Israël en guerre - Jour 436

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Analyse

Le « déluge d’Al-Aqsa » de Sinwar a emporté l’axe iranien, mais les eaux sont encore troubles pour Israël

Le Hamas, le Hezbollah et la Syrie d'Assad ne représentent plus une menace stratégique pour l'État juif mais Téhéran continuera à tenter de nuire à ce dernier ; De plus, une Turquie imprévisible prend de l'essor

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Des photos brisées de l'ayatollah Ali Khamenei et de l'ayatollah Ruhollah Khomeini, gisent sur le sol de l'ambassade d'Iran après que les forces d'opposition ont pris le contrôle de la ville de Damas, en Syrie, le 8 décembre 2024. (Crédit : AP Photo/Ghaith Alsayed)
Des photos brisées de l'ayatollah Ali Khamenei et de l'ayatollah Ruhollah Khomeini, gisent sur le sol de l'ambassade d'Iran après que les forces d'opposition ont pris le contrôle de la ville de Damas, en Syrie, le 8 décembre 2024. (Crédit : AP Photo/Ghaith Alsayed)

En 2017, l’Iran avait vu une opportunité.

Les relations avec le Hamas étaient sous tension depuis des années – après que le groupe terroriste à la tête de la bande de Gaza eut apporté son soutien à l’opposition sunnite qui se heurtait au régime de Bashar al-Assad, régime auquel Téhéran apportait son appui en Syrie.

Puis, alors que la guerre civile sanglante, en Syrie, entrait dans sa sixième année, le Hamas avait choisi à sa tête deux nouveaux chefs considérés comme faisant preuve d’amitié à l’égard de la république islamique – Ismail Haniyeh avait pris la direction générale du mouvement au Qatar et Yahya Sinwar était devenu le puissant chef de l’organisation à Gaza.

Avec ces deux dirigeants en place, l’Iran avait été à l’origine d’un processus de réconciliation entre Assad et le Hamas, consolidant ainsi le réseau de supplétifs armés qui avait été soigneusement mis en place autour d’Israël par le régime des ayatollahs.

Téhéran, avait déclaré Sinwar, était « le plus important soutien financier et militaire » du Hamas.

« Tous les missiles que vous pouvez voir à Gaza et au Liban ont été fabriqués avec le soutien de l’Iran, » s’était enorgueilli le commandant des forces aérospatiales du Corps iranien des Gardiens de la révolution islamique, Amir Ali Hajizadeh.

Illustration : Le chef du groupe terroriste du Hamas, Ismaïl Haniyeh, embrassant le prisonnier libéré Yahya Sinwar, un fondateur de l’aile armée du Hamas, alors que les partisans du Hamas célèbrent la libération de centaines de prisonniers à la suite d’un échange contre le soldat israélien kidnappé Gilad Shalit, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 21 octobre 2011. (Crédit : Abed Rahim Khatib/Flash 90)

Avec le soutien ferme de la république islamique, le sentiment de hardiesse de Sinwar s’était renforcé – et ce, au fur et à mesure que sa force militaire était devenue plus dangereuse, l’État juif n’ayant pas dissimulé son désir d’éviter un conflit majeur au sein de l’enclave côtière.

Mais six ans plus tard, le soutien apporté à Sinwar s’est finalement avéré avoir été l’une des plus grandes erreurs commises par Téhéran.

L’apogée de l’Iran

Le commandant du groupe terroriste, convaincu que ses forces seraient susceptibles d’infliger suffisamment de pertes à Israël pour stopper une incursion terrestre et persuadé que l’Iran et son réseau viendraient à son aide, avait lancé son attaque-surprise dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023. Les hommes armés avaient commis un pogrom, massacrant plus de 1 200 personnes dans le sud d’Israël et kidnappant 251 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.

L’axe iranien avait atteint son apogée. Sinwar pensait que cet assaut sanglant – qu’il avait baptisé « le déluge d’Al-Aqsa » – provoquerait d’autres failles, ouvrant des brèches dans les murs bâtis par Israël pour se protéger. En lieu et place de cela, cet assaut fanatique a provoqué une vague qui éloigne actuellement les proxies de l’Iran des frontières d’Israël – et qui pourrait même finir par noyer le régime lui-même.

