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Analyse

Clé pour renverser le Hamas, Rafah est un défi bien plus grand que ce qu’il aurait dû être

L'absence de plans pour prendre le contrôle de Gaza a retardé l'incursion terrestre ; des civils s'installent dans la zone frontalière stratégique et l'opposition internationale s'intensifie

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Des enfants au sommet d'une petite colline près de tentes dans un abri de fortune pour les Palestiniens qui ont fui dans le cadre du conflit actuel entre Israël et le Hamas à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 30 janvier 2024. (Crédit : Mahmud Hams/AFP)
Des enfants au sommet d'une petite colline près de tentes dans un abri de fortune pour les Palestiniens qui ont fui dans le cadre du conflit actuel entre Israël et le Hamas à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 30 janvier 2024. (Crédit : Mahmud Hams/AFP)

Après des dizaines d’années d’efforts pour contenir la menace du groupe terroriste palestinien du Hamas, la ville de Rafah, à l’extrême sud de la bande de Gaza, et la route dite de « Philadelphie » qui la relie à la frontière égyptienne, posent à nouveau un problème majeur à Israël.

Les Palestiniens ont commencé à creuser des tunnels sous les clôtures frontalières d’Israël pendant la Première Intifada, à la fin des années 1980. Au cours des décennies qui ont suivi, l’armée israélienne a essayé toute une série de méthodes pour découvrir les tunnels et empêcher les groupes terroristes d’introduire de nouvelles armes mortelles.

L’accent a été mis sur le corridor Philadelphie, la route de 14 kilomètres qui sépare les sections gazaouie et égyptienne de Rafah. Mais il s’agissait d’un travail périlleux. Pendant la Seconde Intifada, c’est sur cette route que 13 soldats de Tsahal ont été tués lors de la catastrophe de l’APC en 2004, et le Hamas a réussi à faire exploser des explosifs sous l’avant-poste de la JVT, tuant cinq soldats.

Malgré les objections des agences de sécurité israéliennes et de nombreux fonctionnaires, Israël s’est retiré de la route de Philadelphie lors du désengagement de Gaza en 2005. Israël a permis à l’Égypte de mettre en place 750 gardes-frontières lourdement armés, mais ceux-ci n’ont pas réussi à empêcher une augmentation – massive – de la contrebande dans la bande de Gaza.

Lorsque le Hamas a chassé l’Autorité palestinienne (AP) de Gaza en 2007, il a utilisé les tunnels – et la destruction occasionnelle de la barrière frontalière égyptienne – pour remplir ses caisses et renforcer ses capacités armées.

Aujourd’hui, quatre mois après que le Hamas a utilisé ces armes pour massacrer 1 200 Israéliens et en prendre des centaines d’autres en otage, Rafah est devenu un casse-tête pour les dirigeants israéliens, un casse-tête qui menace de faire dérailler l’ensemble de l’effort de guerre.

Des soldats égyptiens patrouillant sur une route parallèle au corridor Philadelphie, une zone tampon qui sépare l’Égypte d’Israël et de la bande de Gaza palestinienne, le 19 mars 2007. (Crédit : Cris Bouroncle/AFP)

À l’exception de Rafah, les troupes israéliennes ont pénétré dans toutes les villes de la bande de Gaza et ont poussé les terroristes du Hamas à se réfugier dans la clandestinité. Il est difficile d’imaginer qu’Israël atteindra son objectif de guerre, à savoir renverser le Hamas, s’il ne prend pas Rafah. La plupart des bataillons du Hamas encore opérationnels se trouvent dans cette ville et, si Israël ne prend pas le contrôle de la zone frontalière, le groupe terroriste au pouvoir à Gaza pourra recommencer à faire entrer clandestinement de nouvelles armes – et potentiellement à faire sortir des otages ou des hauts dirigeants – lorsque les combats cesseront.

C’est ce qu’a indiqué vendredi le Premier ministre Benjamin Netanyahu. « Il est impossible d’atteindre l’objectif de guerre consistant à éliminer le Hamas tout en laissant quatre bataillons à Rafah », a déclaré son bureau dans un communiqué.

