Israël en guerre - Jour 364

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ENQUÊTE DU TIMES OF ISRAEL / Les régulateurs pourraient bientôt finalement interdire certaines sociétés, mais cela ne touchera que celles qui ciblent des clients israéliens ; l’arnaque mondiale continuera

Les loups de Tel Aviv : la vaste et immorale arnaque des options binaires dévoilée

Peut-être n’y a-t-il pas un endroit où l’inquiétude et l’acrimonie contre les compagnies de forex et d’options binaires basées en Israël sont plus fortes que dans la communauté des juifs de France vivant en Israël

Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

(Personnes travaillant dans la finance, illustration, via Shutterstock)
(Personnes travaillant dans la finance, illustration, via Shutterstock)

Quand Dan Guralnek a immigré d’Australie en Israël en 2012, il n’avait pas prévu d’être impliqué dans une arnaque internationale sur internet.

« J’ai toujours voulu m’installer en Israël », dit Guralnek, qui est allé à une école juive de Sydney.

Il travaillait à l’administration d’une usine en Australie, quand son patron est subitement décédé, et, à 28 ans, il a réalisé que c’était un bon moment pour lui pour s’installer en Israël. « J’ai pensé, ‘je suis libre, pas d’attaches, je peux y aller’. »

Guralnek s’est inscrit à l’oulpan Etzion de Jérusalem pour apprendre l’hébreu, puis a déménagé dans la ville dynamique et animée de Tel Aviv, où il a occupé une série d’emplois au salaire minimum légal de 25 shekels (un peu plus de six euros) de l’heure : couper les légumes dans un restaurant, conduire une personne handicapée, travailler la nuit dans un stand de hot-dogs.

Mais dans une ville avec des loyers très élevés et un coût de la vie par rapport aux salaires (fichier PDF en anglais) classé deuxième dans le monde après le Japon, Guralnek ne pouvait pas survivre. Il a entendu que les emplois dans une industrie appelée ‘options binaires’ payaient deux fois plus que ce qu’il gagnait, plus des commissions.

‘C’est du pari, et nous prenons les paris’ – un ex-vendeur d’options binaires

« Dès que j’ai commencé à chercher un travail, je recevais des appels des entreprises d’options binaires tous les jours, s’est-il rappelé. Ils dominent l’espace des offres d’emplois. »

Guralnek n’a pas non plus eu de difficultés à trouver un emploi.

« Vous entrez et ils vous font un grand spectacle, comme s’ils vérifiaient qu’ils veulent ou pas de vous. Mais ils vous veulent. »

Le jour où Guralnek est entré dans les bureaux luxueux de son nouvel employeur, dans la ville du bord de mer d’Herzeliya Pituah, il savait qu’il était arrivé.

Vue sur les immeubles de bureaux high-tech de Herzliya Pituah, le 12 décembre 2015. (Crédit : Nati Shohat/Flash 90)
Vue sur les immeubles de bureaux high-tech de Herzliya Pituah, le 12 décembre 2015. (Crédit : Nati Shohat/Flash 90)

« Il y avait du café gratuit, de la nourriture gratuite, dit Guralnek. Mon salaire était de 7 500 shekels (1 785 euros) par mois, plus les commissions. »

Guralnek s’est assis dans un centre d’appels avec environ 50 autres employés, dont beaucoup étaient de nouveaux immigrants parlant couramment un grand nombre de langues.

Son travail consistait à appeler des gens dans le monde et à les persuader d’ « investir » dans un produit prétendument financier appelé « options binaires ». Les clients étaient encouragés à faire un dépôt – d’envoyer de l’argent à la firme – et d’utiliser ensuite cet argent pour faire des « transactions » : les clients essaieraient d’évaluer si une monnaie ou un service augmenteraient ou diminueraient sur les marchés internationaux dans un court temps donné. Si leurs prédictions étaient bonnes, ils gagnaient de l’argent, entre 30 et 80 % de la somme qu’ils avaient placée. S’ils se trompaient, ils perdaient tout l’argent qu’ils avaient placé sur cette « transaction ». Guralnek a rapidement vu que plus le client faisait de transactions, plus il perdait la somme totale de son dépôt initial.

Il lui avait été dit de présenter l’option binaire comme un « investissement », et de se présenter lui-même comme un « courtier », même s’il savait qu’ils perdraient probablement tout leur argent. « Le client n’achète en réalité rien. Ce qu’il achète, c’est une promesse de notre compagnie que nous le paierons. C’est un pari, et nous prenons les paris », explique-t-il.

Avant de commencer ce travail, la compagnie a fourni à Guralnek une formation d’une semaine en ventes, pendant laquelle il a acquis assez de connaissances dans le domaine de la finance pour paraître suffisamment bon aux yeux du client qui en savait moins que lui. On lui a aussi enseigné des méthodes de vente par pression.

« Ils nous apprenaient comment mettre les gens mal à l’aise, comment répondre à leurs objections, comment les garder au téléphone. »

La session de formation était connue comme un « cours de conversion », et le but était d’apprendre comment un coup de téléphone devait mener un client à faire son premier dépôt. Dans son entreprise, les vendeurs n’étaient pas autorisés à prendre des dépôts de moins de 250 dollars.

Pendant le cours de ventes, la direction de la compagnie a donné à Guralnek des conseils qui l’ont hanté par la suite. « Ils nous ont dit de laisser notre conscience à la porte. »

Est-ce légal ?

Alors que les semaines passaient, de plus en plus de questions taraudaient Guralnek – des questions qui soulignaient l’enfer financier étrange dans lequel il était entré. Pourquoi ne connaissait-il pas le nom de famille de ses managers ? Pourquoi les travailleurs n’avaient-ils pas le droit de parler hébreu ou d’apporter leur téléphone portable au centre d’appels ? Qui était le PDG de l’entreprise ? Pourquoi était-il possible pour les membres arabes israéliens de l’entreprise de vendre des options binaires dans des endroits comme l’Arabie saoudite, alors que d’autres pays, comme Israël, les Etats-Unis et l’Iran étaient interdits ?

Pire, Guralnek a commencé à suspecter que derrière les faibles chances des clients de véritablement gagner de l’argent et les techniques de vente agressives, ce que faisait la compagnie était purement et simplement illégal.

Par exemple, il était demandé à chaque vendeur d’inventer un faux nom et une biographie. Le centre d’appels utilisait des technologies de voix par IP (VoIP), qui affichent un numéro de téléphone local aux clients du monde entier. Le site internet de la compagnie donnait une adresse à Chypre.

« On me disait de dire aux gens que j’avais des années d’expériences sur le marché, que j’avais étudié à Oxford et travaillé à la banque d’Ecosse. »

Guralnek dit qu’on lui avait dit de se présenter lui-même comme un courtier qui prend une commission sur les transactions et de souligner combien d’argent le client pouvait gagner tout en diminuant les risques. En fait, plutôt que d’aider les clients à passer des transactions intelligentes, l’intérêt réel du « courtier » était pour eux de faire échouer les prédictions et de perdre leur argent.

Guralnek dit qu’il a également été de plus en plus inquiété par ce qu’il arrivait aux clients qui essayaient de partir. Le prétexte des paperasses apparaissait.

« Nous disions : ‘Vous voulez vous retirer ? OK. Nous devons vérifier votre identité avant de pouvoir libérer vos fonds. Vous devez nous envoyer une photocopie de votre facture d’électricité, votre permis de conduire, votre passeport, votre carte de crédit’ », des demandes qui, il est inutile de le préciser, n’avaient à aucun moment été mentionnées au moment où le client avait fait entrer de l’argent.

Alors que le client rassemblait et soumettait ces papiers, un agent de « rétention » l’appellerait et étudierait leurs transactions, essayant prétendument de comprendre ce qui s’était mal passé et le convainquant de continuer les transactions. « Nous pouvions retarder ce retrait pendant longtemps. »

‘Pourquoi devrais-je être accusé de vendre quelque chose à des personnes stupides ? Si quelqu’un a plus de 18 ans et veut de l’alcool, des cigarettes, un couteau, un compte d’option binaire, ça relève de sa propre responsabilité’ – un post sur Facebook

Si un client était tenace, dit Guralnek, très souvent la compagnie cessait de prendre ses appels, ou lui envoyait un email disant ‘nous vous suspectons de fraude’ et gelait tous ses fonds. Parce que les clients ne connaissaient pas leurs vrais noms ou la localisation de leur vendeur, « ils n’avaient nulle part où aller pour récupérer leur argent », explique Guralnek.

Mais la partie la plus sinistre du travail pour le jeune immigrant était de demander de l’argent à des personnes qui semblaient être démunies et sans défense.

