Un ex-otage a raconté à deux mères l’héroïsme de feu leurs fils
Après sa libération, Or Levy a confié à Shira Shapiro qu'Aner lui avait appris à lancer et à repousser les grenades, et il s'est souvenu auprès de Rachel Goldberg-Polin comment Hersh l'avait aidé à trouver la force de survivre

Lorsque Rachel Goldberg-Polin et Shira Shapiro ont rencontré Or Levy, cet ex-captif du Hamas leur a indiqué la manière dont leurs fils assassinés l’avaient sauvé à la fois physiquement et psychologiquement.
Dans une interview qui a été diffusée par la chaîne d’information N12, vendredi, Shapiro explique que quand elle a enfin vu Levy, elle a prononcé la prière Shehecheyanu, la prière juive de la gratitude.
« Je l’ai vu et jamais je n’avais eu le sentiment d’assister à un miracle aussi évident », explique-t-elle au cours de l’entretien. « Et il nous a raconté des choses qui nous ont vraiment redonné du courage ».
Lors du pogrom commis par le Hamas, le 7 octobre 2023, Aner Shapiro, le fils de Shira, avait repoussé sept grenades qui avaient été lancées par les terroristes en direction de l’abri bétonné où il s’était réfugié avec son meilleur ami Hersh Goldberg-Polin, le fils de Rachel, en compagnie d’un grand nombre d’autres festivaliers qui étaient venus à la rave-party Nova, où les hommes armés du Hamas avaient commis un carnage. Levy et Eynav, sa défunte épouse, s’y étaient cachés, eux aussi.
La huitième grenade avait entraîné la mort de Shapiro – d’autres explosifs avaient coûté la vie à d’autres personnes qui se trouvaient à l’intérieur de l’abri. Eynav était morte.
Or Levy et Hersh Goldberg-Polin avaient ensuite été faits otages et emmenés à Gaza. Hersh, dont le bras gauche avait été arraché lors de l’attaque sanglante, avait été détenu avec Levy pendant un certain temps. Les deux captifs avaient ensuite été séparés.
Goldberg-Polin devait finalement être exécuté par ses geôliers au mois d’août, aux côtés de cinq autres otages.
Sur les images, Shira Shapiro raconte que Levy lui a dit qu’avant la mort d’Aner, il lui avait montré comment lancer des grenades – « les yeux vers le sol, et ne manque rien ». Il lui avait demandé de continuer à le faire « si je suis blessé ou si je rate moi-même quelque chose ».
« Il nous a dit : ‘J’étais un soldat qui avait toujours été stationné dans un bureau, je n’avais jamais vu de grenade, et j’ai pu repousser une grenade – parce qu’Aner ne m’a pas seulement sauvé quand il l’a lui-même fait mais il m’a aussi donné le pouvoir de le faire’, » indique Shapiro dans le reportage.

Levy a été relâché en février dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu conclu avec le Hamas. Son fils de trois ans a été élevé par ses proches pendant sa captivité.
À son retour en Israël, Levy a été bouleversé d’apprendre que Hersh, pour sa part, n’était jamais revenu. Sur N12, Shapiro explique que dès que Levy a été libéré, il a demandé à rencontrer les familles de Hersh et d’Aner.
De son côté, Rachel Goldberg-Polin souligne que « Or nous a fait un cadeau indescriptible. Il est la dernière personne vivante à avoir serré Hersh dans ses bras. Et quand j’ai moi-même serré Or dans mes bras, ça été été comme si mon fils me murmurait quelque chose à l’oreille pour la dernière fois ».
Elle ajoute que Levy lui a dit qu’en captivité, Hersh avait l’habitude de répéter une citation de Viktor Frankl, psychiatre et survivant de la Shoah : « Ceux qui ont un ‘pourquoi’ à vivre sont en mesure de supporter presque n’importe quel ‘comment’. »
« Hersh répétait cette phrase et tous les trois essayaient de comprendre quel était leur ‘pourquoi’… pour Or, c’était son fils ».

