Des coups furieux frappés à sa porte ont réveillé Hilal Habashi à 5 heures du matin à son domicile de Jaffa. C’était un habitant du quartier d’Ajami qui avait entendu une explosion et senti de la fumée. Dehors, Habashi et son frère Khalil ont trouvé la voiture de leur voisin en feu.
Ce n’était pas la première fois la semaine dernière que le chaos arrivait jusqu’à leur porte.
Alors que des émeutes ont éclaté plus tôt ce mois-ci sur le mont du Temple de Jérusalem et qu’Israël a mené une nouvelle guerre contre les dirigeants terroristes de Gaza, les retombées de ces troubles ont été sans précédent dans les villes mixtes israéliennes telles que Jaffa, Ramle, Lod et Akko, où Juifs et Arabes avaient jusque-là vécu dans une relative harmonie.
Dans le quartier Ajami de Jaffa, connu depuis longtemps pour ses taux de criminalité élevés, la récente violence ethnique est inouïe. Des jets de cocktails Molotov, des passages à tabac et du vandalisme ont nourri une escalade de la violence réciproque entre des groupes d’Israéliens juifs et arabes. Les responsables de la sécurité israéliens craignent que le phénomène ne se transforme en guerre civile.
Les forces de police locales étant mobilisées à l’extrême – au plus fort des émeutes, le gouvernement a appelé des milliers de réservistes de la police des frontières pour aider à réprimer la violence – des citoyens tels que Habashi ont pris les choses en main en organisant des groupes de surveillance locaux.
« Nous montons la garde jusqu’à la prière du fajr à 4h30 du matin », a déclaré Habashi au Times of Israel un matin alors qu’il montait la garde devant chez lui. « Le moment entre l’aube et le lever du soleil est le plus dangereux – quand il fait encore nuit et que tout le monde est extrêmement fatigué. »
De la tour de l’horloge bien connue à la frontière nord de Jaffa avec Tel-Aviv jusqu’au sud à Ajami, de nombreux groupes de surveillance ont naturellement vu le jour. Ils coordonnent leurs activités en personne et à l’aide de services digitaux tels que WhatsApp – mais pas nécessairement avec la police.
Contrairement aux efforts déployés à l’échelle nationale par les organisations à but non lucratif et d’autres groupes extrajudiciaires et souvent politiques, ces efforts de surveillance de quartier consistent en des regroupements de résidents locaux pour protéger leur environnement immédiat.
Interrogée sur la question de savoir si les veillées de quartier aidaient ou gênaient leurs efforts, la police israélienne n’a pas directement répondu aux demandes répétées du Times of Israel. Mais un porte-parole a encouragé les civils à ne pas faire justice eux-mêmes et à appeler la ligne téléphonique de la police – le 100 – en cas de crime suspecté.
Un porte-parole de la municipalité de Tel Aviv-Jaffa a déclaré qu’il y avait un avantage à ce que les citoyens prennent les choses en main, tant que cela restait légal.
« Chaque initiative et action dirigée par des résidents pour agir de manière responsable est positive, en particulier lorsqu’elle est menée par des résidents arabes et juifs ensemble, et tant que l’initiative est coordonnée avec la police et les forces de l’ordre », a déclaré le porte-parole au Times of Israel.
« Jaffa est un symbole de coexistence au sein de l’Etat d’Israël, et la municipalité accorde une grande importance aux initiatives publiques qui renforcent la cohabitation dans la ville, à condition qu’elles se déroulent dans le cadre de la loi », a déclaré le porte-parole.
Un maintien de l’ordre populaire
Certains des groupes rassemblent des résidents juifs; d’autres, arabes. Certains essaient de sensibiliser la police à leurs efforts; d’autres agissent au mépris des autorités. Et beaucoup essaient de réunir Arabes et Juifs pour restaurer le calme dans les quartiers partagés – une tâche qui s’avère difficile.
À Ajami, majoritairement arabe, la situation reste tendue et de nombreux habitants craignent toujours pour leur sécurité, certains affirmant que la police ne fait qu’attiser les tensions.
Habashi et ses voisins ignoraient qui avait mis le feu aux voitures en face de leurs maisons. Quant à la police, elle ne semblait pas déterminée à résoudre l’affaire, affirment-ils. Ce manque d’informations factuelles, combiné à la peur, à l’anxiété et au manque de soutien de la police, a conduit Habashi et d’autres à monter leur veillée nocturne de quartier, dirigée par des Arabes.
« Nous nous asseyons dehors ensemble, fumons le narguilé, et surveillons tous ceux qui ne sont pas du quartier », a expliqué Habashi. « Nous vérifions les alertes WhatsApp concernant Ajami. Les gars ici ont des scooters et peuvent se déplacer pour voir ce qui se passe. Nous sommes en communication constante partout dans le quartier. »
« Il y a 20 000 résidents arabes à Jaffa », a-t-il dit. « Nous nous connaissons tous. Nous sommes tous des parents éloignés. L’un est le cousin de l’autre. Nous savons comment les gens ici s’habillent, à quoi ils ressemblent et nous pouvons nous identifier. »
Jonglant sans difficulté entre l’arabe, l’hébreu et l’anglais, Habashi se plaint de l’image des résidents arabes de villes mixtes dans les médias israéliens au cours des troubles civils, dépeints principalement comme des agresseurs.
