Raz Elkayam se trouvait à des milliers de kilomètres de chez lui, le 7 octobre 2023. Il accompagnait sa grand-mère à l’occasion de de son premier voyage à l’étranger, à Rome, lorsque les messages avaient commencé à affluer : sa ville natale de Sderot, dans le sud d’Israël, et les communautés situées dans l’enclave de Gaza étaient prises d’assaut par des hommes armés. Sa famille s’était cachée. Les terroristes du Hamas parcouraient les rues. Elkayam n’avait pas hésité. Il avait réservé une place dans le premier vol à destination d’Israël et il s’était présenté pour assumer sa part dans le devoir de réserve.
Étudiant à temps plein à l’université de Tel Aviv, Elkayam, âgé de 27 ans, avait mis toute sa vie entre parenthèses pour servir en tant qu’officier et commandant au sein de la brigade d’infanterie d’Oded, formée de réservistes, comme lui. Il avait passé les trois mois suivants à la frontière du nord de l’État juif, dans un secteur en proie à l’instabilité, sous les tirs nourris du Hezbollah.
Un mois après le début de son service, au beau milieu du chaos, Elkayam avait appris que l’un de ses amis les plus proches, Ori Danino, avait été kidnappé par le Hamas. Danino sera assassiné en captivité, aux côtés de cinq autres otages. Une nouvelle qui avait été dévastatrice – mais Elkayam affirme que penser à Danino reste sa principale source de motivation, un souvenir qui l’aide à se focaliser sur son devoir militaire, même pendant les périodes les plus difficiles.
Malgré les deuils personnels, malgré les exigences du service militaire, Elkayam reste aussi déterminé à continuer son cursus universitaire. Inscrit dans un programme de double diplôme – il fait des études de génie biomédical et de biologie – il raconte ressentir des pressions énormes s’agissant de ses notes et de ses résultats.
« J’ai manqué les trois quarts de mon premier semestre », déclare-t-il au Times of Israel. Il ajoute toutefois qu’il est parvenu à rattraper son retard grâce au soutien de ses professeurs et de ses camarades de cours – mais ça n’a pas été une mince affaire compte tenu du fait qu’il a été rappelé à plusieurs reprises dans la réserve et qu’il a accumulé quelque 350 jours de service depuis le 7 octobre.
« J’ai le sentiment que l’université aide et soutient beaucoup [les réservistes] », dit-il, saluant la flexibilité et la volonté de son établissement de répondre aux besoins des étudiants qui, comme lui, sacrifient le temps qu’ils pourraient consacrer aux études à la défense d’Israël.
En plus de la flexibilité dont font preuve les facultés et les entreprises à travers tout le pays – les réservistes constituant une main-d’œuvre essentielle dans le cadre de la guerre en cours – de nouvelles initiatives citoyennes au sein même de l’armée permettent aux réservistes de poursuivre leur engagement militaire tout en s’occupant de leur famille et de leur équilibre personnel.

Des dizaines de milliers de réservistes mobilisés pendant des mois
L’attaque commise par le Hamas, le 7 octobre 2023, avait été la plus sanglante pour le peuple juif depuis la Shoah. Plus de 1 200 personnes avaient été massacrées dans le sud d’Israël et 251 personnes avaient été kidnappées, prises en otage dans la bande de Gaza. Suite à cet assaut meurtrier, Israël avait déclaré la guerre au Hamas avec pour objectifs déclarés de rapatrier les otages et de renverser le groupe terroriste au pouvoir au sein de l’enclave côtière. A cette fin, Tsahal avait mobilisé 300 000 réservistes. Un grand nombre d’entre eux s’étaient présentés avec enthousiasme, certains se portant même volontaires avant d’avoir reçu leur ordre de mobilisation officiel.
Et début mai 2025, alors que le conflit à Gaza entrait dans son vingtième mois, l’armée a de nouveau convoqué des dizaines de milliers de réservistes après avoir annoncé le lancement d’une offensive élargie contre le groupe terroriste. À peine trois semaines plus tard, l’armée israélienne a révélé son intention de prendre le contrôle de 75 % du territoire en l’espace de deux mois, une campagne de grande envergure qui dépendra fortement des réservistes en matière d’effectifs.
Malgré des informations récentes qui ont semblé faire part d’une baisse de moral chez les soldats à mesure que les combats semblent traîner en longueur, le docteur Ariel Heimann, chercheur au sein de l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS) et officier de réserve en chef de l’armée israélienne, hésite à évoquer une réelle perte de motivation chez les troupes.
« Si une [autre] guerre devait éclater demain, tous les réservistes se présenteraient au rapport », déclare-t-il.

