Le Sinaï, très prisé par les touristes israéliens, est déserté. Paradis perdu ?
Très peu d'Israéliens s'aventurent en Égypte, inquiets pour leur sécurité ou en signe de boycott du pays, mais ceux qui osent franchir le pas découvrent un Sinaï du temps jadis
SINAI, Egypte — Li-shay Katz, une Israélienne âgée de 41 ans, est venue si souvent dans la péninsule du Sinaï que les propriétaires du camp installé sur une plage égyptienne des abords de Taba sont devenus ses amis sur Facebook.
Alors qu’elle fait régulièrement le voyage vers la péninsule, depuis 2015, pour y trouver « le silence, le calme et la simplicité », Katz confie au Times of Israel, lors d’un récent séjour, qu’elle était venue initialement et avant tout sur les plages de sable du Sinaï pour tenter de sortir de sa zone de confort. Et aujourd’hui, le Sinaï est devenu pour elle un second foyer, un lieu de retraite dans la nature, une parenthèse qui lui permet de s’éloigner de la technologie et de son quotidien de responsable d’une crèche.
Elle est revenue sur la plage deux semaines seulement après l’attaque barbare qui a été commise dans le sud d’Israël, le 7 octobre dernier. Les terroristes, ce jour-là, ont tué près de 1 200 personnes et ils ont kidnappé 252 personnes, qui ont été prises en otage à Gaza. Alors qu’elle entrait dans le Sinaï depuis Eilat, les garde-frontières lui ont fait remarquer qu’elle était la seule Juive israélienne à se trouver dans la région à ce moment-là.
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Le taxi qui l’a emmenée du poste-frontière à son camp, sur la plage, a été escorté par une voiture de police, se souvient-elle.
La quadragénaire est l’une des rares Israéliennes à avoir fait le déplacement dans la péninsule égyptienne depuis le début de la guerre qui oppose Israël au Hamas à Gaza – défiant les mises en garde aux voyageurs émises par le Conseil de sécurité nationale qui a placé le Sinaï sur la liste de ses destinations dites « à haut-risque ». Elle n’a nullement été troublée, par ailleurs, par les nombreux avertissements de ses proches qui lui ont dit qu’elle mettait sa vie en danger et qu’elle ne devait pas faire confiance « à ses amis arabes ».
Pendant ce temps, dans le Sinaï, les entreprises locales languissent après sept mois d’absence des touristes en provenance de l’État juif, un tourisme qui est l’épine dorsale de l’économie régionale.
La péninsule, qui avait été occupée par Israël en 1967 et qui avait été rendue à l’Égypte en 1982, dans le sillage du traité de paix qui avait été signé par les deux pays en 1979, est l’une des quelques destinations étrangères accessibles par voie terrestre pour les Israéliens. Pour un grand nombre, le Sinaï représente la quintessence d’une escapade idyllique, un lieu de refuge chéri situé en bord de mer où tout est plus simple, plus serein et moins onéreux.
Le long des premiers kilomètres qui longent la côte du Sinaï, après le poste-frontière d’Eilat-Taba, ce sont des dizaines de camps qui ont été installés sur les plages, sur des terres qui appartiennent majoritairement à des tribus bédouines locales, logés entre la mer Rouge et les montagnes.
Le logement, dans ces camps touristiques, est traditionnellement très modeste – avec des huttes en bambou et en paille (les hushas) qui sont construites sur le sable et qui ne contiennent souvent rien de plus qu’un matelas posé sur le sol. Les toilettes sont communes, tout comme les espaces où les visiteurs peuvent se reposer sur le rivage, sirotant un café turc, allongés sur de vieux tapis et autres coussins.
Dans un grand nombre de ces camps, l’approvisionnement en électricité n’est apparu que ces dernières années et le wifi n’est que rarement mis à disposition des touristes. Les prix ont augmenté ces dernières années même si trouver un endroit où dormir pour cent shekels – petit-déjeuner compris – est encore possible.
