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Analyse

Face à une éventuelle enquête de la CPI, les options d’Israël

Les effets d'une enquête sur les crimes de guerre de Tsahal ne se feront pas sentir avant des années, mais Israël a du travail à faire pour y remédier

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Une manifestante pose avec un drapeau palestinien devant la Cour pénale internationale, CPI, lors d'un rassemblement exhortant la Cour à poursuivre l'armée israélienne pour crimes de guerre, à La Haye, Pays-Bas, le 29 novembre 2019. (AP/Peter Dejong)
Une manifestante pose avec un drapeau palestinien devant la Cour pénale internationale, CPI, lors d'un rassemblement exhortant la Cour à poursuivre l'armée israélienne pour crimes de guerre, à La Haye, Pays-Bas, le 29 novembre 2019. (AP/Peter Dejong)

Une chambre préliminaire composée de trois juges de la Cour pénale internationale (CPI) a décidé vendredi que la Cour était compétente pour enquêter sur les crimes de guerre éventuels commis par Israël et les Palestiniens.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a qualifié la décision controversée – à laquelle s’opposent les États membres de la CPI, l’Allemagne, l’Autriche, la République tchèque, l’Australie, le Brésil et l’Ouganda – de « pur antisémitisme ». Le ministre des Affaires étrangères Gabi Ashkenazi a déclaré que la décision « fausse le droit international et transforme cette institution en un outil politique de propagande anti-Israël ».

Il ne fait aucun doute qu’Israël prend cette affaire au sérieux, ce dont témoigne notamment le fait que le ministère des Affaires étrangères a pris la rare décision de donner une conférence de presse vendredi soir, après que Shabbat eut commencé. Netanyahu a également publié sa réaction pendant Shabbat.

Il y a certainement des raisons de s’inquiéter. En même temps, il y a des éléments qui permettent de relativiser l’inquiétude d’Israël, surtout à court terme.

Pour commencer, il n’a pas encore été décidé de procéder à une enquête. La chambre préliminaire de vendredi a décidé que le tribunal était compétent pour examiner les crimes de guerre éventuels. Mais la procureure en chef Fatou Bensouda peut toujours décider de ne pas ouvrir d’enquête, même si le tribunal se dit compétent.

Le professeur Yuval Shany, vice-président de l’Institut israélien de la démocratie, a noté que la CPI pouvait encore décider que l’enquête menée par Israël était suffisante et décider de ne pas classer l’affaire.

« Nous avons encore un long chemin à parcourir avant que les enquêtes ne débouchent sur des inculpations contre des individus spécifiques et des mandats d’arrêt », a-t-il déclaré.

« Dans une affaire similaire concernant des allégations selon lesquelles des soldats britanniques auraient commis des crimes de guerre en Irak, le procureur a récemment imposé des normes peu élevées en matière d’enquête formelle, ce qui augmente la probabilité que les enquêtes militaires sur l’opération Bordure protectrice… empêchent les poursuites contre les soldats des Tsahal en rapport avec cette opération ».

Il y a aussi le fait que la CPI est soumise à de fortes pressions pour entreprendre des réformes, ce qui pourrait entraîner l’abandon de l’affaire.

Dans un billet de blog du Atlantic Council de 2019 intitulé « The International Criminal Court Needs Fixing », quatre anciens présidents de l’organe exécutif et législatif de la CPI ont écrit : « Nous sommes déçus par la qualité de certaines de ses procédures judiciaires, frustrés par certains des résultats, et exaspérés par les lacunes de gestion qui empêchent la Cour de réaliser son plein potentiel ».

Le refus de la Cour d’avril 2019 d’ouvrir une enquête sur les crimes de guerre commis en Afghanistan, affirmant qu’elle « ne servirait pas les intérêts de la justice », remet sérieusement en question la compréhension de la Cour de sa propre mission et sa capacité à la mener à bien.

Une session de la Cour internationale de justice à La Haye, Pays-Bas, le 11 décembre 2019. (Peter Dejong/AP)

Il y a aussi une foule de problèmes de gouvernance, les juges se critiquant ouvertement les uns les autres et se plaignant de la rémunération. Une juge japonaise a été autorisée à rester à la Cour après être devenue ambassadrice de son pays en Estonie, même si le fait d’occuper ces deux postes violait clairement les règles de la CPI.

Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale de La Haye, le 27 septembre 2016. (Crédit : Bas Czerwinski/ANP/AFP)

Mme Bensouda, originaire de Gambie, a également fait l’objet de critiques pour s’être concentrée principalement sur les conflits africains, tout en subissant quelques échecs très médiatisés dans ses enquêtes.

Le mandat de Mme Bensouda doit prendre fin avec la sélection d’un nouveau procureur général en juin, et cette personne sera chargée de mener à bien les réformes indispensables. De nombreux observateurs s’attendent à ce que le nouveau procureur général fasse le ménage et expulse les nombreux vétérans de la CPI responsables des récents ratés.

Le prochain procureur en chef devrait venir d’un pays occidental, après que les deux premiers procureurs ont été un Sud-Américain et un Africain.

« Le nouveau procureur a peut-être une dernière chance de mener la réforme de la CPI, ou de reconnaître qu’il s’agit bien d’une cour kangourou », a déclaré la députée Michal Colter-Wunsh, première représentante officielle de la Knesset sur les questions relatives à la Cour pénale internationale.

