Neuf ans et quatre mois ou presque se sont écoulés depuis les événements tragiques du 1er août 2014, lors de l’opération Bordure protectrice, lorsque, quelques heures seulement après l’acceptation d’un cessez-le-feu de 72 heures par le Hamas, les terroristes du groupe tuaient et faisaient disparaître le corps du lieutenant Hadar Goldin.
C’est le Hamas qui détient la dépouille de Goldin ainsi que celle du 1er sergent Oron Shaul, un autre soldat tué lors de l’opération Bordure protectrice. La dépouille de Goldin serait conservée dans un hôpital de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.
Le 7 octobre 2023, la famille Goldin a une fois de plus senti le sol se dérober sous ses pieds lorsque 3 000 terroristes du Hamas ont pris d’assaut la frontière et tué 1 200 personnes en Israël, principalement des civils. Dans des actes d’une brutalité effroyable, les terroristes ont également pris en otage plus de 240 personnes, nourrissons et enfants compris. Cette attaque est la pire de toute l’histoire d’Israël et le plus grand massacre de Juifs en une seule journée depuis la Shoah.
Cette nuit-là, les Goldin ont été rejoints dans leur chagrin par des centaines d’autres familles israéliennes. Parmi eux, de nombreux amis du Neguev occidental qui se sont opposés avec constance à la ligne du Premier ministre Benjamin Netanyahu, commune à d’autres dirigeants israéliens, de soutien au Hamas.
Ces amis soutiennent la famille Goldin depuis maintenant une dizaine d’années, à leurs côtés sur le site commémoratif de Black Arrow, à 900 mètres de la frontière de la bande de Gaza, où des manifestations en faveur du retour de la dépouille de Hadar Goldin ont lieu depuis toutes ces années.
Leah Goldin, sa mère, affirme qu’Israël ne fait pas assez d’efforts pour obtenir la remise du corps de son fils de la part du Hamas.
A chaque nouvelle série de combats entre le Hamas et Israël, Goldin demande au pays d’insister – à tout le moins – sur le principe d’un cessez-le-feu assorti de la restitution par le Hamas des dépouilles de Shaul et de son fils, ainsi que des civils Avraham Mengistu, entré dans la bande de Gaza en 2014, et Hisham al-Sayed, otage depuis 2015, tous deux présumés vivants.
Malgré les assurances des politiciens, des officiers de Tsahal et des chefs d’état-major, Goldin note un manque d’action flagrant. Ainsi, les initiatives de certains parlementaires israéliens, en 2021, pour subordonner l’entrée des vaccins anti-COVID à Gaza au retour des captifs n’ont pas porté leurs fruits. Et lors de l’opération Gardien des murs, la même année, la famille Goldin a découvert que la question du retour des soldats et des civils captifs ne faisait partie ni des objectifs de l’armée ni des termes de l’accord de cessez-le-feu.
Malgré le soutien de la communauté et des amis, la famille Goldin se sent bien seule dans son combat. Elle insiste sur le fait qu’il s’agit d’une question humanitaire, que la restitution de la dépouille d’un soldat mort au combat en l’échange d’un cessez-le-feu devrait faire partie des règles fondatrices de la guerre.
Malheureusement, en octobre 2023, de nombreuses autres familles se sont retrouvées plongées dans le même cycle de deuil et d’attente.
Goldin espère que les événements prouvent un point, à savoir que l’enlèvement est une forme de torture pour l’otage et sa famille. Il s’agit d’un crime humanitaire, et il y a une obligation morale de restituer tous les otages – soldats et civils, vivants ou morts – à Israël.
Ce mois-ci, le Times of Israël s’est longuement entretenu avec Leah Goldin au domicile de la famille, à Kfar Saba. L’interview qui suit a été remaniée pour plus de concision et de clarté.
The Times of Israël : Avez-vous des informations sur l’endroit où Hadar est détenu à Gaza ?
Leah Goldin : Lorsqu’on nous a remis le dossier d’enquête de Tsahal, six mois après les faits, la version officielle était que les autorités ignoraient ce qui s’était passé. Plus tard, ils ont mis Moshe Tal [un officier chevronné du renseignement militaire] sur l’affaire, qui a mené une enquête approfondie. Il a recoupé une quantité importante d’informations montrant que Hadar se trouvait dans un hôpital de Rafah [la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza].
