Leiter : Sissi enfreint l’accord de paix, « joue sur les deux tableaux » avec le Hamas
L'envoyé d'Israël aux États-Unis a informé les dirigeants juifs américains qu'Israël commencera à partager la "vérité" sur le Qatar pour le bien des otages
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.

L’envoyé d’Israël aux États-Unis a accusé le président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi d’avoir violé l’accord de paix négocié par les États-Unis entre Jérusalem et Le Caire, de profiter du désespoir des Palestiniens cherchant à fuir la bande de Gaza et d’agir de manière hypocrite au profit du groupe terroriste palestinien du Hamas.
L’ambassadeur Yechiel Leiter a fait ces allégations lors d’une réunion par Zoom le 28 janvier avec les dirigeants de grandes organisations juives américaines, dont un enregistrement a été obtenu vendredi par le Times of Israel.
Ces attaques contre l’Égypte et son dirigeant sont assez inhabituelles, surtout depuis le début de la guerre de Gaza, durant laquelle Jérusalem a cherché à maintenir une relation professionnelle avec Le Caire. L’Égypte sert de médiateur entre Israël et le Hamas afin d’obtenir la libération des otages israéliens capturés par le groupe terroriste palestinien lors du pogrom du 7 octobre 2003, qui a déclenché la guerre.
Les relations entre Israël et l’Égypte sont glaciales depuis le retour au pouvoir de Benjamin Netanyahu en décembre 2022, et le Premier ministre n’a pas parlé à Sissi depuis le début des combats à Gaza, Le Caire étant furieux de ce qu’il considère comme les efforts livrés par Jérusalem pour déplacer les Gazaouis dans la péninsule du Sinaï.
Alors que l’Égypte a catégoriquement rejeté cette idée – et s’en est tenue à ce positionnement, ces dernières semaines, alors même que le président américain Donald Trump répétait cette proposition de déplacement dans le cadre de son propre plan de reprise de Gaza – elle a demandé à Israël de garantir que ceux qui quitteraient la bande de Gaza seraient autorisés à y retourner, a déclaré un haut diplomate arabe au Times of Israel. Cette garantie se fait toujours attendre, ce qui met encore plus à mal les relations stratégiques.
Leiter a fait part de ses réserves à l’égard de l’Égypte lors d’un briefing avec la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines, ce qui était la première réunion de ce type qu’il tenait avec le groupe de coordination depuis son arrivée à Washington, le mois dernier.

Netanyahu a nommé Leiter pour remplacer l’ancien ambassadeur américain en Israël, Michael Herzog, une personnalité plus modérée qui avait été chargée de préserver les relations entre Israël et les États-Unis pendant l’administration de Joe Biden.
Leiter est plus proche de la droite israélienne et du mouvement pro-implantations en particulier, et ses opinions, qui n’auraient peut-être pas été bien accueillies par l’administration précédente, sont bien mieux reçues sous une Maison Blanche et un Congrès contrôlés par les Républicains.
Lors de la récente réunion d’information via Zoom, ses critiques sont allées de l’Égypte au Qatar, un autre médiateur clé, et il n’a pas épargné la Turquie. Des critiques qui ont été entremêlées de propos faisant part de sa fierté face à ce qu’il a décrit comme une présence israélienne de plus en plus normalisée en Cisjordanie, ce qui reflète ainsi le changement de ton d’Israël à l’égard de Washington – un changement de ton dû à son nouveau chef d’ambassade et à la nouvelle administration américaine.
Peu après la publication de cet article, la Conférence des présidents a diffusé l’enregistrement complet de la réunion.
« L’Égypte viole très gravement notre accord de paix dans le Sinaï. Il y a un problème qui va se poser car ce n’est pas tolérable », a déclaré Leiter aux dirigeants juifs américains.
« Nous construisons des bases qui ne peuvent être utilisées que pour des opérations offensives, pour des armes offensives – il s’agit d’une violation évidente », a poursuivi Leiter.
« Pendant longtemps, nous avons mis ça de côté et ça continue. C’est une problématique que nous allons mettre sur la table très bientôt et avec beaucoup d’insistance. »
Des images censées avoir été tournées dans la péninsule égyptienne du Sinaï, ces dernières semaines, ont montré un déploiement massif de troupes et de chars.
Cette démonstration de force aurait pour but de signaler la désapprobation du Caire face au maintien du contrôle israélien sur la bande frontalière du corridor Philadelphi qui sépare l’Égypte de la bande de Gaza, ce qui constitue en soi une violation du traité de paix que les deux pays avaient signé en 1979, selon l’Égypte. Le renforcement des troupes serait également un signe de la volonté de l’Égypte d’utiliser la force contre Israël pour empêcher le déplacement des Gazaouis vers la péninsule du Sinaï.
Leiter a ensuite accusé Sissi de « jouer sur les deux tableaux » vis-à-vis du Hamas, alors que le gouvernement égyptien est en profond désaccord avec les Frères musulmans, liés au groupe terroriste palestinien.
Néanmoins, l’envoyé israélien a fait valoir que l’Égypte serait plus susceptible de coopérer avec Israël contre le Hamas si Jérusalem réussissait à « vaincre de manière décisive » le groupe terroriste à Gaza.
Leiter a été interrogé sur les efforts d’Israël visant à planifier la gestion de l’après-guerre à Gaza, une question qui a exposé Jérusalem à d’importantes critiques, notamment de la part de l’administration Biden, qui a fait valoir que l’incapacité d’Israël à proposer une alternative viable au Hamas avait permis au groupe terroriste de remplir à plusieurs reprises les vides créés lorsque Tsahal avait déplacé ses opérations dans la bande de Gaza.

