Israël en guerre - Jour 423

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  • Mémorial de Yad Vashem, Jérusalem, 1981. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)
    Mémorial de Yad Vashem, Jérusalem, 1981. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)
  • Soirée privée, Paris, 1981. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)
    Soirée privée, Paris, 1981. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)
  • Autoportrait avec ma mère, Paris, 1983. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)
    Autoportrait avec ma mère, Paris, 1983. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)
  • Salle Gaveau, Paris, 16 mars 1981. (Crédit : Patrick Zachmann / mahJ)
    Salle Gaveau, Paris, 16 mars 1981. (Crédit : Patrick Zachmann / mahJ)
  • Parc des Buttes-Chaumont, 1983
À droite, Jacques et Hélène Grabstock. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)
    Parc des Buttes-Chaumont, 1983 À droite, Jacques et Hélène Grabstock. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)

Patrick Zachmann se confie sur son expo au mahJ : « Voyages de mémoire »

Avec quelque 300 œuvres exposées, le photographe nous plonge dans sa quête identitaire pour « montrer l’identité juive ‘intérieure’, invisible ». Troublant  !

Une visite d’exposition de photographies comme un miroir où les visages de chaque visiteur, quels que soient son parcours et son lien avec son judaïsme, se reflètent à son avantage ou avec ses défauts. Finalement, des ébauches de réponses à des questions identitaires que chacun se pose en ce début de XXIe siècle : d’où est-ce que je viens, qui suis-je et que dois-je transmettre ?

Pour la première fois, le mahJ a choisi de consacrer une exposition à un photographe vivant, Patrick Zachmann. « Voyages de mémoire » se tiendra jusqu’au 6 mars 2022.

Le photographe explique au Times of Israël comment l’exposition est arrivée par Paul Salmona, directeur du mahJ et féru de photographies : « Par une connaissance commune, nous sommes entrés en relation. Et puis les choses sont allées assez vite. Le mahJ en général et Paul Salmona en particulier sont sensibles à la photographie. Il est le co-commissaire avec moi de l’événement. »

« Honnêtement, je ne m’y attendais pas. C’était une très bonne surprise. Cela m’a fait plaisir à double titre. D’abord, ce qui m’a le plus réjoui, c’est d’exposer dans un lieu dédié à l’art et à l’histoire du judaïsme. Ce qui est exposé est lié au judaïsme dans le cadre de mes recherches personnelles, réalisées sans aucun soutien — que je n’avais pas demandé d’ailleurs —, et sans aucun lien avec la communauté ou ses institutions. C’était donc une manière de reconnaître tout ce travail dans le monde juif. Ensuite, en tant que photographe, c’est une fois l’exposition réalisée que ça me fait très plaisir. C’est mon exposition la plus aboutie et la plus ‘photographique’. En ce qu’elle relève du sens, du contenu et de la forme. J’ai fait un choix des images pour ce que les photographies disent, mais aussi pour leur force de composition, de lumière, etc. En résumé, c’est le travail en synergie d’une équipe qui s’est mise au service de ma créativité… », confie l’artiste.

Une photographie de ma mère datant des années 1940, Nice, 2011. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)

Fascinant, le parcours expose quelque 300 œuvres, dont de nombreuses photographies inédites, prises de la fin des années 1970 aux années 2015, accompagnées de commentaires de l’auteur qui les exhaussent.

Un film, « La Mémoire de mon père », et une bande-annonce de « Mare Mater » sur sa mère accompagnent également la visite. Comme une histoire juive. Son père et sa mère, des figures tutélaires très présentes qui sont les fils conducteurs des voyages dans lesquels nous entraîne le photographe, rythmés par les questions identitaires qu’il soulève en y répondant personnellement. Quid de la quête de mémoire, l’exil et la dispersion, puis l’oubli que les nouvelles générations tentent d’effacer ? Quid de la confrontation des destins à la fois pluriels et singuliers des individus juifs au XXe siècle avec ceux des populations du monde entier ? Et si finalement, le destin juif éclairait celui des autres, parvenant même à se confondre, comme un humanisme.

Mais de qui parle-t-on finalement : du regard du photographe ou du message qu’il souhaite transmettre au visiteur ? Les deux, sans doute, et ce n’est pas un hasard si les légendes sont écrites à la première personne, le « je » de Patrick Zachmann, né d’un père ashkénaze dont la famille a été touchée par la Shoah et d’une mère séfarade, de parents ayant dû être arrachés à leur Algérie natale.

Finalement, deux histoires douloureuses, deux exils, deux tentatives d’oubli, et la quête d’une double mémoire d’un de leurs descendants. Et c’est ainsi que cette exposition expose les fruits de la longue enquête de Patrick Zachmann sur les Juifs de France, à la recherche de sa propre identité qui relaie celle de tous les autres.

