« Où était le monde? » demande l’ex-otage Eli Sharabi à l’ONU
Affamé, enchaîné, battu, il raconte l’horreur de sa captivité, accuse le Hamas de voler l’aide humanitaire et exhorte l’ONU à agir pour libérer les otages encore détenus

Lors d’un discours prononcé jeudi devant le Conseil de sécurité des Nations unies, Eli Sharabi, 53 ans, ex-otage enlevé le 7 octobre 2023 au kibboutz Beeri et libéré le mois dernier des geôles du groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza, a dénoncé la manière dont le Hamas détournait l’aide humanitaire fournie par l’ONU, la privant ainsi des otages israéliens et des civils gazaouis. Lors du pogrom du 7 octobre, les terroristes palestiniens ont tué sa femme et ses deux filles – ce qu’il a appris après sa libération le 8 février.
Voici le texte intégral de l’allocution prononcée le 20 mars 2025 par l’otage récemment libéré, Eli Sharabi devant le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) à New York.
Je m’appelle Eli Sharabi. J’ai 53 ans. Je suis revenu de l’enfer pour raconter mon histoire. Je vivais au kibboutz Beeri avec ma femme d’origine britannique, Lianne, et mes filles, Noiya et Yahel.
C’était une belle communauté. Nous étions tous animés par le désir de créer la meilleure vie possible pour nos enfants et nos voisins. À 16 ans, j’ai quitté Tel Aviv pour Beeri, à la recherche d’un foyer paisible, loin de la ville de béton. J’y ai trouvé une communauté aimante, et j’ai su que j’y fonderai ma famille et élèverai mes enfants.
Beaucoup ont demandé pourquoi nous vivions près de Gaza, mais pour moi, Beeri était un paradis. Lianne est arrivée de Bristol, au Royaume-Uni, comme volontaire. Elle ne devait rester que quelques mois, mais elle m’a rencontré et nous sommes tombés amoureux. Nous avons été mariés pendant 23 ans et avons eu deux merveilleuses filles et un chien, Mocha.
Le 7 octobre, mon paradis s’est transformé en enfer. Les sirènes ont commencé à retentir. Les terroristes du Hamas ont envahi le pays. J’ai été arraché à ma famille que je n’ai jamais revue. Pendant 491 jours, j’ai été détenu principalement sous terre, dans les tunnels terroristes du Hamas, enchaîné, affamé, battu et humilié. J’ai été retenu captif dans l’obscurité, coupé du monde par les terroristes du Hamas.
Ils prenaient plaisir à nous faire souffrir. J’ai survécu grâce à des restes de nourriture, sans soins médicaux, sans pitié. Je pesais seulement 44 kilos à ma libération, j’avais perdu plus de 30 kilos.
Pendant 491 jours, je me suis accrochée à l’espoir. J’ai imaginé la vie que nous allions reconstruire. Je rêvais de revoir ma famille. Ce n’est qu’à mon retour que j’ai appris la vérité : ma femme et mes filles avaient été massacrées par des terroristes du Hamas le 7 octobre.
Je suis ici aujourd’hui, moins de six semaines après ma libération, pour parler au nom de ceux qui sont encore prisonniers de ce cauchemar. Pour mon frère Yossi, assassiné en captivité par le Hamas, dont la dépouille est toujours retenue en otage.
Pour Alon Ohel, toujours 50 mètres sous-terre, à qui j’ai juré que je raconterai son histoire. Pour Hersh, Ori, Eden, Carmel, Almog et Alexander, exécutés de sang-froid par leurs ravisseurs. Pour tous les otages encore aux mains du Hamas.
Je suis ici pour vous raconter toute la vérité.
Le matin du 7 octobre, à 6h29, les alertes rouges ont commencé à s’afficher sur le téléphone de Lianne. Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter. « Ce sera vite terminé », je lui ai dit. Quelques minutes plus tard, nous avons appris que des terroristes infiltraient notre communauté. Ils étaient déjà dans le kibboutz. Encore une fois, je l’ai rassurée : l’armée va arriver. Elle vient toujours.
