Du front au fournil : l’homme qui fournit de la matzah aux communautés proches de Gaza
Yedidya Harush jongle entre vie militaire et vie civile alors que son usine de Netivot apporte des emplois très nécessaires - et de la matzah aux milliers de soldats et d'évacués pour Pessah
Après trois mois de combats difficiles dans la bande de Gaza, Yedidya Harush a reçu un appel téléphonique qui l’a brièvement ramené à la vie civile.
Située non loin de la frontière avec Gaza, l’usine Emuna Matzah spécialisée dans la fabrication de ce pain non-levé prisé à Pessah, une usine dont Harush est propriétaire, traversait une crise financière dure, sans argent pour payer ses 50 employés à plein-temps. Malgré l’urgence de la situation, au moment même où son propriétaire se battait pour défendre le pays, la banque avait refusé une demande de prêt.
Alors qu’il se trouvait au cœur de Khan Younès, Harush était parvenu à rappeler la banque et à prendre un prêt personnel qui permettrait à ses employés de répondre aux besoins de leurs familles pendant un mois supplémentaire.
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Puis il avait commencé à prier.
« Dieu, je fais ce qui est juste. Je me bats », avait-il murmuré. « Viens-moi en aide ».
Harush garde le silence pendant un petit instant, lundi, lorsqu’il raconte au Times of Israel les événements qui se sont succédés ces derniers mois pour son usine de Netivot, une ville qui se trouve à 22 kilomètres de la frontière avec la bande. Le mot « emuna », en hébreu, signifie « foi ».
Il continue ensuite son récit, la voix plus apaisée.
« Ma famille était évacuée dans un hôtel. Et ça a été une période difficile en particulier parce que je venais tout juste de perdre un ami – il a été tué alors qu’il se trouvait juste à côté de moi », dit-il.
Mais Harush raconte qu’il avait déjà expérimenté la perte, les difficultés et le déplacement avant la guerre qui oppose aujourd’hui Israël au Hamas à Gaza.
Il est né au Gush Katif, dans la bande de Gaza, et il y avait passé son enfance. C’est là que ses parents s’étaient établis après avoir été évacués de la péninsule du Sinaï, au début des années 1980.
Et la famille avait été forcée, une nouvelle fois, de partir après le désengagement de Gaza. A ce moment-là, Harush avait 17 ans. Lui et sa famille avaient rejoint les fondateurs des communautés de la région de Halutza, dit-il, une région située entre la frontière avec Gaza et celle qui sépare l’État juif et l’Égypte et où se trouvent aujourd’hui trois petites villes, Neve, Bnei Netzarim et Shlomit. Chacune de ces localités est située à moins d’un kilomètre de la frontière égyptienne et à moins de dix kilomètres de la frontière avec le sud de la bande de Gaza.
Harush avait été ensuite recruté au sein de Tsahal où il avait intégré la Brigade des parachutistes – il était stationné aux abords de Gaza. Ultérieurement, il avait été mobilisé dans le cadre de son devoir de réserve pour l’Opération Bordure protectrice, en 2014, et une fois encore en 2023 – dans le sillage du massacre commis par les hommes armés du Hamas sur le sol israélien, dans la matinée du 7 octobre.
Dans l’intervalle, il a fondé une famille à Shlomit et il a consacré son temps à collecter des fonds pour sa communauté en tant qu’agent de liaison du Fonds national juif pour Halutza — et il a fondé une usine fabriquant de la matzah qui emploie des résidents du sud du pays.
Fabriquer de la matzah est un commerce précaire
Harush avait travaillé dans une usine qui produisait de la matzah quand il était adolescent. Une expérience très plaisante pour lui, même s’il remarque que son patron, à l’époque, témoignait souvent d’une certaine avarice dans le cadre de ses activités : « Il faisait des choses qu’il ne devait pas faire », explique-t-il. Lui, ajoute-t-il, voulait faire mieux.
C’est cette expérience, en plus de son désir d’aider au développement de la région du Neguev, qui a convaincu Harush d’ouvrir sa propre usine de matzah, la boulangerie Emuna Matzah à Netivot. Elle a assuré l’année dernière son tout premier Pessah.
Elle produit environ 230 kilos de matzah par jour et à peu près 15 tonnes de ce pain non-levé par an.
Lancer l’affaire en partant de zéro n’a pas été simple. Harush a dû apprendre tout ce qu’il y avait à savoir sur la fabrication de la matzah ; il a dû acheter tous les équipements nécessaires et trouver l’endroit où implanter son usine, ainsi que des entrepôts suffisamment grands pour stocker des milliers de boîtes de pain.
« Ce qui est resté la règle numéro un pendant tout ce processus, ça a été de conserver le produit aussi casher que possible », dit-il. « Mais je voulais aussi qu’il soit goûteux ».
« Nous faisons vraiment des progrès étonnants que ce soit au niveau de la qualité ou du goût », ajoute-t-il.
