En Italie, un mikvé de l’ère romaine (plus vieux ?) témoin d’une diaspora vibrante
Un site qui a fait l'objet de fouilles à Ostia Antica - datant du 3e siècle de l'ère commune - offre un nouvel éclairage (et des nouveaux mystères) sur la question du mélange des communautés au sein de l'Empire romain

La découverte de ce qui pourrait être le plus ancien mikvé, ou bain rituel juif, jamais trouvé en dehors de la terre d’Israël, soulève une possibilité : celle qu’une ville côtière située aux abords de Rome ait pu être un centre de la vie juive, il y a de cela environ 1 700 ans.
Si la structure s’avère réellement être un mikvé et que sa datation présumée est confirmée (elle aurait été construite entre le 3e et le 5e siècle de l’ère commune), alors il s’agirait du bain rituel juif le plus ancien jamais découvert dans la Diaspora.
Les découvertes faites à Ostie – une importante ville portuaire antique située à 25 kilomètres au sud-ouest de Rome – des découvertes qui ont été dévoilées mardi, pourraient jeter un éclairage nouveau sur le dynamisme de la vie juive au sein de l’Empire romain, quelques centaines d’années après la destruction violente du Second temple de Jérusalem et la répression des tentatives de révolte qui avaient suivi.
Les preuves archéologiques et les documents historiques indiquent qu’Ostie abritait une grande diversité de religions et d’ethnies qui étaient par ailleurs présentes dans tout l’empire. Récemment, les archéologues ont prouvé que dans ce mélange de populations figurait une communauté juive florissante – les vestiges d’une impressionnante synagogue peuvent ainsi en témoigner.
Toutefois, la découverte du mikvé a été une surprise totale pour les archéologues.
« En 2022, nous avons commencé à fouiller une zone située à côté des sièges commerciaux et des quatre temples païens de l’époque », commente le docteur Alessandro D’Alessio, le directeur du parc archéologique d’Ostia Antica, au cours d’un entretien téléphonique avec le Times of Israel. « Malgré sa situation centrale, le secteur n’avait jamais fait l’objet de fouilles ».
Le travail s’est déroulé sous l’autorité de l’équipe du parc archéologique, en coopération avec l’Università degli Studi di Catania et le Politecnico di Bari, et avec le soutien de la Direction des musées au sein du ministère italien de la Culture.
« L’été dernier, nous avons trouvé une petite chambre dans le bâtiment que nous avions mis au jour », ajoute D’Alessio. « Cette pièce ressemble à un puits organisé autour d’une demi-sphère, et il est accessible par des escaliers depuis l’intérieur du bâtiment ».
Les archéologues n’ont initialement pas su réellement comment interpréter cette découverte.
« Nous avons supposé qu’il pouvait s’agir d’un mikvé et nous avons invité le grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni, pour qu’il puisse l’examiner », dit D’Alessio. « Il a été impressionné par la structure mais il n’a pas été en mesure de dire avec certitude s’il s’agissait bien d’un mikvé. »
Les archéologues ont également trouvé un trou – qui était probablement un point d’accès à un tuyau qui acheminait l’eau dans le puits pour la mélanger à l’eau des nappes phréatiques. Il est probable qu’il était utilisé pour transporter de l’eau chaude, dit d’Alessio.
« Au fur et à mesure que les fouilles avançaient, nous avons eu deux coups de chance », note-t-il. « Tout d’abord, nous avons trouvé la structure qui permettait aux gens d’entrer progressivement dans l’eau au lieu d’y tomber ou d’y sauter. Ensuite, au fond de la pièce, nous avons trouvé une lampe à huile intacte qui arborait des symboles juifs, une menorah [un candélabre rituel] et un loulav [une branche de palmier] ».
Pour D’Alessio comme pour son équipe, la lampe à huile a apporté la confirmation – avec un certain niveau de certitude – que les lieux abritaient, dans le passé, un bain rituel juif.
« Un berceau de tolérance » ?
Ces découvertes ont été présentées au grand public lors d’une conférence de presse très médiatisée à laquelle a assisté, entre autres, Alessandro Giuli, le ministre italien de la Culture.

« La découverte d’un ancien bain rituel juif, ou mikvé, au sein du parc archéologique d’Ostia Antica renforce la connaissance historique de ce lieu en tant que véritable carrefour de coexistence et d’échange entre les cultures, en tant que berceau de tolérance entre différents peuples qui avaient trouvé une union dans la civilisation romaine », a déclaré Giuli.
Dans la communauté archéologique plus largement, certains experts appellent à faire preuve de plus de prudence. L. Michael White, qui a dirigé les fouilles qui avaient eu lieu dans le secteur où se trouvait la synagogue d’Ostie, a indiqué au New York Times qu’il souhaitait avoir accès à un plus grand nombre de preuves avant d’affirmer que le site hébergeait réellement un mikvé, dans la mesure où de nombreuses formes de piscines étaient courantes dans le monde romain.
Jodi Magness, qui travaille à l’université de Caroline du Nord, à Chapel Hill, a pour sa part confié au Times of Israel : « Je suis d’accord avec Michael White lorsqu’il déclare que, sur la base du peu d’informations qui ont été publiées, nous ne pouvons pas encore être sûrs qu’il s’agisse d’un bain rituel ». Magness, experte sur la question de la Diaspora juive dans le monde romain, a effectué des fouilles pendant des années à Huqoq, en Galilée, où elle a mis au jour une synagogue qui datait de la fin de l’époque romaine.
La lampe à huile a aidé au processus de datation du site, sa typologie ayant été utilisée entre la fin du 4e siècle et le 5e siècle, fait remarquer D’Alessio.