« Ils pensaient qu’ils faisaient quelque chose de bien : ils faisaient un investissement, quelque chose de responsable. Et ils ne le font pas. Chaque histoire est triste. Tout le monde a des gens qui dépendent de lui. Beaucoup de personnes retombent finalement sur leurs pieds après un problème de drogue ou quelque chose. »

La pire chose était quand un client lui disait : « Je suis à l’hôpital. »

« Quand quelqu’un dit ‘Je suis à l’hôpital et j’ai un cancer’, vous êtes censés leur vendre encore. Mais j’arrêtais la vente à chaque fois. Je ne pouvais pas le faire. »

Une vaste industrie sans honneur

Si vous tapez les mots « options binaires » ou « forex » sur un groupe Facebook qui s’adresse aux nouveaux olim (immigrants en Israël), vous trouverez de long fils d’échanges haineux.

« Est-ce que l’un d’entre vous impliqués dans le Forex/options binaires a conscience qu’il s’agit d’un commerce extrêmement peu régulé qui engage des paris en impliquant des personnes peu ou pas éduquées ? », est-il écrit dans un tel post sur le populaire groupe Secret Tel Aviv.

« Pourquoi devrais-je être accusé de vendre quelque chose à des personnes stupides ?, répond une femme. Si quelqu’un a plus de 18 ans et veut de l’alcool, des cigarettes, un couteau, un compte d’option binaire, c’est sa propre responsabilité. »

« Tu le vendrais à ta grand-mère ? », a répondu l’initiateur de la discussion.

Dans le groupe Facebook « Keep olim in Israel movement » (mouvement pour garder les olim en Israël), une femme écrit : « Salut à tous, est-ce quelqu’un peut m’expliquer ce que sont les emplois Forex et Binaires et pourquoi les gens sont tellement contre de travailler dans ces industries en Israël ? »

« Le domaine est sans honneur, est-il écrit dans une réponse. Je l’ai fait et je ne ressens rien d’autre que de la honte et du dégoût de moi-même pour avoir harcelé des gens qui n’ont jamais demandé ces appels et essayer de leur soutirer de l’argent qu’il est peu probable qu’ils récupèrent un jour. »

« Si tu n’aimes pas ça, ne le fais pas, est-il écrit dans un autre. Fais ce que tu penses être un travail ‘honnête’, gagne tes 6 000 shekels [environ 1 430 euros] par mois, dépense la moitié et vis comme un rongeur avec le reste. » Cela continue : « Alors que l’industrie Forex et Binaire et moi pouvons payer 50 % d’impôts sur nos salaires pour payer vos soins dentaires, votre sécurité sociale, et votre sécurité, je peux parler pour nous tous, nous n’avons pas besoin d’être jugés. »

Personne ne semble savoir précisément l’envergure des industries d’options binaires et de forex en Israël. Pas même l’autorité des titres en Israël, qui, quand la question lui a été posée, a répondu par SMS : « Comme l’industrie est toujours non régulée, nous n’avons pas de vision d’ensemble. »

Mais des estimations prudentes placent le nombre de personnes employées dans cette industrie à plusieurs milliers, majoritairement à Tel Aviv et dans ses banlieues comme Herzliya et Ramat Gan, alors que le revenu annuel peut se situer entre des centaines de millions à plus d’un milliard de dollars américains.

Mondialement, le terme forex fait normalement référence au marché légitime des devises étrangères, alors que les options binaires correspond à un instrument financier.

Dans le jargon populaire israélien, cependant, « options binaires » et « forex » sont souvent rassemblés dans le cadre de la même industrie : quand les Israéliens se réfèrent aux entreprises de forex, ils parlent souvent des entreprises qui « vendent » les options binaires sur les devises. Parfois les termes Forex et options binaires sont utilisés de manière interchangeable pour parler des marchés rapides, en tout ou rien, sur une variété d’actifs.

Dans certaines compagnies d’options binaires, la plate-forme en ligne est manipulée pour fournir de faux résultats qui assurent la perte des clients

Le processus de « transactions » peut se dérouler comme suit, a-t-il été dit au Times of Israel. Ayant transféré leur premier dépôt financier à la compagnie, les clients se connectent sur une plate-forme de transactions en ligne, comme expliqué par le vendeur de la compagnie, et placent de l’argent sur une prédiction que le prix d’une devise ou d’un service va augmenter ou baisser sur les marchés internationaux, disons dans les cinq prochaines minutes. Si le client prédit correctement, il fait un bénéfice d’un certain pourcentage, et la compagnie perd de l’argent. Si le client se trompe, il perd tout l’argent placé sur la transaction, et la compagnie le garde.

Les traders professionnels consultés par le Times of Isral ont déclaré que même un génie financier ne pouvait pas prédire avec confiance ce que ferait le prix de l’or dans les cinq prochaines minutes ; plutôt qu’un investissement, la transaction n’est rien d’autre qu’un pari.

La fausse présentation d’un pari comme un investissement responsable était déjà assez mauvaise.

Ce qui est pire, et manifestement corrompu, a-t-il été dit au Times of Israel, c’est que, dans certaines compagnies, le jeu est faussé. Diverses ruses sont utilisées.

Le paiement potentiel pour une prédiction correcte est complexe, opaque, et calculé pour minimiser les pertes de la compagnie. Si un actif se comporte de manière prévisible – par exemple, le prix du cuivre commence à monter suite à un tremblement de terre au Chili – la compagnie va retirer cet actif de la plate-forme en ligne. Dans certaines compagnies d’options binaires, la plate-forme en ligne est manipulée pour fournir de faux résultats qui assurent la perte à coup sur des clients.

Les estimations du nombre de compagnies de Forex et d’options binaires en Israël varient de 20 à plusieurs centaines. Le centre de recherche IVC, une compagnie qui fournit des informations sur le secteur technologique israélien, a estimé dans son rapport annuel 2015 qu’il y a 100 compagnies de transactions en ligne en Israël, dont l’écrasante majorité tombe dans la catégorie des options binaires et du Forex. IVC estime que ces compagnies emploient plus de 2 800 personnes en Israël.

Cependant, « il est difficile d’évaluer la taille réelle de l’industrie de transactions financières en ligne en Israël », en partie parce que l’industrie est « discrète », et que sa « connexion à Israël est souvent sous-évaluée, » peut-on lire dans le rapport.

L'entrée de l'incubateur de start-up TheTime Startup à Tel Aviv (Crédit : Eytan Brucker/liftoff.co.il)
L’entrée de l’incubateur de start-up TheTime Startup à Tel Aviv (Crédit : Eytan Brucker/liftoff.co.il)

Un rapport de 2014 sur l’industrie internet israélienne par l’incubateur de start-up TheTime indique que sur les 90 compagnies internet israéliennes ayant des revenus supérieurs à 10 millions de dollars par an, 15 sont des plate-formes de transactions en ligne, dont beaucoup de forex et d’options binaires. D’autres compagnies de la liste sont iForex, bForex, AnyOption, 4XPlace, Optionbit et Banc de Binary. Sur la base de ces évaluations, l’industrie israélienne du Forex et des options binaires brasse chaque année des centaines de millions de dollars, voire des milliards.

Combien sont frauduleuses ?

C’est à l’appréciation de chacun d’évaluer le pourcentage de compagnies de transactions financières en ligne engagées dans des pratiques non éthiques, illégales et/ou frauduleuses. Une distinction que beaucoup de personnes interrogées pour cet article ont faites a été entre les compagnies régulées et non régulées.

Plusieurs autres compagnies plus grandes et mieux connues avec des fondateurs israéliens, ou des opérations de ventes et de marketing importantes en Israël sont régulées à Chypre, ce qui leur donne une autorisation pour vendre des produits financiers dans les pays de l’Union européenne, même si elles ne sont pas régulées dans ces pays.

Beaucoup de compagnies de Forex et d’options binaires agissant en Israël ne sont cependant pas régulées.

Sam C., un immigrant en Israël qui vient des Etats-Unis, décrit son expérience de travail dans une compagnie d’options binaires non régulées l’été dernier.

Beaucoup de clients ont cliqué sur une pub montrant comment gagner de l’argent depuis la maison. ‘Ils pensent vraiment qu’ils vont devenir millionnaire juste en faisant ça’ – un ancien du service client d’une compagnie d’options binaires

« Ils rendent extrêmement, extrêmement difficile la possibilité pour les clients de retirer leur argent », dit Sam, qui a travaillé au service client et qui a demandé à ce que son vrai nom ne soit pas mentionné.

« Vous devez avoir une copie de votre permis de conduire, une copie de votre facture d’électricité et il y a tant de règles et de demandes. La moitié des appels que j’avais étaient simplement des plaintes de clients, disant que cela faisait des mois et qu’ils avaient besoin de leur argent maintenant. Ils doivent payer pour ceci ou cela. En gros la compagnie refuse simplement de le leur donner. »

En fait, Sam dit qu’il « ne peut pas confirmer » qu’un client ait jamais reçu un paiement ou retirer son argent pendant les quelques mois où il travaillait pour la compagnie.

