JTA – Lorsque Daniel Schleider et sa femme, Lior, quitteront Israël le mois prochain, ce sera pour de bon – et le cœur lourd.
« Je n’ai aucun doute sur le fait que j’aurai des larmes aux yeux pendant tout le vol », a déclaré Schleider, né au Mexique et qui a vécu quelque temps en Israël lorsqu’il était enfant avant d’y retourner seul à l’âge de 18 ans. Se décrivant comme « profondément sioniste », il a servi dans une unité de combat de l’armée israélienne, a épousé une Israélienne et a fait carrière dans une société israélienne.
Et pourtant, lorsque le Premier ministre Benjamin Netanyahu est revenu au pouvoir, a formé une coalition avec des partis d’extrême droite et a commencé à proposer des changements susceptibles d’éroder les principes fondamentaux de la démocratie israélienne, Schleider a pris des billets d’avion et s’est mis en quête d’un appartement à Barcelone. Il a choisi cette ville en raison de la langue parlée et du faible coût de la vie, mais ce qui l’a réellement attiré, c’est la possibilité de vivre dans un endroit où il n’aurait pas à subir quotidiennement les changements en cours en Israël.
La force d’Israël, depuis qu’elle existe, est « l’économie que nous avons bâtie en vendant nos cerveaux…. Et maintenant, en moins de six mois, nous avons réussi à détruire tout cela », a déclaré Schleider.
Schleider a pris part aux vastes manifestations organisées à travers le pays en réponse au nouveau gouvernement de droite et à ses efforts visant à priver le système judiciaire israélien d’une grande partie de son pouvoir et de son indépendance. Mais s’il a songé à renouveler son engagement envers son pays et à lutter contre les changements plutôt qu’à les fuir, il a aussi été forcé d’admettre l’argument du gouvernement selon lequel la majorité des Israéliens ont voté pour ce en quoi ils ne croient pas.
« Je suis en proie à de nombreux conflits internes », a-t-il expliqué à propos des manifestations. « Qui suis-je pour lutter contre ce que la majorité a accepté ?
Schleider est loin d’être le seul à vouloir quitter Israël cette année. Si le phénomène de quitter Israël n’est pas nouveau pour les Israéliens, qui se sont toujours expatriés pour diverses raisons, notamment pour profiter d’opportunités commerciales ou acquérir de l’expérience dans des domaines particuliers, le rythme des départs prévus semble s’être accéléré. Un grand nombre d’Israéliens envisagent actuellement d’émigrer ; le terme en hébreu est yerida et signifie « descente ».
Beaucoup de ceux qui envisagent d’émigrer y avaient déjà songé auparavant, mais le nouveau gouvernement les a finalement convaincus, à en croire les témoignages de dizaines de personnes à différents stades de leur processus d’émigration et les organisations qui cherchent à les aider.
« Cela faisait déjà quelques années que j’envisageais la chose, non pas de quitter Israël, mais de déménager pour découvrir de nouveaux horizons », a confié Daniel Schleider.
« Mais depuis un an, avec toute la folie et tout le reste, j’ai vu où allait le pays. Et après les récentes élections, c’est ma femme, qui était loin d’être convaincue avant cela, qui a pris la décision et qui a dit qu’elle comprenait maintenant dans quelle direction évoluait ce pays et à quoi ressemblerait la vie en Israël. Cela a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », a-t-il déclaré.
« Et puis, au moment où a commencé la question de la révolution [judiciaire], nous avons décidé de ne plus attendre et de nous lancer sans plus attendre ».
Depuis le jour où le ministre de la Justice, Yariv Levin, a présenté son projet de réforme judiciaire en janvier, Ocean Relocation, organisme d’aide à l’immigration vers et à l’émigration depuis Israël, reçoit plus de 100 demandes de renseignements par jour de la part de personnes cherchant à partir. Selon Shay Obazanek, responsable de l’organisation, ce chiffre est quatre fois supérieur à celui de l’année dernière.
« Jamais dans l’histoire il n’y a eu une telle demande », a déclaré Obazanek, citant les 80 ans d’expérience de l’entreprise comme « baromètre » des mouvements vers et hors du pays.
Shlomit Drenger, chargée du développement commercial d’Ocean Relocation, explique que les personnes qui désirent partir appartiennent à toutes les couches de la société. On trouve parmi eux des familles poussées à partir par la situation politique, des personnes qui investissent dans l’immobilier à l’étranger pour se mettre à l’abri en cas de besoin, et des Israéliens qui peuvent travailler à distance et qui s’inquiètent des bouleversements qui secouent le pays. L’économie est également un sujet de préoccupation : Les investisseurs étrangers ont émis des mises en garde alarmantes concernant l’économie israélienne si les réformes judiciaires étaient adoptées, les entreprises hésitent à investir dans le pays et le shekel est déjà en chute libre, ce qui pourrait augmenter le coût d’un départ à l’avenir.
