Fin décembre 2020, la superintendante en chef Sharon Brown a raccroché définitivement son uniforme bleu après avoir passé 31 ans à la Division de l’Identification et des Sciences médico-légales (DIFS) au sein de la police israélienne.
Brown avait passé 23 ans à examiner des documents avant de devenir dirigeante du laboratoire, de 2012 à 2017. Au cours des trois dernières années de son mandat, elle a été à la tête de la Recherche et du Développement (R&D) au DIFS. Après avoir commencé sa carrière à un poste d’inspectrice, elle a grimpé les échelons de la hiérarchie jusqu’à occuper une fonction de haut-responsable.
« Je profite de cette nouvelle vie reposante mais je suis ouverte aux idées et aux offres si on a quelque chose à me proposer à l’avenir », s’amuse Brown, habituée à des longues journées d’études de documents dans le laboratoire qui se trouve au siège de la Police nationale de Jérusalem.
Le travail médico-légal de Brown a impliqué de rassembler et de visualiser les écrits effacés du journal miraculeusement sauvé de l’astronaute israélien Ilan Ramon, mort lors de la catastrophe de la navette spatiale Columbia, en 2003.
Elle a également aidé à reconstituer les mots écrits par Gil-ad Shar, adolescent assassiné dont le journal intime avait été retrouvé dans la voiture brûlée des terroristes du Hamas qui l’avaient enlevé et tué aux côtés de Naftali Fraenkel et d’Eyal Yifrach en 2014.
La mère de Shaer, Bat-Galim Shaer, s’était liée d’amitié avec Brown au cours des travaux réalisés sur le journal de son fils.
« Sharon a été là, à nos côtés, pendant une période difficile. Elle s’est montrée très sensible, très à l’écoute, très humaine. Elle est professionnelle et sérieuse mais elle est aussi très chaleureuse », commente Bat-Galim Shaer.
Dans un entretien récent accordé au Times of Israel, Brown évoque ses travaux les plus notables, mais aussi ceux qui ont fait le quotidien de sa carrière au fil des ans.
« Je n’oublierai jamais ces deux affaires. Cela a été un honneur et un privilège pour moi de travailler dessus », s’exclame Brown, qui note les défis émotionnels et techniques qu’elle a dû relever.
Même si elle avait parfois été appelée à apporter un témoignage devant la cour, le public est resté, pour la plus grande partie, dans l’ignorance de l’impact en coulisses de son expertise dans l’examen scientifique de documents – cartes d’identité, permis de conduire, passeports, chèques, documents sur la Shoah, artéfacts archéologiques ou vieilles cartes.
L’âge officiel de la retraite pour les membres de la police israélienne est de 57 ans mais Brown a choisi de rester un an de plus pour terminer ce qu’elle avait à faire. A 58 ans, elle dit éprouver un sentiment de satisfaction et de fierté lorsqu’elle regarde en arrière. Elle est particulièrement heureuse d’avoir été une pionnière en tant que femme et en tant qu’anglophone dans la police israélienne.
« Au bureau, avec mes traits culturels anglais, j’étais un peu considérée comme quelqu’un de différent. On remarquait cette différence et pas toujours de façon positive. Mais j’ai assumé ce que j’étais et je pense que j’ai apporté une contribution culturelle intéressante. Et j’encouragerai toujours les autres ‘Anglos’ à tenter d’intégrer la police », explique Brown.
Mariée, mère de quatre filles toutes âgées d’une vingtaine d’années, Brown est née à Londres et elle a grandi dans un foyer modern-orthodoxe. Son père était un réfugié venu de Munich, en Allemagne, et sa mère était originaire de Trieste, en Italie. Elle était arrivée en Palestine en 1939, sur le dernier bateau qui avait été autorisé à venir par les Britanniques. Les deux s’étaient rencontrés à Tel Aviv et ils s’étaient mariés en 1946.
Après la naissance de leur première fille, les parents de Brown s’étaient installés au Japon, au début des années 1950, de façon à ce que le père de Brown puisse travailler pour le magnat israélien Shaul Eisenberg. La famille s’était établie à Tokyo alors que le père de Brown, pour sa part, travaillait majoritairement en Corée du sud. Le couple devait encore avoir deux filles au Japon et Brown – la plus jeune – avait vu le jour à Londres, après le déménagement de la famille dans la capitale britannique, presque une décennie plus tard.