Même si seulement deux ingrédients entrent en ligne de compte, par définition, dans la matzah – l’eau et la farine – la manière dont le pain est préparé peut avoir un impact majeur sur le goût. Harush se vante d’avoir une arme secrète : une machine qui sèche le pain, supprimant ainsi l’humidité qui reste et qui donne à la matzah un croquant agréable.
Harush évoque aussi toutes les mesures que lui et ses employés prennent pour garantir que le produit sera respectueux de la casheroute sous tous ses aspects.
Entrant dans l’usine, Harush gravite avec expertise autour de ses employés affairés qui travaillent la pâte qui servira à fabriquer la matzah à des degrés variés de préparation. Tout le monde semble s’adonner à sa tâche au rythme de la musique mizrahie qui s’échappe des hauts-parleurs.
Emuna ne produit que de la matzah « shmura » artisanale, qui est fabriquée à partir d’un blé qui a été contrôlé en permanence depuis sa récolte pour s’assurer qu’il soit bien resté propre et bien sec.
Fabriquer de la matzah est périlleux si elle est préparée à la main – si la farine touche la pâte à un autre moment que celui de son mélange initial avec de l’eau, la pâte n’est plus considérée comme casher pour Pessah et la matzah devient donc sans valeur. Une zone a ainsi été réservée au mélange entre l’eau et la farine (qui restent séparés l’un de l’autre) à quelques mètres de l’endroit où se déroulent les autres étapes de la production.
Une fois que l’eau et la farine ont été mélangées, les boulangers ne disposent que de 18 minutes pour mixer, pour mettre en forme et pour cuire le pain. Toutes les 18 minutes, tout le matériel doit être minutieusement nettoyé, la pâte résiduelle n’ayant pas été cuisinée dans l’intervalle étant considérée comme étant chametz – non-casher pour Pessah – et comme susceptible de contaminer le pain qui sera ensuite préparé.
Et ce ne sont que quelques règles parmi d’autres.
Mais rien de tout cela ne suffit à dissimuler le travail qui est par ailleurs réalisé par les femmes, dans l’arrière-boutique, qui prennent en charge toute la logistique commerciale au quotidien ou qui répondent aux appels téléphoniques, ou à l’ouvrage des jeunes filles qui ferment avec soin et qui emballent toutes les boîtes de matzah.
Des miettes de compassion
L’an dernier a été un succès – largement grâce aux clients de l’étranger qui ont acheté en masse de la matzah avant Pessah. Harush explique que ce sont dans les trois semaines qui suivent la fête de Soukkot que sont majoritairement finalisés les accords de vente les plus lucratifs. Bien sûr, le début de la guerre opposant Israël au Hamas – une guerre qui a suivi le massacre perpétré juste après Soukkot, le 7 octobre – a anéanti tout espoir de connaître la même réussite que celle de l’an dernier en matière commerciale.
L’usine n’a pas pu ouvrir pendant les six premières semaines du conflit et les principaux clients ont finalement décidé d’acheter leur pain non-levé ailleurs. La boulangerie avait commencé à fabriquer de la matzah dès le mois de juillet pour se préparer au mieux aux ventes importantes qui suivaient Soukkot.
« Nous nous sommes retrouvés bloqués avec beaucoup de matzah », explique Harush.
« Je n’allais pas dire à mes gars de rentrer chez eux sans aucun moyen de subvenir aux besoins de leurs enfants », ajoute Harush, faisant référence à ses employés qui sont tous des résidents de la zone frontalière de la bande.
« Ils ont tous une famille, des enfants. J’ai donc continué à les employer en espérant que, si Dieu le veut, nous pourrons finalement vendre toute notre production ».
Quand l’usine a été à court d’argent, au mois de février, Harush a commencé à en parler sur internet et à ses amis. Il a créé un site, sur la Toile, où les Israéliens pouvaient commander de la matzah pour eux ou pour les soldats israéliens – avec un léger rabais. Il a aussi mis en place un autre site internet pour ceux qui, à l’étranger, ne peuvent pas acheter le pain non-levé pour eux-mêmes mais qui désirent en offrir aux militaires qui assurent actuellement la défense d’Israël.
Lundi dernier, le site israélien avait rapporté plus de 65 000 dollars en dons et en achats et le site mis à disposition de l’étranger avait engrangé presque 30 000 dollars.
Ces initiatives commençant à attirer l’attention, le Fonds national juif a tendu la main à l’usine – et à la population des évacués israéliens. L’organisation a ainsi acheté pour 35 000 dollars de matzah. Elle sera offerte aux personnes qui ont été déplacées, sur tout le territoire israélien.
« C’est une situation gagnant-gagnant parfaite », estime Harush.
Entre les campagnes en ligne et l’initiative prise par le Fonds national juif, l’usine devrait se redresser et compenser la majorité de ses pertes – voire peut-être toutes.
Assis à l’arrière de la boulangerie, entouré de centaines de boîtes de matzah, vêtu de son uniforme de l’armée et muni de son arme, Harush semble simultanément totalement étranger à ce décor et pourtant chez lui.
« Les gens qui nous viennent en aide sont les cœurs les plus formidables de toute la nation », s’exclame-t-il. « Je ne peux pas trouver les mots pour les décrire ».
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