Israël en guerre - Jour 351

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Analyse

Avec l’armée à Gaza, il n’y a pas d’options satisfaisantes pour Israël au Liban – mais il pourrait tout de même l’envahir

Les soldats israéliens et le front intérieur sont épuisés – et une offensive militaire contre le Hezbollah ne permettra pas de vaincre l’organisation terroriste ; la réussite de l’opération "Bipeurs" pourrait fournir une porte de sortie

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Des soldats en exercice près de la frontière nord avec le Liban, une image diffusée par l'armée israélienne, le 18 février 2024. (Crédit : Armée israélienne)
Des soldats en exercice près de la frontière nord avec le Liban, une image diffusée par l'armée israélienne, le 18 février 2024. (Crédit : Armée israélienne)

Avant même l’explosion, mardi, de centaines de bipeurs qui se trouvaient dans les poches et entre les mains des terroristes du Hezbollah, une escalade majeure sur le territoire libanais entre Israël et l’armée chiite – qui est soutenue par l’Iran – paraissait de plus en plus probable.

Après la rencontre entre l’envoyé spécial américain Amos Hochstein et les responsables israéliens en charge de la guerre à Tel Aviv, la veille, le cabinet de sécurité avait réactualisé ses objectifs officiels dans le conflit en cours qui oppose l’État juif au Hamas à Gaza – notamment en incluant dans ses visées le retour des habitants du nord du pays chez eux, en toute sécurité. Les résidents avaient été évacués par crainte que le Hezbollah ne lance une attaque transfrontalière similaire à celle qui avait ravagé le sud d’Israël, le 7 octobre.

« Israël continuera d’agir pour atteindre cet objectif », avait fait savoir le Bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu, faisant allusion à la possibilité d’élargir les opérations militaires au Liban pour mettre un terme aux tirs du Hezbollah.

Gallant s’était montré encore plus direct dans le message qu’il avait transmis à Hochstein – lui disant que « le seul moyen de garantir le retour des communautés du nord d’Israël dans leurs foyers sera l’action militaire ».

Selon des informations qui ont été récemment rapportées par les médias israéliens, l’armée israélienne se prépare actuellement à une opération dans le nord, les divisions militaires ayant également préparé des plans portant sur l’utilisation des forces terrestres dans le sud du Liban.

Si Netanyahu décide effectivement de passer à l’acte contre le Hezbollah, rien ne garantit qu’il obtiendra l’effet escompté. De plus, il est beaucoup moins probable qu’Israël atteigne ainsi ses trois autres objectifs de guerre – le renversement du Hamas, la libération des otages et l’élimination de la menace émanant de Gaza à l’avenir – dans le sud du pays.

L’envoyé américain Amos Hochstein (à gauche) rencontrant le ministre de la Défense Yoav Gallant , à Tel Aviv, le 16 septembre 2024. (Crédit : Ariel Hermoni/Ministère de la Défense)

Retour au Liban

Israël a plusieurs options en ce qui concerne une campagne militaire au Liban.

L’État juif peut mener une offensive aérienne, soit contre l’État libanais, soit en prenant uniquement pour cible le Hezbollah.

L’attaque des infrastructures de l’État libanais s’inscrirait dans la continuité de l’approche qui a été traditionnellement adoptée par Israël à l’égard des ennemis non-étatiques de l’État juif – une approche qui consiste à faire pression sur les acteurs de l’État pour les obliger à maîtriser les groupes terroristes qui se trouvent à l’intérieur de leurs frontières. Elle avait été utilisée – et elle avait fait preuve d’efficacité – en Égypte et en Jordanie pour mettre un terme aux attaques des fedayins palestiniens depuis ces deux pays, dans les années 1950 et 1960. Israël avait également cherché à utiliser la Syrie, l’acteur le plus puissant au Liban, pour mettre fin aux attaques de l’OLP, puis du Hezbollah, contre le nord d’Israël et contre les soldats jusqu’au retrait, par le régime d’Assad, de ses troupes en 2005.

