Les Israéliens réagissent à la proposition de Trump sur Gaza avec jubilation, incrédulité et humour noir
Suite aux déclarations du président américain concernant la « reprise » de l'enclave déchirée par la guerre, des Israéliens parlent de "folie", d'autres d'une "grande nouvelle"

JTA – Mercredi matin, les automobilistes circulant sur la plus grande autoroute de Tel Aviv ont eu la surprise de découvrir de nouveaux panneaux d’affichage géants arborant des drapeaux américains, une photo de Donald Trump et un message en anglais : « Merci, Monsieur le Président ».
Ces panneaux, commandités par Republicans Overseas Israel, ne disaient pas pour quelle raison ils remerciaient le président. Mais à cette heure matinale, sur le chemin du travail, il était plutôt facile de deviner : quelques heures plus tôt, à Washington, le président américain avait déclaré que « tous » les Palestiniens quitteraient Gaza – et que les États-Unis « prendraient le relais ».
La promesse a de quoi choquer, même si elle est à même de concrétiser les rêves les plus fous de l’extrême droite israélienne et d’offrir une réponse inattendue à la question « Qui gouvernera Gaza après la guerre ? ». Malgré ces panneaux d’affichage, les réactions des Israéliens sont très diverses. Certains sont ravis. D’autres sceptiques, déconcertés voire horrifiés.
« Je suis sous le choc depuis que j’ai entendu la nouvelle. Je me dis toujours que nous avons touché le fond, mais c’est là que j’apprends quelque chose qui me choque encore plus », confie Orian Canetti, depuis l’intérieur d’un café de Jaffa situé face à l’école bilingue hébreu-arabe que fréquentent ses enfants. « J’ai envie de croire qu’il a un plan, mais je n’ai pas toutes les informations pour m’en faire une idée précise. Ce qu’il a dit n’est tout simplement pas réaliste. »
Barak Moore, qui est originaire du bloc d’implantations du Gush Etzion, en Cisjordanie, est lui aussi réservé – mais seulement parce que la Bible dit que la terre d’Israël appartient aux Juifs, pas aux États-Unis.
« C’est une excellente nouvelle, mais je ne parle pas de l’Amérique qui s’approprie la terre que Dieu a donnée au peuple juif », explique-t-il. « Cela dit, si le président Trump est capable de démanteler le culte de la mort du Hamas et de libérer les nombreux Gazaouis qui cherchent désespérément à le fuir, ce pourrait être l’un des plus grands succès politiques de tous les temps. »

Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 qui a déclenché la guerre, les Israéliens se querellent, entre eux et avec leurs interlocuteurs étrangers, pour savoir que faire de la bande de Gaza.
Le gouvernement n’a pas officialisé de projet « pour l’après-guerre » et les sondages montrent que les Israéliens sont divisés sur la question. Ils s’accordent tous plus ou moins sur une chose – à savoir que le Hamas ne peut pas être autorisé à reprendre le pouvoir à Gaza – et pour certains, la proposition pour le moins inattendue de Trump est de nature à le garantir.
« Nous nous sommes réveillés, ici en Israël, avec cette excellente nouvelle ! », s’exclame Adalia Citron, de Beit Shemesh, dans le centre d’Israël. « De toute évidence, Trump ne va pas « posséder Gaza », mais il est sérieux et fait passer un message on ne peut plus clair : nous ne laisserons pas l’histoire se répéter. »
« Cela fait des dizaines d’années maintenant que les Gazaouis nous montrent que les milliards de dollars d’aide qui leur sont alloués servent à acheter des armes et construire des tunnels terroristes, financer l’entraînement des djihadistes et le terrorisme. Ca ne se passera désormais plus comme ça », assure M. Citron.
La nouvelle a copieusement alimenté l’activité des réseaux sociaux israéliens, avec un mème montrant une carte de Gaza renommée pour l’occasion « Magaza Strip », mélange des mots Gaza et MAGA, le slogan de campagne de Trump. Dans un autre, on pouvait voir une photo du Trump International Hotel de Las Vegas incrustée dans une image montrant des habitants du nord de Gaza en train de rentrer chez eux, au milieu des décombres – ce qui a fait dire au Wall Street Journal que Trump aurai demandé à Netanyahu, l’été dernier, de « réfléchir aux hôtels qui pourraient y être construits ».
Sur Facebook, un Israélo-Américain a plaisanté : « Ooh, on pourra aussi avoir Target ? Et Starbucks et Sephora ? », ce à quoi un autre a répondu : « Mieux : Nordstrom ».
בקרוב… pic.twitter.com/dVZwLVDMAW
— Esi (@_Gold_1948) February 6, 2025
Mercredi soir, la Maison-Blanche est revenue sur les propos de Trump pour préciser que le président n’avait aucune intention de mettre de l’argent ou des soldats américains à disposition de la reconstruction et que toute réinstallation serait temporaire, et non permanente. Mais Trump s’est attiré des éloges pour avoir proposé une idée radicalement nouvelle dans une dynamique depuis longtemps enrayée.
Selon Yoav Kalifon, de Tel Aviv, cette proposition radicale se heurte à la réputation de Netanyahu en Israël, à savoir son aversion au risque.
Pourtant, poursuit-il, en appelant le Premier ministre par son surnom, « la promesse de Bibi de renverser le Hamas et remettre Gaza sur les rails est conforme aux déclarations de Trump. L’armée israélienne libère Gaza du Hamas, après quoi nous cherchons des entités pour gérer ce territoire. Les États-Unis peuvent être cette entité. »
Selon d’autres voix, cette proposition ignore le lien extrêmement fort qui relie les Palestiniens à leur territoire. Préférant garder pour elle son nom de famille, Huda, une mère de famille arabe assise aux côtés de Canetti, dans le café de Jaffa, dit que Trump ne comprend rien au peuple palestinien ou à sa « foi inébranlable en Dieu pour continuer à se battre pour ses droits fondamentaux et ses liens avec la terre ».
« Ils préféreraient vivre dans une hutte à Gaza plutôt que n’importe où ailleurs, quitte à ce que Trump leur offre un endroit luxueux », a-t-elle expliqué.

