Israël en guerre - Jour 629

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Une étude pionnière combinant datation au radiocarbone et intelligence artificielle a jeté un nouvel éclairage sur la chronologie des manuscrits de la mer Morte. L'étude a été publiée sur PLOS ONE le 4 juin 2025. (Emil Aladjem/Autorité des antiquités d'Israël)

Révolution dans la datation des manuscrits de la mer Morte : de quoi réécrire l’histoire d’Israël ?

Selon ce nouvel outil, combinaison d’IA et de datation au radiocarbone, les précieux artefacts pourraient avoir été écrits des décennies, voire des siècles, plus tôt

Une étude pionnière combinant datation au radiocarbone et intelligence artificielle a jeté un nouvel éclairage sur la chronologie des manuscrits de la mer Morte. L'étude a été publiée sur PLOS ONE le 4 juin 2025. (Emil Aladjem/Autorité des antiquités d'Israël)

Selon les conclusions d’une étude révolutionnaire, mélange de savoir traditionnel et d’intelligence artificiel, les manuscrits de la mer Morte pourraient bien avoir été écrits des dizaines, voire des centaines d’années plus tôt que ce que les chercheurs pensaient jusqu’alors.

Ces résultats pourraient amener à revoir la compréhension qu’ont les chercheurs de l’histoire de l’ancien Israël, conclut cette toute nouvelle étude publiée mercredi sur PLOS ONE.

Jusqu’à présent, les chercheurs avaient coutume de dater les textes en fonction de leur paléographie – soit la forme du lettrage – mais les chercheurs de cette équipe interdisciplinaire ont jeté leur dévolu sur la datation au carbone des fragments d’une trentaine de rouleaux détenus par l’Autorité des antiquités d’Israël.

Une fois la datation effectuée, des images en haute résolution des lettres hébraïques et araméennes des rouleaux datés avec certitude ont été introduites dans un modèle de prédiction de données adossé à l’IA baptisé avec humour « Enoch ».

Fondé sur l’analyse géométrique de la forme des caractères et l’apprentissage des caractéristiques paléographiques des rouleaux horodatés, Enoch a ensuite extrapolé les formes paléographiques pour dater d’autres rouleaux n’ayant pas encore subi de tests au radiocarbone, lesquels endommagent les matériaux.

Le système a été utilisé pour étudier des images en haute résolution de 135 rouleaux avant vérification par des paléographes humains : dans 79% des cas, la datation d’Enoch s’est avérée exacte.

« Notre objectif était de résoudre le problème de la datation des manuscrits de la mer Morte », explique le professeur Mladen Popović, directeur de l’Institut Qumran de l’université de Groningue, aux Pays-Bas et co-auteur de l’étude.

« Nous avons souhaité combiner plusieurs disciplines, dont la datation au radiocarbone et la physique, l’analyse par l’intelligence artificielle, la paléographie, l’histoire et la philologie », précise-t-il au Times of Israel lors d’une interview vidéo. « C’est un véritable travail d’équipe. »

Le nouveau modèle open source d’Enoch ouvre des possibilités sans précédent pour réexaminer la chronologie de centaines de rouleaux découverts dans le désert de Judée au fil du temps, estiment les auteurs de l’étude, qui s’en expliquent au Times of Israel.

Les premiers résultats ont d’ores et déjà révélé que deux de ces manuscrits bibliques sont, semble-t-il, postérieurs aux autres.

Cette étude est, en quelque sorte, la partie finale du projet décennal « Les mains qui ont écrit la Bible », financé par le Conseil européen de la recherche.

Selon le professeur Eibert Tigchelaar, expert des manuscrits de la mer Morte de l’université de Louvain, en Belgique, s’agissant des manuscrits de la mer Morte, quelques dizaines d’années de différence au niveau de la datation ont leur importance dans la mesure où elles situent les artefacts dans des contextes culturels et politiques radicalement différents.

Jusqu’à présent, rappelle Tigchelaar, la chronologie des manuscrits de la mer Morte – collection d’un millier de rouleaux datant du IIIe siècle avant notre ère au Ier siècle de notre ère – était presque exclusivement basée sur des comparaisons paléographiques suggérées par un article universitaire de 1961.

