« Un manifeste sur la théorie du grand remplacement » : Le plan des Républicains alarme des groupes juifs
Plusieurs organisations déclarent que le projet est ancré dans une théorie aux relents antisémites et jurent de le combattre
MILWAUKEE, Wisconsin (JTA) — Trois organisations juives qui consacrent leurs activités aux problématiques liées à l’immigration et aux relations communautaires ont indiqué être alarmées par le projet du parti républicain de procéder à des expulsions massives, disant que cette politique est ancrée dans une théorie du complot raciste qui a pu avoir de forts relents d’antisémitisme.
Le programme républicain, qui a été diffusé cette semaine, a ainsi promis de « se livrer à la plus importante opération d’expulsions de toute l’Histoire américaine ».
« Le président Trump et les républicains reviendront sur les politiques destructrices d’ouverture des frontières décidées par les démocrates, des politiques qui ont permis à des gangs criminels et à des immigrants clandestins du monde entier de se déplacer dans tous les États-Unis sans conséquence », indique le programme. Les analystes ont estimé que ces ordonnances d’expulsion pourraient affecter jusqu’à onze millions de personnes.
Le programme reflète presque totalement les priorités définies par Donald Trump – Trump qui devrait être officiellement nominé dans la course républicaine à la Maison Blanche lors de la conférence que tiendra, la semaine prochaine, le parti à Milwaukee.
Mark Hetfield, le président de l’organisation Hebrew Immigration Aid Society (HIAS), un groupe juif de défense des immigrants, a estimé qu’un tel plan pouvait entraîner des obstacles judiciaires. Il a ajouté que l’HIAS se joindrait aux plaintes susceptibles d’être déposées, tout comme le groupe avait dénoncé, devant la justice, certaines politiques avancées par Trump au sujet de l’immigration lors de son premier mandat – et notamment l’interdiction qui avait été décidée par l’ex-président de l’immigration en provenance d’un certain nombre de pays à majorité musulmane.
« Je suis certain que nous ferons de nouveau appel à la justice, que nous rejoindrons les procédures judiciaires qui seront intentées et que, bien sûr, nous ferons figurer notre nom parmi les plaignants », a-t-il expliqué dans une interview en notant que dans le passé, l’HIAS et d’autres groupes juifs – et notamment le Jewish Family Service de Seattle – avaient initié de telles plaintes.
« Nous ne pourrons pas rester à ne rien faire alors que toutes ces politiques sur les immigrants seront mises en œuvre », s’est-il indigné.
Amy Spitalnick, directrice-générale du Jewish Council for Public Affairs (JCPA), une instance nationale de relations communautaires, a elle aussi prédit que la communauté juive s’insurgerait face à ce projet d’expulsions.
« Si un responsable quel qu’il soit cherche à promouvoir des expulsions massives, ne vous y trompez pas : la communauté juive sera l’une des voix les plus fortes à riposter à un tel plan parce que nous comprenons très précisément où peuvent mener cette haine et cet extrémisme », a-t-elle dit au cours d’un entretien.
Jamie Beran, à la tête de Bend the Arc, un réseau juif d’activisme en faveur de la justice sociale, a fait remarquer la place de ce projet d’expulsions dans le programme – il figure ainsi dans le chapitre mentionnant l’antisémitisme – un chapitre qui promet « de promouvoir la révocation des visas pour les ressortissants étrangers qui apportent leur soutien au terrorisme et au djihadisme ».
« Le peuple juif ne saurait être utilisé comme justification en ce qui concerne l’adoption de politiques racistes et xénophobes qui nuisent à notre grande famille des immigrants et qui attisent l’antisémitisme », a-t-elle écrit dans un texte.
« Bend the Arc participera, devant les juges et dans les rues, à la contestation de ce plan scandaleux et s’opposera à la totalité de ce ‘Project 2025’ catastrophique qui est proposé par la droite avec nos partenaires issus de la communauté des droits des immigrants », a dit Beran.
