La Conférence sur le changement climatique des Nations unies – connue également sous le nom de 29e Conférence des parties, ou COP29 – approche à grands pas. A cette occasion, des dizaines de milliers de dirigeants et de citoyens venus du monde entier se réuniront pour deux semaines de discussions consacrées au dérèglement climatique et aux moyens à mettre en œuvre pour le ralentir.
Au cours des deux dernières années, ces conférences ont été accueillies par des pétro-États – l’Égypte et Dubaï. Le 11 novembre, le coup d’envoi de ce sommet déterminant sera donné en Azerbaïdjan, dans un pays encore une fois riche en or noir.
A la fin de l’année 2021 – c’était juste avant la COP26 qui avait été organisée en Écosse, à Glasgow – le président Isaac Herzog avait lancé le Forum israélien sur le climat. L’idée était de rassembler le gouvernement et des représentants de la société civile en utilisant le « soft power » qui est celui du chef de l’État pour aider à promouvoir le changement politique.
Herzog avait nommé à sa présidence Dov Khenin, ancien député à la Knesset de la faction de gauche – majoritairement arabe – Hadash. Il est aussi l’un des activistes et experts des questions relatives à l’environnement les plus éminents du pays.
Huit groupes de réflexion, chacun se consacrant à un sujet particulier, avaient été formés, impliquant 180 participants au total. Parmi les problématiques abordées dans chacun de ces groupes, l’énergie et l’industrie ; l’espace urbain; l’agriculture, l’alimentation et la nature ; l’économie verte ; la culture et l’éducation ; la réduction de la consommation et des déchets ; la coopération et la sécurité régionales ; la santé, l’action sociale et les populations vulnérables.
Dans chaque groupe siègent des experts universitaires ou issus d’organisations de la société civile qui sont chargés de développer des initiatives susceptibles d’être présentées par les politiciens à la Knesset, sous la forme de projets de loi privés. Environ 70 de ces initiatives ont été menées à leur terme jusqu’à présent.
Les conférences de la COP ont plutôt acquis, avec le temps, une mauvaise réputation dans la mesure où elles s’achèvent traditionnellement par des prises de décision qui sont largement considérées comme faibles et insuffisantes. Les pays présents – plus de 190 pays dont les intérêts diffèrent de manière très importante, qu’il s’agisse de pays producteurs de pétrole ou d’îles menacées de disparition en conséquence de la hausse du niveau de la mer – doivent ainsi trouver un consensus sur des questions liées au climat.
De plus, au cours des deux dernières éditions, les lobbyistes du secteur des énergies fossiles ont été autorisés à pénétrer dans les coulisses les plus secrètes de la COP tandis que les mouvements de protestation civils ont été cantonnés aux zones périphériques.
Dans les jours qui ont précédé l’ouverture de la COP29 à Bakou, le Times of Israel s’est entretenu avec Dov Khenin au sujet du Forum et de la prochaine conférence des Nations unies.
Cet entretien a été révisé à des fins de clarté et de brièveté.
Le Times of Israel: Tant de choses ont changé en l’espace de trois ans. A quoi ressemble donc le Forum israélien sur le climat aujourd’hui ?
Dov Khenin : Les groupes travaillent toujours. Nous continuons à organiser des conférences trimestrielles. Au cours de la première année, les différents groupes ont produit environ 70 initiatives que nous avons transformées en projets de loi pour les membres de la Knesset, avec notamment des textes totalement prêts à être soumis à titre privé par les législateurs. Nous avons tenté également d’engranger un soutien politique en faveur de chacune de ces propositions.
Nous avons connu des succès, par exemple, en matière d’éducation et d’enseignement supérieur – et là, je dois faire l’éloge de l’ancienne ministre de l’Éducation Yifat Shasha-Biton et de la directrice-général de son ministère, Dalit Stauber. Elles ont travaillé avec nous et elles ont intégré le problème du climat dans tous les programmes scolaires, du CP jusqu’à la Terminale. Ce qui a été très important – même si la mise en œuvre de cette intégration est complexe et qu’elle nécessite de former les principaux et les enseignants et de procéder à des changements dans les manuels.