« Le système a utilisé comme points de départ des manuscrits araméens datés des Ve et IVe siècles avant notre ère, en provenance d’Égypte et de Samarie, et des textes hébreux du Ier siècle de notre ère comme point d’arrivée », détaille-t-il.

Tigchelaar explique que c’est en s’appuyant uniquement sur l’analyse visuelle de la forme des lettres, sur plusieurs siècles et sans datation par d’autres moyens, que les chercheurs ont développé un cadre chronologique valable pour les manuscrits de la mer Morte. Ce cadre était basé sur l’hypothèse que l’écriture avait évolué lentement avant de s’accélérer au cours de la période hasmonéenne.

La salle du livre du musée d’Israël, où sont exposés les manuscrits de la mer Morte, le 2 mai 2018. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)

Popović souligne que les 30 rouleaux utilisés dans cette étude ont été soigneusement sélectionnés pour représenter le plus large éventail possible de manuscrits. Les chercheurs ont travaillé en étroite collaboration avec l’Autorité des antiquités d’Israël, service chargé de la protection des artefacts anciens.

Dans la mesure où l’analyse au carbone 14 implique de prélever de minuscules fragments de parchemin, ce qui endommage les rouleaux, même à la marge, les chercheurs se sont rapprochés de l’Autorité des antiquités d’Israël pour sélectionner les meilleurs artefacts pour leur étude.

« Nous avons sélectionné les rouleaux destinés à la datation au carbone 14 en fonction de leur style d’écriture, que nous qualifions de formel, semi-formel ou semi-cursif », explique Popović. « Nous avons par ailleurs dû trouver des parchemins avec suffisamment de caractères pour entraîner le modèle. »

Les défis de la datation au radiocarbone

La datation au C-14 avait, pour certains rouleaux, déjà été effectuée ces dernières dizaines d’années, mais cette étude est la première pour laquelle les scientifiques ont prétraité les morceaux de parchemin afin d’en éliminer tous les éléments chimiques susceptibles de contaminer les matériaux et donc de fausser les résultats, ajoute Tigchelaar.

Selon la professeure Elisabetta Boaretto, directrice du laboratoire de datation au radiocarbone D-REAMS de l’Institut Weizmann des sciences, le prétraitement des artefacts avant la datation au radiocarbone est indispensable pour effectuer les tests sur les manuscrits de la mer Morte.

Prof. Mladen Popović, directeur de l’Institut Qumran de l’Université de Groningue aux Pays-Bas. (Autorisation)

« Chaque rouleau est différent et s’est conservé dans des conditions différentes pendant des milliers d’années », explique la spécialiste au Times of Israel, par téléphone. « Il y a ainsi pu y avoir plus ou moins d’humidité [dans l’air], des bactéries différentes, des sources de contamination différentes. »

« Ce sont des artefacts très précieux et en quantité limitée », ajoute-t-elle. « Il est donc difficile de tester plusieurs méthodes pour garantir les résultats les plus fiables. »

L’Autorité des antiquités d’Israël a contacté Boaretto dans la toute première phase de l’étude afin d’expliquer comment sélectionner et manipuler les rouleaux pour la datation au radiocarbone, mais elle n’a pas pris part à cette étude.

« Les auteurs de cet article méritent des félicitations car ils ont tenté des choses différentes », poursuit-elle. « Ils ont utilisé une approche radicalement nouvelle pour répondre à la question de la date de rédaction de ces rouleaux. »

Elisabetta Boaretto, directrice du laboratoire de datation au radiocarbone D-REAMS de l’Institut Weizmann des sciences (autorisation)

Des résultats révolutionnaires

Plusieurs manuscrits se sont avérés plus anciens qu’on le pensait.

« C’est fascinant parce que cela change notre regard sur la communauté qui a produit ces manuscrits de la mer Morte, sur les personnes qui les ont collectés, écrits, lus », poursuit Popović. « Cela change aussi notre manière de penser l’histoire de la Judée. »

L’expert ajoute que cette nouvelle datation pose la question de la diffusion de l’alphabétisation.

Prof. Eibert Tigchelaar, expert des manuscrits de la mer Morte de l’Université de Louvain en Belgique. (Autorisation)

« On a souvent dit que la révolte des Maccabées [167-160 av. notre ère] et la dynastie hasmonéenne avaient stimulé l’urbanisation, comme en témoignent les vestiges archéologiques, l’apparition des fonctionnaires, et donc, l’alphabétisation », souligne Popović.