Pour les voyageurs qui ont décidé de défier les mises en garde, un séjour dans la région, à l’heure actuelle, offre ce que certains pourraient considérer comme l’un des plaisirs les plus purs de l’existence : des journées interminables sous le soleil dans le silence absolu, imperturbable du désert, un silence qui n’est qu’occasionnellement troublé par la brise légère en provenance de la mer Rouge, qui caresse la chaume du toit. A mille lieux de l’afflux constant des tristes nouvelles qui émanent des différents fronts de la guerre.
« Nous savons qu’il y a de bons et de mauvais Israéliens »
En cette période de guerre, seuls de rares Israéliens ont donc osé rejoindre cette destination de vacances, si prisée il y a encore quelques mois. Sur Facebook, les groupes consacrés au Sinaï – comme « Les amoureux du Sinaï », qui compte 218 000 membres et qui servait, jusqu’au début de la guerre, à échanger les numéros de téléphone des taxis et à partager des informations sur les meilleurs sites de plongée – sont dorénavant remplis de commentaires qui découragent les Israéliens de faire le voyage, certains écrits avec des connotations infâmes.
Ceux qui écrivent un post demandant des renseignements sur la situation sécuritaire actuelle, dans le Sinaï, sont qualifiés de « naïfs » au mieux, de « traîtres » au pire, et des membres des groupes somment les voyageurs potentiels de ne pas risquer leur vie et appellent à un boycott de l’Égypte, ce « pays ennemi ».
Pour leur part, les gérants des entreprises du secteur du tourisme attendent avec impatience le retour des visiteurs de l’autre côté de la frontière, avec des finances qui ont été gravement touchées par la disparition de leur principale source de devise étrangère à un moment où l’Égypte traverse une crise économique profonde et où le cours de la livre égyptienne a dégringolé. Les résidents locaux, de leur côté, sont formels et affirment que les touristes ne courent aucun risque dans le Sinaï.
Au vu de la sensibilité des relations israélo-égyptiennes et de l’omniprésence des services de renseignement égyptiens, les gérants des camps touristiques n’ont accepté de s’exprimer que sous la condition expresse de l’anonymat. L’un d’entre eux confie au Times of Israël qu’avant le 7 octobre, il avait une équipe de dix employés mais qu’il a été placé dans l’obligation d’en renvoyer la majorité, n’en conservant qu’un seul qui est chargé de faire la cuisine pour les occasionnels visiteurs.
En temps de paix, le long de la bande côtière de 70 kilomètres qui s’étend entre les villes de Taba et de Nuweiba, 80% des touristes sont des Juifs israéliens, estime l’homme. Alors que les stations balnéaires de Dahab et de Sharm el-Sheikh attirent de nombreux visiteurs venus de l’étranger (des Européens et des Russes en majorité mais aussi des Arabes israéliens), les camps bédouins, sur cette côte du nord du pays, dépendent presque totalement de l’afflux de touristes en provenance de l’État juif.
« Les gens ont développé des relations personnelles avec les Israéliens, ils ne les connaissent pas seulement à travers Al-Jazeera. De nombreuses amitiés sont nées au fil des années et après le 7 octobre, des locaux ont pris des nouvelles de leurs amis, de l’autre côté de la frontière. Tous les foyers, à Nuweiba, connaissent quelqu’un en Israël », explique l’homme, faisant référence à la principale ville bédouine du secteur.
Parmi les locaux, personne ne semble désireux de parler de la guerre. Lorsqu’ils rencontrent un Israélien, les deux premières questions posées par les habitants – habituellement dans un hébreu impeccable – restent les mêmes : Quand la guerre se terminera-t-elle ? Quand les touristes reviendront-ils enfin ?
Certains peuvent ajouter une insulte à l’égard du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, mais ils précisent dans la foulée qu’ils savent parfaitement qu’il y a de « bons » et de « mauvais » Israéliens, disent-ils.
Le gérant d’un autre camp l’affirme : « Notre équipe fait en sorte de rendre nos clients heureux, elle fait en sorte qu’ils apprécient ce qu’ils mangent, qu’ils apprécient leur chambre et leurs activités de plongée. Nous travaillons uniquement à ça. Nous ne parlons pas de politique ».
