L’incertitude sur le sort de la famille Bibas entraîne désarroi, peine et colère
Le Hamas a annoncé la restitution des corps de Shiri, Kfir et Ariel Bibas - une information qui n'a pas été confirmée par Israël

JTA – Devant les informations pour le moins contradictoires concernant les trois otages israéliens les plus connus, Noam Nisim ne sait pas trop quoi penser.
Cela a commencé par un magazine d’information israélien très suivi qui a écrit sur Instagram que la famille Bibas avait officiellement reçu la nouvelle que ses proches – Shiri et ses enfants Kfir et Ariel – avaient été tués en captivité.
Cette triste nouvelle a semblé confirmer l’annonce faite par le Hamas selon laquelle les corps de la mère et des deux jeunes garçons seraient renvoyés en Israël jeudi. Puis le message a été supprimé.
Au même moment ou presque, des proches de la famille Bibas disaient ne pas avoir reçu de confirmation du sort des trois otages.
Pour autant, l’annonce faite par le Hamas au sujet de Shiri, Kfir et Ariel les a plongés, selon leurs propres mots, dans « l’angoisse ».
Si leur mort est présentée comme acquise à l’étranger, en Israël nombreux sont ceux qui s’accrochent encore à un ultime espoir de vie des deux petits garçons et de leur mère, à commencer par la famille Bibas.
« Au cours des dernières heures, nous avons été bouleversés par l’annonce du porte-parole du Hamas concernant le retour prévu de nos Shiri, Ariel et Kfir ce jeudi », dans le cadre de la restitution jeudi de quatre corps d’otages, a écrit mardi soir la famille dans un communiqué. « Jusqu’à ce que nous recevions une confirmation définitive, notre combat continuera », a-t-elle ajouté.
De son côté, l’armée israélienne a appelé la population à « ne se fier qu’aux annonces émanant de sources officielles et à s’abstenir de répandre des rumeurs qui nuisent aux familles d’otages et à l’opinion publique ».
Depuis le 7 octobre 2023, la sœur de Yarden, Ofri Bibas, a mené un combat sans relâche pour leur libération. « S’il vous plaît, ne faites pas encore d’éloges funèbres pour ma famille », a-t-elle écrit mardi soir sur Facebook: « Cela fait 16 mois qu’on espère et on ne renonce pas maintenant ».
A l’étranger, les réactions se sont multipliées. Le président français, Emmanuel Macron, a publié sur son compte X une photo de Shiri Bibas tenant ses enfants dans ses bras, évoquant les « visages d’une humanité éternelle que la barbarie du Hamas, jamais, n’abolira ».
L’élu démocrate américain membre de la Chambre des représentants, Ritchie Torres, a lui écrit sur X que « le meurtre de sang-froid d’un nourrisson est le crime contre l’humanité le plus barbare possible. Le Hamas a assassiné la famille Bibas, y compris Kfir qui n’avait que 9 mois au moment de son enlèvement ».
A Tel-Aviv, l’institut médico-légal qui doit recevoir les quatre corps devant être restitués jeudi, a pris des dispositions pour accélérer leur identification, a indiqué mercredi la radio-télévision publique israélienne Kan, ajoutant que dix médecins avaient été mobilisés pour les examens.
Les familles seront informées officiellement après la fin du processus d’identification et ensuite seulement une annonce publique sera faite, conformément à la procédure habituelle en Israël en cas de décès d’otages ou de soldats.
Pour Nisim, professeure de Pilates dans un centre communautaire de Jaffa, ce tourbillon de nouvelles ne fait qu’engendrer plus d’incertitude autour de la nouvelle, lancinante, de la possible mort des Bibas.
« Je ne sais pas comment réagir parce que je ne sais pas à quoi réagir », a-t-elle déclaré mardi. « Je suis sous le choc. Mais ce n’est pas comme si nous ne le savions pas. Nous nous y sommes préparés. Cela n’en est pas moins douloureux. »
Nisim est l’une des nombreux Israéliens sous le choc depuis l’annonce faite par le Hamas mardi, qui semble présager la fin tragique d’une famille devenue le symbole de la douloureuse crise des otages, en Israël comme ailleurs dans le monde.

La vidéo de Shiri, en larmes et désespérée, enlevée à Gaza, serrant ses fils dans ses bras, est aujourd’hui l’image indélébile de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. La douleur s’est aggravée en novembre, lorsque le Hamas a publié une vidéo montrant le mari de Shiri, Yarden, lui aussi otage, en train de pleurer après avoir appris que sa femme et ses enfants avaient été tués lors d’une frappe aérienne israélienne. Israël a enquêté sur cette affirmation sans la confirmer.
Yarden Bibas a été capturé séparément et libéré en début du mois.
Les déclarations israéliennes au sujet de cette famille se sont faites de plus en plus alarmistes, jusqu’à ce responsable qui a fait part de « graves inquiétudes » sur leur sort le mois dernier.
Certains Israéliens tentent de garder un semblant d’espoir. Liz Peretz, infirmière à l’hôpital Wolfson tout proche et, elle aussi, rencontrée au centre communautaire de Jaffa, dit s’accrocher à la possibilité que les informations soient inexactes – tout en promettant une dure réaction au cas contraire.
« Si c’est avéré, il y aura un énorme tollé du peuple contre l’État, qui a abandonné cette famille dans les pires conditions qui soient », a-t-elle ajouté.
Le fils de Peretz, Nehorai, 11 ans, dit à sa mère que la déclaration du Hamas est sans doute une « fake news». Il pense que cela fait partie de la guerre psychologique.
« Ils mentent », dit-il à propos du groupe terroriste. « Ils veulent qu’on pleure et ensuite ils les ramèneront, ils veulent juste nous faire souffrir. Ils ne renverront pas de corps. »

