Comment une mère druze a berné le Hamas et révélé ses projets d’attaque du 7 octobre, ce qui a sauvé sa ville
Après la découverte de terroristes dans son jardin, Nasreen Yousef, qui est arabophone, a pu parler au téléphone avec un agent du Hamas et transmettre de précieuses informations à Tsahal
Nasreen Yousef, mère druze de quatre enfants, a contribué à empêcher un bain de sang dans sa communauté, à la frontière sud de Gaza, le 7 octobre dernier, en utilisant sa langue natale – l’arabe – pour faire croire aux terroristes qu’elle allait leur donner de l’argent et les aider à sortir clandestinement, tout en recueillant de précieux renseignements au profit de l’armée israélienne.
Nasreen, son mari Eyad et leurs quatre enfants vivent dans le village à majorité juive de Moshav Yated, à seulement quatre kilomètres de la frontière israélienne avec Gaza et de la frontière avec le Sinaï égyptien.
La maison de Yousef, qui est la plus proche de la clôture de tout Moshav Yated, a été la première étape des terroristes du Hamas qui ont reçu l’ordre d’attaquer la communauté, aux premières heures du 7 octobre, explique-t-elle à l’antenne de la Douzième chaine/Keshet TV, qui a révélé son rôle improbable dans la prévention d’un massacre.
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Les terroristes qui ont fait irruption dans cette petite communauté agricole quelques-uns des milliers de membres du Hamas entrés en Israël depuis Gaza, ce jour-là, pour brutalement assassiner près de 1 200 personnes et faire 253 otages dans des dizaines de villes et villages frontaliers de Gaza, certains réduits à l’état de cendres.
Au moment de l’attaque, Eyad Yousef avait rejoint les membres de l’équipe de sécurité du moshav malgré sa jambe dans le plâtre, tandis que Nasreen, 46 ans, et leurs enfants s’étaient retranchés, avec des voisins, dans leur pièce sécurisée.
Quand Eyad et ses amis ont vu un terroriste sur le point d’entrer dans le jardin, Nasreen est sortie pour tenter de savoir combien d’autres hommes armés du Hamas étaient en route.
« Je lui ai dit : ‘Regarde-moi dans les yeux, je n’ai pas peur de toi’ », se souvient-elle, ajoutant que le jeune homme armé avait une expression étrange, due à – elle l’apprendra plus tard – la drogue.
Nasreen a réussi à le convaincre qu’elle était de son côté et qu’elle l’aiderait à se mettre en sécurité, explique-t-elle au Times of Israel.
Il lui a dit par quel endroit de la clôture il était entré, ajoutant qu’un grand nombre d’hommes armés allaient le rejoindre ou se trouvaient déjà dans le moshav. Certains se trouvaient dans une serre toute proche, d’autres dans des maisons mobiles et une troisième cellule se dirigeait vers un site commémoratif.
Vers 10 heures du matin, Eyad et d’autres membres de l’équipe de sécurité du moshav ont trouvé quatre membres du Hamas dans la serre et les ont amenés dans le jardin des Yousef.
Nasreen confie au Times of Israël : « J’étais en tongs, je courais partout avec de la ficelle et du câble pour les ligoter, en utilisant des serviettes et des serpillères pour qu’ils ne puissent plus voir. »
« J’ignore où j’ai trouvé ce courage, comment je n’ai pas paniqué », poursuit-elle. « Quand mon mari s’est habillé ce matin-là, il m’a dit que ce serait un honneur pour lui de mourir avec son uniforme, et non dans la pièce sécurisée. Je savais que s’ils venaient, ils nous tueraient. Je devais protéger les miens. »
À un moment, trois soldats israéliens sont arrivés et ont demandé si quelqu’un parlait arabe. Nasreen a pu leur dire comment les terroristes étaient entrés : c’est alors que le portable de l’un des terroristes a sonné.
« J’ai regardé l’écran et vu Elayesh écrit en arabe. J’ai pris l’appel », dit-elle.
L’homme à l’autre bout du fil lui demande qui elle est. Elle lui répond : « Je m’appelle Nasreen, je suis arabe, vous n’avez rien à craindre de moi, je cache les gars. J’ai une cachette. »
Lors de la conversation avec cet homme, qui durera 40 minutes, elle s’interrompt régulièrement pour traduire ce qui se dit au militaire qui se trouve à ses côtés, explique-t-elle.
Prenant le prétexte de préparer de la nourriture et de l’eau pour les hommes armés, elle lui demande combien d’entre eux sont en route et d’où ils viennent. Elle assure son interlocuteur que tous les hommes qui se trouvent avec elle ont déjà mangé.
À un moment, l’homme à l’autre bout du fil a commencé à se méfier et demandé à parler à l’un des terroristes. Elle s’est approchée de celui auquel il voulait parler.
« Je lui ai dit : ‘Écoute, je vais te donner de l’argent, de la nourriture, de l’or… Je vais te donner un uniforme et te faire sortir de là clandestinement, mais il faut que tu dises exactement ce que je vais te dire’ », a-t-elle poursuivi.
L’homme a coopéré, disant que Nasreen était une « femme bien » et que les hommes avaient effectivement eu de la nourriture et de l’eau.
Nasreen a ensuite repris le téléphone et dit à l’homme en ligne que l’armée israélienne était partout et qu’elle ne pourrait pas assurer la sécurité des hommes très longtemps, lui demandant à nouveau comment ils entreraient. Il a alors évoqué l’existence d’une brèche dans la clôture.