Brown avait passé des étés entiers chez des cousins, en Israël, et elle avait pris la décision de faire son alyah après le lycée. Un choix on ne peut plus naturel, indique-t-elle, ses sœurs ayant toutes déjà sauté le pas. Après une année de service national, Brown avait fait des études supérieures de chimie à l’université hébraïque à Jérusalem.
En 1989, Brown avait passé un entretien pour un poste dans un autre des quinze laboratoires du DIFS.
« J’avais entendu parler d’un travail au laboratoire de chimie analytique et mon conseiller à l’université Hébraïque, le professeur Eli Grushka, m’avait encouragé à déposer ma candidature. Je n’ai pas eu le poste mais en fin de compte, on m’a proposé un travail au laboratoire d’études des documents », explique Brown.
Le laboratoire se consacre à deux tâches : la première est l’examen des écrits à la main.
« L’examen des écrits à la main ne doit pas être confondu avec la graphologie », note Brown rapidement.
« Les professionnels, dans cette spécialité, s’impliquent dans un apprentissage de quatre ans, sous l’autorité d’un expert, pour obtenir une certification. Un graphologue, de son côté, peut bien lire dans les feuilles de thé ou dans le marc de café… C’est ce type de personnes, sans éducation et sans expérience appropriées que nous sommes amenés à affronter au tribunal », ajoute-t-elle.
La deuxième palette d’activité, au sein du laboratoire, implique l’examen scientifique des documents – le domaine d’expertise de Brown. Les documents sont examinés au microscope pour l’examen de l’encre, des effacements, des oblitérations ou de la typographie.
Les documents sont soumis à des méthodes optiques qui leur permettent d’être observés par le biais de sources d’éclairage différentes, ce qui permet de remarquer des choses qui ne sont pas visibles à l’œil nu. Il y a aussi la possibilité d’utiliser la chromatographie en couche mince, une méthode chimique dans laquelle la « biopsie » d’un trait d’encre est trempée dans une solution.
« Mais nous préférons ne pas recourir à ce procédé parce qu’il détruit le trait d’encre et qu’il est irréversible », affirme Brown.
Même si des budgets serrés n’auront pas permis à Brown d’assister à un grand nombre de conférences internationales, des contacts réguliers sur internet avec ses collègues du monde entier l’ont autorisée à se maintenir au niveau des dernières recherches et avancées dans son domaine de compétences.
« N’oubliez pas que quand j’ai commencé, les documents étaient en noir et blanc et ils étaient rédigés à l’aide d’une machine à écrire. Aujourd’hui, les documents sont, pour la plupart, faits par ordinateur et imprimés en couleur, » insiste-t-elle.
Une grande partie du travail de Brown a impliqué la détection de faux documents – des chèques aux faux documents fonciers. Elle est intervenue en particulier dans des procès civils où des documents étaient présentés pour prouver la propriété foncière, au début du 20e siècle – et Brown et ses collègues ont su prouver qu’ils avaient, en fait, récemment été établis.
« Les imprimantes laser n’existaient pas en 1917, » plaisante Brown.
L’une de ses affaires les plus mémorables avait eu un écho particulier pour cette amatrice de puzzles. Un homme qui avait prétendu être psychologue avait violé des fillettes. L’homme avait déchiqueté tous les documents qui l’incriminaient, mais Brown et ses collègues avaient minutieusement rassemblé tous les éléments épars pour les besoins des enquêteurs de police.
Juive pratiquante, Brown ne travaille généralement pas pour Shabbat ou pour les fêtes.
« Mais si on me demandait d’aller travailler ces jours-là, j’y allais. C’était toujours justifié et c’était toujours important », explique-t-elle.
Brown allait également patrouiller dans les rues du centre-ville de Jérusalem, le vendredi soir, quand il lui était demandé de le faire. Même si elle passait la majorité de son temps au laboratoire ou derrière un bureau, elle était avant tout une agente de la police.
« J’ai fait une formation de base dans la police, d’abord en tant qu’agente, puis en tant que responsable, je me suis entraînée aux armes et j’avais une arme avec moi quand c’était nécessaire, même pendant Shabbat », dit-elle.
Le plus grand défi, quand il s’agissait d’aller sur le terrain, n’était pas le port d’une arme : c’était celui de changer de chaussures.
« Je suis vraiment petite alors je porte des talons hauts en permanence. Mais j’optais pour des chaussures plus confortables quand je devais aller en patrouille », déclare-t-elle en riant.