles ont été approuvées après qu’une enquête du New York Times a indiqué que les yeshivot percevaient des centaines de millions de dollars de deniers publics, alors qu’elles dispensaient un enseignement laïc de piètre qualité et que certaines infligeaient même des châtiments corporels à leurs élèves.
L’enquête a sérieusement ébranlé la communauté religieuse new-yorkaise : des représentants de la communauté, des politiciens et défenseurs des yeshivot ont reproché au journal de s’en être injustement pris aux écoles juives.