Nasreen explique que le terroriste a mis fin à l’appel téléphonique en disant : « Inchallah [si Allah le veut], ce soir, nous aurons conquis Israël. »
« Je ne pouvais plus respirer et la conversation s’en est tenue là », confie-t-elle. « J’ai dit au militaire que je ne pouvais plus continuer. Même dans mon pire cauchemar, je n’aurais jamais pensé parler avec quelqu’un du Hamas, dans ma langue – ce dont je n’ai pas honte – et que cela permettrait de sauver du monde et d’arrêter tous ces monstres. »
Elle ajoute : « Si je n’étais pas sortie, si je n’avais pas posé de questions et parlé, probablement que la moitié de notre communauté sinon bien plus ne serait plus là. »
Avec l’aide d’un voisin, Eyad Yousef a gardé les cinq terroristes, dont le tout premier arrivé, du samedi matin jusqu’au dimanche 15 heures.
Nasreen leur a fait du café toute la nuit pour les tenir éveillés, tout en montant la garde, allant d’une fenêtre à une autre dans sa maison à la recherche d’autres infiltrés.
Avec les renseignements de Nasreen, les militaires de l’unité Caracal sont arrivés le dimanche matin.
Sur les coups de l’heure du déjeuner, ils avaient capturé 15 terroristes cachés dans un verger voisin – ceux qui se trouvaient à la base dans les maisons mobiles. Ils ont été conduits dans l’usine de conditionnement du verger. Au même moment, un hélicoptère de l’armée repérait une troisième cellule, également composée d’une quinzaine d’hommes, au mémorial du moshav, qu’elle tuerait depuis les airs.
C’est alors que Shiran, 13 ans, la fille de Nasreen – qui pensait qu’elle allait être tuée – est sortie retrouver sa mère, pour lui dire adieu.
Interrogée sur les raisons qui l’avaient amenée à quitter la pièce sécurisée, Shiran a dit à sa mère qu’un de ses amis, Ido Hubara, 36 ans, qui vivait dans le kibboutz voisin de Sufa, avait été assassiné en protégeant sa communauté.
« Ido était comme un frère pour moi, sa famille était comme la mienne », a déclaré Nasreen.
Ayant appris par un de ses proches que deux amis de la ville voisine de Kerem Shalom avaient également été tués, Nasreen est sortie pour s’en prendre aux terroristes cagoulés et menottés.
« Je les ai frappés avec un tuyau, je les ai insultés, j’étais folle de rage », explique-t-elle, et ce jusqu’à ce qu’un soldat de l’unité Caracal lui dise de ne plus s’approcher d’eux.
À 15 heures le dimanche, Eyad Yousef a fait une pause pour sortir ses proches ainsi que les voisins de la pièce sécurisée et les mettre en lieu sûr.
Nasreen précise que les terroristes n’ont été pris en charge par le service de sécurité du Shin Bet que le lundi.
C’est un peu par hasard, via Frères d’armes, qui organisait une fête pour le 12e anniversaire de Sivan Yousef à l’hôtel d’Eilat qui héberge la famille, comme tant d’autres évacués de la frontière de Gaza depuis le début de la guerre, que l’animateur Guy Pines et son équipe de la Douzième chaine/Keshet TV ont découvert cette histoire.
D’autres filles célébraient leur bat mitzvah, mais Sivan craignait que personne ne vienne parce qu’elle est druze. Un ami de Nasreen avait contacté Frères d’armes, ONG très active dans l’accompagnement de l’après 7 octobre, pour l’aider.
C’est précisément le travail d’Eyad Yousef au sein de l’armée israélienne – il est sergent-major avec 20 ans de service – qui a conduit la famille au sud, loin des villes druzes du nord d’Israël.
Selon Nasreen, ils étaient la seule et unique famille druze de la zone frontalière de Gaza et ils avaient été chaleureusement accueillis par le Moshav Yated.
Selon les chiffres du Bureau central des statistiques pour 2022, la population druze d’Israël s’élève à 150 000 personnes, soit 1,5 % de la population. Elle se distingue de la population arabe en général par leur profonde adhésion à l’État juif et leur forte présence dans l’armée israélienne.
Les hommes druzes sont les seules minorités israéliennes, avec les membres de la petite communauté circassienne, à servir dans l’armée israélienne. De nombreux Druzes accèdent à des postes de haut niveau au sein de l’armée, et des centaines d’entre eux sont morts – certains lors de cette guerre – pour le pays.
Pour autant, ils sont encore victimes de discrimination. Le jour où ce journaliste a parlé à Nasreen, un des camarades de classe de Sivan l’avait appelée pour la traiter de « sale Arabe », ce qu’elle et sa mère ont souvent entendu.
« Sivan n’a plus du tout confiance en elle », regrette Nasreen. « Elle pleure tout le temps. L’école a dit qu’elle s’en occuperait. On ne cesse de me le répéter. »
Nasreen, qui était administratrice pour la caisse de santé Clalit avant la guerre, n’a pas encore repris le travail et s’occupe en nettoyant leur chambre d’hôtel jusqu’au retour des enfants. Son mari se bat à Gaza.
En larmes, elle explique avoir perdu beaucoup d’amis le 7 octobre et souffrir de cauchemars récurrents.
Des psychologues ont été mis à disposition, mais ils sont repartis, et c’était difficile de raconter la même histoire, toujours et encore.
Elle dit avoir eu deux séances utiles, en terme de soutien psychologique, de la part d’un professionnel lui aussi reparti, et vivre depuis lors, « grâce aux anxiolytiques qui m’ont été donnés ».
Ce n’est que la veille du tournage de la Douzième chaîne que Shiran, 13 ans, a révélé avoir filmé les échanges de sa mère avec les terroristes, à travers les stores de la pièce sécurisée. Ces images ont fait le tour du monde.
« Je ne voulais pas raconter cette histoire. Avoir les médias autour de nous. Je ne veux pas que les gens disent que je suis une héroïne », conclut Nasreen. « Je n’ai fait que protéger les miens et ma communauté. »
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