« Je suis devenu photographe parce que je n’ai pas de mémoire. La photographie m’a permis de reconstituer les albums de famille que je n’ai jamais eus, les images manquantes devenant le moteur de ma recherche. Les planches-contact sont mon journal intime. Mes premières photos professionnelles, mon premier reportage, c’était en 1979, et je croyais que ce travail ne durerait que le temps de publier un sujet dans un magazine. Je ne savais encore rien sur l’histoire de ma famille, ni sur le judaïsme. Pendant des mois, j’ai suivi des Juifs orthodoxes, des hassidim, principalement des Loubavitch. À mes yeux, les Juifs, c’étaient eux, pas moi ! Il est facile de montrer des Juifs ‘visibles’, avec une barbe et un shtreimel (chapeau de fourrure) ou une kippah. Montrer l’identité juive ‘intérieure’, invisible, sans signe extérieur, est beaucoup plus complexe », explique le professionnel.

Prière, rue des Rosiers, Paris, 1979. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)

Le parcours de l’exposition s’articule autour de trois parties : « Enquête d’identité », « Enquêtes de mémoire » et « Le voyage à l’envers ».

« Je suis parti de mon histoire personnelle ou celles des autres. Je suis un narrateur, car la belle image isolée, même si je la recherche, ne me suffit pas. Ce que j’aime c’est raconter, ce qui m’intéresse c’est la séquence, l’addition de plusieurs images pour aboutir à une unité visuelle », précise Patrick Zachmann au Times of Israël.

Ainsi, le photoreporter de l’Agence Magnum cite souvent Diane Arbus : « Cette photographe juive américaine disait que, plus vous êtes spécifique, plus vous devenez universel. Et je trouve ça extrêmement juste. Je souhaite être universel. Par les retours que je reçois de l’exposition, ce qui me trouble, c’est quand des non-Juifs me disent qu’ils sont touchés. Un ami non-juif m’a dit : ‘En sortant de ton exposition, on se sent tous Juifs !’ Je suis contre tous les ghettos. C’est une petite pierre apportée dans cette lutte contre toutes les formes d’exclusion. Si on s’identifie, c’est gagné, car les Juifs n’appartiennent plus à une identité abstraite, mais sont une façon de faire connaître l’autre. »

En quête de son identité dans la première partie, le photographe nous guide dans son histoire au travers de plusieurs thématiques : « Une identité visible », « Survivants », « Résurgences antisémites », « Pourvu qu’on ait l’ivresse », « Une identité intérieure », « Au parc des Buttes-Chaumont » et « Un long détour ».

Parc des Buttes-Chaumont, 1983. À droite, Jacques et Hélène Grabstock. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)

De Paris à Marseille, de la rue des Rosiers aux Buttes-Chaumont, des plus orthodoxes aux plus laïcs, de la communauté Loubavitch aux grossistes du Sentier, des derniers typographes communistes du quotidien yiddish Naye Presse aux Juifs les plus « invisibles », l’œil de Patrick Zachmann saisit les différentes facettes de la judaïcité française, alors même que, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, se produisent en France des attentats antisémites. Et, pressentant ce que l’on nommera bientôt « l’ère du témoin », il photographie le premier rassemblement de survivants de la Shoah à Jérusalem en 1981. Cette année semble particulièrement importante dans son parcours, car de nombreuses œuvres exposées datent de 1981.

Sa quête de mémoire se dévoile dans la seconde partie. « Auschwitz, 2000 », « Afrique du Sud, 1990 », « Chili, 1999 », « Rwanda, 2000 », « Hongrie, 2004 », « Pologne et Ukraine, 2014-2015 ».

Cimetière de Bagneux, 1981. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)

Le Juif serait le témoin des souffrances des autres nations. C’est pourquoi ses travaux ultérieurs suffiraient à le justifier.

En effet, membre depuis 1985 de la prestigieuse agence Magnum, il réalise de nombreux reportages hors de France.

Son activité le mène en Afrique du Sud en 1990 pour la libération de Nelson Mandela, où il assiste à une manifestation de partisans de l’apartheid, avec croix gammées et chemises brunes.

Il parcourt le Chili en 1999, sur les traces des camps de prisonniers politiques dans le désert d’Atacama. Du Rwanda en 2000, six ans après le génocide des Tutsis, il rapporte des portraits de survivants et des images d’ossuaires qui évoquent implacablement l’ampleur du crime de masse.