« Les personnes appelaient et rappelaient. Et finalement, parfois l’un de mes managers disait ‘Ne prends plus les appels de cette personne et ferme son compte’. Ils disaient ‘Nous en avons fini avec lui. Ne prends plus ses appels’. »

La plupart des clients de la compagnie de Sam étaient aux Etats-Unis, même s’il est interdit par la loi américaine que des compagnies vendent des options binaires aux citoyens américains de cette manière. D’autres clients venaient d’Afrique, du Qatar, et d’Arabie saoudite. Beaucoup de clients avaient cliqué sur une pub montrant comment « gagner de l’argent depuis la maison », ou avaient regardé une vidéo qui affirmait révéler les secrets des stratégies d’investissements.

« La majorité semble être… la personne bête stéréotypée, se rappelle Sam. Vous ne réalisez même pas que des personnes comme ça existent en dehors des films. Ils pensent vraiment qu’ils vont devenir millionnaires juste en faisant ça. Et c’est presque triste. »

Interrogé sur ses managers, Sam a dit que c’étaient de jeunes Israéliens qui semblaient penser que c’était cool de dépouiller les gens.

Leonardo DiCaprio interprète Jordan Belfort dans "Le loup de Wall Street", sorti en 2013. (Crédit : Paramount Pictures and Red Granite Pictures, Mary Cybulski)
Leonardo DiCaprio interprète Jordan Belfort dans « Le loup de Wall Street », sorti en 2013. (Crédit : Paramount Pictures and Red Granite Pictures, Mary Cybulski)

« Ils donnaient l’impression qu’ils venaient de voir ‘Le loup de Wall Street’ et voulaient imiter les personnages. La plaisanterie qu’ils avaient était du genre, ‘ah ouais, je ne peux pas croire qu’il ait cru à ça, je ne peux pas croire que tu lui as fait investir 300 dollars’. »

Sam dit que l’un de ses managers citait vraiment les répliques de vente de Leonardo DiCaprio du film au téléphone quand il essayait de vendre des options binaires.

« ‘Salut John. Comment allez-vous aujourd’hui ? Vous avez écrit à ma compagnie il y a quelques semaines, demandant des informations sur un investissement qui a un gros potentiel de gains et peu de risques de perte’, il la citait de mémoire. ‘Cela vous rappelle-t-il quelque chose ?’ »

« Je trouvais que c’était un peu pathétique, pour être honnête », se rappelle Sam.

Manipulation de logiciels

En 2013, les Etats-Unis ont interdit la vente d’options binaires à leurs citoyens, sauf pour une poignée d’échanges régulés.

Sur son site internet, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC, l’autorité de tutelle des marchés à terme), une agence gouvernementale américaine indépendante, a alerté les investisseurs des « schémas frauduleux impliquant des options binaires et leur plate-forme de transactions. Ces schémas incluraient le refus de créditer le compte des clients, le refus de rembourser les fonds, des vols d’identité, et la manipulation de logiciels pour générer des transactions perdantes. »

« La transaction d’options binaires peut être une proposition extrêmement risquée », prévient une autre agence de régulation américaine, la Financial Industry Regulatory Authority (FINRA, l’autorité de régulation de l’industrie financière), sur son site internet.

« Contrairement à d’autres types de contrat d’options, dit la FINRA, une ONG qui régule les entreprises de courtage et les marchés d’échange, les options binaires sont des propositions du type ‘tout ou rien’. Quand une option binaire expire, soit elle rapporte une somme d’argent pré-spécifiée, soit rien du tout, auquel cas l’investisseur perd tout son investissement. La transaction d’options binaires est rendue encore plus risquée par des schémas frauduleux, dont beaucoup viennent d’en dehors des Etats-Unis. »

En Israël, beaucoup de compagnies dites « forex » vendent en fait des options binaires, ce qui signifie qu’un client parie si une devise va monter ou descendre, plutôt que d’acheter la devise, explique Jared K., ancien courtier de Wall Street, au Times of Israel.

« Le forex traditionnel, c’est j’achète à 3,50, je revends à 3,60. Le forex binaire (c’est-à-dire le forex dans le monde des options binaires) c’est dire ‘si ça monte à 3,60 je gagne de l’argent, disons 20 % de plus que ce que j’ai parié, mais si ça descend à 3,50 ou moins, je perds’. »

La transaction d’options binaires est rendue encore plus risquée par des schémas frauduleux, dont beaucoup viennent de l’extérieur des Etats-Unis – avertissement du gouvernement américain

Graham P., qui travaille en ce moment pour une grande compagnie d’options binaires régulée à Chypres de Tel Aviv, dit qu’il connaît les efforts pour manipuler les logiciels décrits par la CFTC – des interventions cyniques par les compagnies d’options binaires pour s’assurer qu’elles gagnent, l’équivalent de l’industrie d’une roulette truquée dans un casino.

« J’ai parlé à un type avec qui j’allais potentiellement travailler, et il avait en fait développé une plate-forme d’options binaires. Il a dit que tous les gens qu’il avait rencontrés qui étaient intéressés pour acheter sa plate-forme (pour commencer leur propre compagnie) lui avaient demandé de créer une porte de sortie. »

Par « porte de sortie », Graham veut dire que les compagnies veulent pouvoir manipuler une « transaction » à la dernière minute si le client ou un groupe de clients semblent gagner trop.

« Disons que 70 % des clients parient pour une raison quelconque que le pétrole va monter. Alors la compagnie dit, si nous ne faisons que 30 % de victoires, nous serons capables de garder bien plus d’argent. Et l’algorithme fait cela. Il est très facile de dire au client, ‘oh, la ligne est tombée juste en dessous de votre position’. »

Si le client apporte la preuve que le prix du pétrole est en fait monté comme il l’avait prédit, la compagnie lui montrera les petits caractères, qui affirment que la compagnie a son propre algorithme qui peut différer du temps réel.

« Le taux de transaction assigné aux actifs sur notre site internet sont ceux auxquels notre compagnie vend des options binaires à ses clients au moment de la vente », est-il écrit dans une limitation de responsabilité classique sur beaucoup de sites internet d’options binaires. « En tant que tels, ils peuvent ne pas correspondre directement aux niveaux du marché en temps réel à un instant dans le temps auquel la vente d’options binaires se produit. »

Graham, dont la compagnie est régulée à Chypre, a déclaré qu’à son avis « toute l’industrie des options binaires est frauduleuse. »

Si c’est le cas, cela représente une corruption cynique et systématique à une immense échelle – éclipsant des scandales nuisibles comme la vente illégale de produits de la mer Morte par des Israéliens dans des kiosques de centres commerciaux dans le monde – excessivement autorisée à prospérer, avec des répercussions potentielles extrêmement graves pour Israël.

« Pour je ne sais quelle folle raison c’est légal en Europe. Les pays européens individuels laissent couler les options binaires. Alors que des pays comme les Etats-Unis ont senti l’arnaque il y a longtemps et les ont rendues illégales. »

Graham a déclaré qu’intuitivement, il aimerait voir l’industrie fermer, mais il est inquiet.

« Il y a tant d’argent déversé dans la ville ; c’est littéralement une industrie ici – j’inclus aussi le forex. Ça paie probablement le système de métro que nous installons. Pouvez-vous imaginer des milliers de personnes à Tel Aviv sans travail ? »

Vue sur Tel Aviv (Crédit : Berthold Werner/Wikimedia commons)
Vue sur Tel Aviv (Crédit : Berthold Werner/Wikimedia commons)

‘Une mauvaise réputation’

Chaya Berkowitz, qui travaille depuis huit ans dans les compagnies forex en Israël, raconte au Times of Israel que jusqu’à présent sa propre expérience dans l’industrie a été bonne. « Je ne suis pas inconsciente. Je suis consciente qu’elle a une très mauvaise réputation. Je ne pense pas qu’elle soit justifiée à 100 %. »

Berkowitz affirme qu’il y a des compagnies légitimes dans l’industrie, – citant les noms de FXCM, Alpari et FXPro, et dont aucune n’est basée en Israël.

« Si vous prenez dix compagnies de forex, il y en a probablement six ou sept qui ont une mauvaise réputation qui donnent une mauvaise réputation aux autres. C’est malheureux parce que les autres travaillent sérieusement, et se soucient de leurs clients », dit-elle.

Quand on lui demande si ces six ou sept sont coupables de fraudes, Berkowitz déclare : « Je ne dirais pas qu’elles font de la fraude. Elles ont une réputation de mentir à leurs clients et de faire de la publicité mensongère. Ceci existe vraiment, mais il y a une raison pour que les grosses firmes de courtage existent toujours. C’est parce qu’elles jouent en général selon les règles – sinon elles ne durent pas très longtemps. »

Berkowitz estime que dans les compagnies de forex légitimes, deux ou trois clients sur dix peuvent faire des profits, et sont capables de retirer facilement leur argent. Quand on lui demande comment savoir si une compagnie est légitime, elle dit : « Je regarderais les régulations plus sévères, pas une compagnie régulée sur une île quelque part, mais régulée par le Royaume-Uni, les Etats-Unis ou l’Australie. »

Chypre, affirme-t-elle, est devenue plus stricte ces dernières années. « Cela devient une agence de régulation plus reconnue. »

« Je demanderais aussi à des amis ou d’autres investisseurs. Le bouche-à-oreille personnel est énorme. Je ferais mes devoirs. Regardez en ligne pour voir qui a une bonne réputation. Je poserais des questions en cherchant un courtier. Ai-je accès facilement à mon argent ? Proposez-vous des formations ? »

Faire basculer les clients

Après avoir obtenu un master en Israël et avoir épousé un Israélien, Lynne R., née en Californie, a commencé à chercher un travail, mais a été déçue par ce qu’elle trouvait.

