Des négociations secrètes suscitent l’ire des habitants de Jérusalem vivant sur des terrains loués
L'accord entre le KKL-JNF et un magnat de l'immobilier concernant des terrains appartenant autrefois à l'Église prolongerait les baux de 50 ans, laissant les propriétaires dans l'incertitude
Des informations concernant des négociations entre le Fonds National Juif (JNF/KKL) et le magnat de l’immobilier juif américain Gary Barnett ont fuité, suscitant l’indignation des habitants de Jérusalem, inquiets pour l’avenir des maisons construites sur des terrains qui appartenaient autrefois à l’Église orthodoxe grecque.
Les négociations portent sur 57 hectares de terrains immobiliers de premier choix, situés dans les quartiers huppés de Talbieh, Rehavia et Nayot, à Jérusalem. Environ 1 200 familles, qui y vivent dans des appartements depuis longtemps, se retrouvent dans l’incertitude en raison de la structure foncière obscure des terrains sur lesquels leurs logements ont été construits.
Selon un article publié le 8 juin dans le quotidien financier Calcalist, l’accord en cours de négociation entre le KKL-JNF et Barnett prévoit que les baux des terrains sur lesquels se trouvent les appartements ne seront prolongés que de 50 ans, soit une durée bien inférieure à celle demandée par les résidents.
Les propriétaires ont également exprimé leur colère face au fait que les négociations se déroulaient en secret, à leur insu, alors que l’accord annoncé prévoit également la démolition de plusieurs bâtiments pour construire des immeubles en copropriété à leur place.
« Je suis écœuré que le KKL-JNF tienne des réunions secrètes sur le sort de nos habitations », a déclaré un propriétaire d’appartement qui a souhaité garder l’anonymat.
« Nous avons acheté notre appartement en pensant que le KKL-JNF s’occuperait de ces baux, et maintenant, ils agissent dans notre dos. »

Suite à l’article publié dans Calcalist, un groupe se faisant appeler le Forum pour la sauvegarde des locataires d’appartements en Israël (Forum for Saving Apartment Tenants in Israel) a adressé une lettre très ferme au maire de Jérusalem, Moshe Lion, qualifiant l’accord proposé de « conditions de capitulation ».
« Ces terrains ont été achetés par des Juifs qui ont fait d’importants dons aux institutions sionistes dans le but de racheter les terres du peuple juif », indique la lettre.
« Ces droits appartiennent au grand public et aux générations futures et ne sauraient constituer la propriété privée de promoteurs immobiliers. »
Le KKL-JNF a confirmé que des négociations étaient en cours, mais a déclaré que les parties étaient encore loin d’un accord et que les informations rapportées par la presse israélienne n’étaient que partiellement vraies.
« Le KKL-JNF travaille avec toutes les parties prenantes, y compris les ministères, les locataires et leurs représentants, ainsi que d’autres parties concernées, afin de trouver la meilleure solution à cette question complexe, tout en veillant à préserver les intérêts des locataires et des preneurs à bail », a-t-il indiqué dans un communiqué.
La société de Barnett, Extell Development, n’avait toujours pas répondu à nos demandes de commentaires à l’heure de la mise sous presse.
Une bombe à retardement
Les négociations portent sur l’un des plus grands terrains dits « terrains de l’Église » de Jérusalem, qui comprend des bâtiments publics emblématiques tels que la Grande Synagogue et le Musée d’Israël, un vaste espace ouvert abritant un monastère médiéval connu sous le nom de « Vallée de la Croix », ainsi que des hôtels de luxe comme Inbal et Dan Panorama.

Dans les années 1950, le patriarcat grec orthodoxe, propriétaire du terrain, l’a loué au KKL-JNF dans le cadre de contrats à long terme, principalement des baux de 99 ans qui expireront vers 2051.
Depuis, de nombreux bâtiments extrêmement précieux ont été construits et vendus dans ces zones, même si les terrains sont restés la propriété de l’Église et que le KKL-JNF continue de détenir le bail. Cette situation a créé une dynamique juridique unique et complexe : les particuliers sont propriétaires de leur maison, mais pas du terrain sur lequel elle est construite.
L’expiration de ces baux est depuis longtemps considérée comme une sorte de bombe à retardement pour les propriétaires qui ignorent ce qu’il adviendra de leur logement une fois le bail arrivé à échéance. Beaucoup ont supposé que le KKL-JNF veillerait à ce que tout se passe bien, même si cela n’a jamais été garanti.
Les effets de cette situation juridique incertaine se traduisent clairement par une baisse de la valeur immobilière de ces logements et les propriétaires affirment qu’ils ne peuvent pas s’engager à réaliser d’importants investissements dans leur propriété sans plus de précisions quant à leur avenir.