Selon Drenger, la destination la plus fréquente parmi ceux qui partent est l’Europe, qui compte pour 70 % des déménagements, contre 40 % dans un passé récent. Les avantages de l’Europe comprennent les fuseaux horaires, les indices de qualité de vie et, surtout, la facilité relative, ces dernières années, à obtenir des passeports dans des pays tels que le Portugal, la Pologne et même le Maroc. De nombreux Israéliens sont originaires de ces pays et ont ou ont eu droit à la citoyenneté aujourd’hui parce que les membres de leur famille avaient été contraints de partir sous la contrainte pendant la Shoah ou l’Inquisition espagnole.
L’émigration vers les États-Unis, où vivent la grande majorité des citoyens israéliens à l’étranger, a en revanche considérablement diminué, selon Drenger. Les États-Unis sont connus pour la sévérité de leurs législations en matière d’immigration et pour le coût élevé de la vie dans les régions où vivent d’importantes communautés israéliennes et juives. De plus, ceux qui n’ont pas droit à un passeport étranger ont plus de facilité à obtenir des droits de résidence en Europe qu’aux États-Unis.
Certains Israéliens ont décidé de partir sans choisir de destination particulière. C’est le cas d’Ofer Stern, 40 ans, qui a quitté son emploi de développeur tech, a quitté Israël et voyage maintenant à travers le monde avant de décider où s’installer.
« Nous vivons dans une démocratie et cette démocratie dépend de la démographie et je ne peux pas lutter contre cela », a-t-il déclaré, faisant allusion au fait que les juifs orthodoxes, qui ont tendance à être de droite, constituent le segment de la population israélienne qui connaît la croissance la plus rapide. « Le pays que j’aime et que j’ai toujours aimé ne sera plus là dans dix ans. À la place, il y aura un pays qui conviendra à d’autres personnes, mais pas à moi ».
Alors que d’autres ont déjà entamé leur processus d’émigration, Marni Mandell, née aux États-Unis et mère de deux enfants, vit à Tel-Aviv. Sa plus grande crainte est que les réformes judiciaires n’ouvrent la voie à des changements significatifs en matière de protection des droits civils – et qu’elles ne rompent ainsi le contrat qui la lie au pays qu’elle a choisi.
« Si cette soi-disante ‘réforme’ est adoptée, ce qui équivaut en fait à un coup d’État, j’ai du mal à m’imaginer vouloir voir mes enfants grandir et combattre dans une armée dont le particularisme l’emporte sur les droits de l’homme fondamentaux qui sont au cœur de mes valeurs », a déclaré Mandell.
La plupart des personnes qui envisagent d’émigrer pour des raisons politiques ne le font pas en général. Durant les semaines qui ont précédé l’élection présidentielle américaine de 2020, les demandes de renseignements adressées à des cabinets d’avocats spécialisés dans l’aide à l’émigration des Américains avaient aussi connu une forte hausse – beaucoup d’entre elles provenaient de Juifs craignant une seconde administration Trump après le refus du président américain de l’époque, Donald Trump, de condamner sans équivoque les suprémacistes blancs. Lorsque le président américain Joe Biden a été élu, ils ont en grande partie désactivé la sonnette d’alarme.
Mais les raisons pour lesquelles le scénario de Trump n’est pas analogue à celui d’Israël sont multiples, à commencer par le fait que les Israéliens réagissent ici aux décisions politiques d’un gouvernement élu, et pas seulement à la perspective d’un résultat électoral. En outre, la législation américaine contient des mécanismes de contrôle destinés à empêcher un parti ou un dirigeant unique d’accéder au pouvoir absolu. Israël dispose moins de ces protections, et nombre d’entre elles seraient menacées si les propositions du gouvernement étaient adoptées.
Casandra Larenas a longtemps caressé l’idée de partir à l’étranger. « N’ayant pas d’enfants, je ne vois pas ce qu’Israël a à offrir et c’est un pays très cher. J’ai beaucoup voyagé et je suis consciente de la qualité de vie offerte à l’étranger », a-t-elle déclaré. Mais elle a ajouté qu’elle avait toujours repoussé l’idée : « Je reste juive et ma famille est ici ».
La réforme du système judiciaire a changé la donne. Si elle n’est pas opposée à l’idée d’une réforme en soi, Laranes s’oppose fermement à la manière dont elle est menée, estimant qu’elle ne tient absolument pas compte des millions de personnes se trouvant dans le camp adverse. Née au Chili, elle a grandi sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet.