Selon Goldberg-Polin, c’est Hersh qui avait révélé à Or Levy et aux autres personnes, en captivité, qui était Aner.
« Il a raconté qu’ils avaient réalisé qu’ils avaient été dans l’abri ensemble, qu’ils avaient été dans le pick-up [du Hamas] ensemble, et Or a dit à Hersh : ‘Qui était ce héros ? Qui était ce soldat extraordinaire ?’. Et Hersh a répondu : ‘C’était Aner Shapiro, c’est avec lui que j’étais à ce moment-là’. »
« Et ça a été un moment vraiment incroyable », ajoute-t-elle. « Tous parlaient de cet homme, de ce jeune homme, depuis des semaines et des semaines et ils découvraient enfin son nom ».
Dans l’entretien, les deux mères se sont exprimées aux côtés de Sarit Zussman, la mère de Ben Zussman, sergent de première classe qui servait dans la réserve, mort au champ d’honneur à Gaza au mois de décembre 2023.
L’interview a été filmée la semaine dernière, en partie au lycée Himmelfarb de Jérusalem, où Aner, Hersh et Ben – qui avaient respectivement 22, 23 et 22 ans lorsqu’ils ont été tués – étaient camarades de classe.

Cette école religieuse pour garçons, plutôt libérale, a perdu au moins dix anciens élèves depuis le début de la guerre à Gaza.
Pendant l’entretien accordé à la chaîne, les mères éplorées confient qu’elles n’étaient pas retournées au sein de l’établissement scolaire depuis leur dernière réunion parents-professeurs, il y a des années. Quand elles sont arrivées, déambulant dans les couloirs, elles ont vu les portraits de leurs fils accrochés à un mémorial en souvenir des anciens élèves décédés.
« C’est déprimant », s’exclame Zussman. « Ils devraient être avec nous ».
Pendant l’inhumation de son fils, Zussman avait déclaré que les dirigeants israéliens devaient se montrer dignes et à la hauteur du pays.
« Si nos soldats ont été capables de se mettre de côté et de se focaliser sur la nation, il revient à nos dirigeants de faire de même », avait-elle affirmé. « Les dirigeants qui ne comprennent pas ça – ces dirigeants qui font preuve d’arrogance – doivent céder leur poste à ceux qui savent ce qu’il faut faire ».

Dans l’interview de vendredi, elle indique : « J’attends de nos dirigeants qu’ils soient dignes de ce qu’est l’esprit israélien, de cette merveilleuse nation et de ce qui s’est passé ici depuis le 7 octobre… Mais nous n’en sommes pas encore là ».
Au cours de l’interview, alors qu’il lui est demandé si elle a le sentiment que son fils a perdu la vie en vain, elle répond par la négative.
« Je n’aime pas cette question », riposte-t-elle. « Nous sommes toujours au beau milieu de cette guerre… le fait que Ben [ait été tué] ne change rien à la situation. Il n’est pas parti en vain, il est parti pour protéger la nation d’Israël, pour protéger notre belle terre d’Israël. »
Le 7 octobre « a été quelque chose de terrible, point final. Il s’agit maintenant de réparer les choses », explique-t-elle. Faisant référence aux négociations en cours sur le cessez-le-feu et sur la remise en liberté des otages, elle ajoute : « Est-ce un mauvais accord ? Ce qui s’est passé [le 7 octobre] a été quelque chose de terrible et aujourd’hui, tout faire pour rapatrier nos frères et nos sœurs, c’est quelque chose de bien ».
« Il y a un ennemi et il s’est passé quelque chose de terrible », note-t-elle dans la séquence. « Aner a essayé d’y remédier en intervenant, Hersh a essayé d’y remédier avec ses mots et avec une prise de position ferme, et Ben a quitté la maison pour essayer également d’améliorer la situation. Et c’est ce que nous devons tous faire ».
Goldberg-Polin surenchérit en disant qu’elle n’est « même pas sûre que qui que ce soit puisse naître et mourir en vain, même si la vie ne dure qu’une journée ».