« C’était vraiment choquant pour moi, quand j’ai commencé à aller voir les entreprises, de voir à quel point les salaires étaient bas. Je voulais trouver quelque chose de plus compétitif, de plus similaire à ce que je gagnais aux Etats-Unis. »

Les gens n’arrêtaient pas de dire à Lynne que les emplois d’options binaires payaient bien. Elle a posté le fait qu’elle cherchait du travail sur quelques sites d’annonces d’emploi sur Facebook, et a passé cinq ou six entretiens, où on lui a dit qu’elle était éligible à deux types d’emploi.

La tour Moshe Aviv de Ramat Gan, le plus grand immeuble israélien, héberge beaucoup de compagnies d'options binaires. (Crédit : Simona Weinglass/Times of Israel)
La tour Moshe Aviv de Ramat Gan, le plus grand immeuble israélien, héberge beaucoup de compagnies d’options binaires. (Crédit : Simona Weinglass/Times of Israel)

« Il y a la conversion et la rétention. Pour les emplois de conversion, ils me disaient que je pourrais gagner environ 15 000 shekels (3 570 euros) par mois, et pour les emplois de rétention ils me disaient entre 30 000 (7 140 euros) et 40 000 (9 523 euros) shekels par mois. »

A chaque entretien, Lynne a enquêté en profondeur sur la nature de l’emploi. Chaque compagnie a ses propres méthodes de marketing, impliquant souvent des vidéos pour raconter l’histoire d’une personne qui a appris la méthode secrète pour extraire de l’argent du marché, dit-elle. Une compagnie lui a dit qu’elle attirait les clients avec un « robot » :
« Ils ont dit, en gros nous utilisons un programme, que nous appelons un robot. Nous le vendons aux gens et nous disons qu’il peut faire de petites transactions pour vous, comme 100 ou 200 dollars, et il y a un programme internet qui fera, vous savez, un peu de magie et vous fera gagner quelques centaines de dollars de plus par mois. »

Le travail de Lynne aurait été d’appeler les personnes qui ont payé 200 dollars pour utiliser le robot, et de les persuader d’approfondir leur implication.

« Vous les appelez et vous dites, bien, vous avez ce robot, mais ce n’est en fait pas un super programme ; cela vous a été dit par un de nos affiliés. Si vous voulez gagner sérieusement de l’argent, vous devez commencer à faire des transactions, et nous pouvons vous dire comment faire. Nous sommes des traders experts. Tout ce que vous devez faire, c’est faire un plus gros dépôt, et vous aurez un compte personnalisé avec nous et un trader personnel. Tout ce que vous devez faire est un dépôt de 500 dollars et nous vous ferons commencer. »

Lynne s’est finalement vue proposer un emploi de rétention, et a été inscrite dans une formation de deux semaines. La première chose qui lui a été dit a été de ne jamais dire qu’elle appelait depuis Israël. Tous les employés de rétention devaient prétendre être des coursiers expérimentés travaillant depuis un bureau de Londres. Ils devaient connaitre le temps à Londres, ainsi que ce qu’il s’y passait dans l’actualité.

« Vous devez vous faire une biographie. Vous devez penser à une école de commerce et dire que vous êtes allés là-bas. Vous deviez dire que vous étiez un trader, que vous aviez travaillé soit pour une banque d’investissements ou sur Wall Street. Si vous êtes une femme, ils vous encouragent à dire que vous êtes célibataire, parce que les mecs feront plus facilement des dépôts avec vous. Si vous êtes un homme, vous devez avoir une femme et des enfants, parce que cela vous rend digne de confiance. »

La compagnie, a-t-elle dit, était régulée à Chypre. « L’industrie est certifiée pour l’Europe, mais vous n’êtes pas massivement régulé. C’est un moyen d’être accrédité par l’Union européenne sans beaucoup de surveillance. » (Finance Magnates, une publication commerciale sur l’industrie des transactions financières en ligne en Israël, a écrit dans le passé que Chypre avait une réputation de régulation laxiste.)

‘Quand nous leur proposions de les former, nous partagions leur bureau et les guidions sur le site internet. On nous disait de chercher sur leur bureau de la pornographie ou des jeux en ligne ou d’autres signes de comportement compulsif, parce que cela signifie qu’ils vont plus probablement faire un dépôt’ – ancien agent de rétention dans les options binaires

Lynne dit que l’argument de vente de sa compagnie, dont elle se vantait, était d’être plus éthique que d’autres compagnies d’options binaires. « Si quelqu’un demande à retirer son argent, nous lui rendions dans les 48 heures », dit-elle.

Quand Lynne a commencé à jouer avec la plate-forme d’options binaires de sa compagnie, elle a réalisé que c’était amusant et addictif, « presque comme un jeu de pari ».

Il y avait beaucoup d’adrénaline.

« Si vous placez votre argent sur un compte investissement aujourd’hui, cela peut vous rapporter 3 à 6 %. Dans le binaire vous voyez 70 % arriver immédiatement. »

Si les agents de conversion devaient faire faire leur premier dépôt au client, les agents de rétention comme Lynne devaient apporter beaucoup d’argent. La première étape était d’évaluer le client.

« Ils nous disaient de regarder les maisons des gens sur Google Maps pour voir s’ils semblaient riches et de vérifier leurs informations de carte de crédit pour voir s’ils avaient un statut gold ou platine. Aussi, quand nous leur proposions de les former, nous partagions leur bureau et les guidions sur le site internet. On nous disait [d’abuser de l’accès et] de chercher sur leur bureau de la pornographie ou des jeux en ligne ou d’autres signes de comportement compulsif, parce que cela signifie qu’ils vont plus probablement faire un dépôt. »

« Vous appelez quelqu’un et vous lui dites mon nom est Jane Smith, j’appelle de Londres où je suis banquière en investissement pour cette compagnie incroyable. J’appelle pour vous parler de combien vous voulez vraiment gagner. Nous avons vu que vous avez investi 300 dollars, mais nous savons tous les deux que 300 dollars ne vont pas vous faire gagner grand-chose. Donc combien voulez-vous vraiment gagner en un an ? »

« Alors les gens disaient ‘je veux gagner 100 000 dollars’, ‘je veux acheter une maison’ ou ‘je veux voyager’. »

« Ils vous disent quelque chose qu’ils veulent, et alors vous répondez ‘donc ça vous prendra probablement 6 à 8 mois pour réussir cela’. Si vous voulez réussir, vous devez faire des transactions tous les jours. Je vais travailler avec vous, je vais vous donner les informations sur quels choix faire tous les jours. »

Lynne a dit que le « courtier » prenait régulièrement des nouvelles de ses clients, les encourageant, leur apprenant le marché, et leur proposant des conseils. Quand le courtier choisit un marché sur lequel parier pour eux, le marché se comportait souvent comme promis. Quand ils allaient sur la plate-forme et faisaient leurs propres choix, ils commençaient à perdre. Ensuite, le courtier revenait et les aidait à faire quelques bons choix, et ils gagnaient à nouveau.

« Donc en gros, vous sortez de cela comme un très bon trader, mais en réalité vous essayez juste de faire un volume de transactions aussi gros que possible. »

L’étape d’après, se rappelle Lynne, était de demander un dépôt de 10 000 dollars.

« Les clients hésitent en général et disent ‘Il n’y a pas moyen que je veuille déposer 10 000 dollars’. Donc vous les pressez et dites ‘Si vous n’êtes pas vraiment sérieux à propos de gagner de l’argent, alors pourquoi parlons-nous en ce moment ?’. Les vendeurs essaient tout. Certains sont très doux, certains essaient de s’identifier avec eux, certains essaient de les faire se sentir mal – peu importe la technique si vous obtenez le dépôt. La technique préférée est de dire ‘Si vous déposez 5 000 dollars, je vous donne un bonus de 5 000’. Les clients entendent ça et ils disent ‘C’est insensé. Je vais faire le dépôt’. »

Mais le bonus, explique Lynne, est un piège.

« Vous n’êtes pas autorisés à retirer votre argent tant que vous n’avez pas utilisé l’argent du bonus l’équivalent de 30 ou 40 fois. Disons que je vous donne un bonus de 1 000 dollars. Vous devriez faire des transactions jusqu’à avoir gagné au moins 30 000 dollars dessus, et ensuite vous dites que vous voulez retirer, dans le contrat cela dira que vous ne pouvez pas retirer. Vous pouvez retire votre dépôt initial, mais pas le bonus ou l’argent que vous avez gagné avec le bonus. »

« Donc les clients restent coincés dans le système, parce qu’ils ne veulent pas perdre tout leur argent, et au moment où ils ont fait des transactions pour 30 fois le montant du bonus, ils ont tout perdu. »

Plus vous faites des transactions pendant longtemps, plus vous perdez d’argent, dit Lynne. « Vous ne pouvez normalement pas aller si loin et réussir. »

Cependant, dit à nouveau Lynne, avec sa compagnie, si vous résistez à la tentation de prendre le bonus, et si vous faites une demande, la compagnie vous enverra votre argent.

