Israël en guerre - Jour 537

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Traumatisés et torturés : le dur périple des ex-otages vers la guérison

Alors que de nombreux experts du traumatisme affirment que l'humain a une remarquable capacité de résilience, des études montrent que les dégâts psychologiques de la captivité peuvent perdurer à vie

En haut, de gauche à droite : L'otage libéré Or Levy est embrassé par ses proches au centre médical de Sheba le 8 février 2025, peu après sa libération du Hamas ; Ohad Ben Ami retrouve ses filles Ella, Natalie et Yuli, ainsi que sa femme Raz, à l'hôpital d'Ichilov ; en bas : Eli Sharabi, dos à la caméra, est embrassé par son frère Sharon, à gauche, à l'hôpîtal Sheba. (Crédit : Armée israélienne/Haim Tsach/GPO)
En haut, de gauche à droite : L'otage libéré Or Levy est embrassé par ses proches au centre médical de Sheba le 8 février 2025, peu après sa libération du Hamas ; Ohad Ben Ami retrouve ses filles Ella, Natalie et Yuli, ainsi que sa femme Raz, à l'hôpital d'Ichilov ; en bas : Eli Sharabi, dos à la caméra, est embrassé par son frère Sharon, à gauche, à l'hôpîtal Sheba. (Crédit : Armée israélienne/Haim Tsach/GPO)

Les corps décharnés et visiblement hagards, les trois otages israéliens qui ont été libérés, la semaine dernière, par le Hamas dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu – Ohad Ben Ami, Eli Sharabi, et Or Levy – ont enfin retrouvé la liberté après 491 jours passés dans les geôles du groupe terroriste palestinien à Gaza. Ils doivent maintenant s’atteler à une tâche ardue – guérir et se rétablir. Une tâche dont l’accomplissement pourrait durer toute la vie.

« J’ai appris, dans le domaine du trauma… que même après beaucoup de souffrances, les êtres humains peuvent rebondir, ce qui est la traduction de la résilience au sens littéral du terme », déclare le docteur Danny Brom, directeur et fondateur de Metiv, Le Centre israélien du traumatisme psychologique, au Times of Israel.

Toutefois, une étude qui a été réalisée sur d’anciens prisonniers de guerre qui avaient été mis en détention pendant la Guerre de Kippour, en 1973, avait dévoilé que la captivité « entraîne des blessures psychologiques, somatiques et fonctionnelles à long-terme profondes ». L’étude avait été effectuée par le chef du Centre multidisciplinaire d’excellence pour la recherche sur le traumatisme de masse de l’université de Tel Aviv, la professeure Zahava Solomon, et par la professeure Rachel Dekel, de l’université de Bar-Ilan. Elle avait été présentée dans le Journal of Clinical Psychiatry.

Les anciens prisonniers de guerre « portent leurs blessures pendant très longtemps », avait écrit Solomon.

Certains des otages libérés de Gaza font face à de nouvelles tragédies à leur retour – par exemple, l’épouse de Sharabi et ses deux filles, des adolescentes, ont été assassinées lors du pogrom du 7 octobre 2023, comme cela a également été le cas de l’épouse de Levy. D’autres doivent se réadapter à des situations difficiles, ayant perdu leur maison, détruite par les terroristes, ou retrouver leur place dans des communautés qui se sont éparpillées depuis le massacre – « ce qui complique énormément les choses », indique Brom.

Et pourtant, même parmi les victimes de la Shoah, « la majorité n’a pas développé de psychopathologie. Bien sûr, rien n’a été oublié, mais la plupart d’entre eux ont été en mesure d’aller de l’avant et de vivre avec leurs souvenirs, avec leur douleur », ajoute Brom.

Trois otages israéliens, sur une scène avant d’être remis à la Croix-Rouge, à Gaza le 8 février 2025. (Crédit : Capture d’écran/YouTube)

Les otages qui ont été remis en liberté, ces dernières semaines, figuraient parmi les 251 personnes qui avaient été enlevées le 7 octobre 2023 – quand environ 3 000 terroristes placés sous la direction du Hamas avaient pris d’assaut le sud d’Israël, tuant plus de 1 200 personnes. Ce massacre avait été à l’origine de la guerre à Gaza.

Soixante treize des 251 otages enlevés ce jour-là se trouvent encore à Gaza – notamment les dépouilles d’au-moins 34 captifs dont la mort a été confirmée par l’armée israélienne.

