Des historiens rejettent l’affirmation de Netanyahu, selon laquelle, les Alliés auraient pu sauver 4 millions de Juifs de la Shoah
“C’est n’importe quoi”, dit Yehuda Bauer, comparant la thèse du Premier ministre à son autre affirmation historique à propos du mufti de Jérusalem, qui aurait convaincu Hitler de mettre en place la solution finale
Deux importants historiens spécialistes de la Shoah ont rejeté l’affirmation du Premier ministre Benjamin Netanyahu, selon laquelle, de nouvelles études montraient que les Alliés auraient pu sauver quatre millions de Juifs de l’Holocauste s’ils avaient bombardé les camps nazis dès 1942, mais qu’ils avaient choisi de ne pas agir.
« C’est n’importe quoi. Il n’y a absolument rien de vrai là-dedans », a déclaré Yehuda Bauer, l’un des chercheurs les plus éminents d’Israël sur le génocide nazi de la communauté juive européenne.
Rejetant l’affirmation de Netanyahu, qui a dit que les Alliés auraient pu bombarder les camps de concentration nazis, ou au moins les rails qui y menaient, et ainsi arrêter ou ralentir le rythme des meurtres, Bauer a déclaré que les forces aériennes anglo-américaines combinées étaient incapables d’atteindre un point quelconque situé à l’est de Berlin et de l’Elbe avant début 1944.
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« La raison en est simple : les bombardiers anglo-américains n’avaient pas d’escorte combattante pouvant parcourir de telles distances », a déclaré l’historien, qui a reçu le Prix Israël. « Il n’y avait absolument aucune possibilité d’atteindre les endroits où les Juifs étaient tués avant [début] 1944. »
Le Mustang P-51, un produit commun anglo-américain, avait une portée suffisante pour accompagner les bombardiers en Pologne occidentale. Mais les premiers Mustangs n’ont été opérationnels qu’en novembre 1943, et il y en avait juste assez pour une telle opération à partir de février 1944, a dit Bauer, qui est le conseiller académique du musée mémorial de l’Holocauste de Yad Vashem.
Dimanche, dans un discours prononcé à Yad Vashem au soir de Yom HaShoah, Netanyahu a accusé les puissances alliées d’avoir connu le déroulement de l’Holocauste en 1942, quand deux millions de Juifs avaient déjà été tués, et d’avoir choisi de ne pas agir immédiatement pour arrêter le génocide qui a finalement tué six millions de Juifs et des millions d’autres.
« Si les puissances [alliées] avaient agi en 1942 contre les camps d’extermination, et il suffisait de bombardements répétés sur les camps, si elles avaient alors agi, elles auraient pu sauver quatre millions de Juifs et des millions d’autres personnes », a dit Netanyahu pendant la cérémonie officielle de Yom HaShoah. « Les puissances [alliées] savaient, et elles n’ont rien fait. »
Il citait des documents récemment publiés par la commission des crimes de guerre des Nations unies qui montrent que les Alliés connaissaient l’étendue de l’Holocauste de 1942, soit deux ans avant ce que l’on croyait, et a affirmé que ce fait prenait une « signification terrible ».
Bauer a cependant rejeté la notion que le Royaume-Uni, les Etats-Unis ou l’Union soviétique aient pu faire quelque chose pour sauver les Juifs.
« Même s’ils avaient eu l’escorte [combattante] nécessaire pour que les bombardiers atteignent les régions où les Juifs étaient tués, qu’auraient-ils bombardé ? Les camps de concentration ? Ils auraient tué tous les Juifs qui y étaient. Il n’y avait absolument aucun moyen de sauver les Juifs par des bombardements aériens », a-t-il dit.
Les nazis étaient déterminés à exterminer les Juifs, et auraient continué cet objectif même si les chambres à gaz avaient été détruites, a également ajouté Bauer. A la fin de l’année 1943, tous les camps d’extermination sauf un, Auschwitz-Birkenau, avaient été fermés pour une raison ou une autre. La moitié des près de six millions de Juifs tués pendant la Shoah n’ont pas été gazés dans des camps de concentration, mais tués dans des fossés ou abattus pendant des raids dans des villages, a souligné Bauer.
