Colère après un jugement canadien sur l’étiquetage des produits israéliens
"Ma grand-mère a été forcée de porter une étiquette en arborant l'étoile jaune. Jamais je ne porterai une étiquette moi-même", fulmine une viticultrice de Cisjordanie
La grand-mère de Vered Ben Saadon, Liesje de Vries, vivait en Hollande lorsque la Shoah est arrivée jusqu’à son pays natal. Elle a survécu à la guerre en vivant dans la clandestinité, quittant une cache pour une autre.
Trois générations plus tard, Ben Saadon est propriétaire d’une cave viticole au sein de l’implantation de Rechelim, en Cisjordanie. Ses produits peuvent être trouvés dans des magasins américains, britanniques, allemands, chinois et canadiens.
Les vins produits par la Tura Winery revendiquent fièrement, sur l’étiquette principale de la bouteille, une production « en terre d’Israël ».
Mais, il y a deux semaines, la cour fédérale d’Ottawa a émis un jugement qui pourrait bien écarter ses produits des rayonnages canadiens si elle ne consent pas à modifier son étiquette.
Défiant une décision antérieure prise par l’Agence alimentaire canadienne, la magistrate Anne L. Mactavish a déterminé que les étiquetages définissant des vins ayant été cultivés et fabriqués dans les implantations comme des produits israéliens sont « mensongers, trompeurs et fallacieux ».
Autoriser un marquage de ces productions comme étant originaires d’Israël « n’entre pas dans la gamme des possibilités acceptables, défendables au regard des faits et de la loi », avait-elle souligné.
« C’est plutôt déraisonnable », avait-elle même ajouté.
Ben Saadon, qui dirige l’entreprise aux côtés de son époux, Erez, jure de ne pas changer une seule lettre de son étiquette, même si elle doit perdre pour cela des accords commerciaux lucratifs.
« Ma grand-mère a été forcée de porter une étiquette en arborant l’étoile jaune. Jamais je ne porterai une étiquette moi-même, et mes produits non plus », fulmine-t-elle.
« Ceux qui, dans le passé, cherchaient à étiqueter les Juifs cherchent aujourd’hui à étiqueter les produits juifs. C’est exactement la même chose », estime-t-elle.
Un homme d’affaires norvégien a récemment voulu importer des vins de Tura mais il a confié à la viticultrice que son gouvernement lui avait donné pour instruction de demander à ce que le produit soit étiqueté « Fabriqué en Palestine », se rappelle Ben Saadon.
« Je lui ai dit que dans ces conditions, il n’y aurait pas d’accord commercial », explique-t-elle.
Dans son jugement de 29 juillet, la magistrate Mactavish a noté que les implantations n’étaient pas considérées comme faisant partie de l’Etat d’Israël, le Canada ne reconnaissant pas la souveraineté israélienne au-delà des frontières de 1967.
Elle n’a pas pris position sur la manière dont les vins issus des implantations israéliennes devaient être définis, disant qu’il revenait à l’Agence d’inspection alimentaire canadienne de le décider.
Ben Saadon précise n’être d’accord avec aucune autre formulation possible, comme « Fabriqué en Cisjordanie » ou « Fabriqué dans l’implantation de Rechelim ».
« Je paie des impôts comme tous les Israéliens, j’ai les mêmes obligations que tous les Israéliens – c’est exactement la même chose », affirme-t-elle.
La décision prise par le tribunal a été saluée par les Palestiniens et les autres partisans du mouvement BDS (Boycott, Divestment and Sanction) anti-israélien.
« C’est une avancée importante pour le Canada et au-delà dans la mesure où ce jugement historique est l’affirmation de la suprématie du droit et de l’obligation, pour le Canada, de respecter la loi internationale, qui considère les implantations comme illégales et qui ne les reconnaît pas comme faisant partie d’Israël », a ainsi commenté, réjouie, Hanan Ashrawi, haut-membre de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Comme Ben Saadon, les chefs d’implantation et les Canadiens pro-israéliens se rebellent, jurant de combattre cette décision.
« Nous attendons du gouvernement du Canada qu’il continue à s’opposer à la mise en oeuvre de ce jugement et qu’il dépose une requête en autorisation d’appel avant la fin du mois », dit Shimon Fogel, dirigeant du Centre pour Israël et les Affaires juives (CIJA).
Cette organisation, basée à Toronto, a la certitude que le mouvement BDS se trouve à l’origine de ce que Fogel qualifie de « décision biaisée ».
« Le CIJA attache beaucoup d’importance au fait que le gouvernement ne se trompe pas sur cette question, et nous nous inquiétons fortement de ce qu’une incapacité à faire appel n’ait un impact grave à la fois en ce qui concerne les relations bilatérales, mais également au sein de la communauté juive canadienne », a-t-il confié mardi au Times of Israel.