Non loin de Huda, Avner Goren, un employé du café, ne sait pas trop quoi en penser.
« Trump est totalement imprévisible, mais malgré tout, cela m’a choqué », confie-t-il. « C’est ce qui fait que je ne me sois pas encore fait d’opinion. Il ne faut pas en parler à la légère. Les gens vont trop vite pour se faire un avis. »
Il a poursuivi en utilisant le terme arabe qui désigne le déplacement massif de Palestiniens au moment de la fondation d’Israël : « Je vais vous dire une chose. La Nakba est la plus grande histoire fondatrice des Palestiniens. Je ne sais pas comment cela pourra un jour être surmonté. »
D’autres disent ne pas faire confiance aux États-Unis pour gérer le déplacement de la population de Gaza, le déblaiement des tonnes de décombres et la reconstruction.
« Je crains que cela ne donne lieu à encore plus de désordre », estime Shlomi Ben Shimol, qui a été évacué de son domicile près de la frontière nord d’Israël lors de la guerre entre Israël et le Hezbollah. « A chaque fois que les Américains ont voulu contrôler un endroit, la situation s’est aggravée. »
Daniel Ohana, lui aussi évacué du nord, ajoute que « si Trump réussissait à faire sortir 20 % de la population de Gaza, ce serait déjà un succès. »

Matthew Kalman, un journaliste de Jérusalem, évoque une idée proprement délirante.
« Oui, le Hamas est mauvais et ne doit pas avoir le droit de gouverner quoi que ce soit », dit-il. « Oui, le 7 octobre constitue un tournant effroyablement sanglant dont les leçons, brutales, ne peuvent être ignorées. Mais les vrais problèmes ne peuvent pas être résolus par la pensée magique. Trump et Bibi-le-Fou sont passés de l’autre côté du miroir et ont complètement perdu la tête. »
Certains se montrent plus confiants. Michael Bassin, un Américano-Israélien, se fait l’écho du raisonnement de Trump, à savoir que des décennies de violence exigent des solutions originales.
« La réinstallation des Gazaouis dans les pays voisins sera bonne pour les Gazaouis et bonne pour nous », assure-t-il. « Réinstaller des réfugiés n’a rien d’exceptionnel : cela se fait régulièrement. Reconstruire Gaza pour en faire quelque chose de positif est une excellente idée. Je ne sais pas si c’est réaliste ou non, mais c’est une pensée innovante, et c’est exactement ce dont nous avons besoin. Il faut se débarrasser de ce qui n’a pas fonctionné, par le passé, et aller de l’avant vers quelque chose de nouveau. »
Dans le café de Jaffa, Canetti, apparemment résignée, évoque un autre territoire sur lequel lorgne Trump.
« Qu’est-ce que tout cela peut bien faire ? », dit-elle. « Je pars m’installer au Groenland. »