« Ils se vantent vraiment du fait qu’ils sont bons pour rendre aux gens leur argent immédiatement. En fait, ils encourageaient les gens à faire de petits retraits. Si un client avait 10 000 dollars, ils lui disaient, pourquoi ne prendriez-vous pas 2 000 dollars pour emmener votre femme dans un petit voyage ? C’est très calculé avec combien ils sortent et quelle marge essayer de donner aux clients. »

Lynne a démissionné de son emploi dans les options binaires peu après la formation parce qu’elle disait qu’elle ne pouvait pas prendre de bonne foi les économies d’ « enseignants et de chauffeurs de camions ».

Quand on lui demande si elle pense que ce qu’elle devait faire n’était pas éthique ou légal, elle répond : « Ce n’était certainement pas éthique. Quand je parle aux gens de ce travail, ils sont choqués. Ils disent, cela ne peut pas être légal, il n’y a pas moyen qu’Israël autorise ça. »

‘Terrorisme économique’

En novembre 2014, un homme du nom d’Ariel Marom, qui s’est lui-même décrit comme un ancien employé de plusieurs compagnies de l’industrie du forex, a envoyé une lettre vivement formulée aux commissions d’Éthique et de Finance de la Knesset, selon le quotidien financier israélien Globes.

Photo d'une session plénière de la Knesset le 17 juin 2015 (Crédit : Miriam Alster / FLASH90)
Photo d’une session plénière de la Knesset le 17 juin 2015 (Crédit : Miriam Alster / FLASH90)

« J’appelle le régulateur en charge des services bancaires et la commission des Finances de la Knesset à prendre immédiatement des mesures pour cesser la vague de pillages, de vols, de fraudes, de blanchiment d’argent, et de crimes à une échelle internationale qui est gérée et opérée en Israël et qui nuit à des milliers de clients dans le monde. »

Marom a qualifié l’industrie du forex de « terrorisme économique » ciblant les citoyens de plusieurs pays.

« Quand cette information deviendra publique via des enquêtes dans les médias, ce qui arrivera tôt ou tard, le statut d’Israël dans le monde sera terni et cela relâchera une haine envers le peuple juif et Israël, entraînant des dommages considérables. »

‘Quand cette information deviendra publique via des enquêtes dans les médias […] le statut d’Israël dans le monde sera terni et cela relâchera une haine envers le peuple juif et Israël, entraînant des dommages considérables’ – une lettre envoyée aux commissions de la Knesset

Marom a dit dans cette lettre qu’il cherchait un travail ces derniers mois et que comme il parle russe il avait passé des entretiens avec des compagnies de forex qui agissent en Israël et ciblent des clients à l’étranger. Il a dit qu’il était surpris de l’ampleur de l’industrie à croissance rapide.

« Il y a des centaines d’emplois actuellement disponibles pour des personnes parlant arabe, russe, anglais, espagnol et français, puisque ces compagnies cherchent de nouveaux employés pour étendre leurs départements. »

Marom a ajouté qu’après des années dans l’industrie bancaire traditionnelle, il a été choqué des pratiques dont il a été témoin dans plusieurs compagnies de forex.

« En l’absence de toute régulation, ils volent simplement les clients. Beaucoup de personnes comparent le forex à un casino, mais c’est pire qu’un casino. Un casino vous donne vos gains immédiatement. Les compagnies de forex – et je parle de la plupart d’entre elles – n’autorisent tout simplement pas les gens à retirer leur argent. »

Marom continue : « Beaucoup de clients du forex n’ont aucune idée que la compagnie opère en Israël, particulièrement quand nous parlons des bureaux arabophones. Leurs plaintes n’arrivent jamais à notre système judiciaire et l’industrie n’est donc pas exposée. Comment est-il possible que cela se déroule depuis des années, sans régulation locale ? Que se passe-t-il quand des milliers de Turcs, de Russes, d’Espagnols, d’Italiens et de Français se rendent compte que l’arnaque dans laquelle ils sont tombés a été menée d’ici, en Israël ? Nos régulateurs attendent-ils que les synagogues commencent à exploser dans le monde entier pour arrêter ce fléau ? »

Il n’est pas évident de savoir ce que la commission des Finances de la Knesset a fait en réponse à la lettre de Marom. Le Times of Israel a essayé de retrouver Marom, mais le PDG de FeeX, une start-up qu’il a utilisée pour bloguer, a dit qu’elle n’avait pas eu de nouvelles de Marom depuis quelques années et qu’elle n’avait pas d’informations , ni de contact.

Le profil LinkedIn de Marom le positionne dans une compagnie high-tech au Brésil où personne répondant au téléphone ne semble parler anglais. Un coup de téléphone adressé à « Ariel Marom », enregistré près de Haïfa, a reçu comme réponse d’une femme que son mari était astronome, pas professionnel de la finance.

« Vous êtes la troisième journaliste qui appelle pour parler à Ariel Marom en deux semaines, a-t-elle dit. Maintenant je suis curieuse. »

Le Times of Israel a demandé l’aide de SixGill, une compagnie de sécurité high-tech spécialisée dans la face cachée d’internet (« dark web »), pour rechercher Marom, mais après une brève recherche automatisée, Tommy Ben-Avi, analyste senior de SixGill, a conclu que « Ariel Marom n’est pas son vrai nom, ou bien il ne veut pas être retrouvé ».

La compagnie de cyber renseignements a cependant fait des observations intéressantes sur les industries du forex et des options binaires. Ben-Avi a mentionné plusieurs compagnies connues pour agir depuis Israël.

« Cette industrie est un peu mystérieuse. Il est difficile d’obtenir les noms des propriétaires et des PDG de certaines de ces compagnies. La plupart du temps, quand vous avez une si grande compagnie, vous pouvez voir le propriétaire, vous pouvez voir les actionnaires. »

Ben-Avi a mené une recherche automatique avec un système qui écume des milliers de sites et de forums fermés du dark web. « On dirait qu’ils essaient de cacher leur identité. Peut-être quelques compagnies ont-elles le même propriétaire, et ils veulent cacher ce fait, a-t-il suggéré. Ou peut-être leur commerce n’est-il pas complètement légitime. »

À Wall Street

Jared K., un courtier diplômée d’une licence, qui vient des Etats-Unis et vit maintenant à Tel Aviv, dit qu’il voit plusieurs problèmes avec les industries locales de forex et d’options binaires.

« Sur Wall Street, les courtiers sont régulés, les transactions sont régulées, l’argent est régulé. D’où cela vient et où cela va-t-il ? Il y a des règles sur comment quelqu’un peut avoir accès à l’argent après une plainte. »

‘Je suis choqué qu’Israël ne l’ait pas fermée’ – un courtier américain vivant à Tel Aviv

De plus, dit Jared, aux Etats-Unis, une licence pour vendre des titres ou gérer les investissements d’un client demanderait qu’une personne se conforme à un certain standard éthique. S’ils ne cherchent pas le meilleur intérêt pour les investissements de leur client, c’est un crime.

« Sur Wall Street, je ne peux pas attribuer à quelqu’un un investissement qui ne lui correspond pas. C’est frauduleux. Si j’appelais vos parents et que je leur disais de placer de l’argent dans cet investissement et qu’ils perdaient tout, en théorie je pourrais être arrêté et allé en prison. »

« Le binaire n’a pas cela, il n’y a pas de répercussions. Que se passe-t-il si quelqu’un perd de l’argent ? Rien. »

« Je suis choqué qu’Israël n’ait pas fermé cela », résume-t-il.

Un produit qui invite à la fraude

Yaron Zelekha, ancien comptable général d’Israël, est devenu connu pour être le lanceur d’alertes le plus important du pays en 2007, quand il a dévoilé les malversations financières du Premier ministre de l’époque, Ehud Olmert.

‘Je ne recommanderai personnellement pas à un Israélien de passer un marché avec l’une de ces compagnies’ – Yaron Zelekha

Zelekha a déclaré au Times of Israel qu’il ne voulait pas accuser tous les joueurs des mêmes maux, mais les options binaires et certains instruments liés au forex sont conçus d’une manière qui peut créer une forte incitation à la fraude.