À Ajami, affirme Habashi, de nombreux résidents arabes comme lui étaient sur la défensive. Ils avaient essayé de rester calmes en voyant de loin le chaos se dérouler dans d’autres villes. Mais une fois que la violence a atteint leurs portes, les habitants de Jaffa ont estimé qu’ils devaient prendre des mesures pour se défendre, protéger leurs biens et leurs quartiers.
« Les gens ici ont rapidement réalisé ce qui était en jeu », a déclaré Habashi. « Nous vivons avec nos voisins, nous aimons nos voisins, nous respectons nos voisins et ne voulons pas que quiconque soit blessé. Les gens sont rapidement passés de l’offensive à la défense – même dans les quartiers habituellement hostiles d’Ajami. »
Au plus fort des émeutes, et alors même qu’une importante présence policière avait été mise en place, les jeunes hommes d’Ajami patrouillaient seuls dans le quartier, souvent en petits groupes combinant vélo électrique et voiture. D’autres, comme Habashi, se sont assis en petits groupes devant leur maison ou leur magasin pour créer un sentiment de présence et d’ordre.
« Les gens qui ont grandi à Jaffa, nous nous respectons tous. Si quelqu’un a des problèmes, nous l’aiderons. Nos voisins veulent juste la paix. Nous vivons ici depuis des décennies », a déclaré Habashi.
‘Nous devons arriver à travailler ensemble’
Karin, une résidente juive d’Ajami, a partagé une expérience similaire à celle d’Habashi. Après avoir été témoin de ce qui est arrivé à leur quartier au cours des dernières semaines, les civils ont commencé à tenter de calmer la situation par eux-mêmes, a-t-elle déclaré au Times of Israel.
« Je suis au courant de nombreuses tentatives de surveillance de quartier en ce moment », a déclaré Karin, qui a demandé que son nom de famille ne soit pas divulgué. « Les Juifs et les Arabes ont le sentiment qu’ils doivent reprendre le contrôle. De nombreux efforts sont coordonnés – non pas avec des matraques ou des fusils, mais simplement entre individus qui veulent pouvoir marcher en toute sécurité dans les rues. »
Karin a également noté que Juifs et Arabes devaient faire ces efforts ensemble.
« Nous devons pouvoir coopérer avec les résidents arabes », a-t-elle souligné. « Ce soir, un groupe de musulmans et de juifs sortent pour se promener tranquillement ensemble. Pour essayer, en tant que citoyens, de calmer la situation et de protéger notre maison. »
Plus tard dans la nuit, Karin a contacté le Times of Israel pour dire que les résidents musulmans s’étaient retirés de l’initiative. La patrouille n’aurait pas lieu.
La difficulté de coordination entre les différentes divisions reste une lutte commune pour de nombreux groupes de surveillance du quartier de Jaffa. La période de violence – les Juifs contre les Arabes et les Arabes contre les Juifs – a suscité la méfiance chez des voisins auparavant amis.
Dans la zone à prédominance juive du nord de Jaffa, qui a connu de violentes attaques contre des civils et des magasins, des veilles séparées juives et arabes se déroulaient à quelques pas l’une de l’autre.
« Nous sommes assis devant la mosquée pour nous assurer que personne ne cause de problème », a déclaré un Arabe de la mosquée Al Sik Sik, au nord de Jaffa, qui a demandé à rester anonyme. « Bien sûr, la police est postée au coin de la rue. Mais ils sont entrés dans notre mosquée et nous ont tiré dessus il y a quelques jours. Nous devons faire en sorte de nous protéger. »
De l’autre côté du parc de la mosquée Al Sik Sik, un résident juif a également mis en place une surveillance locale du quartier. Lui aussi a demandé l’anonymat; de nombreux citoyens impliqués dans les veilles de quartiers se montrent réticents à attirer l’attention sur le phénomène.
« L’idée derrière la surveillance de quartier est de créer un système de partage de renseignements », a déclaré le résident. « Les membres sont dispersés dans le quartier et peuvent envoyer des mises à jour en temps réel. Si quelqu’un a des problèmes, il envoie simplement une position et nous accourons pour aider. »
« Nous effectuons des patrouilles dans le quartier pour nous assurer que les Juifs ne sont pas blessés. Beaucoup d’entre nous sont armés de matraques et de sprays au poivre. Nous voulons que les gens aient moins peur et se sentent plus en sécurité. Certains résidents sont contre cet effort et préfèrent rester dans la peur. Ce n’est pas mon cas. C’est mon quartier. C’est ma maison. C’est mon choix de me défendre », a déclaré le résident.
Qui surveille les surveillants
Alors que dans certaines patrouilles, Juifs et des Arabes travaillent séparément, d’autres tentatives ont entrepris de combler le fossé, par exemple dans des groupes WhatsApp tels que « Préparation de gardes de voisinage » (Jaffa). Mais les querelles internes incessantes sur les règles de groupe, la politique, les conventions de dénomination et les tactiques à adopter ont suscité de vives réactions et ont rendu l’action difficile.