Face au chagrin imminent, d’aucuns cèdent à la colère et à des pensées de vengeance suite au meurtre d’une mère et de ses deux garçons qui n’avaient que 8 mois et demi et 4 ans lorsqu’ils ont été pris en otages. Or Benaroya, qui est caissière, dit qu’il faudra tout faire pour « leur rendre justice ».
Lorsqu’on lui demande à quoi pourrait ressembler cette « justice », elle répond : « Tuer tous ceux qui sont impliqués. Même ceux qui ne sont pas dans le Hamas, les gens qui les soutiennent. Ils doivent tous payer. »
Devant un stade de football des environs, c’est Sagi Vanunu, employé d’un restaurant du coin, qui réagit le plus vivement. Il pense qu’Israël devrait « déclarer une guerre mondiale contre Gaza » après la prochaine libération d’otages vivants par le Hamas samedi. Sinon, ajoute-t-il, « cela voudrait dire que le pays n’attache plus d’importance à la vie et n’a plus le droit d’exister ».
La colère suscitée par la nouvelle s’étend au-delà des limites du quartier de Jaffa. Dan Shapiro, qui a été ambassadeur des États-Unis en Israël sous la présidence de Barack Obama, dit ressentir des émotions mêlées et appelle au démantèlement du Hamas.
« Les nouvelles concernant Shiri, Ariel et Kfir Bibas sont épouvantables », a-t-il écrit sur X. « La peine que nous inspire leur mort se double d’une rage à peine réprimée. Leurs tueurs sont des monstres. Cette guerre ne se terminera pas tant que le Hamas ne sera pas complètement écarté du pouvoir. »
Ces accents guerriers sont encore montés d’un cran lorsque l’on a appris qu’en échange des quatre otages décédés restitués jeudi, Israël libérerait 47 prisonniers palestiniens de sécurité. L’idée qu’Israël ait passé un tel accord avec un groupe terroriste ronge Shalev Shaki, 15 ans.
« Il faut tout faire pour les ramener », dit-il. « Mais il est injuste de céder aux terroristes. Il faut les frapper durement pour que tous les otages rentrent chez eux maintenant, sans plus de concessions. »
Kira Dan Or, consultante en parentalité, a pensé à la façon dont le retour des corps de Shiri, Ariel et Kfir affecterait leur père et leur mari, Yarden.
« Pauvre Yarden, il n’y a pas de consolation, pas de conclusion dans tout cela. Il ne saura jamais ce qui leur est arrivé, comment ils sont morts », confie-t-elle. « Il va vivre avec ces questions pour le reste de sa vie. Quelle vie ? »

La terrible annonce faite mardi s’est accompagnée de bonnes nouvelles : les familles des six derniers otages vivants libérés lors de la première phase du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas – Omer Wenkert, Omer Shem Tov, Eliya Cohen, Tal Shoham, Avera Mengistu et Hisham al-Sayed – ont été informées par les autorités israéliennes que leurs proches seraient libérés samedi.
Mais cette nouvelle soulève d’autres questions. Quatorze otages – huit morts et six vivants – doivent être libérés au cours de cette première phase, qui prendra fin début mars.
La nouvelle selon laquelle six otages vivants seront libérés samedi laisse aux Israéliens eux-mêmes, à commencer par les proches des otages, le soin de comprendre si leurs proches font ou non partie des vivants.
« Suis-je supposé tirer mes propres conclusions ? », demande Danny Elgarat, frère de l’otage israélo-danois Itzik Elgarat, âgé de 70 ans. « Si vous publiez les noms de six personnes en vie, cela signifie que les autres ne sont plus en vie – mais nous, la famille, n’avons été informés de rien. »
Il ajoute : « Nous sommes des objets, pas des personnes. »
Jonny Daniels, influenceur pro-israélien qui suit de près le sort de la famille Bibas et ses répercussions au niveau mondial, explique que leur mort, si elle était avérée, serait « très difficile à comprendre pour beaucoup de gens ».
« On a mis tant d’énergie et d’espoir dans un miracle, pour qu’ils rentrent à la maison », ajoute-t-il. « Les gens vont avoir le coeur brisé et il va falloir beaucoup de temps pour s’en remettre. »
Anat Sharbat, qui dirige des veillées de prière hebdomadaires pour les otages sur la Place des Otages à Tel Aviv – dont elle est en quelque sorte le rabbin officieux – pense que les jours à venir seront particulièrement difficiles pour le pays.
« Retenir toutes ces émotions est épuisant », confie-t-elle.
« C’est comme si notre pays ne formait plus qu’une seule et même famille. Tous ceux que je croise parlent comme si leur propre enfant était à Gaza. Les hauts, les bas, l’espoir, la peine – nous sommes tous touchés, des plus jeunes aux plus âgés. Il suffit de marcher dans la rue, on n’entend que ça : des gens qui essaient de donner du sens à tout ça, qui essaient de digérer. C’est un événement interminable, qui continue, encore et encore. »