« Il y a un très large écart d’information entre le public et ces acteurs, et ils l’exploitent à leur avantage. Le courtier ne vous rend pas un service comme une banque ; il parie personnellement contre vous. C’est un conflit d’intérêt flagrant, parce que vous pariez sur quelque chose, et la personne annonçant le résultat veut que vous perdiez. »

De telles circonstances incitent à la fraude, dit Zelekha, et « il n’y a pas un petit nombre de compagnies qui fraudent simplement le consommateur. Parfois la fraude est très sophistiquée. »

L'économiste israélien Yaron Zelekha (Crédit : Yossi Zeliger/FLASH90)
L’économiste israélien Yaron Zelekha (Crédit : Yossi Zeliger/FLASH90)

Interrogé pour savoir si l’industrie entière devrait être fermée, Zelekha répond : « Il n’y a pas besoin de jeter le bébé avec l’eau du bain, bien que personnellement je ne recommanderai pas à un Israélien de passer un marché avec l’une de ces compagnies. »

Ce dont l’industrie a besoin, dit-il, c’est d’une régulation en temps réel. Il dit qu’il y a des logiciels qui peuvent maintenant faire de la surveillance en temps réel des transactions des compagnies.

« L’autorité des titres israélienne (ATI) doit avoir un accès en temps réel aux systèmes informatiques de ces compagnies. »

Zelekha dit que l’ATI a mené une longue bataille pour réguler l’industrie des transactions financières en ligne. « Ils méritent le crédit de leurs efforts, bien que la régulation ne soit pas efficace si elle n’est pas faite en temps réel. »

ATI : ‘nous n’autoriserons probablement pas les options binaires’

L’autorité des titres israélienne est hébergée dans un bâtiment des années 1920 situé dans l’un des plus jolis quartiers de Tel Aviv, près de la bourse.

Itzik Shurki, le directeur de la plate-forme de supervision des transactions et des échanges de l’ATI, est un homme qui parle d’une voix douce, mais use de mots sévères quand il s’agit de parler des options binaires.

Shurki dit qu’une nouvelle loi pour réguler les industries de transactions financières en ligne a pris effet en mai 2015. Les compagnies qui voulaient continuer à proposer leurs produits aux clients israéliens ont dû demander une licence à l’ATI.

Vingt-et-une compagnies ont demandé une licence. Une a été disqualifiée, parce que son actionnaire dirigeant, Aviv Talmor, avait fui à Chypre pour échapper à des arrestations pour malversations financières présumées. Talmor est depuis rentré en Israël et est actuellement en résidence surveillée. Deux autres compagnies ont retiré leurs candidatures, en laissant 18. Sur ces 18, quatre sont des compagnies principalement d’options binaires, alors que les autres cherchent également à proposer d’autres types de CFD, ou contrat de différences.

‘Pour les options binaires, nous avons déjà informé les compagnies que notre intention était de ne probablement pas approuver ce produit’ – Itzik Shurki, Autorité des titres israélienne

Presque une année plus tard, aucun des candidats n’a été approuvé. Shurki dit que l’industrie est actuellement dans une période de transition pendant que l’ATI évalue les candidats. Pendant cette période, les 18 compagnies ont la permission de continuer à opérer.

« Si nous disons oui, elles deviendront des compagnies complètement régulées ; si nous disons non, elles devront stopper leurs opérations. »

De quel côté penche l’ATI ? « Pour les options binaires, nous avons déjà informé les compagnies que notre intention était de ne probablement pas approuver ce produit. Sa base est problématique. Parce qu’au final – je ne veux pas utiliser le mot ‘pari’ parce que c’est un produit financier – mais dans le sens où il est proposé et dans une courte période de temps, et avec toute sa complexité, à notre opinion il se rapproche plus d’un jeu de devinettes que d’un produit financier dont vous pouvez évaluer la valeur. »

Itzik Shurki, de l'Autorité des titres israélienne. (Crédit : autorisation)
Itzik Shurki, de l’Autorité des titres israélienne. (Crédit : autorisation)

Les CFD, ou contrats de différences, sont un instrument financier à haut risque qui est également interdit aux Etats-Unis, sauf pour certains échanges de titres enregistrés, seront autorisés en Israël, dit Shurki.

Cependant, il dit que les CFD seront régulés en temps réel et les techniques de ventes agressives ou trompeuses seront rendues illégales.

L’ATI surveillera les prix de chaque produit proposé pour s’assurer qu’ils sont transparents et justes ; les vendeurs devront avoir une licence ; et ils n’auront pas le droit de proposer des conseils ou des tuyaux à leurs clients.

« Vous ne pouvez pas être dans une position de donner des conseils quand leurs gains sont votre perte », explique Shurki.

Tout cela semble assez impressionnant. Une fois que l’ATI aura pris sa décision, on pourrait penser que les fraudeurs des options binaires seront mis hors du marché. Mais il y a un piège – un gros et grand piège qui exclut potentiellement des proportions écrasantes du marché des options binaires d’une supervision efficace en Israël : les nouvelles régulations ne s’appliquent qu’aux compagnies qui ciblent des clients israéliens. Si une compagnie de forex ou d’options binaires ciblent des clients uniquement à l’étranger, elle ne sera pas régulée par l’ATI. Ainsi, pour s’assurer que la nouvelle loi ne s’applique pas pour eux, les compagnies n’ont qu’à exclure les clients israéliens.

Une rapide visite sur les sites internet de plusieurs compagnies d’options binaires montre en effet des messages disant que le service n’est pas disponible pour les Israéliens.

Shurki dit qu’il est conscient que les nouvelles régulations ne résolvent pas le problème des centres d’appels qui fraudent des personnes à l’étranger, mais dit qu’une telle activité n’est pas dans la compétence de l’ATI, de la même manière que l’autorité de conduite financière ne protège que les citoyens britanniques, et la CFTC que les Américains.

« Si une compagnie américaine a essayé de vendre des titres aux Israéliens, ce serait notre travail de protéger nos citoyens, pas la responsabilité américaine », explique-t-il, mais il ajoute que l’ATI n’a pas de très bons échanges d’information avec ses homologues étrangères.

Oui, mais quand une compagnie israélienne vole des personnes d’un autre pays, n’est-ce pas un crime ?

« C’est un crime », dit Shurki, mais ce n’est pas un crime sur lequel son autorité enquête. « Il n’y a pas de choses comme une absence d’autorité. Si un Israélien commet de la fraude ou des fausses déclarations, c’est du ressort de la police israélienne. »

La ‘French connection’

Peut-être n’y a-t-il pas un endroit où l’inquiétude et l’acrimonie contre les compagnies de forex et d’options binaires basées en Israël sont plus fortes que dans la communauté des juifs français vivant en Israël.

En janvier de cette année, la couverture du Israël Magazine se consacrait au forex en posant la question suivante : « Le Forex est-il cacher ? »

‘Une génération de jeunes gens est en train de se pervertir avec le veau d’or’ – un journaliste dans un article sur le forex

En introduction de l’article, le journaliste André Darmon écrit : « Cet article existe non pas pour tirer à boulets rouges sur certains de nos concitoyens ou coreligionnaires, car le phénomène constaté est mondial et avait commencé bien avant qu’il ne s’installe dans nos cités, mais il existe pour faire prendre conscience qu’une génération entière de jeunes gens est en train de se pervertir avec le veau d’or. Et que gagner sa vie n’autorise pas tout ! »

« Ces calls-center où l’on embauche à tours de bras des jeunes, pour la plupart paumés, écrit la journaliste Ilana Mazouz dans le site Alliance, ne parlant pas l’hébreu, ni même l’anglais, sont une opportunité de courte durée, mais suffisantes pour donner l’illusion d’une vie normale en Israël. »

Certains rabbins ont interdit de travailler dans ces industries, parlant de « vols », pendant que des conférences rabbiniques sur internet en français portent des titres comme « Forex, business sale et Amalek ».

Le rabbin Mordehai Bitton a consacré un cours de Torah, diffusé sur le site francophone Torah Box, sur le forex, qu’il qualifie de « business sales, de business de voleurs, d’assassins qui défraient la chronique, complètement délétères et interdits par la Halakha [loi juive] et qui drainent derrière eux des sommes d’argent considérables. »

Il rejette surtout les arguments « fallacieux » stipulés par d’autres rabbins – à savoir que l’argent volé redistribué pour faire le bien, ne peut en aucun cas permettre de se racheter.

A nouveau, il est difficile de savoir combien de jeunes francophones sont employés dans cette industrie. Didier F., un homme d’affaires français juif, a déclaré au Times of Israël qu’après avoir été diplômés de IDC-Herzliya, beaucoup de ses camarades ont été recrutés par des compagnies de forex et d’options binaires.

Didier affirme que beaucoup de propriétaires de sites internet de forex sont des escrocs de la communauté juive française qui se cachent des forces de police française en Israël, où la police, selon lui, ne les ennuie pas trop.

Comme précédemment annoncé par le Times of Israël, environ 10 immigrants récents de France ont été accusés l’année dernière de crimes internet et d’arnaques téléphoniques, alors que la France aurait envoyé à Israël 10 demandes officielles supplémentaires pour une assistance judiciaire dans des affaires de fraude présumée.

Le film « Je compte sur vous » relate l’histoire de Gilbert Chikli, l’inventeur de ‘l’arnaque au président’, qui vit aujourd’hui en Israël.