Un casse-tête stratégique croissant

Mais les circonstances deviennent chaque jour plus problématiques pour Israël.

Dès le début de la guerre, Israël a demandé aux habitants de Gaza de se déplacer vers le sud, et plus d’un million de civils se trouvent aujourd’hui dans la ville et ses environs.

L’Égypte a prévenu que toute opération terrestre sur place ou tout déplacement massif de population au-delà de la frontière remettrait en cause le traité de paix conclu avec Israël il y a quarante ans.

« La poursuite des frappes israéliennes sur des zones densément peuplées créera une réalité invivable. Le scénario d’un déplacement massif est envisageable. La position égyptienne à cet égard a été très claire et sans détour : nous sommes contre cette politique et nous ne l’autoriserons pas », a déclaré un porte-parole du ministère égyptien des Affaires étrangères.

Ces dernières semaines, des images circulant sur les réseaux sociaux ont montré l’Égypte renforçant apparemment ses défenses à la frontière, avec des barbelés et des barrages supplémentaires.

Les États-Unis ont également multiplié les mises en garde contre les conséquences d’une opération à Rafah.

Le porte-parole adjoint principal du Département d’État américain, Vedant Patel, s’exprimant lors de la conférence de presse quotidienne, à Washington, le 21 mars 2023. (Crédit : Capture d’écran YouTube ; utilisée conformément à l’article 27a de la loi sur les droits d’auteur)

Le porte-parole adjoint du département d’État américain, Vedant Patel, a déclaré jeudi que les États-Unis n’avaient « encore vu aucune preuve d’une planification sérieuse d’une telle opération », ajoutant : « Mener une telle opération maintenant, sans planification et sans réflexion, dans une zone où un million de personnes sont réfugiées, serait un désastre. »

La Maison Blanche a émis un avertissement similaire.

« Toute opération militaire d’envergure à Rafah en ce moment, dans ces circonstances, avec plus d’un million – probablement plus d’un million et demi – de Palestiniens qui cherchent refuge et ont cherché refuge à Rafah sans tenir compte de leur sécurité serait un désastre, et nous ne la soutiendrions pas », a déclaré à la presse le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby.

En attendant aussi longtemps pour s’attaquer à cette zone frontalière stratégique, il est déjà moins probable que Tsahal soit en mesure de le faire, du moins dans les conditions souhaitées.

Remettre à plus tard la prise de Rafah et de la frontière pourrait s’avérer être la plus grande erreur stratégique de l’opération terrestre israélienne contre le groupe terroriste palestinien du Hamas.

Un plan abandonné

Les racines de la mauvaise gestion de la guerre remontent à plusieurs années avant qu’elle n’éclate.

Lorsque les jeeps du Hamas se sont engouffrées par des dizaines de brèches dans la clôture frontalière ultra-moderne, le 7 octobre, cela faisait presque dix ans que l’armée ne disposait plus de plan opérationnel pour prendre le contrôle de la bande de Gaza et vaincre le Hamas.

De gauche à droite, le chef d’état-major de l’armée israélienne de l’époque, le lieutenant-général Gadi Eisenkot, parlant au nouveau porte-parole de Tsahal, le colonel Ronen Manelis, et à l’ancien chef du Commandement du Sud, le général de division (res.) Sami Turgeman, sur une photo non datée. (Crédit : Unité du porte-parole de l’armée israélienne)

Le général Sami Turgeman, chef du Commandement du Sud de Tsahal pendant l’Opération « Bordure protectrice » en 2014, avait pris ses fonctions et avait découvert qu’il n’y avait pas de plan de ce type. Yoav Gallant, qui occupait le poste lorsque le Hamas avait pris le contrôle de la bande en 2007, avait refusé d’en créer un, et personne n’avait décidé de le faire malgré les séries de combats contre le Hamas qui ont eu lieu dans l’intervalle.

Le plan de Turgeman comportait trois options, dont la plus importante consistait à prendre le contrôle de Gaza. La plus restreinte prévoyait des assauts de l’armée israélienne de la taille d’une brigade contre les bataillons du Hamas.