« Dans beaucoup de ces groupes, les gens ne font qu’exprimer leurs émotions », a déclaré Seffi Smadga-Wasserman, un résident de longue date de Jaffa, policier bénévole et membre des groupes WhatsApp locaux de surveillance. « Je sais par expérience que dans ce groupe, vous pouvez avoir 50 personnes enthousiastes, mais le moment venu, seules cinq agiront. »
En tant que policier bénévole, Smadga-Wasserman a expliqué le combat difficile que doivent mener ces veilleurs de quartier.
« Les gens veulent protéger le quartier, mais ils n’ont pas les outils pour le faire. Que pouvez-vous faire contre des groupes de jeunes enfants venant avec des battes de baseball ou des pierres ? Les gens ne sont pas équipés pour lutter contre cela », a déclaré Smadga-Wasserman. « Je suis en contact avec la police. Ils savent que ces groupes [de surveillance] sont quelque chose qui ne durera pas longtemps. Les gens sont stressés et l’ouverture d’un groupe de surveillance de quartier peut leur donner la tranquillité d’esprit. Mais je ne pense pas que quoi que ce soit changera. »
La question de la coordination avec la police constitue un autre point de clivage entre les différents groupes de surveillance. Des groupes juifs tels que le garde du nord de Jaffa ont affirmé avoir informé la police de leurs efforts, même si les forces de l’ordre ne collaboraient pas activement avec eux. En revanche, les résidents arabes, tels que Habashi et ceux de la mosquée Al Sik Sik, ont créé des veilles de quartier en grande partie en raison de ce qu’ils appellent la négligence de la police.
« Si la police avait réellement agi et n’avait pas montré de favoritisme clair envers un côté, les choses auraient été plus calmes », a déclaré Habashi. « Mais ils sont arrivés ici et ont chaperonné la population qui a commis les attaques contre les locaux arabes. Vous essayez de me dire que vous tentez d’arrêter la situation ? Je ne pense pas. »
« J’espère que tout se terminera et que nous établirons à nouveau des rapports de bon voisinage », a ajouté Habashi. « Et j’espère qu’il n’y aura pas de prochaine fois. Mais s’il y en a, je devrais me tenir prêt. Parce que je ne me sens pas en sécurité. Je n’ai pas l’impression que les flics peuvent me protéger. »
« Il y a un manque de confiance dans la police et la façon dont elle agit », a déclaré Karin. « Personne ne pense qu’ils n’essaient pas de calmer les choses. Mais ils le font de manière asymétrique. Et quand cette [opinion] est entendue par des gens en dehors de Jaffa, elle peut apparaître comme très gauchiste, extrémiste et politique. »
Plus qu’un palliatif
Les derniers jours ont vu un calme provisoire au milieu d’une présence policière plus élevée. Avec l’estompement de la violence, et avec elle le besoin de surveillance de quartier, de nombreuses personnes impliquées sont conscientes que les groupes sont des solutions à court terme pour des problèmes beaucoup plus profonds. Contrairement à la coexistence fièrement mise en avant par la municipalité, beaucoup ont souligné les problèmes profonds causés par la gentrification rapide de Jaffa par les résidents juifs aisés et religieux.
« Jaffa est très problématique », a déclaré Karin. « Les slogans comme ‘les Juifs et les Arabes refusent d’être des ennemis’ qui ont résulté de ces efforts de surveillance de quartier sont une bonne chose, mais ne résolvent rien. Le problème est vraiment profond et nous devons le résoudre à la racine. Les veilles de quartier ne sont qu’un pansement. »
Elle a ajouté que « de nombreux Juifs qui sont venus à Jaffa récemment ne comprennent pas sa rugosité. Cela donne lieu à un antagonisme. Personnellement, je n’ai aucun problème à vivre ici. Je pense que c’est mon droit. Mais je ne provoquerai pas. Je n’irai pas me plaindre des poulets qui errent, ni de la raison pour laquelle il y a tant de déchets, ni des conducteurs fous. C’est ça, Jaffa. »
Smadga-Wasserman a exprimé des sentiments similaires. « Les gens qui vivent dans le nord de Jaffa, la plupart sont nouveaux ici. Je ne pense pas qu’il reste beaucoup de familles arabes. Donc, ils ne vivent pas vraiment ensemble. Et maintenant, ces résidents ont peur », a-t-il déclaré.
Alors que Habashi a également parlé des problèmes causés par l’embourgeoisement, il a déclaré que de nombreux résidents arabes de Jaffa considéraient que les tactiques de la police et les politiques gouvernementales étaient biaisées en faveur des citoyens juifs.
« Ce qui nous fait vraiment mal, c’est de voir que nous n’avons pas les mêmes droits », a estimé Habashi.
« Tout cela nous met juste face à un miroir. Si nous pensions que nous avancions et que le racisme diminuait, nous voyons maintenant le contraire. Nous voyons beaucoup de gens contre les Arabes, contre la coexistence. Nous espérons que cela changera. »