De jeunes Marocains menacés de mort après avoir voyagé en Israël
Des propos sur l'islam tenus par le ministre de la Diaspora ont suscité des désaccords, mais les scènes de Palestiniens vivant en paix dans la Vieille Ville de Jérusalem ont fait naître l'espoir d'une coexistence sur fond de réelle appréciation mutuelle

Quand Ali est arrivé en Israël, dimanche dernier, pour sa toute première visite dans le pays, il a été surpris par la modernité de l’État juif et par son développement.
Étudiant en relations internationales à Rabat – il confie qu’il aimerait devenir, un jour, un futur ambassadeur du Maroc en Israël – Ali, qui a demandé à ce que son prénom soit changé en raison des menaces de mort qu’il est susceptible de recevoir encore dans son pays natal, est l’un des 23 jeunes Marocains venus découvrir Israël au cours d’un séjour d’une semaine. Tous sont âgés d’une vingtaine d’années.
« Nous avons atterri à l’aéroport Ben Gurion et je me suis cru à Miami », déclare-t-il à l’occasion d’un dîner de fête qui a été organisé pour la délégation, mardi dans la soirée.
Le groupe est arrivé au sein de l’État juif grâce à Sharaka, une organisation qui fait venir au sein de l’État juif des délégations de jeunes en provenance de tous les pays du Moyen-Orient. Objectif : En apprendre davantage sur Israël et avoir l’opportunité de nouer des relations interpersonnelles avec les Israéliens.
Depuis leur arrivée, la délégation s’est rendue à la Knesset, à Yad Vashem, dans la Vieille Ville de Jérusalem, à la mosquée Al-Aqsa et sur d’autres sites culturels et historiques des environs de Jérusalem. Ils sont allés dans le sud, sur le site du festival de musique électronique Supernova où 360 jeunes avaient été massacrés lors du pogrom du 7 octobre qui avait été commis par les hommes armés du Hamas. Ils sont aussi allés dans les kibboutzim qui avaient été décimés ce jour-là par les hommes armés. Et enfin, ils sont partis pour Tel Aviv.
Youssef Elazhari, le directeur de Shakara au Maroc, recrute activement des étoiles montantes de la société civile – qui sont généralement des employés d’ONG, déclare-t-il – pour qu’elles puissent prendre part à ce séjour organisé sur le sol israélien. Elazhari reconnaît que les participants pourront subir des pressions sociales, à leur retour, alors que l’armée israélienne est en train de mener une guerre contre le groupe terroriste du Hamas à Gaza. Il ajoute toutefois que cette perspective ne semble pas avoir découragé les jeunes d’entreprendre ce voyage.
« Il n’y avait… pas de peur », explique-t-il.

Mardi, lors du dîner qui s’est déroulé au Musée des amis de Sion à Jérusalem, les jeunes voyageurs ont rencontré une vingtaine d’influenceurs israéliens de leur âge qui travaillent avec Diploact, un programme qui fait la promotion de la défense de l’État juif sur les réseaux sociaux.
Le ministre des Affaires de la Diaspora Amichaï Chikli a pris la parole au cours de la soirée, prononçant un discours où il a déclaré que la guerre que mène en ce moment Israël entrait dans le cadre d’un combat « religieux » plus large contre l’Iran, contre le mouvement transnational des Frères musulmans et contre « une idéologie radicale et fondamentaliste » qui, a-t-il ajouté, ne cesse de prendre de l’essor.
« Quand nous examinons ce qui est en train de se passer dans la civilisation occidentale… la situation n’est pas très simple parce que les valeurs de vérité, les faits – les valeurs judéo-chrétiennes, les valeurs chéries par les musulmans modérés – tout cela ne va pas très fort », a affirmé Chikli.
« Mais même sans vous connaître, je sais que vous chérissez la vie, que vous chérissez les faits et que vous chérissez la vérité », a-t-il continué. « Et je sais que vous aimeriez voir s’établir des partenariats entre les États du Moyen-Orient et Israël, je sais que vous aimeriez voir fleurir le Moyen-Orient et ne pas le voir se noyer en revenant au Moyen-Age, ce qui est l’idéologie des Frères musulmans et ce qui est l’idéologie des ayatollahs de l’Iran. »

Lorsque le ministre a conclu son allocution, Layla, une jeune Marocaine venue en Israël pour la première fois, a levé la main, posant une question à Chikli au sujet de la guerre.
« Vous avez dit que ce n’est pas une guerre contre une population mais que c’est une guerre contre une idéologie », a-t-elle dit. « Comment avez-vous l’intention de combattre cette idéologie ? »
Dans une longue réponse, Chikli a expliqué l’origine étymologique du nom « Palestine » pour soutenir son affirmation qu’un état palestinien n’avait jamais existé, répétant que le Hamas et ses partisans ne chérissent pas la vie mais qu’ils désirent la mort des autres.
Plus tard dans la soirée, Layla confie au Times of Israel ressentir un malaise après la description de l’islam qui a été faite par Chikli.
« Je ne suis pas d’accord avec lui », explique-t-elle. « Je suis musulmane et je pense que notre religion est une belle religion. Je pense que nous devons faire preuve d’empathie à l’égard des civils à Gaza. »
Layla, qui a eu connaissance du voyage organisé par Sharaka grâce à Elazhari, dit que cette visite en Israël a été une source d’inspiration. Elle explique avoir ressenti une forte curiosité à l’égard du pays, une curiosité encore attisée par les différents narratifs qui entourent la guerre actuellement en cours au sein de l’enclave côtière.