« J’adore quand ils disent que l’alyah française a tellement augmenté, maintenant c’est 7 000 personnes, dit Didier. C’est super, j’en suis heureux. Mais après vous voyez que beaucoup d’entre eux travaillent dans les industries du forex ou des options binaires. Vous allez à Tel Aviv aujourd’hui, quand vous dites à quelqu’un de la communauté française, ‘je travaille dans la finance’, ils pensent immédiatement que vous travaillez dans cette m*rde. »

Didier ajoute : « Même si c’est une petite somme d’argent, ils volent de l’argent à des pauvres. Cela détruit des familles. Certains se sont suicidés. »

Selon un article de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur, L’Autorité des marchés financiers (AMF), l’autorité française des titres, a reçu le nombre de stupéfiants de plus de 4 500 plaintes pour des fraudes au forex et aux options binaires en 2014.

Ces plaintes constituent 37 % de toutes les plaintes reçues cette année-là par l’AMF pour fraude de titres. La majorité des transactions forex qui ont déclenché ces plaintes provenaient d’Israël, affirme l’article.

Qu’est-ce que Google a à voir avec tout ça ?

Il y a encore une autre partie à l’empire des options binaires, et elle est liée à la manière dont les compagnies israéliennes réussissent à rassurer les clients de leur évidente intégrité, via Google.

Disons que vous êtes un client potentiel d’options binaires. Une compagnie vous a démarché pour faire un dépôt, mais vous n’êtes pas sûrs, donc vous décidez de vous renseignez. Sur Google, vous tapez : « Les options binaires sont-elles légitimes ? »

Vous obtenez une liste de résultats, dont un ou deux pourraient être des avertissements de fraude de la CFTC, l’institution de régulation des Etats-Unis. Les premières pages de résultats de recherches sont cependant dominées par des sites qui prétendent vous prévenir des sites d’ « arnaques » d’options binaires, et vous diriger vers des sites légitimes. En les examinant de plus près, il se trouve que beaucoup de ces sites « utiles » sont eux-mêmes des affiliés de compagnies d’options binaires.

Après, vous pourriez demander à Google « Est-ce que les options binaires sont légales aux Etats-Unis ? » Une fois encore, beaucoup des premiers résultats se trouvent être des sites internet affiliés à l’industrie elle-même, plutôt qu’une source objective d’informations. Certains de ces sites proposent des déclarations trompeuses et à moitié vraies, comme « Il n’y a à ce moment aucune loi, au niveau fédéral ou des états fédérés, qui interdise au citoyen américain les transactions d’options binaires en ligne. »

La loi américaine interdisant les options binaires est dirigée contre les compagnies qui les vendent, par contre les clients qui les achètent, donc la déclaration n’est pas complètement fausse. Cependant, la SEC et la CFTC préviennent clairement les investisseurs qu’ : « ils peuvent ne pas avoir toutes les garanties des lois fédérales sur les services et les titres s’ils achètent des options binaires non enregistrées qui ne sont pas soumises à la surveillance des régulateurs américains. »

Beaucoup de pays, y compris le Canada, publient des listes mises à jour des compagnies d’options binaires non enregistrées qui sollicitent des clients au Canada en violation de la loi. Une liste canadienne récente est disponible ici.

La liste comprend 37 compagnies. Le Times of Israel est allé sur le site internet de chacune de ces compagnies. Certaines n’opèrent plus. D’autres bloquent les utilisateurs d’Israël (probablement pour éviter des ennuis avec l’autorité des titres israélienne). Une héberge maintenant un site pornographique. Pour la plupart, il était difficile d’épingler une localisation géographique. Cependant, sur la base de sources primaires et secondaires, le Times of Israel suspecte plus de la moitié de ces compagnies, si ce n’est l’écrasante majorité, d’opérer depuis Israël.

« Investir avec des compagnies off-shore opérant depuis l’extérieur du Canada peut être risqué et est souvent un drapeau rouge de fraude », prévient l’autorité des titres canadienne. Et pourtant si vous cherchez sur Google « Canada, options binaires, liste noire », une fois encore, beaucoup des premiers résultats de recherche semblent être des sites affiliés à l’industrie, dont certains recommandent comme légitimes les mêmes sites qui sont sur la liste noire du gouvernement canadien.

Bryan Seely, un expert en cyber-sécurité de Seattle, dit au Times of Israel qu’il n’est pas surpris des résultats de ces recherches Google qui montrent, explique-t-il, que le moteur de recherche de Google est manipulé.

Bryan Seely (Crédit : Facebook)
Bryan Seely (Crédit : Facebook)

« Google ne met pas un point d’honneur à censurer des trucs ; vous pouvez trouver de la drogue, vous pouvez trouver des stéroïdes, vous n’avez pas besoin d’aller sur Silk Road [site internet de vente de substances et d’objets illégaux]. Google indexe internet et classe les choses là où il les classe. »

Quand on lui demande pourquoi, si cette industrie a tant de victimes présumées, leurs voix ne se montrent pas en haut du classement de Google, Seely dit : « les victimes ne sont pas aussi bonnes pour promouvoir ce qui leur est arrivé que des gens dans l’industrie des options binaires qui promeuvent ce qu’ils vendent. Les victimes ne vont pas toutes sur les pages des autres » – donc chaque page de victime a en général un faible classement Google.

Seely, qui a combattu pour attirer l’attention publique sur la manipulation majeure du moteur de recherche dans l’industrie des serruriers – un autre domaine, en passant, où la fraude systémique aux Etats-Unis, avec une implication israélienne à large échelle, a déclenché un scandale ces dernières années – ajoute : « voici le problème sous-jacent : est-ce qu’il est sûr d’utiliser Google ? Ou Bing ? »

Ce qu’il demande vraiment, quand il s’agit de l’industrie des options binaires, est si chercher sur Google mènera un investisseur potentiel qui craint d’être fraudé à l’information indépendante, crédible et pertinente qu’il cherche. La réponse, apparaît-il, est non.

Optimisation des moteurs de recherche et secret du succès

Pendant la dernière décennie, Israël a gagné le surnom de nation « start-up » pour ses prouesses high-tech. Mais peu de gens savent que le pays est aussi un leader mondial dans le marketing en ligne et l’optimisation des moteurs de recherche (SEO, search engine optimization), une expertise qu’il a acquise dans les « industries ombrageuses » du porno, du pari en ligne et des options binaires, selon un article du Time de 2014 sur l’industrie internet israélienne.

L’expertise a été pleinement appliquée par les compagnies d’options binaires frauduleuses, dont les sites affiliés se montrent en premier dans les recherches Google – leur envoyant des clients naïfs et peu suspicieux.

Yoni S., un entrepreneur high-tech israélien et consultant en SEO, explique que sans SEO efficace, un acteur local frauduleux reste local, fraudant peut-être quelques centaines de victimes dans son entourage. Mais avec le pouvoir du marketing internet, la portée de l’arnaque peut devenir mondiale.

Le Times of Israel a envoyé à Google une demande d’entretien sur la manipulation de ses plate-formes de recherche par des entreprises présumées frauduleuses dans l’industrie des options binaires, mais Google n’a pas répondu.

Qu’est-ce que la police a à dire ?

Le Times of Israël a contacté la police israélienne à plusieurs reprises pour l’interroger sur la fraude présumée dans les industries du forex et des options binaires. Leurs réponses soulignent combien les forces d’application de la loi luttent pour s’accrocher au défi rapide et en plein essor du crime sur internet.

« S’il y a des enquêtes sur des fraudes etc., je n’ai pas d’informations dessus. Si quelqu’un a porté plainte auprès de la police, alors faites le moi savoir », a répondu le porte parle de la police, Micky Rosenfeld.

Une autre porte-parole de la police, Louba Samri, a déclaré au Times of Israel : « Nous avons été perdus dans votre question. Soyez plus précis s’il vous plait. Qui a porté plainte contre qui ?

Finalement, le Times of Israel a appelé une troisième porte-parole, Merav Lapidot, et lui a demandé ce que faisait la police pour les fraudes présumées à large échelle dans les industries du forex et des options binaires en Israël.

La porte-parole de la police israélienne Merav Lapidot, le 28 novembre 2007. (Crédit : Moshe Shai/FLASH90)
La porte-parole de la police israélienne Merav Lapidot, le 28 novembre 2007. (Crédit : Moshe Shai/FLASH90)

« C’est quelque chose que vous affirmez. Si personne n’a porté plainte à ce sujet, alors il n’y a pas de problème. Vous voudriez que nous vérifions toutes les compagnies en Israël et voir si par hasard elles commettent des crimes ? »

Informée que des personnes qui travaillaient dans les industries avaient décrit des comportements frauduleux potentiellement répandus de l’ordre de centaines de millions de dollars, touchant des dizaines de milliers de personnes, Lapidot a répondu : « Mais personne ne s’est plaint. Je ne sais pas ce qu’il se passe dans ces compagnies. Ce n’est pas notre travail. Vous pouvez commencer demain un commerce en vendant des bijoux sur internet. La police viendra-t-elle enquêter sur votre commerce ? »

A la suggestion qu’il pourrait y avoir des milliers de victimes à l’étranger, Lapidot a répondu : « S’il y a quelqu’un qui s’est plaint, nous devons vérifier cette plainte spécifique. Nous n’allons pas vérifier un sujet entier. »

Est-il possible qu’une industrie entière, dont la majorité serait corrompue, échappe au système, entre l’autorité des titres de Shurki, qui ne s’occupe pas des crimes qui naissent en Israël mais dont les victimes sont à l’étranger, et la police, qui n’agira pas à moins que des plaintes spécifiques ne soient portées auprès d’elle ?

