Guerre des Six Jours : De Gaulle vs. Raymond Aron
“Un peuple d’élite, sur de lui-même et dominateur” : la phrase a traversé les années sans que l'on ne sache exactement quelles étaient les réelles intentions du Général
On se souvient de cette réponse pour le moins ambiguë, prononcée par le Général de Gaulle lors d’une conférence de presse le 27 novembre 1967. Alors que les journalistes lui demandent son avis sur le Proche Orient, où six mois plus tôt commençait et finissait aussitôt une guerre éclair, le Général, surplombant les journalistes sur son estrade, donna sa vision générale du conflit. Mais une phase a traversé les années, cette description des Juifs comme « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ».
Remise dans le contexte de la réponse in extenso, cette dizaine de mots continue de détonner :
« On pouvait se demander, en effet, et on se demandait même chez beaucoup de juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu de peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’innombrables, d’interminables frictions et conflits. »
« Certains même redoutaient que les juifs, jusqu’alors dispersés, qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient rassemblés, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : ‘L’an prochain à Jérusalem’. »
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Pour l’intellectuel français Raymond Aron, et qui avait rejoint De Gaulle a Londres, tout en gardant une certaine distance critique envers le personnage, cette phrase autorise « solennellement un nouvel antisémitisme ». Un antisémitisme qui avait perdu en vitalité dans le débat public, assimilé depuis la Libération à la collaboration avec l’occupant allemand.
Dans De Gaulle, Israël et les Juifs, un petit livre publié en 1968, Raymond Aron, qui réaffirme à cette occasion avec force son attachement à son identité juive, revient sur « LA conférence de presse », titre du premier chapitre du livre.
« Définir un ‘peuple’ par deux adjectifs… expliquer l’impérialisme israélien par la nature éternelle, l’instinct dominateur du peuple juif… Les Juifs de France ou, pour mieux dire, du monde entier, ont immédiatement saisi la portée historique des quelques mots prononcés le 28 novembre 1967 par le président de la République… Aucun homme d’État occidental n’avait parlé des Juifs dans ce style, ne les avait caractérisés comme ‘peuple’ par deux adjectifs. »
« Le général de Gaulle a, sciemment, volontairement, ouvert une nouvelle période de l’histoire juive et peut-être de l’antisémitisme. Tout redevient possible. Tout recommence. Pas question, certes, de persécution : seulement de ‘malveillance’. Pas le temps du mépris : le temps du soupçon. »
Raymond Aron se demande pour quelle raison le général de Gaulle, qui connaît la portée de ses paroles mais qu’il ne saurait taxer d’antisémitisme, a prononcé ces mots:
« Pourquoi le général de Gaulle a-t-il solennellement réhabilité l’antisémitisme ? Afin de se donner le plaisir du scandale ? Pour punir les Israéliens de leur désobéissance et les juifs de leur anti-gaullisme occasionnel ? Pour interdire solennellement toute velléité de double allégeance ? Pour vendre quelques Mirage de plus aux pays arabes ? Visait-il les États-Unis en frappant les juifs ? Voulait-il soumettre à une nouvelle épreuve l’inconditionnalité de certains de ses fidèles qui ont souffert sous Charles de Gaulle ? Je l’ignore. »