« Nous pensons que le bâtiment date de la première moitié du 3e siècle de l’ère commune grâce aux mosaïques que nous avons trouvées », explique-t-il. « Le mikvé a été ajouté ensuite, à une autre époque, mais il pourrait avoir été construit dès la fin du 3e siècle ».
Magness a affirmé, de son côté, que si cette datation était confirmée et que si la structure était bien un bain rituel, il pourrait s’agir du plus ancien mikvé jamais découvert en dehors des frontières d’Israël, ce qui le rendrait antérieur de plusieurs centaines d’années à d’autres bains rituels trouvés lors de fouilles en Europe.
« Les plus anciens bains rituels juifs à avoir été découverts dans le reste de l’Europe, y compris dans l’Italie d’aujourd’hui – comme celui qui a été mis à jour à Syracuse, en Sicile – remontent au plus tôt au début du Moyen Âge, et non à l’époque romaine », précise D’Alessio.
La lampe à huile n’est pas la seule à avoir été retrouvée dans le bâtiment.
« Nous avons trouvé deux autres lampes, l’une qui ressemblait beaucoup à l’artefact qui se trouvait au fond du mikvé avec la représentation d’une menora ; l’autre était gravée d’un christogramme [une combinaison de lettres abrégeant le terme Jésus-Christ] », raconte D’Alessio. « Nous savons qu’à cette époque, les communautés juives et chrétiennes de Rome étaient encore très proches ; ce n’est donc pas surprenant de trouver les deux symboles dans le même environnement ».
Où se trouvait le mikvé ?
Ce à quoi le bâtiment pouvait servir reste encore un mystère.
« Notre première hypothèse, c’est que cette structure était une luxueuse résidence privée – mais peut-être s’agissait-il d’un bâtiment public », explique D’Alessio. « Nous avons découvert au moins six pièces. Deux d’entre elles étaient équipées d’un four pour faire la cuisine. Nous avons également trouvé des latrines et une autre pièce qui était probablement une cuisine. Ces pièces donnaient sur une cour orientée au sud. Un escalier laisse penser qu’il y avait au moins deux étages ».
Est-ce possible que l’édifice ait accueilli une synagogue ?… A cette question, D’Alessio répond que c’est très peu probable au vu de sa structure.
Personne ne sait qui était le propriétaire du bâtiment – ni si la structure, qui avait été utilisée pendant au moins 150 ans, avait été transmise de génération en génération à la même famille. Peut-être avait-elle changé de propriétaire des décennies après sa construction, peut-être avait-elle été achetée par une famille juive qui avait décidé d’y construire un bain rituel privé.
« Tout est possible ; on ne peut que faire des hypothèses à ce stade », dit D’Alessio.
Dans la ville, le bâtiment était beaucoup plus central que la synagogue, qui se trouvait à quelques mètres du bord de mer.

« La synagogue était orientée en direction de Jérusalem et ses éléments architecturaux présentaient de nombreux symboles juifs – une ménorah, des palmiers, un shofar [corne de bélier] et l’etrog [cédrat] », indique D’Alessio.
Le chercheur souligne que la synagogue présente également une énigme en matière de mikvé : aucun bain rituel juif n’y a été mis à jour pour le moment.
« Nous ne savons pas si c’est parce que nous ne l’avons pas trouvé lors des fouilles, parce qu’il a été détruit ou parce que les fidèles utilisaient simplement l’océan qui était très proche », déclare D’Alessio (la loi juive autorise la purification rituelle dans toutes les étendues d’eau naturelles).
Une communauté d’avant la chute de Jérusalem

Les premiers éléments archéologiques attestant d’une présence juive à Ostie remontent au 1er siècle de l’ère commune : Les archéologues avaient ainsi découvert une inscription portant plusieurs noms et le mot iudaei (juifs en latin) dans la nécropole de Pianabella, qui servait de cimetière à la ville.
Toutefois, des sources historiques laissent entendre que des membres de l’élite, à Ostie, avaient pu être Juifs ou d’origine juive dès le 1er siècle avant l’ère commune. Elles évoquent notamment Publio Lucilio Gamala, un fonctionnaire dont le nom de famille est proche de « Gamla », un nom juif qui figure aussi dans certaines inscriptions funéraires datant de la même époque à Jérusalem. Il y a aussi la famille Fabii Agrippini, qui possédait deux manoirs à Ostie et qui, selon certains chercheurs, aurait pu être mécène de la synagogue.
D’Alessio espère que les futures fouilles permettront de mettre en lumière l’histoire extraordinaire de la communauté juive d’Ostie, en commençant par le bâtiment où le mikvé a été découvert.
« Au cours de la prochaine saison de fouilles, l’été prochain, nous nous concentrerons sur la cour du bâtiment », dit-il. « Notre objectif est également de sécuriser la zone afin de pouvoir l’ouvrir au grand public ».
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