Leiter a repris l’argument de Netanyahu, qui a soutenu qu’une telle planification ne pourrait avoir lieu tant que le Hamas n’est pas écarté, aucun autre organe gouvernemental n’étant disposé à entrer à Gaza avant qu’il ne soit mis de côté.
Le nouvel ambassadeur israélien a déclaré que l’Égypte participerait probablement aux efforts de gouvernance à Gaza, aux côtés de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, bien que ces trois pays aient à plusieurs reprises conditionné leur participation à la possibilité pour Israël de permettre à l’Autorité palestinienne (AP) de jouer un rôle dans le cadre d’une solution à deux États, un cadre qu’Israël rejette.
Pourtant, Leiter a insisté sur le fait que les conversations « sur le lendemain » à Gaza « se poursuivent ». « La seule façon pour qu’elles aboutissent est que nous n’en parlions pas publiquement », a-t-il noté.
« Il va y avoir une situation à Gaza où soit tout le monde va essayer de revenir au 6 octobre [2023] et nous n’allons pas laisser cela arriver. Nous avons besoin d’une vaste zone-tampon […] », a-t-il expliqué. « Autre possibilité : la communauté internationale et nous-mêmes pouvons sortir des sentiers battus et créer un nouvel avenir où les gens pourront vivre dans la dignité et l’estime de soi », a déclaré Leiter, semblant faire référence aux appels de Trump en faveur au déplacement de l’ensemble de la population de Gaza, appelée à s’installer en Égypte, en Jordanie et dans d’autres pays.
Interrogé spécifiquement sur l’appel de Trump à expulser toute la population de Gaza, Leiter a répondu : « Je ne sais pas s’il s’agit d’une réelle initiative, mais le président attire très certainement l’attention, en ce moment, sur le fait que des pays du monde entier pourraient accueillir des réfugiés frontaliers. » La réunion d’information a eu lieu environ une semaine avant que Trump n’annonce qu’il souhaitait également que les États-Unis « prennent le contrôle » de Gaza et qu’ils dirigent la reconstruction de la bande de Gaza.
Pointant du doigt le Tchad, un pays plus pauvre que l’Égypte qui a accueilli des réfugiés du Soudan voisin, Leiter a déclaré qu’il était « inadmissible que l’Égypte n’envisage pas la possibilité d’accueillir au moins temporairement certains de ces réfugiés ».
Il a également révélé que des membres de la famille de Sissi dirigeaient une agence de voyage qui avait fait payer des dizaines de milliers de dollars aux Gazaouis désireux de fuir la bande de Gaza déchirée par la guerre, en passant par l’Égypte.
Environ 100 000 Gazaouis ont réussi à fuir la bande de Gaza grâce à de tels stratagèmes, mais la grande majorité n’a pas pu partir.

