Israël cherche le salut dans une poche de gaz à 5 km sous les mers
Tandis que Netanyahu a annoncé un accord majeur sur l’exploitation du gaz naturel israélien, voici un examen de ce qui se trouve dans les profondeurs de la mer
A 5 km sous les mers, il est impossible d’entendre les accusations exagérées, les politiciens chicaniers et les experts pompeux entourant le plan d’Israël de forer tant de gaz naturel de la terre que le pays ne saura pas quoi en faire.
Pour trouver des champs de gaz naturel au large, vous devez commencer par le port de Haïfa et voyager 90 kilomètres à l’ouest à vol d’oiseau.
Puis plonger 1,6 km au fond de la mer et forer sur trois kilomètres vers le bas. Là, avec l’air frais de près de cinq kilomètres au-dessus de votre tête, vous trouverez une large poche de 200 mètres de gaz naturel piégé dans un lit de roche de grès ou dans des couches de sable.
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Il y a des millions d’années, des matières organiques comme des plantes et des poissons sont morts et ont coulé au fond de la mer, où ils ont été recouverts de couches de sable. Avec le temps, sous le sable devenu de la roche, cette matière s’est décomposée en anaérobie, ce qui signifie sans oxygène.
Avance rapide jusqu’à aujourd’hui, lorsque ces morceaux de poissons morts ont été transformés en un vaste réseau de champs de gaz naturel d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.
Si vous êtes en Israël, les poissons morts d’hier alimentent 60 % de l’électricité que vous utilisez pour lire cet article.
Le mois passé, ces morceaux de poissons morts et ces algues ont focalisé l’attention nationale, après l’échec public du Premier ministre Binyamin Netanyahu de soumettre l’accord du gaz à la Knesset sans révéler son contenu au public.
Mais que se trouve-t-il vraiment là-bas, à des centaines de kilomètres de la côte ? Le Times of Israel examine la façon dont de vastes champs de gaz naturel seront utilisés, à terme, pour les usines électriques, les boulangeries, les écoles et les centres commerciaux.
Je voudrais être sous la mer
Le Tethys Sea Partnership a en premier découvert du gaz naturel au large des côtes d’Israël en 1999 et début 2000, dans deux champs appelés « Noa » et « MaryB », situés près de la ville côtière d’Ashkelon.
La production a commencé sur le site MaryB en 2004, la majorité du gaz naturel étant utilisées pour les centrales de la Compagnie d’électricité. Ces deux champs comprennent environ 45 milliards de mètres cubes de gaz naturel.
En janvier 2009, un conglomérat de sociétés de forage mené par Noble Energy a trouvé un plus grand réservoir de gaz naturel sur le site de forage Tamar, à environ 90 kilomètres à l’ouest de Haïfa.
Le site Tamar compte environ 240 milliards de mètres cubes de gaz naturel. En 2010, un autre partenariat dirigé par Delek Drilling a annoncé que le site Leviathan renfermait des réserves d’environ 450 milliards de mètres carrés.
Noble Energy et Delek Group exploitent ensemble depuis 2013 le gisement de gaz de Tamar, à environ 80 km au large de Haïfa.
Ils sont également associés pour développer Leviathan, le plus grand champ gazier de Méditerranée, dont l’exploitation à 130 km des côtes de Haïfa devrait commencer quand les réserves de Tamar commenceront à se tarir.
Des accords antérieurs avec le gouvernement israélien ont été remis en cause au cours des derniers mois par l’autorité de la concurrence, provoquant l’ouverture de nouvelles négociations soumises à de fortes pressions politiques.
Le site Tamar compte cinq puits producteurs de gaz. Le gaz recueilli à partir de ces cinq puits est amené, non traité, à travers deux pipelines parallèles à environ 150 kilomètres au sud de la plateforme de traitement appelée la Plateforme Tamar. La plateforme Tamar est située à environ 20 km de la côte d’Ashkelon. Ces conduites sont disposées au fond de la mer et recouvertes de sable.