Vers la fin du mois d’octobre 1944, les nazis avaient arrêté de gazer des gens à Auschwitz à cause de l’avancée de l’Armée rouge. « Et pourtant, a dit Bauer, jusqu’à la fin de la guerre, des centaines de milliers de Juifs ont été tués par les Allemands, sans gaz. Ils n’avaient pas besoin de gaz. C’était plus pratique pour eux, mais ils auraient continué à tuer même si les camps de concentration avaient été détruits. »
« Ils n’auraient pas pu être sauvés, a poursuivi Bauer. Il n’y avait pas de troupe anglo-américaine sur le sol européen à l’époque, et les Soviétiques se battaient pour leur survie. Même s’ils avaient voulu sauver les Juifs, et l’on peut bien sûr en douter, ils n’auraient pas pu. »
Les Alliés n’ont réellement réalisé l’étendue des horreurs d’Auschwitz qu’en juin 1944, quand le témoignage de deux évadés parvint à Washington. L’absence de plan pour une campagne de bombardement à ce moment, même si elle aurait probablement été futile, est un échec moral des puissances alliées, a dit Bauer. « Ils n’auraient probablement pas sauvé une seule vie humaine, mais ils auraient marqué un point, ils s’en souciaient. »
Moshe Zimmermann, ancien directeur du centre Richard Koebner Minerva d’histoire allemande de l’université hébraïque, a lui aussi rejeté les affirmations de Netanyahu sur l’absence de volonté des Alliés de sauver les Juifs.
« Les puissances combattant contre l’Allemagne nazie ont supposé qu’elles devaient se concentrer pour gagner la guerre, et que c’était le moyen le plus efficace d’arrêter aussi le meurtre des Juifs », a dit Zimmermann.
Il est souvent dit que bombarder Auschwitz aurait pu être un moyen plus efficace de ralentir la vitesse de l’annihilation systématique des Juifs et des Roms, mais les historiens militaires affirment depuis longtemps que les frappes aériennes étaient impossibles avant l’été 1943, comme l’a expliqué Bauer, et que des rails bombardés auraient de toute façon été rapidement réparés.
Bauer, 91 ans, a également contesté la complainte de Netanyahu, qui a déploré que le monde soit resté silencieux sur l’Holocauste, citant une déclaration du 17 décembre 1942 dans laquelle les puissances alliées ont reconnu qu’Adolf Hitler menait à bien son « intention maintes fois répétée d’Hitler d’exterminer les personnes juives en Europe », et ont promis « d’assurer aux responsables de ces crimes qu’ils n’échapperont pas au juste châtiment. »
Bauer s’est aussi attaqué à l’affirmation selon laquelle deux millions de Juifs avaient été tués en 1942. C’est une hypothèse souvent citée mais totalement sans fondement, a-t-il dit, affirmant qu’il était impossible de savoir exactement combien de Juifs avaient été tués à l’époque.
Bien qu’il ait hésité à interpréter les intentions du Premier ministre, Bauer a dit que Netanyahu n’était « pas un idiot » mais un homme très intelligent et éduqué, très intéressé par l’histoire, et qu’il était surpris qu’il fasse de telles affirmations.
« Il tombe dans ces pièges encore et encore », a poursuivi Bauer, citant le discours d’octobre 2015 du Premier ministre, dans lequel il avait accusé le mufti palestinien d’avoir persuadé Hitler d’exterminer les Juifs en 1941.
« D’abord le mufti, et maintenant cette déclaration, et je suis certain que Netanyahu va continuer à faire des déclarations stupides », a fulminé Bauer.
Selon Zimmerman, les Alliés auraient pu aider à sauver les Juifs en ouvrant les portes de l’immigration juive, mais uniquement avant la Seconde Guerre mondiale. « Quand la guerre a commencé, il était trop tard, a-t-il dit. C’est une pensée que Netanyahu n’adoptera pas. Tout d’abord, parce que l’on peut s’interroger sur la politique américaine envers les Juifs d’Europe jusqu’en décembre 1941, et parce que Netanyahu lui-même n’a pas tiré les leçons et mène une politique très restrictive contre les réfugiés. »
Bauer a indiqué que les documents récemment publiés par les Nations unies, cités par Netanyahu comme constituant une nouvelle preuve que le monde savait plus tôt que ce que l’on pensait, n’avaient en fait rien de nouveau.
« Il n’y a absolument rien de nouveau du tout », a-t-il dit, ajoutant que les éléments contenus dans les éléments, de la commission des crimes de guerre des Nations unies, ont été cités pendant les procès de Nuremberg en 1946.
Même si la nouvelle étude dont a parlé Netanyahu cette semaine se base sur des documents d’archives des Nations unies qui n’ont jamais été jusqu’à présent exploités, le meurtre systématique des Juifs était connu dès 1942, a dit Zimmermann.
« Netanyahu s’est juste montré aussi ignorant que quand il a accusé le mufti d’avoir incité Hitler à commencer la solution finale », a dit Zimmerman, qui a supposé que « l’intention [de Netanyahu] n’était pas seulement d’accuser les Alliés de collaboration avec le Troisième Reich, mais d’utiliser cette conclusion pour justifier sa politique paranoïaque de ‘nous sommes contre le monde entier, qui se fiche de nous et nous hait’. »
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