L’option intermédiaire, appelée « Kela David » (« Fronde de David »), couperait la ville de Gaza et le nord de la bande de Gaza du sud, en utilisant la division 162 au nord de la ville et la division 36 au sud.

Le plan de reprise de Gaza prévoyait l’attaque simultanée de quatre divisions, ainsi que l’assaut de la division 98 sur Khan Younès et de la division 252 sur Rafah. Chaque ville serait coupée des autres en deux semaines de temps, les civils se voyant offrir des zones abritées le long de la côte. Après la prise éclair de la bande de Gaza, la phase de déblaiement commencerait dans les villes.

Des soldats du corps d’artillerie de l’armée israélienne manœuvrant un obusier à la frontière avec Gaza, pendant l’Opération « Bordure protectrice » de l’été 2014. L’armée a tiré environ 34 000 obus d’artillerie sur Gaza pendant les 50 jours de l’opération. (Crédit : Armée israélienne)

Ce plan avait été présenté au cabinet au début de l’Opération « Bordure protectrice », mais il avait été rejeté.

Malgré cela, l’existence d’un plan opérationnel bien préparé a eu des résultats sur le terrain.

« Les plans opérationnels du Commandement du Sud pour le combat dans la bande de Gaza ont été mis à jour et approuvés », a écrit le colonel Avi Dahan dans le journal de l’armée israélienne Ma’arachot. « Au sein du Commandement du Sud, de la Division de Gaza et des divisions transversales, des processus opérationnels approfondis ont été mis en place, des préparatifs de combat complets ont été élaborés et des processus d’apprentissage et de formation professionnels ont été menés à bien. »

Selon Dahan, ces processus « ont renforcé la confiance professionnelle des commandants et des soldats, amplifié la préparation physique et mentale et amélioré la connaissance de l’ennemi et du terrain à Gaza ».

Après le départ de Turgeman en 2015, son plan opérationnel a été abandonné et n’a été remplacé par aucun de ses successeurs, dont l’actuel chef d’état-major Herzi Halevi.

La conquête de Gaza a été jugée irréaliste compte tenu de l’aversion manifeste des dirigeants politiques à l’idée même d’assumer de nouveau la charge de deux millions d’habitants de la bande de Gaza.

« Les ressources sont limitées », a déclaré au Times of Israel un officier qui a travaillé sur les plans opérationnels pour Gaza au cours de cette période, « et il n’y avait aucun désir d’investir des ressources dans un plan qui n’avait aucune chance d’être utilisé ».

Une incursion indécise

L’absence de plan pour renverser le Hamas a eu des répercussions sur la manière dont Tsahal a combattu après le 7 octobre. Parce que l’armée avait besoin de temps pour élaborer des plans, elle a attendu trois semaines avant d’ordonner l’incursion terrestre dans la bande de Gaza. Elle n’a pas profité de la période qui a suivi les attaques du Hamas, alors que la sympathie pour Israël était à son comble à la suite des frappes aériennes qui commençaient à faire des victimes parmi les civils de la bande de Gaza.

Un soldat de l’armée israélienne faisant visiter à des journalistes un tunnel utilisé par des terroristes palestiniens pour des attaques transfrontalières, à la frontière entre Israël et Gaza, le 25 juillet 2014. (Crédit : Jack Guez/AP Photo/Pool/Dossier)

Cela a également eu une incidence sur les renseignements dont disposait Israël. S’il n’y avait aucune chance de manœuvrer dans les profondeurs de Gaza, il n’y avait guère de raison de consacrer des ressources à la cartographie des tunnels du Hamas qui ne se dirigeaient pas vers Israël.

Ce choix a considérablement ralenti l’opération de Tsahal et l’a rendue beaucoup plus dangereuse pour les forces.

Et lorsque l’incursion a été lancée le 27 octobre, elle n’a pas été menée de manière agressive afin de maximiser les avantages israéliens.