« Ceci étant dit, il m’est difficile de croire qu’une requête en appel ne sera pas déposée », a-t-il dit.
Selon Brian Naud, porte-parole de l’Agence d’inspection alimentaire canadienne, le gouvernement « réexamine avec soin » la décision prise par la justice. Mais, a-t-il dit mardi au Times of Israel, il est « actuellement trop tôt pour indiquer quelles seront les prochaines démarches entreprises ».
Le gouvernement canadien a jusqu’à la fin du mois pour décider de lancer une requête en appel.
L’Etat d’Israël, pour sa part, s’est montré modéré dans ses critiques de la décision, qui n’a pas paru l’ennuyer outre-mesure.
« Le jugement rendu par une cour canadienne concernant l’étiquetage des produits israéliens encourage et offre un soutien aux partisans du boycott et au mouvement BDS. Israël s’y oppose », a fait savoir le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué.
Le ministère et l’ambassade israélienne à Ottawa « continueront à agir contre les traitements discriminatoires et la singularisation d’Israël dans le dossier de l’étiquetage des produits au Canada », a continué le communiqué, sans apporter d’autres détails.
Le Conseil de Yesha, pro-implantations, a semblé également relativement peu troublé par l’affaire.
« C’est un défi que l’Etat d’Israël doit relever, pas seulement la Judée-Samarie », a déclaré le directeur-général du groupe, Yigal Dilmoni, utilisant le terme biblique qui désigne la Cisjordanie.
Le conseil a demandé l’aide du gouvernement mais il n’a pas obtenu de « réponses claires », a-t-il ajouté.
« Je ne sais pas ce que fait le gouvernement à ce sujet, mais nous allons continuer à nous en enquérir », a-t-il poursuivi.
Ce jugement avait été rendu suite à un appel déposé par David Kattenburg, professeur d’université juif et activiste pro-palestiniens de Winnipeg – ce qui n’a pas empêché Dilmoni de déclarer que les initiatives visant à boycotter ou à étiqueter les produits issus des implantations étaient partiellement antisémites.
L’idée est de heurter financièrement les Juifs – ce qui promeut le trope ancien de l’obsession nourrie par les Juifs pour l’argent, a-t-il ajouté.
« Mais ils ne nous vaincront pas. Tout cela ne pourra pas nous vaincre », a poursuivi Dilmoni. « C’est le contraire qui est vrai : Nous prospérons tant et plus. Les tentatives visant à nous blesser financièrement ont un effet boomerang », a-t-il poursuivi, notant que les partisans des entreprises d’implantations israéliennes veulent de plus en plus y placer leur argent.
Environ 30 000 Palestiniens travaillent dans les implantations de Cisjordanie où ils sont payés au minimum deux fois plus que ce qu’ils gagneraient s’ils étaient employés dans les Territoires palestiniens, selon Dilmoni.
« J’aide bien plus les Arabes qui vivent en Judée et Samarie que n’importe quel Juif au Canada qui estime que l’étiquetage des produits issus des implantations aidera les Arabes », a-t-il clamé. « Ce sont ceux qui achètent des produits de Judée et Samarie qui nous rapprochent de la paix ».
Ni le conseil de Yesha, ni l’Agence d’inspection alimentaire canadienne n’ont été en mesure de dire combien de produits d’implantation seraient exportés dans le pays.
Selon Fogel, l’activiste pro-israélien de Toronto, le volume du commerce entre le Canada et les implantations n’est « pas significatif ». La lutte contre le jugement judiciaire émis le mois dernier est, par conséquent, « plus symbolique » qu’autre chose, reconnaît-il.
La cave de Ben Saadon, Tura Winery, produit 100 000 bouteilles de vin par an. Elle se refuse néanmoins de dire combien de bouteilles elle vend au Canada.
« Nous nous agrandissons chaque année mais cela ne signifie pas que nous n’avons pas des difficultés », dit-elle. « Ce n’est pas facile et la décision prise par le tribunal crée des problèmes que je vais devoir gérer », explique-t-elle.
Elle hésite toutefois à faire part de ce qu’elle a entrepris jusqu’à présent pour combattre cette nouvelle et imminente exigence d’étiquetage.
« Ces temps-ci, je suis en relation avec de nombreux acteurs mais je ne peux pas donner leur nom… On ne va certainement pas rester sans rien dire et accepter cette décision qui est antisémite, absolument sans fondement et motivée par des raisons dépourvu d’éthique », dit-elle.
A notre demande de commentaires, Sylvain Leclerc, porte-parole du ministère des Affaires étrangères canadien, a apporté au Times of Israel une réponse convenue, réaffirmant le « droit d’Israël à vivre dans la paix et dans la sécurité avec ses voisins » et saluant « les relations bilatérales fortes et à facettes multiples entretenues par Ottawa avec Israël, qui est basée sur des valeurs, une longue histoire de coopération étroite et des liens individuels forts ».
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