Zvika Rubins, un consultant en relations publiques de l’ATI, dit que la loi n’a simplement pas rattrapé les méthodes douteuses que les gens utilisent pour gagner de l’argent sur internet.

« Quand vous parlez de bits et de bytes, ce n’est pas si simple. Etait-ce un crime ? Où a-t-il eu lieu ? Par exemple, disons que vous avez une compagnie et qu’elle est enregistrée aux Iles Vierges britanniques et ses serveurs sont en Inde et elle a une salle de ventes en Israël. Est-ce une compagnie israélienne ? Je ne sais pas. »

Rubins, qui souligne qu’il n’est pas un expert en loi pénale, suggère que si quelqu’un en Israël commet en crime contre quelqu’un qui est, par exemple, en France, sur internet, alors cela pourrait être de la responsabilité des Français d’ouvrir une enquête, de retracer le crime en Israël, et d’en parler à la police israélienne.

Zvika Rubins (Crédit : Facebook)
Zvika Rubins (Crédit : Facebook)

Yoni S., l’expert en SEO, est scandalisé par cette approche. « En Israël, le meurtre est illégal, mais si j’établis une compagnie en Israël qui tue des gens via internet en Malaisie, c’est bon ? »

Seely voit le problème comme extrêmement sérieux et croissant : « Nous devenons une culture mondiale et une économie mondiale, et les frontières physiques n’existent pas sur internet. Il devient plus facile d’arnaquer des personnes dans le monde entier. Nous n’avons pas de protections en place pour empêcher cela, et cela devient pire.

« C’est une jungle dehors », dit Yoni, faisant référence au fait que les personnes font toutes sortes de choses sur internet qui serait illégales dans leurs propres pays.

« Internet est arrivé, personne n’a encore passé de régulation, et à présent il y a une opportunité de gagner beaucoup d’argent dans la jungle. »

Une réponse de l’intérieur de l’industrie

Tali Yaron-Eldar, membre des impôts d’Israël de 2002 à 2004, a fondé en 2007 eTrader, une compagnie d’options binaires qui cible les Israéliens, avec Shay Ben-Asulin, qui a également co-fondé AnyOption, l’une des plus grandes compagnies d’options binaires en Israël avec des revenus de dizaines de millions de dollars.

En 2011, Ben-Asulin a été inculpé par les Etats-Unis pour fraude sur titres, et le mois dernier il a été condamné pour fraude par une cour israélienne pour avoir aidé une compagnie de cartes de crédit israélienne, ICC-CAL, à effacer des milliards de shekels de facturations de sites de porno, d’options binaires et de pari, ainsi qu’à dissimuler le nombre de transactions annulées. Pour ses crimes, Ben-Asulin fera cinq mois de travaux d’intérêt général et paiera une amende de moins d’un million de dollars.

Tali Yaron-Eldar (Crédit : capture d'écran Dixième chaîne)
Tali Yaron-Eldar (Crédit : capture d’écran Dixième chaîne)

Dans un entretien (en hébreu) de 2014 avec la Dixième chaîne israélienne, quand il lui a été demandé si elle était décontenancée par le fait que de jeunes soldats démobilisés et de vieux retraités perdent tout leur argent dans des transactions d’options binaires, Yaron-Eldar a répondu : « Demandez aux personnes qui investissent et perdent leur argent. Tous savaient qu’ils entraient dans quelque chose de risqué. »

Le Times of Israel a contacté Yaron-Eldar pour l’interroger sur la fraude présumée au sein des industries des options binaires.

Dans la mesure où cela est vrai, a-t-elle dit, cela s’applique aux compagnies non régulées.

« Les compagnies avec une licence sont très prudentes, dit-elle. AnyOption [une compagnie avec laquelle elle est associée] a une licence chypriote. Elle fait très attention à suivre la loi. Elle est surveillée tout le temps. »

A l’avis de Yaron-Eldar, et contrairement aux opinions des autres personnes interrogées pour cet article, la régulation chypriote est très dure, à égalité avec l’autorité de conduite financière britannique.

Quand on l’interroge sur le fait que le gouvernement canadien a inclus AnyOption sur une liste de compagnies sollicitant illégalement des citoyens canadiens, Yaron-Eldar répond : « Je ne suis pas au courant. »

En fait, Yaron-Eldar souligne qu’AnyOption n’est pas une compagnie israélienne du tout.

« AnyOption n’a pas de bureaux à Tel Aviv. C’est une compagnie qui opère depuis Chypre. »

En effet, la consultation du site anyoption.com ne révèle aucune référence à Israël. Néanmoins, ce n’est pas un secret que des centaines d’employés vont travailler chaque jour dans les bureaux d’AnyOption au 38 rue Habarzel, dans le quartier de Ramat Hachayal à Tel Aviv. Comment explique-t-elle cette différence ?

« Ils ne travaillent pas pour la même compagnie, dit-elle. Ils travaillent pour AnyOption Israël, pas AnyOption Chypre. La compagnie pour laquelle ils travaillent est un prestataire de services pour la compagnie à Chypre. »

En d’autres termes, AnyOption (comme beaucoup d’autres compagnies d’options binaires avec des structures entrepreneuriales similaires) n’est en fait pas une compagnie israélienne, selon le raisonnement de Yaron-Eldar. Cela signifie qu’elle, et beaucoup d’autres comme elle, est soumise à la loi et à la régulation chypriotes, pas à la loi israélienne.

Puisque la plupart de la partie régulée de l’industrie des options binaires est soumise à la régulation chypriote, l’honnêteté ou la malhonnêteté de ces compagnies peut reposer sur la force et l’honnêteté de l’application de la loi chypriote.

Où sont les victimes ?

Le Times of Israel a contacté le FBI pour savoir si quelqu’un s’était plaint de centres d’appels de forex ou d’options binaires en Israël, mais l’agence n’a pas répondu.

L’ASIC, la commission des investissements et des titres australienne, a répondu dans un email : « Nous ne commentons pas sur les questions opérationnelles, ce qui inclut de confirmer ou démentir si nous avons reçu des plaintes sur un sujet particulier ou pas. »

Une porte-parole du gouvernement français, cependant, a confirmé que la France avait des problèmes avec la fraude au forex émanant d’Israël.

« Oui, il y a des cas de fraudes, comme vous dites, a-t-elle déclaré. Le forex n’est pas en soi une fraude mais il peut être utilisé à des fins frauduleuses. Nous avons certaines affaires entre la France et Israël, et nous sommes en contact avec les autorités israéliennes à ce sujet. Il y a une très bonne coopération entre les deux pays et les deux services à ce sujet. »

Retour en Australie

Ariel Marom, l’ancien employé du forex mystérieusement disparu qui avait écrit cette lettre en 2014 à la Knesset, a prévenu des conséquences quand l’étendue de la corruption dans l’industrie des options binaires en Israël serait dévoilée.

« Que se passera-t-il quand des milliers de Turcs, de Russes, d’Espagnols, d’Italiens et de Français se rendront compte que l’arnaque dans laquelle ils sont tombés a été menée d’ici, en Israël ? Nos régulateurs attendent-ils que les synagogues commencent à exploser dans le monde entier pour arrêter cette chose ? », demandait-il dans cette lettre.

Dan Guralnek, l’immigrant australien, a tiré ses propres conclusions. « Cet amas de malhonnêteté ne serait jamais autorisé en Australie, dit-il. Ils fermeraient [l’industrie] dans la nuit. »

Guralnek s’est récemment fiancé avec une Israélienne. Mais il espère la persuader d’emménager en Australie avec lui, en partie à cause du coût de la vie élevé qui l’a conduit à travailler dans les options binaires en premier lieu, et en partie à cause de la corruption qu’il a rencontré.

« Maintenant je vois de la corruption partout où je regarde, dit-il. Partout où il n’y a pas de lumière jetée sur la corruption dans ce pays, j’ai le sentiment qu’elle grandit. »

Le site internet d’une synagogue francophone près de Kikar HaMedina de Tel Aviv, CoursTorah.com, a une page prévenant contre l’industrie des options binaires, intitulée « stop arnaque ».

« Beaucoup de personnes que vous connaissez travaillent peut être directement ou indirectement pour ces sociétés escrocs », est-il écrit sur la page, prévenant que les compagnies d’options binaires et la majorité des compagnies de forex opérant en Israël sont frauduleuses. Il conseille à ses fidèles de « fuir ces compagnies ! »

Et il publie un rappel évidemment bien trop nécessaire : « rappelons-nous le 8ème commandement : ‘Tu ne voleras pas’. »

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