Dans les débuts du forum, le président avait invité les présidents d’université. Nous voulions voir l’enseignement supérieur devenir le fer de lance de la recherche, et de son impact sur le climat. Aujourd’hui, il y a des centres sur le climat partout dans les universités. Des réussites comme celles-ci résultent du travail qui a été livré par de nombreux partenaires. Par exemple, le Conseil de sécurité nationale a décidé que le climat serait un sujet important pour le monde académique. Des appels aux financements pour la recherche sur le climat ont depuis été lancés. Ces derniers mois, nous avons créé un Conseil du forum israélien sur le climat, qui rassemble les présidents des différents groupes et des responsables des ministères qui, au niveau professionnel, peuvent aider à faire avancer les choses.
Quelle réponse apporte le gouvernement actuel à votre travail ?
La crise politique profonde dans laquelle est plongé le pays a commencé en 2023. [La coalition de droite dirigée par le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait été finalisée le 29 décembre 2022 et elle s’était alors embarquée dans un projet de refonte radicale du système judiciaire qui avait entraîné une très forte opposition]. Ce qui a affecté nos capacités à faire avancer nos initiatives à la Knesset et au gouvernement.
En raison de cette crise, nous investissons dorénavant dans les autorités locales qui ont prouvé, pendant l’épidémie de coronavirus et pendant la guerre, qu’elles sont en mesure de répondre aux problèmes connus par les résidents lorsque le gouvernement disparaît ou qu’il garde le silence. [Le 7 octobre 2023, des terroristes du Hamas avaient envahi le sud d’Israël, se livrant à un pogrom : Ils avaient massacré plus de 1 200 personnes, kidnappant également 251 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza – déclenchant la guerre actuelle qui oppose Israël au groupe terroriste au sein de l’enclave côtière.] Alleurs, dans le monde, les autorités locales donnent le ton sur les sujets relatifs au climat lorsque le gouvernement central s’implique moins – voire qu’il fait obstruction. Pendant la présidence de Donald Trump, aux États-Unis, les états avaient fait progresser des initiatives d’une grande importance.
Et quels ont été les progrès réalisés par le forum avec les autorités locales ?
En Israël, les autorités locales sont faibles par rapport au gouvernement central. De plus, 2023 avait été une année marquée par des élections locales. Une période pendant laquelle les maires ont tendance à ne pas lancer d’initiatives ambitieuses qui seraient susceptibles de leur coûter des votes. Par exemple, ils peuvent être réticents à l’idée de promouvoir les transports publics, par crainte de susciter la colère des automobilistes. Nous n’avons pu commencer à travailler en concertation avec les autorités locales qu’après ces élections.
Nous sommes en train de créer un groupe de maires qui représentent le spectre tout entier de la société israélienne, des maires qui nourrissent des ambitions sur la question du climat et qui passeront à l’acte sous l’autorité du président. Nous espérons qu’ils incarneront des modèles positifs pour les autres et qu’ils montreront que nous pouvons procéder à des changements qui contribuent à la qualité de vie tout en rassemblant les soutiens.
Comment la guerre a-t-elle impacté votre travail ?
Au mois de novembre 2023, nous avons émis un document qui établissait que la guerre rendait plus pertinentes encore les problématiques que nous prenons en charge.
Prenez l’énergie. Le gaz représente 70% de l’énergie utilisée pour le système de production d’électricité. Toutefois, les puits et les plateformes de production sont offshores et ils sont très vulnérables. Ce n’est pas un hasard si la plateforme gazière de Tamar [dans le sud d’Israël] a été fermée pendant plus d’un mois à cause des combats à Gaza et si la plateforme Leviathan [dans le nord d’Israël] a cessé temporairement ses activités lorsqu’il y a eu l’escalade avec le groupe terroriste du Hezbollah [soutenu par l’Iran] au Liban. Nous savons que ce sont deux cibles majeures dans le cadre de la guerre.
