ATLANTA — Les sentiments qui ont animé le rabbin Mark Zimmerman, qui vit aux États-Unis, au lendemain du massacre du 7 octobre n’ont pas été réellement surprenants à ses yeux, dit-il. Après tout, l’antisémitisme était déjà en recrudescence dans le pays depuis plusieurs années.
Il y avait eu l’attaque massive à l’arme à feu au sein de la synagogue Tree of Life à Pittsburgh en 2018, qui avait fait onze morts. Il y avait eu la fusillade à Poway, en Californie, qui avait aussi eu lieu dans un lieu de culte, en 2019. La prise d’otages qui s’était déroulée dans une synagogue de Colleyville, au Texas, en 2022, et une série d’agressions antisémites violentes à New York et dans le New Jersey, en 2020 – pour ne citer que celles-là. Des incidents survenant dans un contexte d’attitudes et d’actions anti-juives et anti-israéliennes, verbales ou physiques, à gauche ou à droite, qui ne cessent de se multiplier.
Dans ce cadre déjà tendu, Zimmerman, rabbin au sein de la congrégation Beth Shalom, du mouvement massorti, à Dunwoody, une banlieue du nord d’Atlanta, dit avoir ressenti de l’incrédulité et « une très grande confusion » face à la réaction de l’opinion publique lors du massacre du Hamas commis sur le sol israélien le 7 octobre – des atrocités qui ont fait 1 200 morts, des civils en majorité. 240 personnes ont aussi été enlevées et prises en otage à Gaza.
Au lieu d’entendre des cris d’indignation et des appels à la compassion, « nous voyons des rassemblements pro-palestiniens dans tout le pays. Nous entendons des appels à l’extermination de tous les Juifs et nous assistons à une augmentation exponentielle de l’antisémitisme », déplore-t-il.
Les incidents antisémites ont augmenté de presque 400 % depuis le 7 octobre, a fait savoir l’Anti-Defamation League (ADL).
En résultat, la sécurité – c’est une problématique importante pour les communautés juives américaines depuis déjà longtemps – est passée dorénavant au premier plan. Selon un recensement fait en 2020, les Juifs représentent 2,4 % de la population totale des États-Unis – « et pourtant, ils sont le groupe le plus ciblé en ce qui concerne les crimes de haine », commente Brian Davis, directeur de la sécurité au sein de la Fédération juive du Grand Atlanta.
Les attaques anti-juives constituent ainsi 60 % des crimes de haine ayant eu un mobile religieux aux États-unis, selon le FBI.
Le poste de directeur chargé de la sécurité de Davis a été créé en partenariat avec le Secure Community Network (SCN), l’organisation officielle qui assure la sûreté et la sécurité des communautés juives en Amérique du nord. Le SCN aide les institutions et les centre de vie juifs des États-Unis – congrégations, écoles, centres communautaires ou musées – à améliorer leur sécurité et à se préparer au mieux à d’éventuels incidents.
Il y a environ 120 000 Juifs à Atlanta, ce qui place la capitale de Georgie à la huitième place des zones métropolitaines qui accueillent le plus de Juifs dans le pays, selon le recensement américain.
Davis procède ainsi à l’évaluation des risques et des menaces à destination d’approximativement 80 centres de vie juifs à Atlanta. Lui et sa petite équipe repèrent les secteurs les plus vulnérables et présentent des suggestions qui leur permettraient de renforcer leur sécurité.
« Nous ne sommes pas partis de zéro le 7 octobre »
« Nous ne sommes pas partis de zéro le 7 octobre », dit Davis, qui a travaillé au FBI pendant 21 ans. « Et nous n’avons très certainement pas été pris par surprise ». Cela fait des années que le SCN vient en aide aux institutions juives pour qu’elles puissent consolider la sécurité de leurs structures et former leurs personnels aux situations d’urgence.
« Les fondations sont bonnes. Aujourd’hui, nous tentons seulement de les améliorer », déclare-t-il.
Parmi les mesures de sécurité qui sont prises, des systèmes d’alarme et des caméras de surveillance, des périmètres de sécurité, des portails, le contrôle des entrées et de l’accès aux institutions, des lecteurs de plaque d’immatriculation, des boutons à activer en cas d’alerte… Et maintenant, il y a aussi – et plus souvent qu’auparavant – la présence de gardiens armés. Toutefois, une meilleure sécurité peut aussi émaner de changements mineurs, fait-il remarquer.
Un exemple est l’utilisation de ce que les experts en sécurité appellent « la végétation hostile » en guise d’obstacle à d’éventuels intrus – des arbustes épineux ou tranchants, comme les rosiers, les espèces de la famille du houx ou les yuccas, plantés le long des murs extérieurs et sous les fenêtres accessibles aux personnes mal intentionnées.
