Amsterdam: Une expo d’un musée juif se penche sur la polémique du Blackface
Depuis des décennies, partisans et opposants s'affrontent sur une tradition de l'Avent portant sur l'acolyte du père Noël, "Zwarte Piet". Le musée remet les pendules à l'heure
- Un homme habillé en Saint Nicolas et une femme déguisée en Zwart Piet amusent les enfants sous la protection de la police dans le nord d'Amsterdam, aux Pays-Bas, le 16 novembre 2019. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
- L'un des tous premiers portraits de "Zwart Piet", à gauche, par l'auteur Jan Schenkman dans les années 1850, et une caricature du soldat juif Levie Zadok, qui se caractérise par sa lâcheté. (Autorisation : Musée historique juif d'Amsterdam/ via JTA)
- Des enfants discutent pendant un événement consacré à Zwart Piet à Amsterdam, le 16 novembre 2019. (Crédit :Cnaan Liphshiz/ JTA)
- Un homme déguisé en Zwart Piet divertit les enfants sous la protection de la police dans le nord d'Amsterdam, le 16 novembre 2019. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
- Des musiciens d'Amsterdam grimés en "Zwart Piet", l'esclave du père Noël néerlandais, Saint-Nicolas (Crédit: Cnaan Liphshiz/JTA)
AMSTERDAM (JTA) – Au cours des deux dernières décennies, un conflit n’a cessé de prendre de l’ampleur, aux Pays-Bas, sur la coutume hivernale du blackface [lorsqu’un individu à la peau blanche se grime en noir] avant la Saint-Nicolas, la fête de l’avent qui rend hommage au saint qui a inspiré le père Noël.
Les opposants à cette tradition affirment que le portrait fait de l’acolyte du saint, « Zwart Piet », dans les processions et dans les fêtes menant à la Saint-Nicolas, le 6 décembre, est raciste. Les partisans dénoncent pour leur part ce qu’ils considèrent comme un acte de censure d’une tradition ancienne qui, pensent-ils, non seulement ne ridiculise pas les personnes à la peau noire mais les célèbre dans le contexte d’une société néerlandaise connue pour sa tolérance. Les querelles sur le sujet, ces dernières années, ont même occasionnellement donné lieu à des actes de violence.
Cette année, le Musée historique juif d’Amsterdam s’est impliqué dans le débat avec une nouvelle exposition qui présente des supports qui, l’espèrent certains, pourraient finalement aider à régler la question de l’éventuel racisme des représentations de « Zwart Piet ». La décision de s’attaquer au sujet est particulièrement sensible au niveau politique, et le directeur du musée a établi clairement que son institution était opposée à la coutume.
L’exposition montre que Jan Schenkman, un professeur qui, en 1850, avait publié les premières illustrations de « Zwart Piet » dans un livre pour enfants, avait été aussi l’auteur d’une série de livrets très populaires consacrée à un soldat juif au nez crochu appelé Levie Mozes Zadok.
Intitulée « Levie Zadok et Zwart Piet : Deux caricatures », l’exposition se base sur un livre qui a été publié le mois dernier et écrit par l’historien et journaliste Ewoud Sanders, « Rire de Levie », le tout premier ouvrage à examiner « Zwart Piet » sous l’angle de l’antisémitisme de Schenkman.

« C’est la preuve que cette tradition est non seulement raciste mais qu’elle est, en fait, enracinée dans le racisme », s’exclame Sergio Berrenstein, un militant de la lutte contre le racisme néerlandais, à JTA (Berrenstein n’est pas Juif).
Les livrets présentés au musée, écrits sous forme épistolaire – ce sont les lettres écrites par Levie à sa mère – commencent par une note satirique en mauvais hollandais de Levie adressée à sa « mammele », le terme affectueux désignant la mère en yiddish. Suite au succès remporté par le premier livret, Schenkman en avait écrit un autre dans lequel Levie se flatte d’avoir vendu des morceaux de tente aux soldats pendant le siège glacial de Sébastopol, en 1854. Il est accompagné d’une caricature grimaçante de Levie, personnage à l’énorme nez crochu et à la moustache touffue.
Environ 50 000 copies du livret avaient été imprimées – « un chiffre qui, au 19e siècle, était phénoménal et qui témoigne de l’immense popularité des lettres », explique Emile Schrijver, le directeur du Musée historique juif.
Les livrets de Levie ne sont guère connus aujourd’hui, selon Robert Vuisje, un auteur juif qui a étudié en profondeur les relations entre les Juifs et les Noirs dans ses écrits et qui est lui-même un critique fervent de la tradition de « Zwart Piet ».