Il reconnaît toutefois qu’il est difficile de maintenir ce niveau de motivation au fil du temps, d’autant plus que les mobilisations répétées pèsent de plus en plus lourd sur le travail, sur la vie familiale et sur les études des soldats.
« Le fardeau est lourd », s’exclame-t-il, évoquant des discussions qu’il a pu avoir avec des réservistes.
Keren Leibovich, 39 ans, qui est infirmière dans une unité de combat, dans la réserve, partage les inquiétudes du chercheur. Elle raconte un incident qui, dit-elle, illustre de manière très claire le coût émotionnel du service. Elle se souvient ainsi du choc qu’elle a ressenti en apprenant qu’un soldat de sa brigade s’était suicidé.
« J’ai soudainement réalisé combien il était difficile de faire la transition entre la vie civile et le combat », indique-t-elle.
« Ce n’est pas facile d’accepter que votre vie connaisse un changement aussi radical, aussi soudain ! », s’exclame-t-elle.
La dépendance d’Israël à l’égard de ses forces de réserve n’est pas nouvelle. La dernière fois que les réservistes avaient été mobilisés à une telle échelle, c’était pendant la guerre de Yom Kippour, en 1973, lorsque l’Égypte et la Syrie avaient lancé une attaque surprise.

« Dans toutes les guerres et dans toutes les opérations majeures d’Israël, il y a toujours eu des réservistes », dit Heimann. Il souligne que la taille relativement réduite de l’armée israélienne rend impossible le maintien d’une armée entièrement professionnelle comme c’est le cas, par exemple, aux États-Unis – ce qui fait des soldats réservistes un élément essentiel de la stratégie de défense mise en place par l’État juif.
Pour souligner l’importance des réservistes au sein de Tsahal, Heimann cite l’exemple de la brigade Golani, une brigade qui est généralement considérée comme une unité composée de soldats conscrits.
« Plus de la moitié de cette brigade est désormais systématiquement composée de réservistes », fait-il remarquer.
Sur le terrain, un soutien qui aide à combler les failles
Afin de reconnaître les sacrifices personnels qui ont pu être consentis par les réservistes, le gouvernement israélien a élargi les avantages qui sont accordés aux soldats qui servent. Tout récemment – le 11 mai – les responsables ont présenté « un plan d’avantages sociaux complet » assorti d’une enveloppe à hauteur d’environ 3 milliards de shekels.
Ce plan, qui a été annoncé dans une déclaration commune émise par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, par le ministre des Finances Bezalel Smotrich, par le ministre de la Défense Israel Katz et par le ministre de la Justice Yariv Levin, comprend toute une série de mesures de soutien. Il s’agit notamment de crédits d’impôt dont les détails n’ont pas été précisés, de subventions en direction des employeurs des réservistes, d’un accès à prix réduit aux programmes de logement social, d’une aide accordée aux petites entreprises et d’une priorité octroyée dans l’accès aux services de divers ministères.