Au cours des deux dernières années, c’est un nombre croissant de synagogues et d’écoles juives de tout le pays qui ont commencé à proposer des cours de Krav Maga, un art martial israélien, à leurs fidèles, à leurs élèves et à leurs personnels.
Le SCN organise des formations en matière de sécurité et d’intervention d’urgence en direction des institutions juives. Il recueille aussi toutes les informations qu’il glane sur les réseaux sociaux, des renseignements qu’il analyse ensuite, et il travaille en collaboration avec les polices locales, d’état et fédérales.
L’organisation aide également les institutions juives à se porter candidates à des subventions fédérales qui aideront à améliorer leur sécurité. Aux États-Unis, la sécurité des institutions religieuses – contrairement à ce qui se passe dans la plus grande partie de l’Europe ou en Israël – n’est pas payée par l’argent du contribuable, sauf circonstances exceptionnelles. Toutes les églises, mosquées, temples ou synagogues doivent payer de leur poche leur propre sécurité.
« C’est ce financement qui est notre principal défi, aujourd’hui », s’exclame Zimmerman. S’il y a quelques congrégations particulièrement importantes dans le secteur d’Atlanta, « la majorité des synagogues sont moyennes ou petites » et elles rencontrent des difficultés pour embaucher des gardiens ou pour mettre en œuvre de nouvelles mesures de protection – « Certaines mesures dont elles parlent ouvertement parce qu’elles veulent que cela se sache » et d’autres « dont nous ne parlons pas », explique le rabbin.
Comment repousser un attaquant actif
La Congrégation Beth Shalom – qui est dotée d’une crèche – a décidé de travailler avec des entreprises privées spécialistes de la sécurité et avec la police locale.
Aux États-Unis, il arrive souvent que les entreprises, les hôpitaux et les institutions religieuses embauchent des agents de police comme gardiens de la sécurité en dehors de leurs heures de travail. Ils travaillent dans l’uniforme qui leur a été donné par leur département, avec leurs armes, leurs équipements et leurs véhicules de patrouille, mais ils sont directement rémunérés par les clients.
Ce type d’embauche est toutefois plus onéreux que de recourir à des firmes privées de sécurité. Il y a une raison à cela, note Davis. Les policiers reçoivent habituellement une formation plus longue, plus profonde, plus standardisée. Ils suivent des protocoles bien préparés et en cas d’incident, ils peuvent utiliser leur radio pour faire appel à leurs collègues s’ils ont besoin de renfort. Ils ont le droit de fouiller les individus, de saisir des armes, et ils ont l’autorité nécessaire pour arrêter une personne et pour la placer en détention, si nécessaire. En contraste, les personnels de sécurité des entreprises privées évoluent souvent « dans une zone grise », explique Davis.
Zimmerman est bien déterminé à « continuer à investir dans la sécurité armée tant que la guerre sera en cours et qu’il y aura un sentiment de menace et de vulnérabilité au sein de la communauté juive ». Il ajoute néanmoins que financer une sécurité à un tel niveau ne sera pas durable à long-terme.
Sans soutien financier supplémentaire de la part du gouvernement ou de ressources privées, un grand nombre de synagogues, d’écoles juives et de centres communautaires « vont finir par dépenser tellement d’argent sur la sécurité qu’ils ne pourront plus verser les salaires », dit-il avec un haussement d’épaules qui traduit son inquiétude.
Toutefois, il déclare qu’à court-terme et à moyen-terme, développer et conserver de bonnes relations avec la police locale peut alléger la charge. Dans des municipalités où la population juive est importante, comme à Dunwoody, les forces de l’ordre ont élargi leurs zones de patrouille autour des centres de vie juives et dans les quartiers où résident de nombreux membres de la communauté.
Les départements de la police – souvent en coopération étroite avec le SCN – organisent aussi des exercices de sécurité et ils offrent des cours aux civils, pour les former aux bons gestes à avoir en cas d’attaque. Une session de ce type a eu lieu, un après-midi de la fin du mois de novembre, au sein de l’ONG Jewish Family & Career Services (JF&CS), qui fournit des services sociaux aux habitants d’Atlanta, Juifs et non-Juifs, qui sont dans le besoin.
« Nous offrons ce genre de formation régulièrement », explique Jason Seabolt, directeur des opérations au sein de JF&CS. « Mais manifestement, c’est devenu plus pertinent encore aujourd’hui et tous les membres de notre personnel demandent ces cours ».