Des corps gisant sur une route principale, suite à une attaque par des terroristes du Hamas, à proximité du kibboutz Gevim, le 7 octobre 2023. (Crédit : Oren Ziv/AFP)

Après que le Hamas a savouré plusieurs heures de « succès », le 7 octobre, Israël avait repris le contrôle de la situation, passant à l’offensive. L’armée israélienne avait réduit à néant les capacités militaires du groupe terroriste en l’espace de quelques mois.

Quand le Hezbollah avait commencé à attaquer Israël dès le 8 octobre 2023, refusant d’arrêter ses tirs de roquettes pendant les mois qui devaient suivre, Israël avait finalement mené une série de frappes prenant pour cible les hauts-commandants du groupe libanais. Tsahal avait ensuite envoyé les soldats de l’autre côté de la frontière. Et le Hezbollah aura finalement jeté l’éponge après avoir perdu des milliers de terroristes, la majorité de son arsenal de roquettes et la plupart de ses dirigeants, acceptant un cessez-le-feu qui laisse désormais le Hamas seul face à Israël.

Israël n’a pas eu ensuite à faire quoi que ce soit pour voir s’effondrer le château de cartes.
Constatant que le Hezbollah et l’Iran étaient à bout de forces, que la Russie était elle aussi à bout en Ukraine, les rebelles islamistes ont quitté, la semaine dernière, le Nord-Ouest de la Syrie où ils étaient retranchés, descendant vers le sud et se saisissant de la capitale.

Des soldats de l’armée en train de mener des opérations dans la bande de Gaza, une image diffusée le 25 novembre 2024. (Crédit : Armée israélienne)

La perte est énorme pour l’Iran. « Le projet tout entier de l’Iran était construit sur le sol syrien et dans une grande mesure, avec le consentement d’Assad », explique Carmit Valensi, responsable du programme « Arène du nord » au sein de l’Institut d’études de sécurité nationale de Tel Aviv.

Depuis la Syrie, la république islamique était capable d’effectuer des livraisons au profit du Hezbollah, de déplacer les milices chiites à travers la région et de faire entrer des armes en Cisjordanie via la Jordanie.

La vague se déplace vers l’Est

La fragilité du régime syrien a été une surprise – c’était pourtant le prix à payer pour qu’il puisse survivre. Lorsque les insurgés sunnites avaient menacé de le détrôner, en 2015, Assad avait dû faire appel à l’Iran et à la Russie, en leur demandant d’intervenir pour sauver son règne – et probablement aussi pour sauver sa tête. Un pari qui avait permis de geler le conflit et de maintenir la dynastie Assad au pouvoir mais qui avait eu pour conséquence de transformer la Syrie en un État vidé de toute substance.

« La Russie n’a jamais été intéressée par une paix authentique et l’Iran n’a jamais porté d’intérêt à la Syrie », commente Anna Borshchevskaya, chercheuse au sein du Washington Institute.

« Quand ce sont des acteurs qui ne s’intéressent pas à la paix qui prennent le contrôle, il faut réaliser qu’aucun conflit ne sera jamais vraiment gelé – et la Russie est devenue experte dans l’art de gérer ce genre de conflits gelés », ajoute-t-elle. « Une nouvelle étincelle qui vient mettre le feu à la situation toute entière n’est alors qu’une question de temps, et les choses deviennent vite incontrôlables ».

Des rebelles islamistes dans une rue de Maaret al-Numan, dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, le 30 novembre 2024. (Crédit : Abdulaziz Ketaz/AFP)

La question qui se pose dorénavant est la suivante : Jusqu’où la vague qui a balayé Assad s’étendra-t-elle à l’Est ?

Avec l’aide de l’Iran, ce sont les chiites et leurs milices qui dominent désormais le paysage en Irak. Pourtant, il y a dix ans, l’État islamique s’était déversé vers le nord de l’Irak depuis le territoire syrien – un scénario qui est à nouveau imaginable, même si cela devait être un autre groupe armé sunnite qui décide finalement d’ouvrir le chemin. Ou peut-être les sunnites et les Kurdes d’Irak auront-ils le sentiment qu’ils ont aujourd’hui l’opportunité de s’affirmer face aux milices chiites.

