Jean-Marie Le Pen et Israël

Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national et longtemps leader de l’extrême droite française, s’est éteint ce mardi 7 janvier 2025 à Garches (Hauts-de-Seine) à l’âge de 96 ans.

Ses déclarations les plus polémiques sont largement connues, et il a été inculpé à plusieurs reprises, notamment pour incitation au racisme, à la haine, et pour apologie des crimes de guerre nazis. Ses rapports avec l’État d’Israël n’ont eux jamais fait la Une des médias et sont moins évidents.

Dans un livre, Le Testament du diable – Les derniers secrets de Jean-Marie Le Pen, d’Azzedine Ahmed-Chaouch, publié en 2010, le leader d’extrême droite affirmait qu’Israël avait été à « l’origine » de l’ampleur de la polémique déclenchée par ses propos en 1987 sur les chambres à gaz, qu’il avait qualifiées de « détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

« J’ai lu dans un livre sur le Mossad qu’ils évoquent un organisme qui, en Israël, est chargé d’orchestrer les campagnes d’opinion dans le monde », disait-il dans un entretien avec l’auteur du livre, le 15 avril 2010.

« Et moi, je pense que c’est comme ça que ça s’est passé. Lundi [au lendemain de ses déclarations], il ne se passe rien, et après ça se déchaîne. Oui, je pense qu’Israël est à l’origine, oui je pense que c’est de là que ça vient. Oui absolument, et surtout l’orchestration mondiale prouve un réseau, et ça me paraissait hors de proportions », ajoutait Jean-Marie Le Pen, selon l’ouvrage.

D’après les archives de l’AFP, les condamnations de ces propos avaient néanmoins commencé dès le lundi 14 septembre 1987, lendemain de son intervention, et se sont poursuivies les jours suivants.

Jean-Marie Le Pen, lors de son hommage annuel à Jeanne d’Arc, le 1er mai 2017. (Crédit : Christophe Archambault/AFP)

En 2014, il condamnait vivement Israël dans son « Journal de bord » à l’occasion de la Guerre de Gaza, ou opération « Bordure protectrice », et reprenait une autre théorie du complot.

« Personne ne peut rester indifférent devant le véritable martyre que subit la population palestinienne. Il y a quelque chose tout de même qui m’étonne : ce qui provoque ces réactions très violentes d’Israël et de son aviation, des bombardements dont les civils sont généralement comme toujours les premières victimes, c’est l’envoi de roquettes. Le Hamas enverrait des centaines de roquettes sur Israël… Ce qui m’étonne, c’est qu’il n’y a pas de morts… Et donc il y a une disproportion formidable entre la riposte et les dégâts causés. Je trouve d’ailleurs très étonnant que le Hamas continue d’envoyer sur des terrains vagues des missiles ou des roquettes… qui n’ont aucune efficacité. Alors il y a quelque chose qui m’étonne là-dedans… qui pose question. Voilà, qui envoie ces roquettes vraiment ? Je ne sais pas. En tous cas, c’est un prétexte qui est utilisé par Israël pour écraser, avec des moyens ultramodernes, une population qui est pratiquement sans défense et dont on sait qu’elle vit déjà dans une misère affreuse. Non, je crois que ce problème va continuer d’empoisonner la vie internationale et peut-être même un jour conduire à des excès de conflits très violents. »

« Coutumier des saillies complotistes (voir ici, là et encore là), Jean-Marie Le Pen avait, en mars 2013 (Journal de Bord n°311), dénoncé la ‘désinformation totale’ dont les Français étaient selon lui victimes s’agissant de la situation en Syrie, affirmant que l’Elysée et le Quai d’Orsay agissaient sous la férule de l’État d’Israël », commentait alors le site Conspiracy Watch.

Il avait déjà tenu des propos similaires en 1997, dans la revue frontiste Français d’abord : « Le peuple palestinien subit un véritable martyre, puisque les droits qui lui ont été reconnus par l’ONU sur sa propre terre ne sont pas respectés. Il s’agit d’un pays et d’un peuple qui vivent dans une misère affreuse. Plus affreuse encore, serais-je tenté de dire, que celle qui accable l’Irak. En Irak, il y a un génocide perpétré et mené par les États-Unis avec la complicité de l’Europe ; mais au moins ont-ils conservé un gouvernement, des institutions, une homogénéité nationale. Ils souffrent et meurent… Mais chez eux. Alors que l’ONU et les nations qui la composent se sont révélées incapables d’imposer une solution juste dans l’ancienne Palestine. Personnellement, j’ai depuis longtemps reconnu le droit des Israéliens à avoir une patrie, mais ce droit ne peut pas exister s’il n’a pas pour corollaire celui des Palestiniens à avoir une patrie libre et souveraine. »

Il avait soutenu les Palestiniens à d’autres occasions, notamment en 2018 ou encore en 2009, quand il avait comparé Gaza à un « camp de concentration dans lequel les gens sont privés des moyens de se défendre ». Cette ligne pro-palestinienne était ainsi celle du Front national quand il le dirigeait.