Le Hamas a remis en liberté jusqu’à présent seize otages dans le cadre du cessez-le-feu qui a commencé au mois de janvier – des libérations qui ont eu lieu en échange de celle de centaines de prisonniers incarcérés sur le sol israélien pour atteinte à la sécurité nationale. Le groupe terroriste a aussi relâché cinq ressortissants thaïlandais qui avaient été kidnappés le 7 octobre dans le cadre d’un accord distinct.

L’ex-otage thaïlandais du Hamas, Pongsak Thenna (au centre) serrant un parent dans ses bras à son arrivée à l’aéroport international Suvarnabhumi, dans la province de Samut Prakarn, en Thaïlande, le 9 février 2025. (Crédit : Sakchai Lalit/AP)

Si le ministère de la Santé a affirmé que les hôpitaux étaient préparés à offrir aux captifs remis en liberté tous les soins médicaux et tout le soutien psychologique qui seront nécessaires, Eyal Calderon, le cousin d’Ofer Calderon qui était resté entre les mains du Hamas pendant 484 jours, a confié au site d’information Ynet que « le chemin sera long, le travail de réadaptation sera long et il y aura des hauts et des bas ».

Les médias israéliens ont également partagé les témoignages initiaux de Levy, Sharabi et Ben Ami, citant des conversations que les ex-otages ont pu avoir avec leurs familles. Ces dernières ont expliqué que leurs proches avaient essuyé des violences physiques et psychologiques pendant leur détention à Gaza.

Et pourtant, commenter la santé psychique des captifs qui viennent d’être libérés est « quelque chose d’invasif qui leur porte atteinte », avertit le docteur Alan Flashman, enseignant en psychiatrie au sein de l’université hébraïque, de l’université de Tel Aviv et de l’université Ben Gurion.

« Du temps pour décompresser psychologiquement »

L’armée américaine a mis en place un programme qui s’appelle PISA. Ce programme consiste en des activités de soutien post-isolement qui ont été mises au point pour aider les anciens otages et les anciennes victimes de kidnapping. Evan Gershkovich, journaliste au Wall Street Journal, l’a notamment suivi après avoir été emprisonné en Russie pendant plus d’un an sur la base de fausses accusations d’espionnage.

Arbel Yehud, au centre, est remise à la Croix rouge par des terroristes armés du Hamas et du Jihad islamique palestinien à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 30 janvier 2025. (Crédit : Eyad Baba/AFP)

Ce programme de dix jours, qui se déroule au Texas, au sein du Brooke Army Medical Center, part d’un principe en particulier : celui que les anciens prisonniers « ont besoin de temps pour décompresser psychologiquement ».

Un manuel établi par l’état-major interarmées qui, en 2015, était consacré au rétablissement des anciens prisonniers et otages. Il a été transmis au Times of Israel par un représentant du programme. Il recommande ainsi que les victimes soient autorisées « à raconter leur histoire de manière normale et saine » et « à comprendre ce que leur isolement et leur captivité ont signifié pour elles ».

Il recommande également aux anciens prisonniers et aux anciens otages d’éviter les événements médiatiques, les séances de photographie à caractère politique, les cérémonies et autres célébrations dans le sillage immédiat de leur libération, car ce type d’activités « contribue à renforcer l’état de choc » et « finit habituellement par les accabler ».

Après une remise en liberté, il y a parfois un « effet boomerang », explique Tamar Lavi, qui est cheffe des recherches au sein de NATAL, le Centre israélien du trauma et de la résilience, qui offre des soins psychologiques et du soutien aux victimes des traumatismes causés par la guerre et par le terrorisme. Il peut falloir « plusieurs semaines avant que l’adrénaline et toutes les hormones qui permettent à l’être humain de survivre » s’estompent, ajoute-t-elle, précisant qu’il peut aussi être difficile, pour les victimes, d’affronter ce qu’elles ressentent alors qu’elles viennent tout juste de recouvrer la liberté.

Lavi évoque une « période initiale de grande instabilité », une période qui, pour un ancien prisonnier, « peut être marquée par une succession rapide de moments de bonheur et de moments de désespoir ».

Dans le cas des otages de Gaza, certains d’entre eux devront non seulement faire face à leurs traumatismes, mais aussi affronter certaines réalités, souligne-t-elle. Une réalité où leurs communautés, comme cela a pu être le cas du kibboutz Nir Oz, ont été décimées. De surcroît, ils devront se réintégrer dans un pays lui-même excessivement traumatisé depuis l’attaque sanglante perpétrée par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre.