« Il est tout à fait possible de s’attendre à ce que d’autres se disent : ‘Attendez, pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas la même chose ?’, » estime Yossi Kuperwasser, ancien chef de la Division de recherche au sein des services de renseignement militaire de Tsahal.

Photo d’illustration : des militants de l’État islamique, avec un terroriste de l’EI brandissant le drapeau du groupe à Falloujah, en Irak, à l’ouest de Bagdad, le 28 juin 2015. (Crédit : Site internet de l’EI via AP)

La vague pourrait s’étendre encore plus loin – peut-être jusqu’à l’Iran lui-même.

Le régime, qui est déjà méprisé par une grande partie de la population, semble incapable de s’imposer. Alors que les Iraniens souffrent des sanctions économiques, il a sorti des milliards de dollars du pays, mettant ces fonds entre les mains de ses proxies. Il ne reste plus grand-chose des investissements faits par Téhéran – les armes envoyées au Hezbollah ont été détruites ou saisies par Israël. Les équipements et arsenaux militaires, en Syrie, ont été confisqués par les groupes sunnites.

Non seulement l’Iran n’a pas pu vaincre ses ennemis, mais le pays a rendu la région beaucoup plus dangereuse pour les chiites que le pays prétend par ailleurs protéger.

« Rien n’est terminé »

Que l’Iran perde ainsi tous ses alliés aux frontières d’Israël était une perspective inimaginable avant le 7 octobre. Cette perte fait toutefois planer de nouveaux périls – certains déjà connus, d’autres inconnus – sur l’État juif.

« Rien n’est terminé », déclare le général de brigade de réserve Eran Ortal, du Centre d’études stratégiques Begin-Sadat.

« L’axe chiite n’a pas renoncé à son rêve de se débarrasser de nous, pas plus qu’il n’a renoncé à s’accrocher au Liban dans cet objectif », ajoute-t-il.

Des membres du groupe terroriste chiite libanais Hezbollah assistent aux funérailles du principal commandant militaire du groupe, Ibrahim Aqil, dans la banlieue sud de Beyrouth, le 22 septembre 2024. (AFP)

L’Iran et son camp malmené vont devoir trouver de nouveaux itinéraires pour livrer des armes au Hezbollah et de nouvelles manières de menacer Israël – mais ils ne renonceront certainement pas.

Les groupes rebelles – même s’ils comprennent des jihadistes convaincus et d’anciens jihadistes soi-disant réformés – ne représenteront pas une menace pour Israël à court-terme, alors que les affrontements entre les groupes armés sunnites et chiites s’intensifient en Syrie et qu’ils se renforceront aussi potentiellement en Irak.

« Ils ont d’autres ennemis », dit Valensi. « Ils vont chercher à aller au bout des combats contre les partisans d’Assad qui restent en Syrie. Israël, de toute façon, figure au bas de la liste de leurs priorités ».

Le chef du groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), Abu Mohammed al-Golani, constatant les dégâts causés par un tremblement de terre dans le village de Besnaya, dans la province syrienne d’Idlib (nord-ouest) tenue par les rebelles, à la frontière avec la Turquie, le 7 février 2023. (Crédit : Omar Haj Kadour/AFP)

De plus, depuis qu’il a rompu ses liens avec Al Qaïda en 2016, le chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), Abu Mohammed al-Jolani, a cherché à se présenter sous les traits d’un « modéré ».

Ces derniers jours, il a commencé à signer ses déclarations sous son vrai nom, Ahmed al-Sharaa. Il a assuré aux minorités qu’elles ne risquaient rien.

Le commandant rebelle Anas Salkhadi est apparu sur la chaîne de télévision d’État avec un message similaire : « La Syrie est pour tout le monde, sans exception. La Syrie est pour les Druzes, les Sunnites, les Alaouites et pour tous les courants ».

Un message qui semble sage à l’heure actuelle – ce qui ne signifie pas qu’il le restera.