À Gaza, les médias parlent d’affrontements entre Palestiniens et Israéliens mais les dizaines de morts et les centaines de blessés sont tous Palestiniens. Il faut que cesse ce massacre !

— Jean-Marie Le Pen (@lepenjm) May 14, 2018

En 2009, lors d’un entretien à l’occasion d’un diner tenu à Paris pour le trentième anniversaire de la Révolution islamique en Iran, il déclarait aussi : « Je suis un ami, je l’ai toujours montré, et je me suis toujours rangé du côté des nations libres qui n’acceptent pas le diktat d’autres pays, en particulier sur les problèmes récents de l’industrie nucléaire. J’ai dit que je pensais que l’Iran avait les mêmes droits que n’importe quel autre pays du monde, et que s’il y avait une voix qui devait être hostile à l’arme nucléaire, elle devait commencer par désarmer ceux qui s’en étaient dotés bien souvent secrètement et en contravention totale avec les règles de l’ONU. »

Lors de cet interview, il ajoutait au sujet de Gaza : « J’ai dit que j’étais scandalisé de voir que, dans un grand silence de l’opinion mondiale, et même de l’opinion arabe et musulmane, on écrasait ce petit pays qui était un véritable camp de concentration où les gens ne pouvaient ni entrer ni sortir, et qu’une armée moderne avec une aviation, des blindés, etc., traitait ce pays de manière parfaitement inhumaine, et je trouvais ça scandaleux. »

Dans cet entretien datant de 2009,
Jean-Marie Le Pen donne son avis sur Gaza, l’Iran et Israël. pic.twitter.com/ku5T5nCMo8

— Heinrich von der Vogelweide (@Vogelweide_) October 2, 2024

En 2022, dans une interview avec le journal israélien Israel Hayom, Jean-Marie Le Pen déclarait « que portait sur [lui] l’accusation d’être antisémite, que [ses] adversaires politiques ont inventée ».

« Je les mets au défi de trouver une déclaration politique que j’ai faite qui soit antisémite. Juste parce que je suis de droite et nationaliste, j’ai été accusé d’être antisémite. C’est totalement faux. Rien dans ma vie ne montre ou n’exprime l’antisémitisme », assurait-il.

Dans l’interview, il faisait cette fois part de sa « sympathie pour la petite nation [Israël] qui s’est battue pour sa survie et son existence, et qui a réussi à s’emparer de sa terre ancestrale. J’ai toujours été amical envers [Israël] plutôt qu’un adversaire », a-t-il déclaré, ajoutant avoir « combattu aux côtés des soldats israéliens lors de la guerre du Sinaï en 1956 ». « J’étais parmi les parachutistes français qui ont sauté en parachute dans le canal de Suez, les Israéliens sont arrivés derrière nous et ont pris le Sinaï », a-t-il expliqué.

Il connaissait à coup sûr quelque peu l’histoire d’Israël : avec sa « Société d’études et de relations publiques », société d’éditions fondée en 1963, spécialisée dans le chant « de tradition », notamment le chant militaire, il avait publié du contenu concernant l’histoire d’Israël. Son catalogue a en effet compris des chants israéliens, outre les chœurs de l’Armée rouge et des chants de l’armée allemande (Wehrmacht et Waffen SS).

Son vinyl « Histoire d’Israël – Voix et chants » racontait ainsi « l’histoire sonore du peuple juif et de la renaissance d’Israel illustré par 50 chants et 70 documents sonores authentiques ». Jean-Marie Le Pen faisait alors le commentateur historique.

Dans les années 1980, Jean-Marie Le Pen avait aussi tenté un rapprochement avec la communauté juive, se rendant en 1987 à New York rencontrer des membres du Congrès juif mondial. Cette année-là, deux députés FN se sont rendus en Israël afin de rencontrer des représentants du Hérout, ancêtre du Likoud. Ces efforts avaient vite été balayés par la polémique la même année sur les chambres à gaz, « détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale selon le leader d’extrême droite.

Dans ses Mémoires publiés en 2019, Jean-Marie Le Pen s’exonérait là aussi de tout antisémitisme, écrivant, toujours avec des accents complotistes : « L’antisémitisme garantit l’homogénéité du groupe juif, les sionistes le savent. La comédie du détail a fait bondir les demandes d’alya en France. Cela n’a pas dû gêner Ariel Sharon. »

Face à ses critiques et théories complotistes et antisémites, mais aussi face à ses quelques rares démonstrations de sympathie à l’égard d’Israël, pays qu’il n’aura jamais visité et qui n’aura jamais souhaité le recevoir (comme pour sa fille Marine), il est à prévoir que les dirigeants à Jérusalem ne lui adresseront aucun quelconque hommage.

Glenn Cloarec a participé à cet article.