« Ce qui montre principalement le glissement, après la Shoah, dans la manière de traiter les Juifs dans la culture populaire », explique Vuisje à JTA. « Et cela montre aussi que ce changement ne s’est pas suffisamment effectué dans la façon de traiter les personnes noires ».
Schenkman avait ensuite écrit deux autres livrets sur Levie. A ce moment-là, la série était devenue tellement populaire qu’elle avait échappé à son auteur, avec des lecteurs enthousiasmés qui avaient fait circuler leurs propres versions. Des poèmes sur Levie avaient suivi (« Alors que les bombes tombent du ciel sous son regard, notre ami Levie se recroqueville plutôt que de se ruer dans la bagarre »), ainsi que des bandes dessinées illustrées. Dans l’une de ces dernières, qui date de 1855, Levie est présenté portant un maquillage qui lui fait ressembler à un « broussard » – une référence aux Africains qui, à l’époque, étaient exposés dans les foires en France. Ce dessin a été le premier représentant une personne blanche se prêtant à un blackface dans toute l’histoire de la littérature hollandaise, selon le musée.
Dans les années 1860, Levie était devenu si connu que les boulangers hollandais vendaient un pain au gingembre à son effigie, avec un nez énorme, montre l’exposition.

« Levie a été un succès du 19e siècle », dit Schrijver, qui dirige aussi le Qartier culturel juif d’Amsterdam – qui comprend le musée et plusieurs autres institutions communautaires.
En comparaison, les représentations de « Zwart Piet » par Schenkman sont bien plus aimables. Son livre pour enfants « Saint Nicolas et son assistant », écrit en 1850, présente « Zwart Piet » comme un homme à la peau noire marchant à côté du cheval enfourché par Saint-Nicolas. Les premiers portraits de « Zwart Piet » ne montrent aucune des caractéristiques qui ont été ultérieurement ajoutées au personnage – peut-être par les publicitaires – avec une exagération du contour de ses lèvres rouges, des boucles d’oreilles et des costumes grotesques. Les partisans de « Zwart Piet » utilisent cet argument comme preuve que le personnage n’est pas intrinsèquement raciste.
Le sujet, aujourd’hui, est politiquement sensible. Quatre personnes ont été récemment arrêtées à Venlo, une ville de l’est du pays, après des affrontements avec les manifestants opposés à la coutume. L’année dernière, des activistes anti-« Zwart Piet » avaient été bloqués par des contre-manifestants dans l’enceinte d’une école et les attaquants avaient brisé des vitres et fait exploser des pétards.

Si Schrijver met en garde contre le jugement d’un phénomène culturel du 19 siècle selon les normes contemporaines, il affirme que le positionnement du musée est transparent.
« Oui, nous adoptons le positionnement des opposants de ‘Zwart Piet’ en choisissant d’en faire le sujet d’une expo », dit-il. « Mais la principale contribution apportée au débat par l’exposition est de montrer que, contrairement à ce qu’affirment de nombreux partisans de ‘Zwart Piet’, ce n’est pas une tradition ancienne mais c’est une tradition née au 19e siècle, dans le cadre d’un contexte plus large dans lequel les populations ne voyaient aucun mal à offenser des groupes entiers d’individus ».
L’exposition a attiré une attention considérable des médias aux Pays-Bas – ce qui, selon l’activiste anti-raciste Berrenstein, est important parce que cela permet de mettre « les pendules à l’heure » s’agissant de « Zwart Piet ».

« C’est une exposition significative parce qu’elle remonte à l’origine du problème », a-t-il déclaré auprès de JTA.
Mais, a-t-il ajouté, « cela n’informera que ceux qui souhaitent être informés. Je n’ai aucune illusion sur sa capacité d’atteindre ceux qui ne le veulent pas ». ”
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