L’Eurovision s’ouvre à Bâle entre strass, émotions et hostilité envers Israël
Yuval Raphael attendue sur scène jeudi malgré les appels au boycott ; les organisateurs ont maintenu sa participation malgré les pressions

Des chanteurs venus de 37 pays se sont réunis à Bâle, en Suisse, pour participer cette semaine à l’édition annuelle du Concours Eurovision de la chanson. Mais, pour la deuxième année consécutive, la présence d’Israël menace de reléguer au second plan l’aspect festif et kitsch de l’événement.
En dépit des efforts soutenus d’activistes anti-Israël, l’Union européenne de radio-télévision (UER), qui organise le concours, a, cette année encore, fermement résisté aux tentatives d’exclure Israël de la compétition. L’UER a rejeté les appels de plusieurs dizaines d’anciens participants, de quelques eurodéputés, du lauréat 2024 Nemo, ainsi que des chaînes publiques d’Islande, d’Espagne, d’Irlande, de Belgique et de Slovénie, tous pays membres de l’UER et participants à l’Eurovision.
Après des mois de protestations, la chaîne publique irlandaise RTE a rapporté la semaine dernière que l’UER s’était engagée à organiser « une discussion plus large entre ses membres en temps voulu ». Mais celle-ci n’aura aucun impact sur l’édition 2025, qui a débuté mardi avec la première des deux demi-finales, et il est peu probable qu’elle débouche sur une exclusion d’Israël.
Bien que la tension anti-Israël était plus forte à l’approche de l’édition 2024, organisée à Malmö en Suède, de grandes manifestations sont encore attendues à Bâle cette semaine. La représentante israélienne Yuval Raphael devrait essuyer des huées lors de sa prestation prévue jeudi soir, où elle interprétera sa ballade New Day Will Rise.
Raphael fait partie des 37 artistes en lice cette année. Elle est donnée parmi les favorites pour décrocher l’une des places qualificatives en finale de samedi, où 26 candidats s’affronteront pour remporter la couronne de l’Eurovision.
Les demi-finales sont déterminées uniquement par le vote du public, en ligne et par téléphone, tandis que le classement de la finale est établi à 50 % par les téléspectateurs et à 50 % par les jurys professionnels représentant chacun des 37 pays participants.
À l’heure de publication de cet article, les cotes des bookmakers, souvent citées, parfois exactes, prédisent une quatrième place pour Israël. Ces prévisions s’appuient sans doute sur une mobilisation attendue de l’électorat pro-israélien, comme cela s’était produit l’an dernier : Eden Golan était arrivée deuxième du vote du public, et cinquième au classement général.
Cette année, le trio suédois KAJ, des chanteurs finlandais de langue suédoise, est en tête de peloton. Il interprétera l’entraînante Bara bada bastu, une chansonnette comique sur la culture du sauna, considérée comme la favorite de l’année.
Les autres candidats sérieux sont l’Autrichien JJ avec son opéra Wasted Love et la Française Louane avec sa ballade Maman.

Certains observateurs estiment que les jurys professionnels pourraient volontairement sous-noter, voire ignorer Yuval Raphael, quelle que soit la qualité de sa prestation, dans le but de contrecarrer un éventuel plébiscite du public ou de refléter l’ambivalence de leurs pays à l’égard d’Israël. L’UER aurait sans doute peu d’appétence pour les complications qu’entraînerait une victoire israélienne, notamment le droit d’organiser l’édition suivante. (Lorsque l’Ukraine avait remporté le concours en 2022, c’est finalement le Royaume-Uni qui avait accueilli l’édition 2023.)
Rescapée du pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023 lors du festival de musique Nova, Yuval Raphael se produira avec New Day Will Rise, une ballade puissante évoquant l’espoir qui succède à la douleur, « l’obscurité s’estompera, toute la douleur passera ». Si de nombreux critiques saluent sa voix et l’émotion du morceau, certains regrettent une trop grande similitude avec Hurricane, la chanson israélienne de l’an dernier, et s’interrogent sur le choix d’envoyer à nouveau une ballade.
« Je suis à 100 % concentrée sur la musique, à 100 % sur ma chanson », déclarait Raphael dans une interview accordée au Times of Israel début mai. « Il y a des choses que je peux contrôler, et d’autres non. Cela ne sert à rien d’investir de l’énergie dans ce que je ne maîtrise pas. Ce qui compte pour moi, c’est de faire honneur à mon pays et de donner le meilleur. »