Nous avons entendu des coups de feu, des cris, des explosions. Puis nous avons entendu les terroristes à notre porte. Nous n’avions aucune arme, aucun moyen de nous défendre. Lianne et moi avons pris la décision de ne pas résister. Nous espérions pouvoir sauver nos filles.
La porte s’est ouverte, notre chien a aboyé, les terroristes ont ouvert le feu. Lianne et moi nous sommes jetées sur nos filles en criant aux terroristes d’arrêter. Soudain, dix terroristes armés étaient à l’intérieur de ma maison. Ils ont pris nos téléphones. Deux d’entre eux m’ont saisi.
Ils ont emmené ma femme et mes filles dans la cuisine. Je ne les voyais plus. Je ne savais pas ce qui leur arrivait. Je criais leurs noms et elles criaient le mien. J’ai dit à Lianne de ne pas avoir peur. Mais c’était une peur que je n’avais jamais ressentie.
Puis j’ai compris qu’ils allaient m’emmener. Alors qu’ils me traînaient dehors, j’ai crié à mes filles : ‘Je reviendrai’. Je devais y croire. Mais c’est la dernière fois que je les ai vues. Je ne savais pas que j’aurais dû leur dire au revoir, pour toujours.
Dehors, c’était une zone de guerre. Ma maison paisible, mon coin de paradis avait disparu. J’ai vu plus d’une centaine de terroristes se filmer, célébrer, rire, faire la fête dans nos jardins pendant qu’ils massacraient mes amis et mes voisins. Ils m’ont traîné dehors, jusqu’à la barrière, jusqu’à la frontière, en me battant tout au long du trajet.
Mon visage était tuméfié, mes côtes meurtries. Lorsque nous sommes arrivés à Gaza, une foule de civils a tenté de me lyncher. Ils m’ont extirpé de la voiture, mais les terroristes m’ont précipité dans une mosquée. J’étais leur trophée.
Lorsque nous sommes arrivés à Gaza, une foule de civils a tenté de me lyncher
Je pensais à Lianne, Noiya et Yahel. Étaient-elles encore en vie ? Pendant les 52 premiers jours, j’ai été détenu dans un appartement. J’étais ligoté avec des cordes. Mes bras et mes jambes étaient attachés si étroitement que les cordes me lacérait la peau. On ne me donnait presque rien à manger, presque rien à boire. Je ne pouvais pas dormir. La douleur était insupportable. Parfois, je m’évanouissais sous la douleur, puis je revenais à moi… avec la même douleur, encore et encore.
Puis, le 27 novembre 2023, le Hamas m’a transféré dans un tunnel, à 50 mètres sous terre. Là encore, les chaînes étaient si serrées qu’elles m’arrachaient la peau. Ils ne les ont jamais enlevées. Pas un seul instant. Ces chaînes m’ont déchiré jusqu’au jour de ma libération. Je ne pouvais faire que des pas de dix centimètres. Chaque passage aux toilettes prenait une éternité. Je ne peux pas commencer à décrire l’agonie. C’était l’enfer.
On me donnait un morceau de pita par jour, peut-être une gorgée de thé. La faim dépassait tout. Ils m’ont battu, ils m’ont cassé les côtes. Je m’en moquais. Je voulais juste un morceau de pain. Il n’y avait jamais assez à manger. Parfois, si nous les suppliions suffisamment, nous obtenions quelque chose en plus. Nous devions choisir un morceau de pita supplémentaire ou une tasse de thé. Parfois, ils nous jetaient des dattes sèches, et c’était, pour nous, le plus beau cadeau du monde.
