La déclaration sous serment de Ronen Bar, un cri d’alarme pour l’avenir d’Israël
Le chef du Shin Bet déclare officiellement à la Cour suprême que Netanyahu a exigé une loyauté personnelle à son égard au détriment de l'Etat et de ses lois ; la réponse des juges déterminera l'avenir de la démocratie et de la sécurité israéliennes

La déclaration sous serment qui a été soumise par le chef du Shin Bet, Ronen Bar, à la Haute Cour de justice, dans la journée de lundi, est un cri d’alarme assourdissant pour le public israélien.
Le chef de l’une des principales agences de sécurité du pays a officiellement et explicitement informé la Cour que le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait exigé de lui une loyauté absolue – qu’il fallait lui obéir à lui, le chef de gouvernement, plutôt qu’à la loi et à ses tribunaux – et que Netanyahu cherchait systématiquement à exploiter les capacités étendues du Shin Bet à son profit personnel et politique.
Les feux rouges ne font pas que clignoter. Ils sont aveuglants.
Quelques minutes avant midi – c’était l’échéance fixée par la Haute Cour concernant le dépôt de la déclaration sous serment de Bar – ce sont deux documents qui ont atterri sur le bureau des juges. Seul l’un d’entre eux a été mis à disposition des Israéliens. La déclaration sous serment publique du chef du Shin Bet consiste en huit pages denses et concises et elle développe le contenu de la lettre qu’il avait envoyée aux magistrats en date du 4 avril. Sa déclaration sous serment confidentielle s’étend, pour sa part, sur 31 pages et elle comprend cinq annexes.
Conformément au règlement du tribunal, le public n’aura pas accès à la déclaration sous serment complète et détaillée. Toutefois, le document a également été remis au Premier ministre et à ses collaborateurs – rendant une fuite potentielle tout à fait envisageable. De surcroît, les juges peuvent choisir d’inclure une paraphrase de son contenu dans leur décision sur la question du bien-fondé du licenciement du chef du Shin Bet – un renvoi qui avait été ordonné à l’unanimité par le cabinet à l’initiative de Netanyahu le mois dernier, entraînant les recours que la Cour est actuellement en train d’examiner.
Il est également raisonnable de s’attendre à ce que des éléments du contenu de la déclaration sous serment complète de Bar soient présents dans la propre réponse que fera Netanyahu à la Cour, une réponse qu’il doit soumettre jeudi – à moins qu’il ne se retire au dernier moment.

Suite à la soumission de la déclaration de Bar, le bureau de Netanyahu s’est empressé de publier un communiqué qui déclarait que « Ronen Bar a soumis une fausse déclaration sous serment à la Cour suprême – qui sera bientôt réfutée en détail ». Toutefois, le communiqué ne s’est pas engagé à présenter cette réfutation dans le cadre de la propre déclaration sous serment du Premier ministre.
Mais même en laissant de côté le document confidentiel de 31 pages qui a été écrit par le chef du Shin Bet, sa déclaration sous serment publique suffit à elle seule à entraîner la stupéfaction.
Un grand nombre des accusations qu’il lance à l’encontre de Netanyahu ont déjà été soulevées dans le discours public, ces dernières années – mais il s’agit ici d’une situation totalement différente. Les accusations sont désormais formulées explicitement et ouvertement par le chef du Shin Bet lui-même, et elles sont présentées dans une déclaration sous serment signée devant le tribunal – une déclaration qui équivaut à un témoignage sous serment.