« Lorsque l’opération a finalement commencé, il est apparu que certaines de ses actions étaient enracinées dans le concept de manœuvre indécise », a écrit le général de brigade (Rés.) Eran Ortal. « Entre une approche décisive visant à prendre rapidement des positions ennemies cruciales et une approche visant à éliminer les terroristes où qu’ils se trouvent, les manœuvres de Tsahal correspondaient davantage à cette dernière. Une approche de manœuvre nécessiterait de multiples efforts simultanés pour empêcher l’adversaire de battre en retraite et de se réorganiser. »

« Une telle opération aurait dû commencer le plus rapidement possible, avec une force maximale, tout en se dirigeant simultanément vers plusieurs sites », a poursuivi Ortal.

Le chef du Commandement du Sud de l’armée israélienne, le général de division Yaron Finkelman, au centre, s’entretenant avec des officiers à Gaza City, le 1er janvier 2024. (Crédit : Armée israélienne)

Le fait de se diriger d’abord vers Gaza City était parfaitement logique d’un point de vue stratégique. Les bataillons du Hamas les plus efficaces en termes de tirs de roquettes se trouvaient dans le nord de la bande de Gaza, et leur portée serait quelque peu limitée si le Hamas devait tirer depuis le sud.

La ville de Gaza était également le centre des capacités de gouvernement du Hamas.

Mais on ne comprend pas très bien pourquoi Tsahal n’a pas pris Rafah en même temps, comme le prévoyait le plan de reprise de la bande de Gaza. Il y avait beaucoup moins de civils à Rafah à l’époque, ce qui avait permis à l’Égypte et aux États-Unis d’accepter plus facilement une opération d’envergure à cet endroit.

Et moins d’un mois après les atrocités commises par le Hamas – et avant que les victimes de Gaza n’atteignent des niveaux sans précédent – il y aurait eu beaucoup moins de place au niveau international pour critiquer Israël au moment où il a lancé son incursion terrestre.

Pas de compromis ?

Pour l’instant, les dirigeants israéliens promettent de prendre Rafah. Mercredi, Netanyahu a déclaré avoir ordonné à ses troupes de « se préparer à opérer » à Rafah, après avoir rejeté les « demandes délirantes » du Hamas dans le cadre des négociations sur la prise d’otages.

Selon le responsable israélien, il n’y aurait « aucun compromis » pour renverser le Hamas sur le plan des armes et de la politique, ce qui impliquerait d’opérer à Rafah.

Un deuxième responsable israélien a déclaré jeudi au Times of Israel que l’opération à Rafah ne serait pas un assaut à grande échelle mené par une division entière comme l’opération en cours à Khan Younès, mais qu’elle serait plutôt organisée autour de raids ciblés.

Un berger gardant des moutons près de la barrière frontalière avec l’Égypte, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, près d’un camp de tentes de fortune pour Palestiniens déplacés, le 24 janvier 2024. (Crédit : AFP)

Les troupes israéliennes ont également intensifié les frappes aériennes sur la ville, et des informations en langue arabe indiquent que les forces terrestres de l’armée israélienne s’approchent des abords de Rafah.

Cependant, rien de tout cela ne signifie qu’une opération soit sur le point d’être ordonnée. Un ordre de « se tenir prêt à opérer » est différent d’une directive d’attaquer, et Israël cherche toujours à faire pression sur le Hamas pour qu’il accepte un accord pour libérer les otages dans des conditions plus favorables.

Netanyahu a déclaré qu’il reconnaissait « qu’une opération majeure à Rafah exigeait l’évacuation de la population civile des zones de combat » et qu’il avait demandé à Tsahal d’élaborer un plan pour y parvenir tout en anéantissant les capacités du Hamas dans la ville.

Il se peut que l’armée israélienne conquiert la ville, comme le promettent Netanyahu et ses chefs de guerre. Mais la mission aurait été beaucoup plus sûre si les dirigeants politiques et militaires israéliens avaient pris la menace du Hamas plus au sérieux avant le 7 octobre et avaient élaboré un plan plus agressif dans les semaines qui ont suivi.

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