Mais elle dit être optimiste et croire à une paix et à une compréhension mutuelle, dans le futur, entre Israël et le monde arabe.
« Alors que je montais à Al-Aqsa », raconte-t-elle, « j’ai vu des Palestiniens en train de jouer dans la rue. Personne n’affichait d’agressivité à leur encontre, ils étaient respectés et je pense que cette scène a fait naître chez moi l’espoir d’une coexistence et d’une réelle appréciation mutuelle entre les Israéliens et les Palestiniens. »
Mais Layla fait aussi face à des menaces de mort, dans son pays natal, de la part d’étudiants qui ne comprennent pas sa décision de se rendre en Israël.
« Tout ce qui pourrait redresser l’image d’Israël, tout ce qui pourrait rendre Israël plus humain en ne réduisant pas le pays à un monstre qui tue tous les Palestiniens est considéré comme de la propagande », indique-t-elle au Times of Israel.
« Cette haine est réelle. Les gens ne veulent pas que nous évoquions la manière dont Israël veut aussi la paix », ajoute-t-elle.
Même son de cloche chez Salah Ghrissi, originaire de Fez, qui explique être venu dans le pays pour le découvrir et pour découvrir son histoire de ses propres yeux, sans intermédiaire.
« Je pense que j’ai des lacunes dans ma connaissance de l’Histoire et je pense que c’était la meilleure chance, pour moi, de les combler », dit-il. « Actuellement, j’ai l’occasion de voir l’autre côté de l’histoire – et ce n’est pas ce qui nous a été appris ».
Ghrissi précise que la majorité des informations qui sont transmises aux Marocains au sujet d’Israël et de la guerre en cours sont issues « des chaînes de télévision et des réseaux sociaux qui font de la propagande », ce qui entraîne un narratif biaisé.

Ghrissi déclare avoir appris l’existence de ce voyage par le biais de la chanteuse marocaine Hodayah, dont le répertoire contient des chansons en hébreu et qui a mis l’unité du Moyen-Orient au cœur de sa carrière musicale. Hodayah a donné un concert lors du dîner qui était organisé au musée, les jeunes dansant, échangeant et partageant les photos de l’événement sur leurs comptes, sur les réseaux sociaux.
This is what a call a Moroccan and Israeli celebration ???? ????????????????
One day we will have also a Lebanese and Israeli celebration ???? pic.twitter.com/1SNmUEQ8ba
— Jonathan Elkhoury- جوناثان الخوري (@Jonathan_Elk) July 9, 2024
Israël et le Maroc avaient signé un accord de normalisation au mois de décembre 2020, dans le cadre des Accords d’Abraham, négociés par les États-Unis. Ce pacte avait permis de lancer des vols directs entre les deux pays, de rouvrir des bureaux de liaison et les deux nations avaient pu mettre en place une coopération nouvelle aux niveaux économique et diplomatique.
Après le massacre commis par le groupe du Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre – les terroristes avaient tué près de 1 200 personnes, en majorité des civils, et ils avaient enlevé 251 personnes, qui avaient été prises en otage à Gaza – et le début de la guerre contre le groupe terroriste qui a suivi, les Marocains de tout le spectre politique sont descendus dans les rues par dizaines de milliers pour condamner l’État juif et pour demander à leur gouvernement « de renoncer à la normalisation. »

Les jeunes Marocains reconnaissent que la guerre a marqué un tournant dans l’opinion publique, tout en soulignant que ce changement de discours n’a pas attisé l’antisémitisme de manière significative au sein du royaume.
« Ce sont des Marocains », dit Ali en évoquant les membres de la communauté juive du Maroc.
Et comment les autres Marocains pourraient-ils changer de point de vue sur Israël ? A cette question, Ali répond de façon déterminée.
« Ils doivent venir en Israël », dit-il. « Ils doivent venir visiter le pays. »
Toutefois, reconnaît Ali, « la majorité d’entre nous qui sommes venus ici, avec Sharaka, nous aimions d’ores et déjà Israël avant le séjour. Et c’est vrai, pourquoi prendrait-on la décision de venir dans un pays qu’on n’aime pas ? »
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