Notre charbon provient de pays tels que la Colombie. La Colombie a récemment annoncé stopper ses exportations en direction d’Israël. Israël peut importer à partir d’autres pays, comme la Chine, mais dans la réalité actuelle, ce n’est pas fiable non plus. De surcroît, le charbon arrive dans des bateaux-citernes, par la mer, ce qui représente un risque en cas de guerre [les rebelles houthis, soutenus par l’Iran, ont attaqué de manière répétée les navires qui transitent au large du Yémen]. Nous avons également deux ports où le charbon est réceptionné et qui sont vulnérables – Ashkelon et Hadera. Le terminal d’Ashkelon a été endommagé, l’année dernière, par une tempête et les approvisionnements en charbon se font encore en camion, depuis Hadera.
La troisième source de notre électricité, c’est le pétrole. Le pétrole en provenance d’Azerbaïdjan est transporté par un pipeline qui traverse la Turquie. La Turquie le permet pour le moment mais nous ne pouvons pas avoir la certitude que ça va continuer.
Nos centrales électriques alimentées au gaz, au charbon et au pétrole, ainsi que notre réseau d’électricité centralisé sont également déterminants pour nous – et ils sont vulnérables. Si un pylône à haute-tension doit tomber, c’est une grande partie d’Israël qui se retrouvera sans électricité. Nous devons rapidement faire la transition vers un système décentralisé de panneaux solaires qui seront installés sur des centaines de milliers de toits, avec des moyens de stockage, un système qui pourra se connecter au réseau mais qui pourra aussi fonctionner de manière indépendante si le réseau doit tomber en panne.
Et c’est la même chose pour la sécurité alimentaire. Nos infrastructures alimentaires dépendent trop lourdement des importations. Nous devons passer en revue toutes ces questions et montrer comment les choses que nous suggérions avant la guerre sont devenues d’autant plus urgentes aujourd’hui.
Sur quels sujets le forum se concentre-t-il ?
Nous nous concentrons sur la résilience dans les secteurs de l’énergie, de la sécurité alimentaire, des communautés et des transports. Le territoire israélien est un embouteillage géant. Nous devons mettre fin à notre dépendance à l’égard des voitures des particuliers.
Quels sont les résultats du gouvernement sur toutes les problématiques liées à l’environnement et au climat ?
Israël est à la traîne. Le contrôleur de l’État, qui a émis deux rapports hautement critiques, indique que nous avons les cibles les plus basses du monde développé en matière de réduction des émissions à effet de serre – des cibles que nous sommes par ailleurs incapables d’atteindre. La coalition au pouvoir avait promis d’adopter dans les six mois de son arrivée une loi visant à réduire les émissions à effet de serre de 50% à l’horizon 2030. A la place, elle a présenté une loi d’une grande faiblesse à la Knesset qui reflète parfaitement le gouffre qu’il peut y avoir entre les belles paroles et le passage à l’acte.
Quelles sont vos attentes s’agissant de la COP29, et quelle est l’importance réelle de ces COPs ?
Cette COP aura lieu une semaine après les élections américaines. Leurs résultats auront un impact significatif sur la politique mondiale en ce qui concerne le climat. Trump est très lié aux intérêts des industries du pétrole, du charbon et du gaz et s’il est élu, alors les choses seront plus compliquées.
J’aimerais voir un système international plus fort. Nous avons un système qui est faible, mais il est ainsi et nous ne pouvons pas nous en passer. Si les conférences de la COP n’étaient pas importantes, les entreprises de l’industrie des énergies fossiles n’enverraient pas autant de lobbyistes et elles n’investiraient pas autant d’argent pour influencer les décisions qui y sont prises.