La même année, il fait le voyage à Auschwitz-Birkenau, où furent assassinés ses grands-parents paternels, et en revient avec des images glaçantes. En contrepoint, dans les années 2010, reparti en Pologne et en Ukraine, il prend des photographies inattendues et joyeuses des pèlerinages de Juifs orthodoxes sur les tombes des fondateurs du hassidisme.

« Le voyage à l’envers » conclut le parcours. En retournant aux origines de sa famille maternelle, il arpente l’Oranie et l’Est marocain pour retrouver les vestiges de ce judaïsme d’Afrique du Nord présent durant des temps immémoriaux, et qui constitue aujourd’hui au Maghreb un « monde disparu », à l’instar de celui de sa famille paternelle d’origine polonaise.

« Pendant des années, j’ai repoussé le moment d’un travail sur ma mère analogue à celui effectué sur mon père en 1995. Il m’a fallu atteindre l’âge de 55 ans pour interroger ma mère sur son passé. De son enfance, je n’avais ni photo – un comble pour un photographe — ni récit de l’histoire familiale. De même que mon père ne nous a quasiment jamais parlé de son passé polonais, pour des raisons différentes, ma mère ne nous a rien raconté de l’Algérie. J’ai commencé à filmer ma mère en 2011. Âgée de 90 ans, elle souffrait de graves troubles de la mémoire. De l’Algérie, elle ne se souvenait de presque rien, sauf d’avoir voulu oublier ses origines et la pauvreté. Elle était née à Oujda dans l’est du Maroc — où la majeure partie de sa famille paternelle avait émigré —, puis avait grandi à Aïn Témouchent dans l’ouest de l’Algérie. Je suis alors parti à la recherche de mes origines, des images manquantes de mon album de famille. Cette recherche des racines de ma mère a donné le film ‘Mare Mater’ sorti en 2013, où je confronte ma propre histoire familiale à celle des migrants d’aujourd’hui », raconte le photographe.

Un film dont on peut voir la bande-annonce avant de quitter l’exposition.

Auparavant, deux murs de photographies se présentent : « Algérie, 2011 ». « En 2011, comprenant que je n’obtiendrai pas plus d’informations sur mes grands-parents et sur l’enfance de ma mère pour m’aider à reconstituer cette histoire enfouie, je décide de partir sur ses traces, en Algérie, à Aïn Témouchent puis à Tlemcen où est enterré mon arrière-grand-père. Soixante-dix ans après le départ de ma mère vers la France, je fais le voyage à l’envers », dit l’artiste-photographe.

Quel résultat pour Patrick Zachmann ? « L’exposition est telle que je pouvais l’imaginer ou espérer et même au-delà. Je m’expose aussi, je me mets à nu. J’étais tellement investi que quand on a accroché, j’ai commencé à douter. J’étais quand même le chef d’orchestre et j’avais peur. Il y a toujours un moment difficile quand un travail privé devient public parce qu’il nous échappe. Mais j’ai reçu de tels retours, tellement touchants et élogieux qu’à ce moment-là seulement, on se rend compte que c’est réussi. Je n’ai jamais eu ce retour aussi unanime. »

Monsieur et Madame Friedmann, Paris, 1981. (Crédit : Patrick Zachmann / Magnum Photos)

Finalement, c’est une histoire universelle qui défile devant les yeux des visiteurs : celle d’un peuple-monde universel, rassemblé par ses joies et ses souffrances.

Et Patrick Zachmann de nous avouer : « Quand on est photographe et qu’on passe notre temps à photographier les autres, il faut aussi faire un travail sur soi pour se connaître et être en paix avec soi-même et avec le monde. Cette exposition est le point d’orgue de ma quête identitaire : j’ai dit ce que j’avais à dire. C’est souvent long et douloureux, il faut être poussé par la nécessité, mais j’ai l’impression d’avoir bouclé la boucle du côté ashkénaze et séfarade. J’ai parlé des autres aussi. Je suis en paix avec moi-même et avec les autres, sans l’être avec le monde. J’espère que ceux qui verront l’exposition et liront le catalogue seront en apathie. Et puis, le fait qu’un média israélien comme le Times of Israël consacre un article à mon travail me ravit, car j’ai photographié beaucoup en Israël sans n’y avoir jamais travaillé. C’est aussi une sorte de reconnaissance qui m’émeut… »

Une exposition cathartique à vivement recommander !
______

Exposition : Patrick Zachmann, « Voyages de mémoire », jusqu’au 6 mars 2022, au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, au 71 rue du Temple, 75003 Paris.

Catalogue : Patrick Zachmann, Voyages de mémoire, coédition mahJ — Atelier EXB, 244 pages, 39 euros. En vente à la librairie du mahJ.

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