Une longue histoire d’amour avec le Sinaï
Depuis le massacre du 7 octobre, Katz est venue à six reprises dans le Sinaï pour de courts séjours de quatre à cinq jours en moyenne – malgré les avertissements de ses concitoyens. « J’en ai assez de devoir expliquer aux gens que les bédouins du Sinaï n’ont rien à voir avec le Hamas et que l’Égypte est à nos côtés, contre les terroristes », soupire-t-elle.
Lorsqu’elle échange avec le Times of Israel, elle est la seule Israélienne – à l’exception de ce journaliste – à se trouver dans le camp.
« Depuis que j’ai commencé à venir dans le Sinaï en 2015, on me dit que je suis folle », s’exclame-t-elle. « A un moment, j’ai arrêté de laisser les gens dire ça de moi. Je pense, pour ma part, que ce sont eux qui sont fous à vivre ainsi dans la peur et dans la panique concernant quelque chose qu’ils n’ont jamais vu, qu’ils ne connaissent pas ».
Après plusieurs années à séjourner dans la péninsule égyptienne, Katz déclare qu’aucun endroit n’est sûr à cent pour cent.
« Les Israéliens vivent dans l’illusion qu’ils se trouvent dans l’endroit le plus sûr de la planète, même après le 7 octobre mais en réalité, Israël peut être un pays très dangereux. Les Israéliens disent qu’ils se sentent en sécurité parce qu’ils ont une armée et la police mais il y en a aussi en Égypte », déclare-t-elle.
Le 8 octobre, au lendemain de l’attaque commise par le Hamas, deux touristes israéliens avaient été tués par un policier à Alexandrie. Dans la même ville, un homme d’affaires israélo-canadien a été assassiné, le 7 mai, dans des circonstances qui restent encore floues.
Les deux moitiés du Sinaï
Les relations entre Israël et l’Égypte sont actuellement à un niveau historiquement bas – en particulier suite au lancement, par l’État juif, de son offensive à Rafah, dernier bastion du Hamas au sein de l’enclave côtière, et après la capture du côté gazaoui du poste-frontière de Rafah, qui sépare la bande et l’Égypte. Le Caire a fait savoir que le traité de paix signé entre les deux pays il y a 45 ans était en jeu.
Indépendamment des tensions géopolitiques, il serait facile de considérer que le Sinaï est une région peu sûre en raison de sa proximité avec Gaza. La péninsule partage une frontière de 14 kilomètres avec la bande et elle contient le poste-frontière de Rafah, le seul point de passage que peuvent emprunter les quelques Gazaouis qui peuvent s’acquitter des frais nécessaires pour franchir la frontière – des frais exorbitants qui s’élèvent à 10 000 dollars par personne.
De plus, le nord du Sinaï a été le théâtre d’une insurrection des groupes islamistes au cours de la dernière décennie, notamment de la part d’une cellule de l’État islamique.
Les choses sont toutefois complètement différentes dans le sud du Sinaï. Les paysages désertiques pittoresques de la région et les eaux pures de la mer Rouge, riches en vie marine et en coraux, attirent depuis longtemps de très nombreux touristes venus du monde entier qui se rendent principalement dans les stations balnéaires de Sharm el-Sheikh et de Dahab.
Le gouvernement égyptien s’est donné beaucoup de mal pour garantir la sécurité et la survie de l’industrie touristique dans la région. Tout le sud du Sinaï est placé sous la surveillance accrue de l’armée et de la police égyptiennes, avec des checkpoints fréquents, le long des routes, qui visent à éviter d’éventuelles intrusions non-désirées dans la zone.
Malgré le durcissement des mesures de sécurité, peu d’Israéliens considèrent qu’il est sûr, pour eux, de retourner dans ce Sinaï qu’ils appréciaient tant autrefois. Des informations faisant état d’incidents portant sur des touristes israéliens insultés dans des hôtels de Dahab et de Sharm el-Sheikh et d’agressions verbales de la part d’internautes égyptiens, sur les réseaux sociaux, se sont propagées à grande vitesse sur la Toile, persuadant de nombreux Israéliens que leur sécurité n’est plus assurée dans le Sinaï.
Un refuge sûr dans un pays qui ne l’est apparemment pas ?
