« Those Who Remained » ou comment 2 survivants de la Shoah se font à leur nouvelle vie
Dans ce film hongrois de 2019, un homme et une jeune fille s'entraident alors que le régime communiste déploie de nouvelles menaces
Les pertes inimaginables occasionnées par la Shoah sont à l’origine du lien improbable qui se noue entre les protagonistes du long métrage hongrois « Those Who Remained », sorti dans les salles new yorkaises, au New Plaza, le 28 avril dernier.
Réalisé par le cinéaste Barnabás Tóth, le film est adapté d’un roman de Zsuzsa F. Várkonyi.
En 2014, le réalisateur rencontre Várkonyi dans le cadre d’une compagnie théâtrale spécialisée dans l’improvisation. C’est ainsi qu’il apprend l’existence de ce roman.
Sorti en Hongrie en 2019, le film a été diffusé dans une centaine de festivals de films juifs nord-américains, dont ceux de Boston, Chicago et Philadelphie. Il a été acclamé à Telluride en 2019.
Le drame personnel qui se joue entre le docteur Aldó et l’orpheline Klára, adolescente, se déroule entre deux événements majeurs de l’histoire hongroise, à savoir la Shoah et la prise de pouvoir communiste, après-guerre.
Tóth dit de la Shoah qu’elle « n’est toujours pas digérée, laissée telle quelle. Elle est toujours là, à Budapest, dans la mémoire des lieux. Au sein de chaque famille hongroise, des gens en ont souffert. » Et, quelques années après la guerre, il y a eu « la dictature russe et la terreur communiste… Pendant longtemps, la société a connu les déportations, l’emprisonnement, les exécutions. »
« Ces deux événements sont des tragédies », dit-il. « Il s’agissait alors de survivre. Il fallait continuer à vivre. Il fallait guérir ses traumatismes. »
Le film se déroule en 1948 à Budapest. Klára est en difficultés. Sujette à des souffrances physiques et émotionnelles, elle est par ailleurs en difficulté scolaire. A la sortie d’un orphelinat juif, elle est confiée à sa grand-tante Olgi, qui ne la comprend pas. Klára est interprétée par Abigél Szõke, une actrice « très demandée », précise Tóth. Elle a joué sur scène « Let the Right One In » et, sur le petit écran, dans la série HBO Max « The Informant ».
Au moment du tournage de « Those Who Remained », Szõke avait 18 ans, soit à peine plus que son personnage. À un moment où tout va mal dans sa vie, Klára rencontre par hasard Aldó, d’âge moyen.
Gynécologue-obstétricien, Aldó traite Klára et sympathise avec elle. Tous deux ont connu la famine en Hongrie, pendant la Seconde Guerre mondiale, et bien que Klára ne s’en rende pas immédiatement compte, Aldó souffre encore personnellement beaucoup du traumatisme de la Shoah, tout comme elle. Pour interpréter le rôle d’Aldó, Tóth a fait appel à Károly Hajduk, un de ses compagnons d’école d’art, devenu une star des planches.

« Il est doué, très détendu, très calme », explique Tóth. « Parfois, je me demande si ce n’est pas un robot. Il est tellement parfait, tellement digne de confiance. »
Ce duo improbable noue une véritable relation : Aldó offre à Klára une présence rassurante au milieu de la tourmente, tout comme elle.
« Leur relation évolue au fil du temps », précise Tóth.
Bien que leur relation demeure platonique, elle n’est pas dénuée d’ambiguïté. Klára souhaite vivre avec Aldó dans son appartement. Orpheline, elle se rapproche de lui et, comme dans un transfert, insiste pour dormir avec lui, dans son lit.

« Aldó voit en Klára une fille, une sœur, une amie proche », explique Tóth, alors que Klára « n’a jamais eu de frère et n’a pas vraiment eu de père… Elle n’a plus personne dans sa vie si ce n’est sa grand-tante, dont elle n’est pas proche, émotionnellement ou intellectuellement. Lorsqu’Aldó entre dans sa vie, tout d’un coup, très vite, il devient tout pour elle. »
Un autre lien fort s’établit chez Aldó lorsque Klára parcourt, en cachette, les albums photo. Elle y découvre les photos d’une vie dont il ne lui a jamais parlé – son mariage, sa famille, sa femme et leurs deux garçons. Cette scène dit l’incapacité d’Aldó de dire son chagrin de les avoir perdus.
« Il est tout simplement incapable d’en parler », explique Tóth. Le médecin range ses souvenirs à double tour dans le « tiroir le plus profond » de son esprit.
Tóth n’est pas juif et se dit athée, ce qui ne l’empêche pas de dire que « tous les êtres humains pensent à la Shoah » et que c’est « un événement à retenir, à ne jamais oublier ».

Dans le film, Klára repense à sa propre famille perdue lors de flashbacks, dans lesquels elle revoit son père et sa sœur cadette. C’est d’ailleurs la propre fille de Tóth qui est à l’écran la sœur de Klára.
« Je voulais que tous ces flashbacks soient de bons souvenirs », précise Tóth. « Je ne voulais pas montrer le traumatisme, mais les souvenirs idéalisés qu’elle aime se rappeler. »
Il ajoute : « Une chose qui n’est pas dans le film, mais dans le livre, c’est son conseil à Aldó lorsque la tristesse gagne ou la dépression s’en vient. Elle lui dit de regarder le soleil, par la fenêtre, de laisser la lumière du soleil éclairer son visage, de ne penser qu’à des choses positives à propos de sa famille. Après avoir vu les photos d’Aldó, elle s’applique ce conseil, se tourne vers la fenêtre, ferme les yeux et pense à des choses agréables. »

Aldó fait en sorte d’apporter de la stabilité à Klára. Il va voir ses professeurs, se lie d’amitié avec sa grand-tante Olgi et lui présente un ami médecin qui a adopté deux enfants survivants avec sa femme. Malgré tout, des problèmes surgissent. Une des professeures de Klára les aperçoit dans un parc et se méprend sur les marques d’affection qu’ils se témoignent. En parallèle, l’emprise du communisme se fait de plus en plus forte sur la Hongrie : l’ami médecin d’Aldó avoue d’ailleurs avoir été recruté pour espionner son collègue. Klára développe des sentiments pour Aldó qui rendent les choses difficiles lorsqu’il commence à sortir avec quelqu’un de son âge et qu’un camarade de lycée veut sortir avec elle. Toutes ces difficultés s’entremêlent, une nuit, lorsque la police secrète se rend dans l’immeuble d’Aldó.
« Aldó pense qu’il va partir pour toujours et être détenu dans un goulag », explique Tóth.
« Elle ne le laisse pas partir. »
Cette toile de fond communiste colle de très près à ce qu’a vécu la Hongrie, particulièrement entre la victoire électorale pro-soviétique de 1948 et le soulèvement anti-Moscou de 1956.
« Ces huit années ont été très difficiles pour la population », confie Tóth. « C’était une dictature d’après-guerre… Il y avait beaucoup d’espions », y compris « des agents forcés de faire certaines choses parce que leurs familles étaient en prison ou que leur travail ou leur maison leur avaient été confisqués ».
Il y a une fin heureuse possible dans « Those Who remained », sinon pour la Hongrie, du moins au niveau individuel pour Klára et Aldó.
« Les gens ont besoin de ce genre d’histoires émouvantes », estime Tóth. « J’espère qu’ils pourront la découvrir et la voir sur grand écran, ce pour quoi elle a été conçue. »