Malgré le gel annoncé, le projet de loi sur la nomination des juges se poursuit
Des sources de la coalition et le secrétaire de la Knesset affirment qu'il s'agit d'une mesure "technique", mais les députés de l'opposition sont furieux
Les députés de l’opposition ont manifesté leur mécontentement mardi matin lorsqu’il est apparu qu’en dépit de l’annonce faite lundi soir par le Premier ministre Benjamin Netanyahu selon laquelle son gouvernement suspendait la réforme du système judiciaire afin d’entamer des négociations avec l’opposition, l’un de ses projets de loi les plus controversés avait néanmoins été soumis à la Knesset pour les votes finaux, ce qui lui permettrait d’être soumis à l’approbation à une date ultérieure.
Cette loi politiserait fortement la commission de sélection des juges et donnerait à la coalition un contrôle presque total sur la nomination des juges. La composition de la commission – qui partage actuellement le pouvoir entre les politiciens et les juges en ce qui concerne les nouvelles nominations à la Cour suprême – est sans doute la partie la plus controversée du texte, et la question pour laquelle un compromis est le plus difficile à trouver.
Le projet de loi – qui donnerait au gouvernement un droit de regard exclusif sur les deux premiers sièges de la Cour suprême qui deviendraient vacants au cours de son mandat, suivi d’un veto mutuel dans la situation peu commune où un troisième ou un quatrième juge serait choisi au cours d’un seul mandat – a été approuvé lundi par la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice en vue de sa lecture finale au sein de la plénière de la Knesset.
Le dépôt du projet de loi auprès du secrétaire de la Knesset permet à la coalition de convoquer les votes finaux avec un préavis de 24 heures. La Knesset entamera le 2 avril son congé parlementaire d’une durée d’un mois.
La décision a été prise quelques heures avant que Netanyahu n’appelle à une suspension du processus législatif, mais elle n’a été annoncée que mardi matin.
Le secrétaire de la Knesset et des sources de la coalition ont été cités par le site d’information Ynet comme ayant déclaré que la décision était « technique » et n’indiquait pas l’intention de la soumettre au vote prochainement, mais plusieurs députés de l’opposition ont déclaré que cette décision constituait un « pistolet sur la tempe » de l’opposition à la table des négociations.
« Le public n’a même pas eu une journée entière pour digérer la suspension des travaux législatifs, et la coalition soumet déjà le projet au vote », a déclaré la députée Naama Lazimi (Avoda). « Qu’y a-t-il de si urgent ? »
« Netanyahu n’a pas besoin de le déposer. Comment le projet peut-il être modifié maintenant ? », s’est interrogée la députée Orna Barbivai (Yesh Atid), membre de l’équipe de négociation du parti d’opposition sur le projet de loi.
La députée Yulia Malinovsky (Yisrael Beytenu) a déclaré que « tout ce que Netanyahu a fait hier visait à calmer la rue, [mais] il semble qu’il n’y ait aucune intention de changer le projet de loi ».
« Netanyahu a encore menti. Au lieu d’entamer un véritable dialogue à la résidence présidentielle et d’apaiser les tensions au sein de la nation israélienne, la coalition crache au visage du public. Un véritable pistolet sur la tempe », a déclaré le chef de son parti, Avigdor Liberman.
Il s’agit d’un amendement à la Loi fondamentale quasi-constitutionnelle : Le Pouvoir judiciaire. Le projet de loi redessine la commission de sélection des juges de manière à ce que la coalition dispose d’une majorité automatique pour les deux premières nominations de juges à la Cour suprême au cours d’une législature de la Knesset. Si l’on ajoute à cela l’intention de la coalition de sélectionner le prochain président de la Cour suprême, qui siégera également à la commission, la coalition aura une influence sur un nombre suffisant de membres de la commission pour contrôler n’importe quelle nomination à la Cour.
Actuellement, la commission de sélection des juges, composée de neuf membres, nomme les juges de la Cour suprême à la majorité de sept voix et les juges des juridictions inférieures à la majorité simple de cinq voix. Trois hommes politiques de la coalition, un député de l’opposition, trois juges de la Cour suprême et deux membres de l’Association du Barreau israélien siègent à la commission, ce qui signifie qu’un compromis entre les représentants politiques et professionnels est nécessaire pour nommer un juge de la Cour suprême.
La proposition de la coalition bouleverserait à la fois la composition de la commission et les seuils de vote. Le projet de loi élargit le nombre total de membres de la commission à 11 et la représentation de la coalition en son sein à six membres. L’opposition peut choisir deux députés pour siéger à la commission, tandis que la représentation de l’Association du Barreau israélien est entièrement supprimée. Trois juges – dont le président de la Cour suprême fait toujours partie, mais les deux autres places sont attribuées à tour de rôle en fonction de la Cour pour laquelle les nominations sont envisagées – complètent le panel.
Structurellement, la coalition aura la possibilité de faire adopter deux nominations à la Cour suprême à chaque législature de la Knesset avec seulement six voix sur onze. Toutes les autres nominations, à la Cour suprême comme dans les juridictions inférieures, requièrent sept voix.
Habituellement, un tel changement serait parrainé par le ministère de la Justice sous la forme d’un projet de loi gouvernemental, mais le ministre de la Justice, Yariv Levin, s’est heurté à la procureure générale. Le projet de loi est soutenu par la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, dont le président, le député Simcha Rothman (Hatzionout HaDatit), s’est fait l’écho de Levin en déclarant que le remaniement créera une Cour plus diversifiée, comprenant davantage de personnes nommées par la droite.
Les opposants à ce changement l’accusent de politiser le système judiciaire et de porter atteinte à l’indépendance de la justice si les juges peuvent rattacher leurs sièges à certains camps politiques.
Le remaniement judiciaire prévu par le gouvernement a suscité une opposition généralisée dans tout Israël, avec des personnalités juridiques, sécuritaires et économiques de premier plan qui ont averti que cette mesure saperait la démocratie en supprimant le système d’équilibre des pouvoirs et qu’elle nuirait ainsi à la sécurité et à l’économie du pays.
Face aux manifestations de masse et aux grèves, Netanyahu a déclaré lundi qu’il reportait temporairement la réforme du système judiciaire tant controversée de son gouvernement, afin de laisser la place à un dialogue.