En 2011, l’Église orthodoxe grecque, lassée des pressions juridiques visant à conclure un accord et lourdement endettée, a vendu ses droits sur le terrain à un groupe d’investisseurs, Nayot Komemiyut, dirigé par la famille Ben David, pour la somme de 20 millions de dollars. En 2023, ce consortium l’a revendu à Extell pour 216 millions de dollars.
Extell a manifesté un vif intérêt pour le développement de grands projets immobiliers sur près de douze différents terrains situés dans la zone réservée à la construction, dont certains sont vides, mais la plupart sont déjà construits.
Les baux étant toujours en vigueur, Extell doit d’abord parvenir à un accord avec le KKL-JNF, une organisation extrêmement riche et puissante qui détient environ 13 % du territoire total d’Israël.
Le tribunal a statué qu’Extell était lié par les mêmes conditions que l’Église, l’obligeant à offrir au KKL-JNF une option de prolongation du bail au-delà de 2051, ce qui donne à cette organisation un poids considérable dans les négociations avec Barnett.
Selon certaines sources, il existe une incertitude juridique quant au nombre d’années pendant lesquelles le KKL-JNF peut prolonger les baux, les avis juridiques allant de 49 ans à 99 ans, voire 900 ans.
Des poursuites judiciaires importantes sont-elles à prévoir ?
Les termes de ces négociations, divulgués dans Calcalist, prévoient qu’Extell commence la construction sur environ douze terrains zonés pour la construction, tout en lui imposant de céder au KKL-JNF la propriété des terrains sur lesquels se trouvent des bâtiments publics. Parallèlement, les baux seraient prolongés de 50 ans, jusqu’au début du siècle prochain.
Cette prolongation relativement courte maintiendrait les habitants dans l’incertitude actuelle, ce qui ferait baisser la valeur des propriétés et dissuaderait les promoteurs immobiliers d’investir dans des projets de réaménagement coûteux, déplorent les propriétaires.

« Ce serait terrible pour nous. S’ils prolongent de 99 ans, il nous restera encore environ 125 ans, et les sociétés de rénovation urbaine s’intéresseront à des projets coûteux de Pinouï Binouï », a déclaré un membre du Forum pour la sauvegarde des locataires d’appartements en Israël, faisant référence à des programmes de développement du gouvernement dans lesquels les promoteurs immobiliers démolissent des immeubles anciens pour les remplacer par des immeubles plus hauts, offrant aux locataires existants de nouveaux appartements.
« Mais s’il ne reste que 75 ans avant qu’Extell ne prenne le relais, alors ce n’est pas un investissement raisonnable. Cela ne ferait que prolonger la situation d’incertitude dans laquelle nous nous trouvons déjà. Il n’y a aucune raison pour que le KKL-JNF accepte une telle offre. »
Une autre résidente, qui a acheté une maison rue Jabotinsky en 2014, a qualifié les négociations de « désagréables », même si elle reconnaît ne pas tout à fait comprendre les termes qui sont discutés.
« Ce qui me met en colère, c’est que tout cela soit arrivé », a-t-elle déclaré.

« Ils ont donné notre bail à des étrangers, et maintenant personne ne sait ce qui va se passer. Il y aura d’importantes poursuites judiciaires si cela se produit. »
Au lieu d’apporter la certitude tant attendue quant à l’avenir de sa propriété, les gros titres ont rendu la situation des propriétaires encore plus précaire, a-t-elle ajouté.
« Trop de signaux d’alerte s’affichent devant nos yeux », a écrit le Forum pour la sauvegarde des locataires d’appartements en Israël dans sa lettre adressée au maire de Jérusalem.
« Nous assistons à des négociations menées à l’insu des citoyens, à des réunions tenues dans l’ombre, loin des regards, à des engagements de plusieurs milliards envers des promoteurs immobiliers, à des fuites tendancieuses dans les médias et à des projets d’accord formulés sans consultation des véritables propriétaires fonciers, à savoir les habitants de la ville. Tout cela va clairement à l’encontre de l’intérêt public et municipal. »
Une source du KKL-JNF a insisté sur le fait qu’il n’y avait aucune raison de s’alarmer.
« Certains disent que nous ne négocions pas assez fermement. D’autres affirment que nous n’en faisons pas assez pour les habitants », a déclaré cette source.
« Nous nous efforçons d’obtenir le meilleur accord possible pour les résidents, tout en comprenant qu’Extell doit rentabiliser son investissement. »