« Je me souviens avoir dit à Hersh, lors de sa bar-mitsva, que ‘la chose la plus importante que je souhaite pour toi, c’est que ta vie ait un sens’, » continue Rachel Goldberg-Polin.
« Ce que je suis en train de réaliser, c’est que Hersh a eu une vie pleine de sens, et qu’Aner et Ben ont eu des vies pleines de sens parce que ce que nous faisons aujourd’hui a beaucoup plus de sens du simple fait qu’ils ont effectivement vécu », ajoute-t-elle.
Dans l’entretien, elle se souvient que lorsqu’elle a rencontré Aner pour la première fois, elle avait mal prononcé son nom, qui ressemblait à « Honor ».
« Et j’y pense encore », indique-t-elle. « Pour moi, il reste l’incarnation de l’honneur ».
C’était « un petit garçon aux cheveux blonds et aux yeux magnifiques, et quand Hersh me l’a présenté, [Aner] m’a parlé en anglais, me disant que ‘je sais que c’est difficile pour vous en hébreu’, » explique-t-elle.
« Ces trois jeunes hommes étaient nos aînés et ce sont eux qui nous ont fait passer du statut de femme à celui de mère », poursuit-elle.
Shapiro fait remarquer : « Ils nous ont changées deux fois – en nous faisant aussi passer de mère à mère endeuillée ».
Les femmes interviewées ont critiqué les récents cas de maltraitance de familles ayant perdu un proche, le 7 octobre et pendant la guerre, et des familles d’otages – au début du mois, des gardes de la Knesset avaient violemment repoussé les parents des captifs et des disparus, les empêchant d’assister à un débat parlementaire consacré à une potentielle enquête d’État sur le pogrom commis par le Hamas.
Au cours de l’entretien, Shapiro déclare qu’en tant que fonctionnaire, elle ne va pas commenter ce qui s’est passé. Elle lit ensuite un message d’Aner : « Ne laissez pas les semeurs de haine brouiller ce qui est d’ores et déjà clair. Il y a des différences et des désaccords difficiles, mais rien qui justifie de ‘brûler’ des communautés entières… Ne laissez pas les semeurs de haine prendre le contrôle de nos consciences’. »
« Réfléchissez-y », ajoute-t-elle.
Zussman, de son côté, affirme que « rapatrier nos frères et sœurs n’est pas un sujet politique polémique. C’est quelque chose qui s’inscrit dans nos valeurs juives, dans nos valeurs humanistes. C’est ce qu’il y a de plus fondamental ici ».
Goldberg-Polin partage le même point de vue : « Il est évident que ce n’est pas une question politique. Si quelqu’un en fait une question politique, il faut bien être conscient qu’il s’agit là d’une tactique utilisée dont l’objectif est de nous diviser. »

Goldberg-Polin se déclare très favorable à un accord négocié avec le Hamas en vue d’obtenir la libération des otages en échange de celle de prisonniers palestiniens et de la fin de la guerre à Gaza – autant de conditions qui sont des lignes rouges pour l’aile droite du gouvernement.
Sur les images diffusées sur la chaîne d’information, elle dénonce les efforts déployés pour réduire au silence les familles des otages. « Je pense qu’il s’est passé quelque chose – quelque chose que j’ai moi-même vu se produire : j’ai eu l’impression qu’on me demandait, alors qu’on me plantait un couteau, de ne pas crier – parce que mes cris mettent les gens mal à l’aise », note-t-elle. « J’ai demandé à un moment donné à une personne en position de pouvoir : ‘Quand serai-je autorisée à crier alors que je suis violée ?’. »
« En tant qu’être humain, il nous arrive à tous, lorsque nous sommes témoins de quelque chose d’horrible, de [fermer les yeux] ou de [nous boucher les oreilles]. Nous ne voulons pas l’entendre. C’est trop douloureux. Et je me demande si une partie de ce comportement [à l’égard des familles des victimes] n’est pas une réponse apportée au fait d’être les témoins d’une agonie, d’une misère et d’une angoisse aussi viscérales que réelles ».