Des soldats israéliens lors d’un raid à Karameh, en Jordanie, au mois de mars 1968 (Crédit : « La Bataille de Karameh », Palestinian Culture and Society/domaine public)

Mais cette approche suppose que l’État libanais – qui est actuellement faible – agira concrètement pour contenir le Hezbollah, ou que les critiques émises par l’opinion publique obligeront le groupe chiite à accepter un cessez-le-feu. Des anticipations qui ne se sont pas concrétisées dans le passé et, compte-tenu des dysfonctionnements et de l’effondrement économique du Liban, qui n’ont pas plus de chance de se matérialiser aujourd’hui.

Une campagne contre le Hezbollah lui-même – qui mobiliserait des avions de chasse et des forces d’artillerie – marquerait en même temps la continuation de trois décennies d’opérations militaires israéliennes plutôt indécises. Israël s’est toujours appuyé sur sa puissance de feu aérienne pour tenter de dissuader le Hezbollah et le Hamas de l’attaquer, au lieu de chercher à remporter une victoire décisive sur le terrain. Le pogrom du Hamas, le 7 octobre, a montré à quel point cette approche avait échoué.

Par ailleurs, Israël pourrait adopter l’approche qui a été privilégiée à Gaza dans le nord du pays, en inondant le Liban de forces terrestres puis en extirpant lentement le Hezbollah des villages et des tunnels – le tout en recherchant les stocks d’armes. Mais Tsahal n’a pas terminé le travail contre le Hamas – un ennemi beaucoup moins puissant – et les militaires ne sont parvenus à retenir un grand nombre de réservistes que pendant quelques mois.

Devant un hôpital de Beyrouth où des membres du Hezbollah sont amenés pour être soignés après l’explosion d’appareils de communication au Liban, le 17 septembre 2024. (Crédit : REUTERS/Mohamed Azakir)

Une guerre plus longue et plus meurtrière au Liban, avec des soldats de la réserve et un front intérieur épuisés, ne fera qu’ajouter aux frustrations croissantes qui ont été entraînées par la gestion du conflit depuis le 7 octobre. Elle débouchera aussi sur de longs mois d’attaques à la roquette qui prendront pour cible une société fatiguée, avec des dizaines de milliers de déplacés à l’intérieur même du pays, avec une économie stagnante et avec des familles déchirées dont les parents et les proches sont déployés sur le front depuis maintenant près d’un an.

En outre, le retour des troupes israéliennes dans le sud du Liban, un retour qui pourrait durer des mois – voire des années – offrira à la guérilla, en face, la possibilité de saigner l’armée conventionnelle jusqu’à ce qu’elle n’ait d’autre alternative que de s’enfuir.

Dernière option : l’incursion terrestre limitée, qui servira à créer une sorte de zone-tampon au Sud-Liban. C’est le chef du Commandement du nord, Ori Gordin, qui a lancé cette idée, selon Israel Hayom, en soulignant le départ des civils libanais et des terroristes de l’unité Radwan du Hezbollah de la zone frontalière. Une telle option pourrait également servir de monnaie d’échange pour obliger le Hezbollah à accepter une solution diplomatique.

Le chef d’état-major de l’armée israélienne, le lieutenant-général Herzi Halevi, et le chef du Commandement du Nord, le général de division Ori Gordin, rencontrant des officiers dans une base du nord d’Israël, le 9 août 2024. (Crédit : Armée israélienne)

Les zones-tampons ne se sont toutefois pas révélées être particulièrement efficaces pour Israël.

« Il y avait une zone-tampon issue de l’Opération Litani en 1978 et qui a existé jusqu’en 1982 », rappelle Tal Tovy, spécialiste en histoire militaire à l’université de Bar Ilan. « Il y avait encore des infiltrations depuis le Liban en Israël et les terroristes tiraient davantage de roquettes depuis une distance plus grande ».