Dans le Sinaï, toutefois, il n’y a pas eu d’attentat terroriste anti-israélien depuis 2004 – lorsqu’un camion était entré dans le hall du Taba Hilton et qu’il avait explosé, faisant 31 morts dont 12 Israéliens. En 2014, une autre attaque à la bombe avait entraîné la mort de trois pèlerins sud-coréens et de leur chauffeur de bus égyptien à seulement une centaine de mètres du poste-frontière d’Eilat, un attentat qui avait été revendiqué par les islamistes.
Et pourtant, ces attaques n’avaient pas découragé les dizaines de milliers d’Israéliens qui sont venus passer des vacances dans la région au cours de la dernière décennie, attirés par une nature brute et par des prix défiant toute concurrence. Certains, comme Katz, sont ensuite devenus des visiteurs réguliers, faisant le voyage plusieurs fois par an.
Katz écarte d’un revers de la main la possibilité qu’un attentat puisse être commis par des Gazaouis ayant fui la bande. Elle évoque, pour justifier sa réaction, sa connaissance de la géographie du Sinaï et ce qu’elle a entendu de la part de ses nombreux amis, sur place.
« C’est très difficile de passer du nord au sud du Sinaï parce qu’il faut franchir les montagnes. Il y a des checkpoints militaires partout. En plus, les bédouins de la montagne, qui appartiennent aux mêmes clans que ceux qui se sont installés sur la côte, surveillent tous ceux qui transitent et ils signalent tous les mouvements qui leur paraissent suspects ».
« Sans oublier », ajoute-t-elle, « le fait que ceux qui quittent Gaza pour le Sinaï ont payé des milliers de dollars pour pouvoir quitter une zone de guerre. Ils ne vont pas se mettre en danger une nouvelle fois simplement pour porter atteinte à un Israélien lambda », dit-elle.
« Le seul risque pourrait provenir d’un Égyptien armé, mais en quoi est-ce différent de la situation en Israël ? », interroge-t-elle, notant la fréquence des attaques de type « loup solitaire » qui prennent pour cible des Juifs en Israël. « Il y a de potentiels dangers partout et pour ma part, j’ai confiance en l’armée égyptienne ».
Un goût de nostalgie
Katz se rappelle de l’époque où aller dans le Sinaï avait un parfum d’aventure. « Il y a eu une période où les gens venaient ici pour deux ou trois mois d’affilée. Ils dormaient dans des huttes, sans électricité, pour 15 shekels la nuit. Il n’y avait rien à faire, à part s’asseoir sur la plage, tous ensemble et après la tombée de la nuit, on allumait des feux de joie et on jouait de la musique, on avait des conversations profondes », se souvient Katz. « Tout le monde connaissait tout le monde ».
Mais au cours des dernières années, il semble que le Sinaï ait attiré moins de hippies et plus de touristes israéliens mainstream.
« Il y a deux ans, les familles avec des enfants ont commencé à arriver et elles ne veulent pas se mélanger aux autres touristes. Des bungalows climatisés ont aussi commencé à être construits à la place des huttes et les gens peuvent donc dorénavant rester à l’intérieur, et ils passent donc moins de temps à se socialiser à l’extérieur ».
De grands complexes touristiques ont fait leur apparition, accueillant ceux qui cherchent une option de vacances en bord de mer moins onéreuse que cela serait le cas à Eilat.
« La plage, à Ras Shaitan [un endroit populaire de la côte] ressemble dorénavant à Netanya, avec une foule bruyante de jeunes qui viennent avec de l’alcool et une sono et qui jouent au matkot [le fameux jeu de raquette de plage] », explique-t-elle, faisant référence à une ville du centre d’Israël dont les résidents ont la réputation d’être particulièrement indisciplinés.
Mais la guerre contre le Hamas à Gaza a stoppé temporairement le tourisme de masse en provenance de la frontière de Taba et les plages du Sinaï sont désertes.
« Ce qui est arrivé le 7 octobre a été une horreur », déclare Katz, « mais si j’observe le verre à moitié plein, je peux dire que je peux profiter aujourd’hui de la paix et de la tranquillité retrouvée du Sinaï, du Sinaï du temps jadis. »
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