De plus, l’armée israélienne a indiqué qu’elle maintenait des canaux officiels ouverts pour aider à combler le manque de main-d’œuvre dans les unités de réserve et pour aider à affecter les soldats à des postes qui soient adaptés à leurs compétences et à leur disponibilité. Les réservistes qui souhaitent changer d’unité ou assumer de nouvelles responsabilités peuvent le faire via des plateformes telles que le site web « MilJobs » et la hotline « Retour dans la réserve », des plateformes qui ont été créées pour mettre en relation les soldats avec les postes qui leur correspondent le mieux.
Les institutions financées par l’État se sont également mobilisées en soutien aux réservistes. L’université de Tel Aviv, par exemple, a annoncé jeudi dernier que les étudiants qui commenceront leurs études l’année prochaine pourront bénéficier d’une réduction de leurs frais de scolarité, une réduction susceptible d’atteindre les 20 %.
Pourtant, de nombreux réservistes affirment que le soutien le plus significatif leur vient du terrain et non du gouvernement.
À l’Université hébraïque, ce sont les étudiants eux-mêmes qui sont passés à l’action. Shalom Dahan, 26 ans, étudiant en droit et en comptabilité, appelé sous les drapeaux le 7 octobre, déclare que ses camarades, avec l’appui du corps enseignant, ont lancé bénévolement une initiative dont l’objectif est d’aider les réservistes qui reviennent sur le campus à rattraper leur retard.
Dans le cadre de ce programme, les étudiants à temps plein offrent des cours particuliers adaptés aux besoins des réservistes. Ils sont rémunérés par l’université pour ce faire.
« Je trouve que c’est quelque chose de vraiment particulier, c’est unique », s’exclame Dahan en parlant du groupe de camarades qui l’aident, lui et d’autres, à rattraper leur retard.
« Et ça marche vraiment », se réjouit-il.

Lutter pour concilier service militaire et vie civile
Leibovich, qui travaille comme kinésithérapeute au sein de l’unité de pédiatrie de l’hôpital Sheba, a été mobilisée à trois reprises depuis le début de la guerre. Elle a du mal à concilier ses responsabilités professionnelles et son service national.
« J’ai eu l’impression que mon lieu de travail ne comprenait pas que nous étions en état de guerre et que j’étais dans la réserve », raconte-t-elle, expliquant avoir été contactée à plusieurs occasions par ses supérieurs qui lui ont demandé quand elle allait revenir.
« C’était terrible d’être dans la réserve. Ma conscience me disait que j’accomplissais un travail de première importance dans la vie civile », indique Leibovich. « Je sais à quel point ces familles ont besoin de moi. Je sais à quel point ces enfants ont besoin de moi… mais il était tout simplement impossible pour moi d’être là pour leur offrir ce qu’ils attendaient de moi ».
Après avoir terminé sa troisième mission dans la réserve, Leibovich a fait part de ses préoccupations à la direction de l’hôpital.
« [L’administration] a décidé de créer une équipe qui se consacre à l’aide à apporter aux réservistes », dit-elle.

Selon Leibovich, l’équipe contacte désormais le personnel hospitalier qui sert dans la réserve et il l’aide à répondre à ses besoins, qu’il s’agisse de difficultés logistiques ou familiales, en proposant des services de soutien – comme des garderies pour les employés qui ont du mal à faire garder leurs enfants.
Une initiative officieuse de terrain
Malgré les efforts livrés par les institutions civiles, de nombreux réservistes continuent de subir d’intenses pressions en jonglant entre service militaire et vie personnelle, en particulier lors de leurs déploiements prolongés. En réponse, certaines unités de l’armée israélienne ont commencé à discrètement mettre en place un calendrier de travail par rotation (une semaine de service, une semaine de repos) afin d’alléger le fardeau.
Elkayam, qui travaille dans les ressources humaines de l’armée israélienne, reconnaît l’existence de cette pratique officieuse.
« Ce n’est pas légal », confie-t-il, « mais certaines unités ferment les yeux ».
Selon l’armée israélienne, cette pratique alternant semaine de service et semaine de repos n’est autorisée que lorsque les réservistes ne sont pas en état d’alerte d’urgence (Tzav 8). Dans le cadre du Tzav 8, la politique officielle accorde trois jours de congé et neuf jours de récupération pour chaque période de onze jours de service actif – en supposant que le déploiement complet soit terminé. D’autre part, si certaines unités ont anticipé des rotations, une telle flexibilité n’est pas possible dans l’hypothèse d’une mobilisation soudaine – comme cela a pu être le cas lors des récentes opérations.
L’armée israélienne explique être parfaitement consciente des pressions énormes induites par le service de réserve, ajoutant qu’elle continue « à soutenir » les militaires et les familles « non pas en utilisant des slogans vides, mais par le biais d’actions claires et continues ».
Au cours des derniers mois, l’armée israélienne a fait savoir qu’elle a pris des mesures pour alléger la charge qui pèse sur les réservistes. Parmi ces initiatives, des périodes de repos structurées et un soutien en matière de santé psychique, ce qui témoigne d’une prise de conscience croissante au sein de Tsahal que le maintien de l’effort de guerre d’Israël dépendra non seulement du sens du devoir des réservistes, mais aussi des systèmes qui sont susceptibles de les soutenir au moment où ils quittent l’uniforme.