Nous devions supplier pour obtenir de la nourriture, supplier pour utiliser les toilettes. Supplier était devenu notre quotidien. Nous élaborions des stratégies pour chaque repas. Un jour, je me suis coupé avec un rasoir, juste pour leur faire croire que j’étais blessé. Je me suis effondrée en allant aux toilettes, pour qu’ils pensent que j’étais trop faible et les encourager à nous donner plus de nourriture. Et ça a marché. Ils nous ont donné plus de nourriture. C’est grâce à ces petites victoires que nous avons survécu.
Savez-vous ce que signifie ouvrir un réfrigérateur ? C’est tout. Pouvoir tendre la main et prendre un fruit, un œuf, un morceau de pain. Je rêvais chaque jour de ce geste simple. Pendant des mois, nous avons vécu ainsi. J’ai cessé de compter les jours.
Quand on est otage, on ne sait pas comment la journée va commencer, ni comment elle va se terminer, si on va vivre ou mourir. À tout moment, ils peuvent venir vous frapper. À tout moment, ils peuvent vous tuer. Vous vous réveillez tous les jours sans savoir quand vous mangerez. Cela peut être à midi, à 17 heures, à 23 heures. Ce sera le seul repas de la journée. Vous espérez, vous priez, pour qu’il n’y ait pas de surprise de la part des ravisseurs.
Vous pensez à votre envie désespérée de prendre une douche. Nous n’avions droit qu’à un seul bain par mois, avec un demi seau d’eau froide. Le dentifrice, le papier toilette, cela n’existait tout simplement pas.
La terreur psychologique était constante. Chaque jour, ils nous disaient : « Le monde vous a abandonnés. Personne ne vient ». Quand j’ai rencontré Alon Ohel, qui a aujourd’hui 24 ans, nous avions déjà enduré une captivité terrible. Nous comptions l’un sur l’autre pour survivre. Alon est un pianiste très talentueux. Je me souviens que nous faisions semblant de jouer du piano sur son corps pour l’aider à rester sain d’esprit.
(Sharabi montre une affiche d’Alon.)
Il ne ressemble plus à ça.
Un jour, un terroriste a déversé sa rage sur moi. Il a fait irruption et m’a frappé si violemment qu’il m’a brisé les côtes. Je n’ai pas pu respirer correctement pendant des mois. Alon a essayé de me protéger avec son propre corps. Vous ne pouvez pas comprendre à quel point je me suis senti chanceux lorsqu’il m’a dit qu’il avait gardé une pilule contre la douleur. Il me l’a donnée pour que je puisse passer la nuit.
Alon a encore des éclats d’obus dans l’œil droit depuis le jour de son enlèvement. Il n’a jamais reçu de soins médicaux. Il n’a jamais vu la Croix-Rouge. Aujourd’hui encore, il est aveugle de cet œil. À ma libération, il s’est accroché à moi, il était terrifié à l’idée d’être abandonné. Il m’a dit qu’il était heureux pour moi. Je lui ai promis que ce n’était qu’une question de jours avant qu’il ne rentre lui aussi à la maison. J’avais tort.
Juste avant ma libération, le Hamas a pris plaisir à me montrer une photo de mon frère Yossi.
(Sharabi montre une affiche de son frère.)
C’est mon frère aîné. Le mari de Nira, le père de Yuval, Ophir et Oren. Ils m’ont dit qu’il était mort. C’était comme s’ils m’avaient asséné un énorme coup de marteau. Je refusais d’y croire. Mon frère Yossi était un homme au grand cœur. Ceux qui étaient détenus avec lui m’ont raconté qu’il donnait sa nourriture aux autres.

Le 8 février 2025, j’ai été libéré. Je pesais 44 kg. C’est moins que ce que pesait ma fille cadette, Yahel, que sa mémoire soit bénie. Je n’étais plus qu’une coquille vide. Je le suis encore.
(Sharabi montre une photo de lui avant son enlèvement et le jour de sa libération.)

Je n’arrivais pas à croire à quoi je ressemblais. Je me tenais là, dans cette cérémonie macabre orchestrée par le Hamas, entouré de terroristes et d’une foule de civils soi-disant non impliqués, espérant que ma femme et mes filles m’attendaient.