« Je m’en souviens encore et je ne veux pas revivre cela », a déclaré Larenas, qui a acheté un billet d’avion pour la fin du printemps et envisage de s’installer à l’étranger, tout en précisant qu’elle conserverait sa nationalité et qu’elle gardait l’espoir d’un jour revenir dans son pays.
Le départ des Israéliens libéraux et modérés pourrait avoir des conséquences sur l’avenir politique du pays. Israël n’autorise pas ses citoyens à voter de l’étranger, ce qui signifie que toute personne quittant le pays doit effectuer des déplacements coûteux et potentiellement fréquents pour participer aux élections – ou renoncer complètement à toute participation politique.
Benjamin-Michael Aronov, qui a grandi aux États-Unis avec des parents russes, s’est dit surpris par le nombre de fois où des Israéliens ont exprimé leur surprise de le voir s’installer en Israël. La première question que me posent les Israéliens est la suivante : « Pourquoi avez-vous quitté les États-Unis pour venir vous installer ici ? Nous essayons tous de partir d’ici. Il n’y a pas d’avenir ici ».
Aujourd’hui, il se rend compte qu’ils avaient raison.
« Je pensais que ces avertissements toucheraient nos enfants ou nos petits-enfants, et que nous profiterions de l’âge d’or israélien de la high-tech et de la laïcité. Mais je me rends compte que la pérennité de la bulle de Tel Aviv, avec ses plages, ses fêtes et ses gens laïcs et intelligents qui changent le monde grâce à la technologie, tient peut-être encore plus du fantasme aujourd’hui que lorsque Herzl en a rêvé », a déclaré Aronov. « J’avais trouvé mon foyer parfait, un foyer juif, mais malheureusement il est en train d’être détruit par des juifs ».
Tous ceux qui ont choisi de quitter le navire ne sont pas idéologiquement alignés sur le mouvement de protestation. Amir Cohen, qui a demandé à utiliser un pseudonyme parce qu’il n’a pas encore informé ses employeurs de ses projets, est un professeur d’informatique à l’université d’Ariel, en Cisjordanie. Aux dernières élections il a voté pour le parti Otzma Yehudit, présidé par le provocateur d’extrême droite Itamar Ben-Gvir. Cohen était prêt à mettre de côté ses divergences idéologiques avec les partis ultra-orthodoxes si cela permettait d’atteindre la stabilité politique, mais il a vite déchanté.
« Rien de tout cela ne fonctionne. Et maintenant, nous sommes sur le chemin de la guerre civile, c’est aussi simple que cela. Je me suis dit : ‘Je n’ai pas besoin de ces absurdités, il y a plein d’endroits dans le monde où je peux aller’ », confie-t-il.
Cohen est resté dans le pays après la mort d’un de ses frères, tué lors de la guerre de Gaza en 2014. Aujourd’hui, dit-il, ses autres frères lui ont récemment emboîté le pas et ont fait une demande pour obtenir un passeport hongrois dans le but de trouver un moyen de s’installer définitivement à l’étranger.
« Je ne suis pas seul », a-t-il déclaré. « La plupart de mes amis et de ma famille partagent mon sentiment ».
D’autres encore, comme Omer Mizrahi, se considèrent comme apolitiques. Entrepreneur à Jérusalem, Mizrahi, 27 ans, est parti à San Diego, en Californie, il y a un mois, à cause de la réforme. Mizrahi, qui s’est abstenu de voter lors des dernières élections, a exprimé une raison moins courante de partir : il a peur pour sa vie. Il a raconté qu’il était assis dans les embouteillages à Jérusalem et qu’il a réalisé qu’en cas d’attaque terroriste – « et soyons honnêtes, il y en a au moins une ou deux par semaine » – il ne pourrait pas s’échapper à temps parce qu’il était coincé dans un embouteillage. « Nos politiciens ne peuvent rien y faire car ils sont trop pris dans une guerre d’égo ».
Aujourd’hui, à 7 500 kilomètres de là, Mizrahi dit qu’il a l’impression de vivre enfin sa vie. « Je suis assis dans les embouteillages et je me sens heureux comme un poisson dans l’eau. Tout est calme. »
De retour en Israël, Schleider effectue les derniers préparatifs en vue de son départ ; il a mis sa Tesla en vente sur Facebook cette semaine. Il espère que les manifestations pro-démocratie feront bouger les choses. En attendant, son billet aller simple est prévu pour le 14 avril.
« Je rêve de revenir, mais je ne sais pas si cela arrivera un jour », a-t-il déclaré. « Nous avons pris une décision motivée par des intérêts personnels, mais nous ne sommes pas moins sionistes pour autant ».