Leiter a déclaré que la frontière égyptienne avec Gaza devait au moins être rouverte temporairement afin de permettre à ceux qui le souhaitent de quitter le pays. Par le passé, Sissi avait répondu qu’Israël devrait héberger les réfugiés dans le désert du Néguev s’il tenait tant à nettoyer la bande de Gaza.
Un porte-parole de l’ambassade d’Égypte à Washington n’avait pas répondu à une demande de réaction au moment de l’écriture de cet article.
« Dire la vérité sur le Qatar et la Turquie »
Le nouvel envoyé israélien a également répété, lors de l’appel via Zoom, les critiques qu’il avait formulées à l’encontre du Qatar lors d’une interview accordée à Fox News quelques jours plus tôt.
« Nous devons commencer à parler du Qatar. Le jeu auquel les Qataris jouent – soudoyer tout le monde, puis acheter le silence et la tolérance pour leur soutien au terrorisme – n’est tout simplement pas tenable », a déclaré Leiter.
« Nous devons les prendre au mot et leur dire […]’Oui, vous soutenez des facultés et des universités dans tout les Etats-Unis. Vous soutenez également des organisations terroristes.’ Cela ne tient pas la route… La première chose à faire est de confronter leur puissance financière à la vérité », a-t-il poursuivi.
L’ambassade du Qatar à Washington n’avait pas répondu à une demande de commentaire au moment de la rédaction de cet article, mais Doha avait déjà dénoncé Leiter pour de tels propos qui avaient été tenus lors de l’interview sur Fox News.
Les détracteurs de Doha, dont de nombreux membres du cercle rapproché du Premier ministre Benjamin Netanyahu, ont souligné ses liens étroits avec le Hamas et les transfert de fonds vers Gaza qui ont permis au groupe terroriste d’accorder la priorité à la constitution de son arsenal en vue d’attaquer Israël.
Ambassador, it is unfortunate that you do not mention that Qatar’s past humanitarian assistance to the Gaza population was entirely coordinated with Israel.
As PM Netanyahu said in a recent Time Magazine interview…[1/2] https://t.co/b6hvyORFjg
— Meshal Hamad AlThani (@Amb_AlThani) February 1, 2025
Le Qatar, pour sa part, a fait valoir qu’Israël – et les États-Unis – avaient fait pression de manière agressive sur Doha pour qu’elle effectue ces paiements afin d’éviter une crise humanitaire à Gaza. Netanyahu lui-même avait défendu ces paiements dans une interview accordée au magazine Time l’année dernière. Cette semaine, les médias israéliens ont révélé qu’un des collaborateurs de Netanyahu avait travaillé en relations publiques pour le compte de Doha, tout comme d’autres collaborateurs, avant la Coupe du monde de 2022 qui avait été organisée dans le pays du Golfe.
Leiter a ensuite adressé ses critiques à la Turquie, affirmant qu’Ankara était devenue « verbalement belliqueuse » envers Israël et avait permis « aux dirigeants du Hamas et à d’autres membres des Frères musulmans d’opérer depuis le territoire turc ».
Il a également accusé Ankara de financer des organisations qui ont cherché à exacerber les tensions sur le mont du Temple, à Jérusalem, un site hautement sensible.
L’ambassade de Turquie à Washington n’a pas pu être jointe pour une demande de commentaire.