À la fin de la journée, j’ai rencontré une représentante de la Croix-Rouge. Elle m’a dit : « Ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité maintenant. » En sécurité ? Comment pouvaient-ils se sentir en sécurité entouré de monstres terroristes ? Où était la Croix-Rouge depuis 491 jours ?
Puis je suis arrivé à la maison. On m’a dit que ma mère et ma sœur m’attendaient. J’ai dit : « Amenez-moi ma femme et mes filles ». C’est à ce moment-là que j’ai compris. Elles n’étaient plus là. Elles avaient été assassinées.
(Sharabi montre une photo des tombes de sa famille.)
Si je suis ici aujourd’hui, c’est parce que j’ai survécu, parce que je me suis accroché. Mais cela ne suffit pas. Pas tant qu’Alon Ohel est toujours là-bas. Pas tant que 59 otages sont encore retenus. À cet instant même, Alon est coincé sous terre, seul, entouré de terroristes qui le tourmentent. Il ne sait pas s’il reverra un jour sa mère, son père, toute sa famille bien-aimée.
Je ne l’abandonnerai pas. Je n’abandonnerai personne. Il est presque trop tard déjà. Je suis ici devant vous pour témoigner et pour demander : où étaient les Nations unies ? Où était la Croix-Rouge ? Où était le monde ?
Je sais que vous débattez très souvent de la situation humanitaire à Gaza. Mais laissez-moi vous dire, à titre de témoin direct, j’ai vu ce qu’il advenait de l’aide [humanitaire] : le Hamas vole cette aide.
J’ai vu des terroristes du Hamas transporter dans les tunnels des cartons portant les logos de l’ONU et de l’UNRWA. Des dizaines et des dizaines de boîtes payées par vos gouvernements. Elles ont servi à nourrir les terroristes qui m’ont torturé et qui ont assassiné ma famille. Ils prenaient plusieurs repas par jour à partir de cette aide, devant nous — mais nous, nous n’en recevions jamais rien.
Et pendant tout ce temps, personne n’est venu. Et personne à Gaza ne m’a aidé. Personne. Les civils de Gaza nous voyaient souffrir et ils applaudissaient nos ravisseurs. Ils étaient clairement complices
Lorsque vous parlez d’aide humanitaire, n’oubliez pas ceci : pendant que les otages meurent de faim, le Hamas mange comme des rois. Le Hamas vole les civils. Le Hamas empêche l’aide de parvenir à ceux qui en ont vraiment besoin. Quatre cent quatre-vingt-onze jours. C’est le temps que j’ai passé à avoir faim. Le temps que j’ai passé enchaîné. Le temps pendant lequel j’ai supplié l’humanité. Et pendant tout ce temps, personne n’est venu. Et personne à Gaza ne m’a aidé. Personne.
Les civils de Gaza nous voyaient souffrir et ils applaudissaient nos ravisseurs. Ils étaient clairement complices
J’ai été libéré il y a moins de six semaines. J’ai rencontré le président Trump à la Maison Blanche et je l’ai remercié d’avoir obtenu ma libération et celle de beaucoup d’autres. J’apprécie ses efforts pour libérer ceux qui sont encore retenus en otage par le Hamas. Je lui ai dit : « Ramenez-les tous à la maison ». J’ai rencontré le Premier ministre Starmer au 10 Downing Street. Je lui ai dit : « Ramenez-les tous à la maison ».
Aujourd’hui, je me tiens devant vous, ici, aux Nations unies, pour vous dire : Ramenez-les tous à la maison.
Plus d’excuses, plus de délais. Si vous défendez l’humanité, prouvez-le. Ramenez-les tous à la maison.
Je m’appelle Eli Sharabi. Je ne suis pas un diplomate. Je suis un survivant.
Ramenez-les tous à la maison, maintenant.
Je vous remercie.