Des proches et des sympathisants d’Israéliens retenus en otage dans la bande de Gaza, brandissant des photos de leurs visages lors d’une manifestation pour exiger leur libération de la captivité du Hamas, à Tel-Aviv, le 13 février 2025. (Crédit : Oded Balilty/AP)

En plus de tout le reste, les ex-captifs « pensent aussi aux otages qui se trouvent encore à Gaza et qu’ils ont laissé derrière eux », fait remarquer Lavi.

Levy a confié à sa famille que lors du samedi où avait eu lieu sa libération, il avait demandé à ce qu’un autre otage soit libéré à sa place et qu’il avait été très dur pour lui d’abandonner ses compagnons d’infortune.

Les actes individuels de cruauté

Dans leur recherche consacrée aux anciens prisonniers, 18 et 30 ans après la Guerre de Kippour, Solomon et Dekel avaient établi que la captivité entraînait des dégâts psychologiques plus durables que cela pouvait être le cas, par exemple, de l’expérience du combat.

« Les tortures, les humiliations et l’isolement sont constitutifs de la captivité », avaient-ils écrit.

« Au-delà des difficultés elles-mêmes, il y a toutefois ce fait que ces expériences sont profondément personnelles. »

La menace du combat n’est pas personnelle, ajoutent les chercheurs. Toutefois, « le trauma de la captivité s’inscrit au cœur de la relation qui s’est établie entre le captif et ses geôliers. Ces tourments particuliers que sont ceux de la captivité s’inscrivent dans le cadre d’une initiative programmée et concertée dont l’objectif est de briser l’individu, et ils sont intentionnellement infligés aux prisonniers par des personnes qu’ils apprennent à connaître et auxquelles ils sont susceptibles de se lier sur la base du quotidien ».

Cela a été manifeste dans la manière dont les terroristes du Hamas ont torturé psychologiquement Yarden Bibas au sujet du sort réservé à son épouse Shiri et à leurs deux fils, Ariel et Kfir, pendant les 484 jours qu’il a passés à Gaza.

Shiri, Ariel et Kfir Bibas. (Crédit : Autorisation)

La mère de Romi Gonen, une captive remise en liberté, a expliqué à la chaîne d »N12 que les geôliers de sa fille avaient tourné en ridicule la plaie ouverte qu’elle avait au bras quand elle était arrivée à Gaza.

Levy, de son côté, a raconté à ses proches qu’avant d’être libéré, ses ravisseurs l’avaient emmené, avec les autres otages qui devaient être relâchés, dans Gaza, paradant devant des terroristes en liesse.

« La torture psychologique ajoute à la souffrance des otages », commente le professeur Hagai Levine, qui dirige l’équipe de santé du Forum des familles des otages et disparus.

« Subir l’isolement, la crainte constante des violences et l’absence totale de soutien psychologique peut entraîner l’anxiété, la dépression et des troubles du stress post-traumatique. »

Le syndrome de stress post-traumatique (TPST) est un trouble psychique difficile à traiter car il est entraîné par le fait d’avoir vécu ou d’avoir été témoin d’un événement terrifiant, comme cela a été le cas des atrocités commises par le Hamas le 7 octobre. Pour les personnes kidnappées et emmenées par les terroristes armés à Gaza, la gravité de ce trouble peut être encore plus grande.

Le TPST se manifeste notamment par des flash-backs, des cauchemars, une anxiété sévère et des pensées incontrôlables qui ramènent en permanence à l’expérience traumatisante.

Expériences personnelles

Un emprisonnement prolongé, un enlèvement ou des tortures physiques et psychologiques forment « un ensemble d’expériences d’une grande complexité », déclare le professeur Yaïr Bar-Haïm, chef du Centre national de stress traumatique et de résilience au sein de l’université de Tel Aviv, au Times of Israel.

« Il est important de se souvenir que tout individu peut avoir des réactions très différentes face aux événements. »

Il souligne l’importance de ne pas catégoriser les anciens captifs.

« Il est très clair qu’ils ne sont pas tous similaires, qu’ils n’ont pas la même personnalité ou le même trauma », ajoute-t-il.

Et pourtant, continue Levi, « pas besoin d’être un spécialiste » du trauma pour comprendre qu’il s’agit d’un poids « que les otages porteront toute leur vie ».

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