Sur la plateforme, le gaz est traité, et des impuretés telles que des traces d’huile ou d’autres gaz sont retirées.
Le gaz traité est ensuite expédié par gazoduc à Ashdod, explique Amit Mor, PDG d’Eco Energy. Eco Energy est une société de conseil indépendante qui conseille les gouvernements et les organisations internationales, comme la Banque mondiale, sur l’énergie, l’environnement et les infrastructures. Mor a conseillé la commission Sheshinski, dirigée par Pr Eytan Sheshinski, qui a examiné les politiques de gaz et de pétrole naturel.
« [Tamar] est un grand champ qui peut fournir une grande partie des besoins d’Israël pour les 15 prochaines années », a déclaré Mor au Times of Israel.
Il y a aussi deux champs plus petits, appelés Tanin et Karish, à environ 120 kilomètres au large de la côte de Haïfa, qui comptent environ 80 milliards de mètres cubes combinés, et font encore l’objet de négociations.
Fore, Forrest, fore
Le problème avec le forage en mer profonde est qu’il est impossible de savoir s’il y a du pétrole ou du gaz dans la section de roche jusqu’à avoir foré.
Les géologues et les géophysiciens utilisent diverses techniques de cartographie et de tomographie, telles que la pénétration d’ondes (comme l’échographie), pour créer une visualisation de la structure de lit de roches sous la mer.
« Nous utilisons tout ce que nous connaissons sur la géologie régionale, et nous utilisons différentes méthodes de géophysique, » explique Pr Shimon Feinstein, professeur de géologie à l’université Ben Gurion. « Mais c’est comme une radiographie ou une échographie en médecine : nous essayons de comprendre ce qui est à l’intérieur du corps sans l’ouvrir. »
La seule façon de savoir si oui ou non il y a du pétrole ou du gaz naturel dans la section géologique sous le fond marin, ou à quel point il est emprisonné, est de forer et de vérifier.
« Ce n’est pas comme enfoncer un clou dans une cloison sèche, » dit Feinstein. « C’est très cher. C’est très profond, et les pierres sont très résistantes. »
Le processus d’exploration a déjà été réalisé pour le champ Léviathan, qui est à ce jour le plus grand champ du pays.
La taille de Léviathan a stupéfié les entreprises concernées, le gouvernement et la population. La difficulté de prévoir la quantité de gaz fait partie de la raison pour laquelle Israël se retrouve dans ce bourbier politique sur les profits et les droits de forage avec les compagnies de gaz.
« Lorsque les entreprises ont commencé le forage, il n’y avait pas de concurrence sur l’achat des droits d’exploration », explique Feinstein. « Israël a dû travailler dur pour convaincre les entreprises de venir. »
Mais la taille des découvertes, d’abord à Tamar et Leviathan alors, dépassait toutes les attentes du gouvernement.
« Nous n’avions certainement pas de règlements adaptés à la taille de la découverte », dit Feinstein.
« Nous étions pris dans cette situation très embarrassante où nous avions vendu un bail pour l’exploration de certaines conditions, et en raison de l’énorme découverte qui dépassait notre imagination, nous avons décidé ‘ô, nous avons fait une erreur’, et nous changeons les règles du jeu après la fin du match. »
Les entreprises ont investi des centaines de millions de dollars dans le processus d’exploration. Le forage est la partie la plus coûteuse, et c’est aussi la partie la plus risquée.
Chaque forage individuel coûte 150 millions de dollars, pour le forage lui-même, explique Mor, d’Eco Energy. « C’est un gaz très cher à produire par rapport au gaz terrestre. Par exemple, le gaz de schiste [gaz terrestre piégé dans les roches sédimentaires] est beaucoup moins cher. »
Les deux grandes entreprises qui explorent Tamar et Leviathan sont Noble Energy, basée aux États-Unis et Delek Drilling, basée en Israël.
D’autres entreprises sont également impliquées dans l’exploration et la production, mais dans une bien moindre mesure. Les autres sociétés sont Avner, Israemco, Dor, et Ratio.
