MAJDAL SHAMS – La barrière frontalière dans la vallée bordant cette ville druze du Golan était autrefois surnommée la « barrière des cris », un lieu où les habitants du côté israélien et leurs proches du côté syrien s’appelaient à haute voix pour échanger des nouvelles.
« C’était avant WhatsApp et Zoom », plaisante une habitante qui a préféré garder l’anonymat, lundi, au lendemain de la chute du régime du président syrien Bashar al-Assad.
Partout dans le monde, des Syriens sont descendus dans la rue pour célébrer la fin de la dictature d’Assad. Les Druzes de Majdal Shams ont également organisé des défilés dans leur ville, située sur le plateau stratégique du Golan, capturé à la Syrie lors de la guerre des Six Jours en 1967 et annexé de facto par Israël en 1981.
Pour cette communauté, la joie suscitée par ce changement politique soudain en Syrie est doublement significative. Depuis 57 ans, les familles du plateau du Golan, qui inclut Majdal Shams et trois autres localités — Ein Qiniyye, Mas’ade et Buq’ata —, sont séparées de leurs proches vivant en Syrie. Une zone tampon contrôlée par les Nations unies divise les deux côtés, avec un seul point de passage entre eux.
Bien qu’Israël et la Syrie soient toujours officiellement en état de guerre, quelque 20 000 résidents druzes du plateau du Golan nourrissent désormais l’espoir que le nouveau gouvernement syrien leur permettra de renouer physiquement avec leurs familles.
« La chute d’Assad est une bonne nouvelle », déclare Em Nasim Nabih, coiffée du voile blanc traditionnel druze, mais laissant son visage découvert, contrairement à certaines femmes plus traditionnelles. Elle partage son enthousiasme en passant près de la barrière frontalière.
Cet événement semble être un heureux présage moins de cinq mois après une attaque dévastatrice du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah le 27 juillet, qui a coûté la vie à 12 enfants et adolescents jouant sur un terrain de football au centre de la ville.
Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière menée par le Hezbollah depuis que le groupe terroriste a commencé ses frappes sur le nord d’Israël le 8 octobre 2023, un jour après le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas dans le sud d’Israël, au cours duquel les terroristes du groupe ont assassiné plus de 1 200 personnes et en ont kidnappé 251 qu’ils ont emmenés dans la bande de Gaza.
Tout au long de la guerre contre le Hezbollah — qui s’est achevée le 27 novembre avec un cessez-le-feu de 60 jours — les habitants de Majdal Shams ont vécu dans une véritable zone de guerre.
« Jusqu’à ce jour, nous n’avons pas connu la paix », a déclaré Nabih.
Interrogée sur ses opinions politiques et sa loyauté, Nabih a confié à un journaliste du Times of Israel qu’elle ne voulait pas débattre de la question de savoir si le plateau du Golan « est syrien ou israélien ».
Elle a exprimé un profond attachement ancestral et spirituel à cette terre, insistant sur le fait que ses liens sont avant tout envers le territoire qu’elle habite, et non nécessairement envers les dirigeants qui le gouvernent.
« Nous n’avons pas quitté nos maisons lorsque la région est passée de la Syrie à Israël », a-t-elle déclaré. « Nous sommes ici. »
Nabih a également exprimé son espoir que le nouveau gouvernement « écoutera les besoins de la population. »
Abu Mohammed al-Jolani, chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), a lancé une offensive éclair avec d’autres groupes rebelles, s’emparant de territoires contrôlés par le gouvernement et capturant Damas dimanche dernier. Al-Jolani, qui utilise désormais son vrai nom, Ahmed al-Sharaa, a tenté de rassurer les minorités en leur disant qu’il ne s’ingérerait pas dans leurs affaires. À Alep, conquise par les rebelles islamistes une semaine plus tôt, aucune représailles n’a été signalée.
De nombreux Syriens craignent toutefois que le HTS n’impose un régime islamiste strict, en raison des liens historiques du groupe avec Al-Qaïda.
Les Druzes, une branche mystique issue de l’islam chiite au XIe siècle et considérée comme hérétique par l’islam sunnite, ont souvent été la cible de groupes islamistes radicaux. Certains habitants ont exprimé leur inquiétude de voir al-Jolani se muer en ennemi des Druzes.
Un village de montagne cosmopolite
La rue principale de Majdal Shams, perchée sur un versant escarpé du mont Hermon — connu en arabe sous le nom de Jabal al-Sheikh ou « montagne du cheikh » — conserve l’allure d’un village de montagne tout en arborant un caractère cosmopolite. Cafés haut de gamme, boutiques de vêtements et de cosmétiques, et l’odeur des poêles à bois s’y mêlent harmonieusement. Au lieu des drapeaux noirs de deuil déployés après l’attaque du Hezbollah, un grand drapeau de l’opposition syrienne flotte désormais sur la place principale de la ville.