« Si Tsahal établit une zone de sécurité de disons cinq kilomètres, le Hezbollah ne fera que renforcer ses tirs de roquettes à courte portée », continue-t-il.

Israël devrait probablement continuer à étendre sa zone-tampon limitée jusqu’à ce que le pays restaure dans tout son périmètre la zone de sécurité qu’il avait quittée en l’an 2000.

Toute opération qui ne porterait pas gravement atteinte au Hezbollah et qui ne le forcerait pas à se redéployer loin de la frontière se terminerait probablement par un nouvel accord de cessez-le-feu – comme cela avait été le cas lors des opérations précédentes. Les habitants du nord de l’État juif qui n’ont pas l’intention de rentrer chez eux tant que le Hezbollah se trouvera à la frontière – et ce, malgré la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies – se sentiront-ils plus en sécurité si la guerre devait s’achever par une nouvelle résolution des Nations unies ?

Négligence

Israël se trouve dans une situation difficile dont le pays est lui-même à l’origine.

Pendant des années, il a négligé ses forces terrestres, se ralliant à la théorie de la victoire obtenue dans les airs exclusivement – avec des technologies de défense, comme le Dôme de fer, et la construction de clôtures d’une valeur de plusieurs milliards de dollars. Une approche qui a permis, avec le temps, au Hamas et au Hezbollah de se structurer – avec un ensemble de petites cellules terroristes qui se sont métamorphosées en armées capables d’envahir Israël et de fermer son front intérieur.

Un char de l’armée israélienne en opération dans la zone de Jabaliya dans la bande de Gaza, sur une photo autorisée à la publication le 13 mai 2024. (Crédit : Armée israélienne)

Cela limite également les options qui sont mises aujourd’hui à la disposition d’Israël. La disponibilité limitée des formations terrestres a ralenti l’offensive à Gaza, ce qui laisse planer un doute sur la possibilité, pour l’État juif, de mener actuellement deux guerres complexes de façon simultanée.

« Il n’y a pas d’option réaliste en ce qui concerne une victoire décisive contre le Hezbollah au mois de septembre 2024 », selon Eran Ortal, analyste militaire.

Il y a cinq ans, Aviv Kohavi, qui était le chef d’état-major de Tsahal, avait rassemblé les hauts-responsables militaires à l’occasion d’un « atelier de la victoire » qui avait pour objectif de déterminer les bases du plan pluriannuel de l’armée qui devait être préparé. Et les officiels avaient quitté cette session d’introspection avec des conclusions inquiétantes.

La supériorité militaire incontestable et absolue dont Tsahal avait bénéficié durant trois décennies s’érodait. Et le Hamas et le Hezbollah possédaient désormais des capacités comparables à celles d’armées régulières.

Des terroristes du Hezbollah effectuent un exercice d’entraînement dans le village d’Aaramta, dans le district de Jezzine, au Sud-Liban, le 21 mai 2023. (Crédit : Hassan Ammar/AP)

Kohavi avait évoqué clairement le défi auquel les soldats israéliens seraient confrontés face à ces armées terroristes : « [Elles] se trouvent, au cœur des zones urbaines, de façon décentralisée – ce qui rend très difficile leur localisation et leur destruction, et ce qui permet à l’ennemi d’attaquer efficacement le front intérieur d’Israël au fil du temps ».

Reconnaissant le besoin urgent de changement, Kohavi avait appelé les troupes au sol à retrouver réellement un rôle en se confrontant directement aux terroristes sur le terrain. Il avait réclamé une meilleure interdépendance entre les pilotes, les forces d’infanterie, les chars et les drones, et à améliorer les moyens permettant de localiser de manière anticipée l’ennemi.

Des capacités qui n’avaient été que partiellement introduites dans les forces terrestres au moment où les terroristes placés sous l’autorité du Hamas avaient envahi Israël, le 7 octobre.