Dans le cadre des réformes, le remplaçant aura le pouvoir de clore l’enquête, même si Bensouda décide au préalable d’engager une procédure. Une telle décision serait un signal clair de la part du nouveau procureur que le tribunal évitera les enquêtes fortement politisées, comme l’enquête sur Israël et le Hamas.

Entravé, mais pas exclu

Bien que les responsables israéliens et les ONG aient réagi avec fureur à la décision de la CPI, le pire des scénarios n’est pas si mauvais. Dans plusieurs années, les hauts commandants de l’armée israélienne et les responsables gouvernementaux pourraient avoir des difficultés à se rendre dans de nombreux pays si la procureur décide d’ouvrir une enquête, si ces responsables israéliens sont nommés comme sujets de l’enquête et s’ils sont mis en accusation.

« Les éventuelles conséquences graves se feront sentir dans de nombreuses années », a déclaré Anne Hertzberg, conseillère juridique de l’ONG Monitor.

Néanmoins, cette éventuelle enquête joue dans une stratégie plus large des adversaires d’Israël, qui cherchent à délégitimer l’utilisation de certaines munitions ou pratiques par l’armée israélienne.

Des soldats du corps d’artillerie de l’armée israélienne manœuvrent un obusier à la frontière avec Gaza, pendant l’opération « Bordure protectrice » de l’été 2014. L’armée a tiré environ 34 000 obus d’artillerie sur Gaza pendant les 50 jours de l’opération. (Armée israélienne)

Dans le passé, les commandants israéliens ont évoqué la nécessité d’éviter les pratiques qui sont légales, mais aussi perçues comme illégitimes.

Par exemple, il est illégal d’utiliser le phosphore blanc contre les personnes, mais il est tout à fait légal de l’utiliser comme écran de fumée pour masquer les mouvements militaires. Certaines armées ont choisi de s’abstenir de toute utilisation même légale du phosphore blanc en raison de problèmes de légitimité. Après l’opération « Plomb durci » à Gaza en 2008 et 2009, le chef d’état-major adjoint de Tsahal a déclaré que le « grand buzz dans les médias » – et non des questions juridiques – a conduit à un ordre pendant l’opération de cesser d’utiliser de telles munitions.

« Ces projectiles n’étaient utilisés que pour créer des écrans de fumée, conformément au droit international », a-t-il souligné.

Si le fait d’élever la voix peut obliger Israël à changer de tactique, le fait d’avoir un tribunal de la CPI suspendu au-dessus de nos têtes comme une épée de Damoclès pourrait sérieusement entraver la liberté d’action militaire d’Israël.

L’impulsion diplomatique

Certains pensent que la décision de la CPI a été prise en sachant pertinemment qu’elle ne s’attirerait que de petites remontrances de la part de la nouvelle administration de Joe Biden, au lieu de l’enfer, du soufre et des sanctions attendus de son prédécesseur.

« Je pense que cela ne fait aucun doute », a déclaré Herzberg.

L’année dernière, l’administration Trump a imposé des sanctions contre les fonctionnaires de la CPI, y compris la révocation du visa d’entrée de la procureure en chef Fatou Bensouda, en réponse aux tentatives de la cour de poursuivre les militaires américains pour leurs actions en Afghanistan.

Des manifestants pro-palestiniens sont rassemblés devant la Cour pénale internationale, CPI, pour demander à la Cour de poursuivre l’armée israélienne pour crimes de guerre, à La Haye, Pays-Bas, le 29 novembre 2019. (AP Photo/Peter Dejong)

En mai, le secrétaire d’État américain de l’époque, Mike Pompeo, a menacé que les États-Unis « tirent les conséquences » si la CPI poursuivait son enquête sur Israël et le groupe terroriste palestinien du Hamas.

En revanche, le Département d’Etat américain a déclaré vendredi qu’il avait de « sérieuses préoccupations » concernant la décision de la CPI.

Israël, cependant, pourrait encore réagir violemment et pourrait exercer des représailles contre l’AP pour s’être tournée vers les organismes internationaux afin de poursuivre les Israéliens. Les mesures pourraient aller de la réduction des permis de travail jusqu’à l’annexion des zones contrôlées par Israël en Cisjordanie, bien qu’aucune de ces options n’ait été soulevée publiquement avec le moindre sérieux.

Le Président de la Knesset Yariv Levin, (à gauche), nomme la députée Michal Cotler-Wunsh coordinatrice spéciale de la Knesset pour les questions relatives à la Cour pénale internationale, le 23 septembre 2020. (Autorisation)

Colter-Wunsh a suggéré qu’Israël devrait s’engager dans un effort diplomatique pro-actif pour essayer de modifier le résultat réel du processus de la CPI et pour éviter de futures enquêtes.

Le fait de dialoguer avec les parlementaires du monde entier les encouragera à demander des comptes à leurs gouvernements et à exiger de ces derniers qu’ils tiennent la CPI responsable de sa mission, a-t-elle suggéré.

« À ce stade, nous devons nous mobiliser après cette décision très politique, avec tous ces dépositaires du droit international et des droits de l’homme », a-t-elle déclaré, « afin qu’ils maintiennent et remplissent leur responsabilité de demander des comptes à la cour ».

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