Nous savons qu’il est là depuis quelques années. Malheureusement, Moshe Tal a quitté l’armée, persuadé qu’il n’aurait jamais le soutien nécessaire pour ramener Hadar.
Comment vivez-vous la situation actuelle ?
Ma fille Ayala a immédiatement dit : « S’ils ne ramènent pas tout le monde, alors cela voudra dire que nous n’avons plus de maison. » C’est pour nous une énorme crise nationale, un séisme social, avec toutes les implications que cela suppose.
La quasi-totalité de ceux qui étaient responsables des décisions militaires au moment de l’opération Bordure protectrice sont au pouvoir ou occupent des postes militaires de haut niveau, lorsqu’ils ne sont pas les invités récurrents des chaines de télévision. Hadar a été enlevé lors d’un cessez-le-feu au moment où Netanyahu était Premier ministre, Moshe Yaalon ministre de la Défense, Benny Gantz chef de Tsahal et Aviv Kohavi chef du renseignement militaire.
Dès que les combats ont pris fin, ils ont comme effacé la question de Hadar et d’Oron [Shaul]. Ils l’ont officiellement inscrit sur la liste des soldats de Tsahal morts au combat, nous ont persuadés d’organiser un service funéraire – et qu’ont-ils réellement enterré ? La preuve qu’il a été enlevé. Pendant les deux premières années, il a été déclaré mort au combat, mais pour nous, ce n’est pas la bonne définition. C’est un soldat kidnappé.
Depuis des années, je suis en lutte avec le site Internet Izkor [le site officiel de commémoration des membres des forces de défense et de sécurité d’Israël morts au combat] et l’armée israélienne. Je leur demande : « Pourquoi mettez-vous Hadar dans la catégorie « mort » ? Mettez-le dans la catégorie « kidnappé » ou faites mentions des deux – ne dites pas seulement qu’il est mort.
Des officiers supérieurs de l’armée — à l’époque et aujourd’hui encore — m’ont expliqué qu’il n’existait pas d’autre définition et que nous ne parlions que de deux soldats. Depuis des années, nous menons une bataille procédurale pour obtenir que Hadar ne soit pas déclaré comme mort mais disparu.
Hélas, suite aux événements du 7 octobre, qui sait combien encore de soldats seront ainsi désignés ? Aujourd’hui encore, le site Internet d’Izkor – un site officiel de Tsahal – mentionne que Hadar est un soldat mort au combat, enterré à Kfar Saba. Même dans la gestion de ce site, il y a un grand manque de tact.
Vous dites que le cas de votre fils a été négligé, comme dans le rapport officiel du contrôleur de l’État sur l’opération Bordure protectrice, qui ne fait pas mention de Hadar ou d’Oron Shaul.
Nous ne parvenions pas à y croire. Nous l’avons lu : il y était question d’échecs, de la mort d’ouvriers thaïlandais, de celle de Daniel Tragerman [un petit garçon israélien âgé de 4 ans, tué par l’obus de mortier tombé sur sa maison dans le kibboutz Nahal Oz] et rien sur les deux soldats, Hadar Goldin et Oron Shaul, kidnappés par le Hamas.
Nous avions l’impression qu’ils essayaient de faire disparaître toute cette histoire, cet énorme gâchis, et que quelqu’un essayait constamment de dissimuler les faits, de faire en sorte que l’on n’ouvre pas cette boîte de Pandore.
Comment Hadar et Oron sont-ils actuellement répertoriés ?
Nous avons envoyé un courrier juridique demandant que le statut des quatre Israéliens précédemment détenus, Hadar et Oron compris, soit ramené à celui de personnes kidnappées. Nous nous sommes tournés vers Yaniv Asor, chef de la Direction du personnel de Tsahal, et lui avons demandé : « Comment définissez-vous actuellement les personnes enlevées dans les kibboutzim ou à la rave Supernova ? » Ce à quoi il a répondu : « Aucun d’entre eux n’a été déclaré mort. » C’est exactement ce que je demande – que Hadar soit également considéré comme kidnappé.