Les troupes de Tsahal sont vues en train d’opérer dans la bande de Gaza dans cette photo publiée le 30 août 2024. Crédit : Armée israélienne)

De surcroît, après onze mois de guerre, l’armée a brûlé ses stocks d’obus, de bombes de précision et de missiles intercepteurs pour le Dôme de fer.

« Israël a tout intérêt à attendre le temps qu’il faudra en continuant à développer ses capacités, et ce, jusqu’à ce que le pays soit en mesure de réellement mener une guerre décisive », insiste Ortal. « Si nous entrons au Liban maintenant, nous devrons le faire à nouveau dans quelques années. Mieux vaut ne pas le faire deux fois ».

Sauver le Hamas

Le casse-tête auquel est confronté Israël, dans le nord du pays, n’est que plus délicat au regard du rythme de la campagne en cours dans la bande de Gaza. On peut en blâmer les chefs militaires et le Premier ministre – mais le fait est que pas moins d’onze mois après le pire massacre de Juifs depuis la Shoah, l’organisation terroriste qui a perpétré le pogrom est toujours en capacité de reprendre la bande de Gaza et de reconstruire son armée dès qu’Israël se sera retiré de l’enclave côtière.

Comme Israël n’a pas trouvé le moyen de déclarer la fin de la guerre à Gaza – que ce soit par le biais d’un accord sur les otages ou d’une victoire remportée sur le champ de bataille – il ne reste que peu d’options au pays en dehors de l’escalade dans le nord.

Yahya Sinwar, chef du Hamas dans la bande de Gaza, saluant ses partisans, à Gaza City, le 14 avril 2023. (Crédit : Mohammed Abed/AFP)

Si Israël décide de mener une opération terrestre contre le Hezbollah, un accord ou une action décisive contre le Hamas seront d’autant moins probables que davantage de soldats seront déplacés vers le nord.

Ce qui confirmerait la stratégie pour laquelle a opté le chef du Hamas, Yahya Sinwar – une stratégie qui a échoué jusqu’à présent. Il s’attendait à ce que les ennemis d’Israël se soulèvent contre l’État juif, et qu’ils empêchent Tsahal d’écraser le Hamas. Cela ne s’est pas produit, mais une guerre contre le Hezbollah pourrait être l’issue qu’il appelle de ses vœux alors qu’il est tapi sous une bande de Gaza en ruines.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agirait d’une victoire pour le Hezbollah. Le Hezbollah avait commencé à attaquer Israël le 8 octobre en signe de solidarité avec le Hamas – et non pour déclencher un assaut concerté de l’armée israélienne. Avant l’attaque des bipeurs, Israël avait tué plus de 400 terroristes appartenant à ses rangs et Tsahal avait détruit des infrastructures déterminantes du groupe, situées le long de la frontière. Comme l’a confié une source militaire libanaise à un média local, la démonstration de soutien au Hamas de la part du Hezbollah est en train de se transformer en guerre existentielle pour le groupe terroriste.

L’opération audacieuse des bipeurs pourrait permettre de sortir de ce dilemme. Si Israël devait être responsable de cette attaque spectaculaire, cela démontrerait à quel point les services de renseignements israéliens sont parvenus à infiltrer l’organisation secrète du Hezbollah. Ses dirigeants, déconcertés par le coup très médiatique dont ils ont été victimes, mardi, pourraient décider qu’ils ont trop longtemps joué avec le feu. Maintenant que l’incendie semble sur le point de se propager dangereusement, ils pourraient se tourner vers Hochstein pour tenter de trouver un moyen de faire machine arrière.

Si cela doit se produire, les personnalités qui, en Israël, sont en charge de la guerre seraient bien inspirées de faire ce qu’il faudra pour terminer rapidement la guerre contre le Hamas afin de pouvoir commencer à préparer la campagne inévitable contre le Hezbollah – et elles seraient aussi bien inspirées de ne la lancer qu’une fois que son armée aura été repensée pour la gagner.

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