Project 2025 est une refonte gouvernementale d’ampleur qui est proposée par un think-tank proche de Trump, l’Heritage Foundation.
D’autres groupes juifs qui, dans le passé, ont pris la défense des immigrants ont gardé le silence : L’Anti-Defamation League (ADL) et l’American Jewish Committee (AJC) ont refusé tout commentaire, et les Jewish Federations of North America (JFNA) n’ont pas répondu à une demande de réaction.
Les groupes juifs centristes s’abstiennent, en général, d’entrer dans les débats sur des sujets particulièrement sensibles pendant les années électorales. Les recommandations faites par l’ADL concernant les programmes des partis n’ont pas mentionné les questions d’immigration ou de réfugiés.
Spitalnick et Hetfield se sont tous les deux alarmés de la manière dont le programme républicain a semblé trouver un ancrage dans « la théorie du grand remplacement », une théorie du complot sans fondement laissant entendre que les libéraux voudraient remplacer les Blancs par des personnes de couleur. Certaines versions de cette théorie ont des relents antisémites, les Juifs étant supposés être à l’origine de ce complot.
Hetfield évoque un passage, dans le programme, qui parle du regroupement familial – que les conservateurs qualifient de « immigration en chaîne ».
« Les républicains vont accorder la priorité à l’immigration basée sur le mérite, garantir que ceux qui sont admis dans notre pays apporteront une contribution positive à notre société et à notre économie et qu’ils ne deviendront jamais un poids pour nos finances publiques », affirme le programme. « Nous mettrons un terme à l’immigration en chaîne et nous placerons les travailleurs américains avant tout le reste ! »
Il ajoute également que « nous ne devons pas permettre à l’invasion de migrants qui a été décidée par Biden d’altérer notre pays ».
« Ils utilisent le langage de l’invasion et de la prise de contrôle culturel et ils font le lien avec le crime, sur lequel ils mettent l’accent comme si le crime était amené dans ce pays par les immigrants », a déploré Hetfield, qui a réexaminé les programmes présentés par les Républicains depuis 2012, y trouvant des formules favorables à l’accueil des réfugiés qui ont disparu du programme actuel.
« Le plus effrayant, même si nous commençons à nous y habituer et même si j’espère que nous ne nous y habituerons jamais réellement » est que le plan est « fondamentalement… un manifeste en faveur de la théorie du grand remplacement », a poursuivi Hetfield.
Spitalnick a fait remarquer que la théorie du grand remplacement avait souvent franchi le seuil de l’antisémitisme et qu’elle a été à l’origine d’attaques meurtrières qui ont pu être commises par des antisémites, ces dernières années.
« Les rhétoriques et politiques extrémistes concernant l’immigration qui figurent dans ce programme ne sont pas seulement draconiennes et cruelles – elles ont aussi été directement à l’origine d’un cycle de violences xénophobes, racistes et antisémites qui ont pris pour cible les Juifs, les latinos, les Afro-américains et un grand nombre d’autres », a commenté Spitalnick.
« Ce qui est absolument en opposition avec les valeurs juives et, plus largement, avec la sécurité des Juifs. Je ne peux pas croire que ce genre de propos puissent être tenus dans l’Amérique de 2024 », a-t-elle continué.
Hetfield a indiqué qu’un autre passage du programme républicain, qui promet d’expulser les étudiants étrangers qui organisent des mouvements de protestation pro-palestiniens, rencontrerait des obstacles juridiques.
« Manifester n’est pas un motif d’expulsion », a-t-il estimé. « C’est une entrave à la liberté d’expression. Et si on doit commencer à faire le tri entre les manifestants en expulsant ceux dont il s’avèrera qu’ils ne sont pas citoyens des États-Unis, pour la seule et unique raison qu’ils ont pris part à une manifestation, cela sera tout à faire inacceptable ».