Explosion à Beyrouth : manifestation contre la suspension de l’enquête
Depuis quelques semaines, le juge Tareq Bitar est au coeur d'une campagne de dénigrement et a été menacé par un haut responsable du mouvement terroriste chiite du Hezbollah

Des centaines de Libanais, dont plusieurs proches des victimes de l’explosion gigantesque au port de Beyrouth, ont manifesté mercredi devant le Palais de justice pour dénoncer les pressions politiques exercées sur l’enquête, suspendue une nouvelle fois.
La France a « regretté »cette décision, – les Libanais ayant le « droit de savoir » et ajoutant que la justice libanaise devait pouvoir « travailler en toute transparence, à l’abri de toute interférence politique ».
« Il revient aux autorités libanaises de permettre à l’enquête de se poursuivre avec les moyens financiers et humains nécessaires, afin de faire toute la lumière sur ce qui s’est passé le 4 août 2020, conformément aux attentes légitimes de la population libanaise », a souligné la porte-parole de la diplomatie française.
Lundi, le juge Tareq Bitar, chargé de l’enquête, a dû suspendre son investigation après une plainte déposée contre lui par un ex-ministre, soupçonné d’implication dans le drame et qui réclame le dessaisissement du juge.
L’explosion survenue le 4 août 2020, et imputée de l’aveu même des autorités au stockage sans mesures de précaution depuis fin 2013 d’énormes quantités de nitrate d’ammonium, a fait au moins 214 morts, plus de 6 500 blessés et dévasté des quartiers entiers de la capitale.
Pointées du doigt pour négligence criminelle, les autorités libanaises ont rejeté toute enquête internationale, avant de dessaisir en février le premier juge en charge de l’enquête locale, à la suite de l’inculpation de hauts responsables.

Mercredi, des manifestants ont pu pénétrer à l’intérieur du Palais de Justice, qui abrite le bureau de M. Bitar, et y ont accroché une grande pancarte arborant les photos des victimes, avec la mention « Vous ne nous tuerez pas deux fois ».
Munis de portraits des victimes, de drapeaux libanais et de banderoles, les manifestants ont déploré les pressions et les menaces exercées sur le juge Bitar.
« L’affaire est plus grande que (celle) d’un juge. L’affaire est (une quête) de vérité », peut-on lire sur une des pancartes brandies par les manifestants. « Le peuple protège la justice », indique une autre.
« Nous souffrons depuis 13 mois de l’ingérence des politiques et des chefs communautaires dans le processus de l’enquête », a déploré à l’AFP Rima al-Zahed, dont le frère, employé au port, a péri dans l’explosion.
« Quand j’ai appris que l’enquête avait été suspendue, j’ai senti que nous étions à nouveau trahis, qu’ils nous tuaient une deuxième fois », a-t-elle ajouté, en allusion aux dirigeants locaux.


Le prédécesseur du juge Bitar, Fadi Sawan, avait déjà été écarté en février après l’inculpation de hauts responsables.
Depuis qu’il a hérité de l’affaire, M. Bitar a convoqué un ex-Premier ministre et quatre ex-ministres dont trois députés, mais le Parlement a refusé de lever leur immunité.
Il risque aujourd’hui de connaître le même sort que son prédécesseur. Depuis quelques semaines, il est au coeur d’une campagne de dénigrement et a été menacé par un haut responsable du mouvement terroriste chiite du Hezbollah, selon des médias locaux.