L’an dernier, Eden Golan avait été largement mise à l’écart par les autres concurrents – certains rejetant la participation d’Israël, d’autres ne voulant pas s’afficher aux côtés de celle que beaucoup considéraient comme la paria du concours. Les tensions en coulisses étaient vives : des artistes ont accusé la délégation israélienne d’intimidation, tandis que la chaîne publique Kan signalait plusieurs cas de mépris voire d’hostilité à son encontre.
Dans une interview accordée récemment au site d’information Walla, Golan a révélé que les huées étaient si fortes qu’elle les entendait à travers ses écouteurs antibruit.
Un nouveau code de conduite strict a été mis en place pour les participants avant le spectacle de cette année. Il exige que tous les concurrents s’abstiennent « de toute promotion politique ou conduite connexe, y compris les actions, les déclarations ou les symboles pendant – ou en relation avec – l’événement », et doivent également « éviter de lier des opinions politiques à leur participation à l’ESC ».
Pour la première fois, ce code de conduite s’applique à toutes les personnes accréditées, avec un engagement de tolérance zéro envers « toute forme de harcèlement, d’intimidation, de discours haineux ou de discrimination ».
Si l’accueil réservé à Raphael risque d’être glacial, elle pourra malgré tout s’appuyer sur un soutien sincère et inattendu : celui du groupe azéri Mamagama, mené par Asaf Mishiyev, membre de la communauté juive des Montagnes.
Dans un entretien avec le Times of Israel plus tôt cette année, Mishiyev et ses coéquipiers musulmans ont exprimé leur solidarité avec Raphael et dénoncé la haine dont elle est la cible.

Contrairement aux éditions précédentes, les spectateurs sont autorisés à brandir des drapeaux palestiniens pendant les spectacles en direct. Les organisateurs suisses ont indiqué que tout drapeau légal en Suisse serait autorisé, et non plus uniquement ceux des pays en compétition.
Reste à voir si la production choisira de montrer ces drapeaux à l’écran, notamment pendant la prestation israélienne.
Les drapeaux palestiniens dominaient la procession dimanche à Bâle – avant-goût probable de la marée de vert, blanc, noir et rouge que Yuval Raphael affrontera sur scène – lorsqu’elle a défilé sur le « tapis turquoise » de la cérémonie d’ouverture, entourée de banderoles de protestation et de quelques huées.

Les règles encadrant les drapeaux ont toutefois été durcies pour les artistes : seuls les drapeaux nationaux des candidats sont autorisés sur scène et lors des événements officiels. Cette restriction ne vise pas uniquement le drapeau palestinien, mais également les emblèmes LGBTQ+, transgenres ou non-binaires, suscitant la colère de certains militants.
À l’instar d’Eden Golan l’an dernier, Raphael ne portera pas de pin’s en soutien aux otages et évitera toute déclaration politique pendant les événements officiels. Elle a toutefois appelé, lors d’interviews précédant le concours, à « ramener tous les otages à la maison, maintenant ».
Mais malgré les protestations, la plus grande menace pour la participation future d’Israël à l’Eurovision pourrait venir d’Israël lui-même.
Si le gouvernement met à exécution son projet de privatiser ou de fermer la chaîne publique Kan, celle-ci perdrait son statut de membre de l’UER, mettant un terme à 52 ans de présence israélienne au concours.