Une fois que les entreprises choisissent un endroit pour le forage, elles perforent le sol de la mer. Le forage injecte aussi une boue spéciale. Cette « boue de forage », est réalisée à partir d’une substance faite à base d’argile calibrée aux conditions spécifiques du puits. Elle est injectée pendant le processus de forage dans le but de refroidir le trépan et maintenir ainsi l’intégrité du puits en ne permettant pas aux liquides ou au gaz de remonter pendant le forage.
Le forage doit se faire sous une pression énorme. En raison de la profondeur du champ, le gaz est piégé sous une pression 400 à 500 fois supérieure à la pression au niveau de la mer. Cette pression provoque une circulation du gaz dans le puits et sa remontée.
Tant que le processus controversé du forage appelée fracking – dans lequel un puits est foré et les liquides sont forcés de briser la roche et de permettre au gaz ou à l’huile de s’échapper – au forage en mer profonde, le vide de pression encourage naturellement le gaz à entrer dans le puits.
Dans le champ de Tamar, le gaz est également transporté via des canalisations vers une plateforme de traitement à haute pression, d’environ 90 fois la pression atmosphérique du niveau de la mer. Le gaz naturel contient certaines impuretés, y compris des traces d’huile.
Le pouvoir au peuple
Après avoir été traité, le gaz naturel en mer du champ Tamar est acheminé 20 km le long du lit de la mer et rejoint Israël dans une usine d’Ashdod.
Une fois arrivé sur le continent, une société gouvernementale appelée Israël Natural Gas Lines (« Natgaz » est son acronyme hébreu) dispose d’un réseau de 430 kilomètres de conduites de gaz naturel qui serpentent à travers le pays. Ce réseau de distribution apporte du gaz naturel à huit centrales et aux grands consommateurs d’énergie, comme les zones industrielles de la baie de Haïfa, Dead Sea Works, Ramat Hovav et Mishor Rotem, entre autres.
Actuellement, seuls les grands consommateurs sont directement reliés au gaz naturel. Cinq petites entreprises régionales de gaz construisent des infrastructures pour acheminer le gaz aux consommateurs de niveau moyen, comme les hôpitaux, immeubles de bureaux, centres commerciaux, et les petites usines. Mais le processus de pose de conduites de gaz est difficile, au regard de son coût et des obstacles bureaucratiques de toute construction en Israël.
Israël reçoit maintenant environ 60 % de son électricité du gaz naturel. Les militants écologistes encouragent l’utilisation du gaz naturel, en particulier dans les centrales électriques, parce que le gaz naturel pollue beaucoup moins que le pétrole ou le charbon.
Le ministère des Infrastructures naturelles, de l’Eau et de l’Energie a constaté que, en plus de réduire la pollution et les gaz à effet de serre, le gaz naturel est beaucoup plus efficace et peut produire près de 20 % plus d’électricité que le charbon ou le pétrole.
« Nous sommes en faveur de l’extraction et de l’utilisation de gaz naturel, car c’est un carburant beaucoup plus propre », explique l’activiste de Green Course, Ely Abramovitch. « C’est un gaz de transition, c’est ce que nous devons utiliser jusqu’à pouvoir compter sur les énergies renouvelables. »
Le groupe environnemental Green Course est l’un des leaders du groupe de coordination des organisations environnementales qui organisent des manifestations hebdomadaires samedi soir pour protester contre l’accord sur le gaz.
Ils protestent, explique Abramovitch, contre le manque de transparence dans les négociations entre le gouvernement et les compagnies de gaz, pas contre l’extraction réelle et la production du gaz lui-même.
« Nous soutenons bien l’utilisation du gaz naturel, nous tenons à assurer que toutes les centrales électriques d’Israël utiliseront le gaz naturel, car il existe encore des centrales électriques qui utilisent d’anciens carburants », dit-il.