Il y a quelques semaines, au début de la guerre, le porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, est intervenu, un vendredi soir, pour donner le nombre des prisonniers et disparus. Un journaliste lui a demandé : « Comptez-vous aussi Goldin, Shaul, Mengistu et al-Sayed ? » Hagari s’est corrigé, et depuis lors, le bilan qu’il donne inclut les quatre hommes.
Quelle sera votre prochaine démarche juridique ?
Grâce à une équipe de juristes, nous avons demandé que l’armée israélienne et le procureur militaire en chef retirent la désignation de « mort au combat » et assignent à Hadar le même statut que celui des soldats de Tsahal actuellement détenus à Gaza.
Nous affirmons que lors des funérailles de Hadar, ce qui a vraiment été enterré, ce sont les preuves de son enlèvement – mais lui n’est pas là. À l’heure actuelle, nous ne savons pas combien de soldats de Tsahal sont réellement classés dans la catégorie « capturés et morts ».
Parlons de ce qui s’est passé avec votre famille depuis le 7 octobre.
Zur, le frère jumeau d’Hadar, m’a dit ce samedi-là que nous avions une mission : qu’aucune famille ne se sente aussi seule que nous l’avons été. Nous avons mis en place un centre d’opérations offrant de l’aide aux familles de captifs et de disparus, en veillant à ce qu’ils ne se retrouvent pas seuls. Jusqu’à présent, nous avons réussi à aider des centaines de familles.
Et puis vient le moment d’essuyer ses larmes et d’agir. Les larmes font grimper les scores d’écoute de la télévision, mais il est plus important de parler du retour de ces gens. Les familles ne devraient pas aller à la télévision pour écouter des spécialistes auto-déclarés dire des choses comme : « Nous sacrifions des soldats pour ramener des femmes et des enfants. » C’est inacceptable. Ils ne devraient pas être impliqués dans un tel cirque médiatique. Ils devraient témoigner séparément.
Au fil des ans, vous avez rencontré de nombreux membres du personnel du renseignement, des officiers de Tsahal, des chefs de Tsahal et des membres du gouvernement. Vous avez essentiellement développé une expertise stratégique. Quelle devrait, selon vous, être l’approche stratégique ?
Aujourd’hui, du point de vue du Hamas, les captifs sont un atout. Tant qu’ils seront un atout pour eux, ils ne les libéreront pas. Une fois que les captifs cesseront d’être un atout pour le Hamas et commenceront à être un handicap, la donne changera.
Il faut comprendre autre chose d’important : la guerre de Gaza a effacé la distinction entre soldats et civils. Les gens l’ont comparée à la guerre du Kippour de 1973, qui a commencé par une attaque surprise de la coalition arabe contre Israël le 6 octobre, mais ce sont les soldats qui en ont payé le prix à l’époque, pas les civils. La guerre de 2023 est une guerre de civils. Ce sont des civils qui ont été enlevés, ce sont des civils qui en ont sauvé d’autres, ce sont des civils qui se chargent du pays et ce sont des civils, et personne d’autre, qui sauveront les captifs.
Ce qu’il faut maintenant, c’est la coalition des forces occidentales – les États-Unis, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et d’autres -. Elles doivent comprendre que ce qui a été fait à notre peuple pourrait se produire partout dans le monde occidental. Elles doivent former une coalition forte sous la direction des États-Unis et déclarer que tant que le dernier prisonnier ou soldat tombé au combat ne sera pas rendu, aucun cessez-le-feu ne sera accepté, aucune aide humanitaire ne sera fournie.
Le monde doit tenir bon jusqu’au retour du dernier captif. Il s’agit d’un principe humanitaire fondamental que nous défendons depuis la capture de Hadar. Quand je parle de faire des captifs un passif, je veux dire qu’il devrait s’agir d’un passif international. Cela devrait être un lourd fardeau pour le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie.
Quant à l’Arabie saoudite, il n’y aura pas d’accord de paix avec elle avant le retour du dernier captif. La question qui se pose au-dessus de tout cela est la suivante : qui veut ramener les captifs ? Parce que, à mon avis, tous ceux qui ont contribué à créer le problème se dépêtrent aujourd’hui avec un échec – pas une victoire.