Les accusations les plus déterminantes qui sont lancées par Bar sont autant de bombes qui devraient ébranler les fondations de la vie publique israélienne :
• Netanyahu a clairement établi qu’en cas de crise constitutionnelle, il s’attendait à ce que le chef du Shin Bet se soumette au Premier ministre, et non à la Haute Cour. Si Netanyahu a effectivement formulé une telle demande, le fait même de l’exprimer constitue à lui seul une infraction pénale grave justifiant l’ouverture d’une enquête.
• Netanyahu a exercé, à plusieurs reprises, des pressions sur Bar en faveur de l’émission d’un décret de sécurité qui aurait empêché, dans les faits, le Premier ministre de témoigner dans le cadre de son procès pénal en cours. Un projet d’avis de ce type, préparé par un membre de l’entourage de Netanyahu, avait été remis à Bar pour signature – mais Bar avait refusé.
• Netanyahu a demandé à Bar d’utiliser les outils de surveillance du Shin Bet à l’encontre des citoyens israéliens – en particulier à l’encontre des responsables du mouvement de protestation qui dénonçait le plan de refonte radicale du système judiciaire qui était avancé par le gouvernement en 2023 – au nom d’une prétendue « subversion ». Ce faisant, il a ignoré les propres règles du Shin Bet concernant le déploiement de son autorité dans de tels cas, avec notamment le maintien de l’équilibre nécessaire entre la prévention de la subversion, le respect du droit à manifester et le respect du droit à la liberté d’expression, ainsi que le principe qui vise à maintenir le Shin Bet en dehors de l’arène politique.
• Netanyahu a soumis ces requêtes oralement, à la fin des réunions de travail, après avoir renvoyé son secrétaire militaire et la sténo chargée de l’enregistrement des rencontres – une tentative apparente visant à éviter qu’il y ait des traces de ces demandes.
• Bar a transmis un courrier à Netanyahu et à son secrétaire de cabinet, Yossi Fuchs, dans lequel il soulignait l’importance, pour la sécurité nationale, d’établir une commission d’enquête sur les événements qui avaient entouré le pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre – non seulement parce que c’était la bonne chose à faire du point de vue de la gouvernance, mais aussi parce que l’establishment de la sécurité avait besoin d’un tel processus pour pouvoir en tirer les leçons et mettre en œuvre des réformes structurelles. Netanyahu, de son côté, continue de s’opposer – avec insistance – à une telle enquête.

Il y a une conclusion qui découle de la déclaration sous serment de Bar : c’est celle que la question centrale qui est en jeu n’est pas simplement de savoir si son licenciement du poste de chef du Shin Bet a été fondé sur des motifs professionnels ou sur des considérations inappropriées. La réponse à cette question semble tout à fait claire.
Ce qui semble déterminant désormais, c’est le risque que représente le fait qu’Israël soit actuellement gouverné par un homme contre lequel des accusations directes sont portées par une source officielle nommée, par le chef d’une agence de sécurité qui l’accuse de s’employer à saper la nature démocratique de l’État.
La déclaration sous serment de Bar a deux implications de la plus grande importance.
La première est d’ordre probatoire : le fait même que Bar ait lancé ces accusations dans le cadre d’une déclaration sous serment leur confère le poids juridique d’un témoignage en salle d’audience.
Si les règles procédurales de la Haute Cour autorisent en théorie le contre-interrogatoire des personnes qui soumettent des déclarations sous serment, cette disposition est depuis longtemps considérée comme lettre morte et elle n’a pas été utilisée depuis les années 1990. La Haute Cour considère généralement le contenu des déclarations sous serment comme factuel et fiable. Néanmoins, l’option existe – et les juges pourraient autoriser des contre-interrogatoires dans cette affaire, afin d’établir les différends factuels entre Netanyahu et Bar.

La deuxième implication concerne les documents qui ont été joints par Ronen Bar à sa déclaration sous serment complète, classifiée. Ces pièces jointes sont censées servir de preuves objectives à l’appui des affirmations du chef du Shin Bet. Le fait que Bar ait choisi de les inclure uniquement dans la version classifiée et de ne pas les rendre publics laisse penser qu’il s’agit probablement de procès-verbaux et de résumés de réunions, de décisions ou autres documents internes dont la crédibilité serait difficile à remettre en question.
Cela signifie que Netanyahu – s’il doit choisir d’étayer sa version des faits à l’aide de documents et non de simples arguments – est confronté à un défi important en matière de preuves.
Les implications publiques, juridiques et constitutionnelles de la déclaration sous serment de Bar sont profondes. Ayant déjà annoncé qu’il démissionnerait en raison de la responsabilité qui a été la sienne, en tant que chef du Shin Bet, dans l’échec à prévenir le massacre du 7 octobre, il est manifeste que ce n’est pas pour lui-même qu’il mène cette bataille juridique.
La manière dont ce dossier sera résolu n’affectera pas seulement le mandat et l’indépendance du prochain chef du Shin Bet. Dans une très large mesure, et peut-être même de manière décisive – au vu du contenu de la déclaration sous serment de Bar – elle déterminera la sécurité et l’avenir démocratique de l’État d’Israël.
Yuval Yoaz est l’analyste juridique du site en hébreu du Times of Israel, Zman Yisrael, où cet article a été initialement publié.
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