« Je ne crois pas à cette conversion de sa part », s’exclame Yogev Elbaz, membre du centre Moshe Dayan Center. « C’est un pragmatique ».

L’heure de la Turquie

La faiblesse de l’axe iranien face aux attaques israéliennes a été l’occasion pour HTS de s’attaquer à Assad. Elle est aussi une opportunité qui est offerte à son principal soutien, la Turquie.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan s’exprime à la tribune de la 79e session de l’Assemblée générale des Nations unies, le mardi 24 septembre 2024, au siège de l’ONU. (Crédit : AP Photo/Julia Demaree Nikhinson)

« Il y avait un vide », explique Borshchevskaya, « et la Turquie a su profiter de ce moment et elle a été en mesure de remplir ce vide ».

« En raison de son influence dominante et de son soutien de longue date aux rebelles syriens, la Turquie aura une grande influence dans la Syrie de l’après-Assad », renchérit Gallia Lindenstrauss, experte du dossier turc au sein de l’INSS.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan pro-Hamas – qui n’épargne pas Israël de ses critiques virulentes – cherchera à porter un coup à l’autonomie des Kurdes et à inciter les réfugiés syriens qui se trouvent actuellement en Turquie à retourner dans leur pays d’origine.

Pour des raisons intérieures ou pour s’attirer le soutien de l’Iran, Erdogan pourrait aussi prendre la décision de redoubler d’hostilité à l’égard d’Israël par le biais des groupes sunnites soutenus par Ankara en Syrie.

Il est sans doute exagéré d’imaginer que la Turquie puisse poursuivre des politiques susceptibles de déclencher une action militaire de la part d’Israël. Toutefois, l’Histoire récente a démontré qu’Erdogan était prêt à aller très loin s’agissant de s’en prendre à ses adversaires dans la région.

L’Oruc Reis, qui recherche des réserves d’hydrocarbures, de pétrole, de gaz naturel et de charbon en mer, accoste au port de Haydarpasa, le 23 août 2019 (Crédit : Ozan KOSE / AFP)

La guerre par procuration entre la Turquie et l’Égypte en Libye avait semblé avoir le potentiel de se transformer en confrontation directe en 2020 – lorsque le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi avait menacé de recourir directement à la force militaire si les forces soutenues par la Turquie s’en prenaient à la ville de Syrte.

La même année, Ankara avait significativement renforcé les tensions avec d’autres rivaux méditerranéens. Une mission française visant à mettre un terme au trafic d’armes vers la Libye avait été inquiétée par des navires de guerre turcs armés. Quelques mois plus tard, la Turquie avait envoyé un navire civil, accompagné de navires de guerre, en quête de pétrole et de gaz dans les eaux par ailleurs revendiquées par la Grèce. Selon Reuters, les navires de guerre grecs et turcs s’étaient heurtés à une occasion.

Si Israël a opté pour une formule agressive face aux groupes terroristes soutenus par l’Iran, il sera bien plus difficile, pour le pays, de déterminer une réponse face à la menace potentiellement posée par les proxies de la Turquie. L’option militaire n’existe pas face à la Turquie, qui est membre de l’OTAN et qui est un partenaire commercial d’Israël.

Les troupes turques et les rebelles syriens soutenus par la Turquie rassemblés à l’extérieur de la ville frontalière de Ras al-Ain lors de leur assaut contre les villes frontalières tenues par les Kurdes dans le nord-est de la Syrie, le 12 octobre 2019. (Crédit : Nazeer Al-Khatib/AFP)

De plus, la Turquie est plus nuancée que l’Iran, entretenant des relations avec des groupes mandataires qui lui laissent plus de latitude pour nier les faits.

Néanmoins, il pourrait y avoir de réelles incitations, à la fois pour la Turquie et pour Israël, pour les encourager à dépasser l’animosité qui a marqué leurs relations après le 7 octobre. Le décor semble planté pour que l’Iran et la Turquie s’affrontent en Syrie par personnes interposées dans les années à venir, et la Turquie pourrait utiliser les services de renseignement et la coopération militaire d’Israël.

« La situation en Syrie nécessite une communication qui évitera les malentendus entre Israël et la Turquie », indique Lindenstrauss.

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