La tuerie à Majdal Shams illustre la complexe situation des Druzes du Golan
Déchirée entre son allégeance historique à la Syrie et l'acceptation croissante de la domination israélienne, la communauté se retrouve malgré elle prise dans un conflit sanglant
La tragique attaque à la roquette de samedi à Majdal Shams, qui a coûté la vie à douze enfants et adolescents lors d’un match de football, a souligné la fragilité de la situation sécuritaire sur le plateau du Golan, tout en mettant en lumière la dynamique complexe de la communauté druze dans la région frontalière qu’Israël a reprise à la Syrie en 1967.
L’attaque meurtrière a été attribuée par l’armée israélienne et les services de renseignement américains au Hezbollah, qui l’a dans un premier temps revendiquée avant de revenir sur ses propos. Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière depuis que le groupe terroriste chiite libanais soutenu par l’Iran a commencé à frapper le nord d’Israël le 8 octobre – au lendemain du pogrom mené par son allié palestinien du Hamas.
La population druze du plateau se caractérise par un statut politique complexe au sein de la société israélienne : la région, reprise par Israël à la Syrie pendant la Guerre des Six Jours, a été officiellement annexée en 1981. La démarche israélienne n’a cependant pas obtenu de reconnaissance internationale, à l’exception de celle des États-Unis sous la présidence de Donald Trump en 2019.
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Située sur les contreforts sud du mont Hermon et comptant près de 12 000 habitants, Majdal Shams est la plus grande des quatre implantations druzes du plateau. Avec les trois autres villes – Ein Qiniyye, Masade et Buqata – la population druze totale du Golan s’élève aujourd’hui à 20 000 personnes, vivant aux côtés d’environ 50 000 Israéliens juifs.
Les Druzes du Golan ont maintenu avec zèle leur identité syrienne après 1967 et ont résisté et refusé les offres de citoyenneté israélienne.
Ailleurs en Israël, les Druzes, un groupe ethno-religieux connu pour sa nature secrète et insulaire, ont accepté la souveraineté israélienne après la fondation de l’État en 1948 et s’identifient généralement comme Israéliens. Les hommes issus de ces communautés druzes servent dans l’armée israélienne et sont connus pour leur exploit.
La plupart des Druzes du Golan ont opté pour la résidence permanente, craignant que leur acceptation de la souveraineté israélienne ne mette en danger les membres de leur famille vivant de l’autre côté de la frontière, en Syrie. Selon la colonel (à la retraite) Sarit Zehavi, de l’Alma Center, un institut de recherche israélien spécialisé dans les problèmes de sécurité dans le nord, la communauté pourrait être accusée de trahison par les autorités de Damas en cas de retour de la région à la Syrie.
Après 1967, le régime syrien a activement encouragé le maintien de liens étroits avec les Druzes du Golan, en soutenant les liens commerciaux, par exemple avec la vente transfrontalière de produits, et en permettant aux résidents druzes du Golan d’étudier gratuitement dans les établissements universitaires syriens.
Il y a eu des regroupements familiaux entre Druzes de part et d’autre de la frontière, ainsi que des mariages entre des familles qui se trouvent aujourd’hui dans deux pays distincts en guerre, comme le montre le film israélien « La fiancée syrienne », qui a été acclamé en 2004 et dont l’action se déroule en grande partie à Majdal Shams.
Toutefois, avec le déclenchement de la guerre civile syrienne en 2011, les choses ont commencé à changer.
Une citoyenneté israélienne pragmatique
Alors que les Druzes du Golan ont organisé à de multiples reprises des rassemblements pour afficher publiquement leur loyauté envers le dictateur syrien Bashar el-Assad et qu’en 2015, ils ont même attaqué des ambulances transportant des blessés syriens en Israël pour y être soignés, pensant qu’il s’agissait de combattants de l’opposition, beaucoup ont commencé à penser que les liens avec Damas se distendaient, voire que le régime les avait trahis.
En conséquence, un nombre croissant de résidents ont commencé à demander des passeports israéliens, y compris de nombreux jeunes pour qui la Syrie était un lieu abstrait dont ils avaient entendu parler dans des récits familiaux.
En 2022, l’organisation israélienne de presse à but non lucratif Shomrim a obtenu des chiffres officiels du gouvernement montrant une augmentation des demandes de citoyenneté déposées par les résidents druzes du Golan au cours des dernières années, une tendance que les experts ont attribuée à des raisons pragmatiques, plutôt qu’à un lien d’identification avec l’État.
En 2021, le nombre de demandes s’élevait à 239, contre 75 en 2017 et seulement quatre en 2010. Les chiffres du ministère de l’Intérieur en 2022 ont montré que 4 300 membres de la communauté détenaient la citoyenneté israélienne, soit environ 20 % du total.
Les résidents druzes du Golan bénéficient aujourd’hui des avantages de la résidence israélienne, tels que l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres services sociaux, ainsi que la liberté de circulation à l’intérieur d’Israël. Dans le même temps, ils sont également confrontés à des défis importants, tels que les difficultés à obtenir des permis de construire, à maintenir des liens avec leurs familles de l’autre côté de la frontière et à voyager à l’étranger pour ceux qui n’ont pas de passeport israélien.
L’été dernier, un projet d’éoliennes dans le Golan avait déclenché des manifestations de masse de la part des résidents druzes locaux, qui y voyaient une menace pour leur mode de vie agraire, un empiètement sur des terres ancestrales auxquelles ils sont attachés de manière quasi-sacrée, et une consolidation de ce qu’ils considèrent comme l’occupation du territoire par Israël.
Le projet, dernier épisode en date des relations tendues entre l’État juif et la minorité récalcitrante, a finalement été mis en veilleuse à la suite d’affrontements répétés avec la police et des protestations des dirigeants de la communauté.
Fragilisation des liens avec le régime el-Assad
L’allégeance à Damas est également de plus en plus remise en question.
Alors que le dictateur syrien el-Assad était autrefois perçu comme le protecteur des citoyens druzes actuels et anciens de Syrie et du Golan, les deux communautés ont perdu patience face au régime soutenu par l’Iran.
Les allégations selon lesquelles le régime el-Assad a vendu les Druzes du Golan ont refait surface immédiatement après l’attaque sanglante à la roquette de samedi sur Majdal Shams.
שלט שהונף היום בא-סווידאא' הר הדרוזים בדרום סוריה שאנשיו מוחים בחודשים האחרונים נגד משטר אסד: "המשטר מכר את הגולן וחיזבאללה הורג את ילדיו" pic.twitter.com/SjcZdSOdx1
— roi kais • روعي كايس • רועי קייס (@kaisos1987) July 28, 2024
Lors d’un petit rassemblement organisé dimanche dans la ville druze syrienne d’al-Sweida, foyer d’opposition au régime ces derniers mois, des habitants ont brandi des pancartes accusant le régime d’avoir « vendu » le Golan et le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah d’avoir « tué des enfants ».
Les Druzes d’al-Sweida organisent régulièrement des manifestations contre le régime depuis août dernier, en raison de la hausse de l’inflation et de la suppression des subventions publiques.
Leurs griefs dépassant les préoccupations économiques, les manifestants réclament le renversement du régime d’el-Assad et le retrait de l’Iran du pays.
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