« Il était difficile de critiquer le Qatar jusqu’à présent, car le Qatar a joué un rôle dans la libération des otages […] Nous avons dû, en termes très diplomatiques, nous résigner. Néanmoins, nous allons commencer à dire la vérité sur le rôle que jouent le Qatar et la Turquie », a déclaré Leiter.
Perspectives de normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël et de paix entre Israël et la Palestine
Commentant les possibilités d’un accord de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël, il a reconnu que les parties n’étaient pas sur le point de conclure un accord – mais qu’elles n’avaient jamais été aussi proches.
Une évaluation qui a été faite plusieurs jours avant que Ryad ne publie une déclaration virulente à l’encontre de Netanyahu, qui avait proposé lors d’une interview à Fox News que l’Arabie saoudite accueille les Palestiniens de Gaza. Le royaume du Golfe a répété son refus de normaliser ses relations avec Israël sans la création d’un État palestinien.
Leiter a déclaré qu’une défaite du Hamas par Israël ferait avancer l’initiative, tout en admettant que « la perspective d’un retrait des États-Unis du Moyen-Orient complique un peu cet [effort] ».
« D’un côté, [l’administration Trump] veut voir la normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite se produire. De l’autre, on parle de retirer des troupes ici, de retirer des troupes là-bas. Comment cette garantie [américaine] de la sécurité [des alliés du Golfe] va-t-elle se concrétiser ? » s’est-il interrogé.
En réponse à une question sur la présence d’Israël en Cisjordanie, Leiter a répondu qu’elle était devenue beaucoup moins controversée qu’elle ne l’était autrefois.
« Il y a 600 000 personnes qui vivent en Judée et en Samarie. C’est aussi la preuve de la réussite des gouvernements israéliens : nous avons un droit sur cette terre et cette terre, c’est la Judée, c’est la Samarie », a-t-il déclaré, en se référant au territoire par son nom biblique.

Il a réfléchi à la récente décision de l’administration Trump de renommer le golfe du Mexique en golfe de l’Amérique. « Un nom a son importance. La Judée s’appelait ainsi bien avant l’existence de la Cisjordanie, il y a environ 3 000 ans. Gardons cela à l’esprit et utilisons le nom qui convient. »
Contrairement à Gaza, où il semblait soutenir les appels au déplacement, au moins temporaire, de la population de deux millions d’habitants, Leiter a fait valoir que les quelque trois millions de Palestiniens de Cisjordanie étaient là pour rester.
« Il va falloir trouver une solution pour vivre ensemble, une sorte de réconciliation afin de créer un minimum de coexistence de facto, même si elle n’est pas permanente et durable », a déclaré Leiter qui, par le passé, a fait pression en faveur de l’annexion de la Cisjordanie sans préciser si les Palestiniens pourraient bénéficier des mêmes droits que les Israéliens sur le territoire. « Que ce soit une autonomie locale ou du plan d’autonomie plus large que [l’ancien Premier ministre] Menachem Begin avait proposé, nous verrons bien. »
Leiter a également établi un parallèle entre les tunnels archéologiques qu’Israël a creusés sous le Mur occidental pour mettre au jour de nouvelles découvertes de l’Histoire juive et les tunnels que le Hamas a creusés sous Gaza pour garder des otages israéliens – ce qui, selon lui, est la démonstration du fossé civilisationnel entre deux concepts d’Humanité.

L’envoyé a soutenu qu’Israël ne considérait pas le dirigeant de l’AP, Mahmoud Abbas, comme une « solution ».
Le gouvernement Netanyahu compare depuis longtemps Abbas au groupe terroriste du Hamas, s’opposant à ses paiements aux prisonniers de sécurité et aux familles des terroristes morts – une politique que Ramallah a réformée cette semaine. L’administration Trump a accueilli avec prudence cette décision, tandis que Jérusalem l’a totalement rejetée.
Leiter a également tenu à souligner son désir de « reconstruire le soutien bipartisan à Israël », un objectif qui a maintenant été déclaré par plusieurs envoyés israéliens lors de leur prise de fonction aux États-Unis.
Leiter a déclaré qu’il prévoyait de travailler avec toutes les parties du spectre politique, alors que le soutien à Israël régresse parmi les jeunes chrétiens évangéliques et les jeunes progressistes.
Il a affirmé que son expérience universitaire serait un atout pour visiter les campus universitaires, qui ont été secoués l’année dernière par des manifestations anti-Israël à la suite de la guerre à Gaza et de la gestion par l’administration de l’antisémitisme lié à ces troubles.
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