Le petit-fils d’un déporté accuse un roman de réhabiliter une collaborationniste
Arnaud Hée estime que le livre de Julie Héraclès "suture le vrai et le faux avec de grosses coutures dans l’intention de blanchir Simone Touseau de toute responsabilité"
« La Tondue de Chartres » est une célèbre photo du grand photographe américano-hongrois Robert Capa, prise le 16 août 1944 dans une rue de Chartres (Eure-et-Loir) au moment de la libération de la ville. On y voit une jeune femme rasée et marquée au fer rouge sur le front, conspuée par une foule qui l’entoure. Elle serre contre elle un nourrisson. L’image est depuis devenue emblématique de l’épuration sauvage en France à la Libération.
La photo a été reprise en couverture du roman Vous ne connaissez rien de moi de Julie Héraclès, paru en cette rentrée chez JC Lattès.
« Aujourd’hui, vous m’avez rasé le crâne, vous m’avez marquée au fer rouge et maintenant vous m’insultez comme une chienne », peut-on lire en quatrième de couverture. « Mais vous ne me détruirez pas. Vous n’aurez pas cette étincelle qui me pousse à continuer, envers et contre tout. Car, aujourd’hui, encore plus qu’hier, je suis forte d’un trésor inestimable. Un trésor que beaucoup d’entre vous passerez toute une vie à chercher et n’obtiendrez jamais. J’ai aimé. Et j’ai été aimée. »
Choqué par cette publication, un petit-fils de déporté témoigne aujourd’hui dans Le Monde au sujet de cette femme, Simone Touseau, collaborationniste convaincue, qui a dénoncé son grand-père. Il accuse la jeune romancière de réhabiliter cette femme, traductrice des troupes nazies, qui est ensuite partie travailler volontairement en Allemagne, adhérente du Parti populaire français, formation fasciste de Jacques Doriot.
Didier Hée, mort en 1986, a été arrêté le 24 février 1943 parmi cinq voisins de la famille Touseau. S’ils étaient accusés de suivre la BBC, la réalité est plutôt que les Touseau ne les appréciaient guère. Didier Hée a ainsi été dénoncé non pas pour des faits de résistance, mais en raison de la haine que lui portaient ses voisins.
Il a rejoint les camps de Mauthausen et de Loïbl, où il a dû travailler dans un kommando (groupe de prisonniers de guerre) à la construction d’un tunnel reliant l’Autriche à la Slovénie dans des conditions inhumaines. S’il a survécu, il en est sorti traumatisé et son existence en a à jamais été assombrie.
Aujourd’hui, son petit-fils, Arnaud, explique au Monde être « passé peu à peu de la colère à l’indignation » à la sortie du livre. « J’ai été révolté par la manière dont l’auteure suture le vrai et le faux avec de grosses coutures dans l’intention de blanchir Simone Touseau de toute responsabilité. La fiction n’est pas un problème en soi, sauf quand elle devient falsification. »
« J’ai pris beaucoup de libertés avec la vérité historique », répond simplement Julie Héraclès.
Arnaud Hée regrette ainsi vivement « le portrait qui est fait de Simone Touseau », dans ce livre qui ne donnent pas d’image à ses victimes, dans lequel celles-ci « n’existent pas ». Il dénonce « une complaisance accablante » apportée par l’auteure à Simone Touseau, qui a été condamnée à dix ans d’indignité nationale pour son attitude pendant la guerre.
Julie Héraclès a reçu le prix Stanislas 2023 du meilleur premier roman de la rentrée littéraire.