Ce renouveau en Syrie a insufflé un sentiment de fierté chez les habitants druzes, pour un pays qui n’avait jusque-là engendré que désespoir depuis le début de la guerre civile en 2011. Néanmoins, la chute d’Assad a également ravivé des questions complexes d’identité, de loyauté et d’appartenance.
Certains Druzes du Golan se définissent comme des « Golanais » et, contrairement aux 150 000 Druzes qui vivent dans d’autres régions d’Israël, ils ne possèdent pas la citoyenneté israélienne et ne servent pas dans Tsahal. Ailleurs en Israël, les Druzes ont accepté la souveraineté israélienne après la création de l’État en 1948 et s’identifient généralement comme des Israéliens. Les hommes issus de ces communautés druzes servent dans les Tsahal.
Les « Golanais » entretiennent une relation ambivalente et ambiguë avec Israël, tout en maintenant une fidélité symbolique à la Syrie, un pays que certains d’entre eux n’ont jamais visité, mais qu’ils considèrent malgré tout comme leur « maison ».
Parmi la foule de résidents et de journalistes rassemblés près de la barrière frontalière se trouvait Wassim Safadi, un vidéaste né à Majdal Shams.
Il observait les soldats israéliens gardant la clôture, face aux collines syriennes. Peu après la chute du régime d’Assad dimanche, Tsahal a pris le contrôle de la zone tampon dans le nord du plateau du Golan sans rencontrer de résistance. L’armée a déclaré que cette opération visait uniquement à empêcher d’éventuelles attaques contre Israël.
S’exprimant sur la chute d’Assad, Safadi a dit qu’il avait regardé les vidéos des prisonniers libérés en Syrie.
« Seul un individu doté d’un esprit criminel peut faire cela à son propre peuple », dit-il. « Il se disait le leader du monde syrien, mais on comprend que ce n’est qu’un lâche. »
Safadi a également exprimé l’espoir de pouvoir revoir sa sœur, qui a quitté Majdal Shams pour se marier en Syrie en 2008. Il ne l’a pas vue depuis.
Cependant, il a aussi laissé transparaître sa colère : « Nous voyons comment les autorités israéliennes nous traitent », a-t-il déclaré. « Nous payons des impôts ici, en Israël, mais nous sommes toujours traités comme des citoyens de troisième classe. Nous espérons qu’un jour, nous pourrons vivre dans l’égalité ici. »
En novembre, le ministère de l’Éducation avait annoncé un nouveau programme scolaire destiné à enseigner l’histoire, la culture, la religion et la société druzes, incluant « le contexte historique entre la communauté druze et l’État d’Israël ».
Une transition incertaine
Linda Hassan, commerçante à Majdal Shams, vend des balais faits de brindilles, des nattes brodées, et des spécialités culinaires propres au plateau du Golan, comme de la graisse de mouton fondue avec des morceaux de viande.
« Nous sommes heureux de ce qui s’est passé en Syrie, mais nous avons aussi peur », confie-t-elle. « Lorsqu’il y a une transition, on ne sait jamais ce qui va suivre. »
En Israël, les Druzes du Golan sont considérés comme des résidents permanents. Ils bénéficient de l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres services sociaux, ainsi que de la liberté de circulation sur le territoire israélien. Hassan explique que l’une des raisons pour lesquelles les Druzes du Golan ne servent pas dans l’armée israélienne est qu’« ils pourraient se retrouver à combattre leurs propres cousins ».
« Nous vivons bien ici, mais nos cœurs sont en Syrie », ajoute-t-elle.
En 2022, le nombre de Druzes du Golan demandant la nationalité israélienne a augmenté en raison de la guerre civile syrienne. Cependant, la plupart préfèrent maintenir leur statut de résident permanent, craignant que l’acceptation de la souveraineté israélienne ne mette en danger leurs proches vivant de l’autre côté de la frontière, en Syrie.
Selon la colonel (à la retraite) Sarit Zehavi, fondatrice du Centre Alma, un institut de recherche israélien spécialisé dans les questions de sécurité dans le nord du pays, la communauté druze craint également d’être accusée de trahison par les autorités de Damas si la région venait à être restituée à la Syrie.
Sur la rue principale de Majdal Shams, Kinana Ibrahim, 22 ans, se tenait dans un magasin de vêtements, entourée de jeans de marque, de [vestes] bombers et de casquettes de baseball à la mode.
« C’est très compliqué. Personne ne sait ce qui va se passer », a confié Ibrahim, 22 ans.
Bien qu’elle soit née en Israël, elle refuse de demander un passeport israélien. Elle rêve de visiter la Syrie, un pays dont elle a souvent entendu parler.
« C’est magnifique là-bas, mais la vie y est dure », explique-t-elle. « Beaucoup de gens rêvent de visiter la Syrie. »
Elle ajoute que certains habitants du village espèrent que Majdal Shams sera un jour restitué à la Syrie, un sujet que d’autres préfèrent éviter.
« Je suis née en Israël, mais je suis syrienne dans mon cœur », dit-elle.