Si sa propre brigade ne l’autorise pas, Elkayam dit comprendre les raisons qui justifient la rotation des semaines de service et de repos.
« Nous devons reconnaître cette nécessité… Nous devons accorder plus d’attention et de répit à ceux qui servent dans la réserve », estime-t-il. « Pour l’instant, ce n’est pas autorisé mais j’aimerais personnellement que ça le soit ».
Un modèle différent en action
« Ido », 24 ans, un jeune réserviste qui souhaite conserver l’anonymat lors de son entretien avec le Times of Israel, sert dans une unité de défense antiaérienne de l’armée israélienne. Il note qu’il a pu constater par lui-même à quel point un calendrier plus équilibré pouvait alléger le fardeau des réservistes.
« J’ai reçu mon ordre de mobilisation le 10 octobre, trois jours après le début de la guerre », se souvient-il.
Par la suite, Ido a servi sans interruption, depuis le début de la guerre, jusqu’au mois de mars 2024 – et il a depuis fait son retour sur le front de manière intermittente, cumulant 250 jours de réserve au total.

« Bien sûr, au début de la guerre, ma motivation était à son comble », se rappelle-t-il.
Mais au fur et à mesure que les combats se sont poursuivis et qu’un semblant de routine s’est installé, son moral a commencé à se dégrader. Conscient que les combats ne seraient pas terminés de sitôt, Ido a finalement opté pour un calendrier rotatif : une semaine à la base, une semaine de congé.
L’idée, explique-t-il, a été d’aider les réservistes à « préserver au moins en partie leur vie personnelle ».
Pour Ido, qui vit dans le nord d’Israël mais qui a passé la majeure partie de son service dans le sud, ce système de rotation a fait la différence.
« Cela allège vraiment le fardeau », affirme-t-il. « Surtout lorsque le service est intense ».
Une solution imparfaite – mais pratique
Pourtant, tout le monde n’est pas convaincu du fait que ce modèle de calendrier soit la solution idéale.

Heimann estime que la division des réservistes en groupes travaillant en rotation peut nuire à la cohésion des unités, expliquant que du point de vue d’un commandant, séparer les troupes n’est « pas idéal ».
« En tant que commandant, je préfère que tous mes soldats soient avec moi à tout moment », dit-il, soulignant l’importance vitale de la cohésion et de la continuité au sein des unités militaires, où le partage d’expériences, de culture et de traditions joue un rôle déterminant dans l’efficacité opérationnelle.
Il reconnaît toutefois les contraintes auxquelles sont confrontés les commandants sur le terrain.
« Il y a des conditions de marché », note-t-il. « Certains réservistes en sont déjà à leur cinquième mobilisation, ils servent pendant 70 jours d’affilée — ils ne peuvent tout simplement pas tenir ce rythme. »
La pratique de calendrier alternant service et repos est-elle une solution viable à ses yeux ? A cette question, Heimann répond sans détour : « Il n’y a pas d’autre option ».