« Une des choses à faire avec les bénéfices provenant du gaz naturel serait de développer une énergie plus propre. »
Dangers dans les profondeurs
Tout type de forage en mer évoque immédiatement l’explosion de feu de la marée noire de Deepwater Horizon de 2010, la plus grande marée noire de l’histoire. Dans cette catastrophe, une explosion de gaz naturel s’est produite à travers le puits, tuant 11 personnes et en blessant 17.
Deux jours plus tard, la plateforme a chaviré et a coulé, rompant le riser, la partie de la plate-forme qui injecte la boue de forage dans le puits. Sans contre-pression, le pétrole a commencé à jaillir dans le golfe du Mexique. Les responsables du gouvernement américain ont estimé qu’à l’apogée, la fuite crachait 60 000 barils de pétrole par jour dans le Golfe.
Mais les experts du projet israélien déclarent qu’Israël ne fera pas face à la possibilité d’une fuite comme celle du Deepwater parce que les entreprises forent du gaz naturel et non du pétrole.
« Le gaz naturel comprend beaucoup moins de risques », dit Feinstein.
« Une explosion pourrait entraîner des dommages à l’environnement, mais pas aussi graves que le pétrole, parce que du point de vue chimique, le gaz a une composition beaucoup plus simple. C’est la plus petite molécule du système pétrolier, avec un atome de carbone et quatre atomes d’hydrogène. » Cela signifie que le gaz naturel se dissout plus aisément que le pétrole, de composition chimique plus complexe.
Mor explique que la seule leçon à tirer de l’explosion du Deepwater est qu’il faut plusieurs valves pour fermer l’écoulement du gaz à divers endroits le long du pipeline en cas d’explosion.
Du point de vue de l’environnement, il y a aussi des perturbations sur le site de forage ou lors de la pose des tuyaux, à la fois sur terre ou sur le lit de la mer.
Feinstein déclare que les entreprises doivent faire preuve d’une extrême prudence afin d’assurer qu’aucun produit chimique utilisé dans le processus de forage ne coule dans l’eau. Mais les militants écologistes conviennent généralement que l’avantage d’utiliser du gaz naturel comparé au charbon l’emporte sur les perturbations locales, explique Abramovitch. Pourtant, ils veulent faire en sorte que les entreprises prennent leur responsabilité en cas de problème.
« En ce moment, les accords ne prévoient pas de protection en cas de catastrophe écologique », dit-il.
« Ou, ce qui est plus probable, en Israël, en temps de guerre, les compagnies de gaz et les forages de gaz pourraient être une cible pour une organisation terroriste. Nous devons faire en sorte que ces produits de gaz ne se répandent pas dans l’océan, et s’assurer que l’opération de nettoyage soit financée par la société. »
Du gaz gelé
Des faits nouveaux concernant la réglementation du gaz ont dominé les unes des journaux du mois passé.
Lors de la visite de Netanyahu à Chypre mardi, il a discuté d’une coopération possible avec le président chypriote, Nicos Anastasiades concernant le champ de gaz Aphrodite, qui longe le Léviathan, mais se trouve dans les eaux chypriotes.
Mais Feinstein et Mor avertissent que le public doit aussi voir l’ensemble du tableau.
« Le public est plus perturbé ces jours avec les lois et les politiques. Il ne se préoccupe pas vraiment des questions techniques », observe Mor.
« Le problème majeur dont les gens doivent être conscients est la question de la sécurité nationale », ajoute Mor.
« Le fait est que ces jours-ci, 60 % de notre électricité dépend du gaz qui provient d’un champ, celui de Tamar. Les problèmes techniques, ou la menace de missiles et ainsi de suite, peuvent causer d’importants trous dans la fourniture de gaz. Cela concerne les Israéliens et les Palestiniens, qui resteront dans l’obscurité parce qu’ils sont totalement dépendants d’un champ de production. »
Mor note que Karish et Tanin ne pourront commencer avant au moins cinq ans.
« Nous avons besoin de trois pipelines indépendants parce qu’Israël est face à un risque très élevé pour sa sécurité nationale », dit-il.
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