« Nous savons désormais que la diffusion de l’alphabétisation a précédé les Hasmonéens », ajoute-t-il. « Qu’est-ce que cela implique ? A quelqu’un d’autre d’y réfléchir et de nous le dire. »

Cette toute nouvelle étude révèle que la classification des manuscrits qui a longtemps prévalu, adossée aux différences entre l’écriture manuscrite des rouleaux « hasmonéens », antérieurs, et des rouleaux « hérodiens », ultérieurs, ne reflète pas précisément la réelle chronologie de ces périodes.

« Nous avons des preuves que le type hérodien était déjà là des décennies avant Hérode [lequel a régné sur la Judée entre 37 et 4 av. notre ère], peut-être dès le IIe siècle av. notre ère », suggère Popović. « Le type hasmonéen remonte lui aussi à plus tôt qu’on ne le pensait, dès la fin du 3ème siècle avant notre ère. »

A certains moments, les deux styles d’écriture ont coexisté.

Certains artefacts sont plus anciens que la communauté de Qumran, du nom des habitants des anciennes colonies près des grottes à l’intérieur desquelles la plupart des rouleaux ont été découverts.

Photo d’illustration des fouilles de Qumran, près de la mer Morte. (Shai Halevi, Autorité des antiquités d’Israël)

Ces découvertes impliquent de reconsidérer l’histoire culturelle de la terre d’Israël, car les phénomènes culturels associés à des moments historiques spécifiques semblent avoir commencé avant que les figures clés qui ont servi à les définir n’apparaissent.

« Nous n’avons à ce stade examiné que 10 % des rouleaux connus ; il reste beaucoup à faire », relève Popović.

Faire la lumière sur l’origine des ouvrages bibliques

Les chercheurs ont établi que deux manuscrits – 4Q114 et 4Q109 – présentant les livres bibliques de Daniel et de l’Ecclésiaste, étaient non seulement plus anciens qu’on ne le pensait, mais qu’ils avaient été rédigés en même temps que les tout premiers textes.

« La plupart des spécialistes s’accordent à dire que la deuxième partie de Daniel a été composée pendant la révolte hasmonéenne », explique Tigchelaar. « La datation au radiocarbone a permis de déterminer que le rouleau remontait à une période comprise entre 220 et 165 avant l’ère commune, soit plusieurs dizaines d’années avant ce que suggérait la classification paléographique traditionnelle. »

Le Dr Joe Uziel (à droite) et le Dr Eitan Klein (à gauche) de l’Autorité des antiquités d’Israël examinent une de leurs découvertes. (Yoli Scwhartz, Autorité des antiquités d’Israël)

Selon la tradition juive, l’Ecclésiaste a été composé par le roi Salomon au 10e siècle avant l’ère commune, mais la plupart des universitaires l’attribuent à un auteur anonyme du 3ème siècle avant l’ère commune. Une première fois daté du IIe siècle avant l’ère commune, il est situé par le modèle Enoch un siècle plus tôt.

« Cela signifie que ces manuscrits ne sont pas seulement les exemplaires les plus anciens qui nous soient parvenus, mais aussi les tout premiers de l’histoire », explique au Times of Israël dans un message écrit Joe Uziel, chef de l’unité des manuscrits de la mer Morte au sein de l’Autorité des antiquités d’Israël.

Uziel qualifie cette étude d’étape importante vers l’utilisation de l’intelligence artificielle et des outils numériques.

Le Grand Rouleau des Psaumes (11Q5) ainsi que le nouveau fragment contenant le Psaume 147:1. (Shai Halevi, Bibliothèque numérique des manuscrits de la mer Morte de Leon Levy)

« C’est d’autant plus étonnant que cette étude s’appuie sur une approche multidisciplinaire qui combine études analytiques et numériques dans le but de découvrir de nouveaux indices, dans ces manuscrits de la mer Morte, au sujet des sociétés du passé – particulièrement celles de la période du Second Temple, avec la culture juive à son apogée et le premier christianisme en plein essor », conclut-il.

« J’espère que cette tendance va trouver sa place dans l’étude des manuscrits de la mer Morte. »

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