Pendant deux heures, le major Oliver Fladrich, du département de la police de Dunwoody, a expliqué à un groupe d’une trentaine d’employés ce qu’ils devaient faire ou ne pas faire si un attaquant entrait dans le bâtiment ; comment sauver leur propre vie et celle d’un plus grand nombre possible. Le concept, qui a été développé par la faculté de justice criminelle de l’université du Texas et qui est enseigné par les forces de l’ordre, dans tout le pays, repose sur trois principes. Éviter la source de la menace, si possible. Si c’est inenvisageable, interdire l’accès à l’agresseur. Et, en cas d’échec, se défendre à l’aide de tout ce qui pourra être disponible dans l’environnement de travail.
La principale leçon à tirer est que « Vous n’êtes pas des victimes », dit Fladrich. « Tout le monde peut faire quelque chose. Le plus important, c’est : Ne faites pas rien ».
« Vous n’êtes pas des victimes. Le plus important, c’est : Ne faites pas rien »
Ce policier vétéran de 32 ans, les cheveux en brosse, dans le pur style militaire, fait une démonstration. Avec des mouvements rapides, il montre comment des civils peuvent se barricader et se défendre, même face à un attaquant armé. « Certains peuvent bien mourir en tentant de stopper un carnage, c’est clair », déclare-t-il. « Mais la majorité mourra si vous vous contentez de vous cacher et d’espérer que tout ira bien ».
Il a montré aux participants comment fermer une porte à l’aide d’une ceinture et comment utiliser une poubelle, un siège, un livre, un ordinateur ou un crayon comme arme. Il leur a aussi appris comment utiliser un tee-shirt pour faire un garrot en cas d’hémorragie et comment faire un bandage artisanal à partir d’un sac en plastique.
Le cours est l’occasion de faire découvrir aux civils toutes les choses qu’ils peuvent être en mesure de faire en cas d’attaque violente – en improvisant et en s’appuyant sur le pouvoir de l’action collective. « Un groupe a de la force en nombre, bien sûr, mais aussi en ingénuité », dit Fladrich, qui a pris part à plusieurs programmes d’échange avec Israël, dans le passé, en tant que policier.
« C’est un message de précision, de confiance et d’habilitation », ajoute-t-il.
C’est également un message qui a une résonance auprès des communautés juives du monde entier.
« Nous sommes vraiment une communauté traumatisée en ce moment », déclare Zimmerman. Mais, ajoute-t-il, il continue à dire aux membres de sa Congrégation que « ce n’est pas comme dans les années 1930 en Allemagne. Nous avons des amis, nous avons des alliés. Mais les communautés juives sont aussi amenées à reconnaître qu’elles ne peuvent pas se contenter de compter sur le monde extérieur en ce qui concerne la sécurité, ajoute-t-il. « Nous devons être les yeux, les oreilles et aussi les mains s’agissant de nos protéger et de nous défendre ».
Apprendre à contrôler un environnement
C’est une idée qui est partagée par Ariel Siegelman, fondateur du Draco Group, une entreprise de sécurité privée d’Atlanta. La situation en Israël lui a appris une chose, il y a des années déjà : « Si vous permettez à votre sécurité de dépendre de la bonne volonté des autres, alors vous faites une cible de vous-même ».
Depuis le massacre du 7 octobre, la demande de services sécuritaires, au sein de la communauté juive, a grimpé en flèche.
« Nous avons eu beaucoup de demandes et heureusement, nous avons été en mesure de répondre aux besoins de nombreuses communautés », explique Siegelman, qui est un ressortissant israélo-américain.
Il a fait son service militaire, pendant trois ans, dans une unité de combat de Tsahal ; il s’est impliqué dans la réserve. Il a ensuite passé un diplôme d’anthropologie culturelle à l’université de Georgie et il a travaillé pendant plusieurs années au sein de l’État juif et en Afrique du sud avant de créer sa compagnie aux États-Unis, en 2013.
Ce sont environ 100 prestataires du secteur de la sécurité qui travaillent pour Draco en permanence – la majorité d’entre eux sont d’anciens militaires, certains ont été policiers. La compagnie offre toute une gamme de solutions et de services sécuritaires qui vont de la protection des VIP aux services de garde, en passant par les évaluations sécuritaires et les formations aux interventions d’urgence.
On ne peut se préparer de manière efficace qu’en appréhendant un avenir potentiellement négatif
Pour Siegelman, la sécurité est « la capacité à contrôler un environnement ». Les éléments déterminants, dans ce cadre, sont la technologie de pointe, des protocoles stricts et, par-dessus tout le reste, le facteur humain : des personnes qui peuvent répondre rapidement, de manière effective, lorsqu’un incident survient et ce, avec tous les moyens nécessaires – notamment avec des armes.
Qu’est-ce qui distingue son service sécuritaire de celui d’un grand nombre de ses concurrents aux États-Unis ?… A cette question, il répond : « Je ne suis pas politiquement correct ». Il ajoute que le paradigme culturel de la pensée positive est contre-productif s’agissant de sécurité. « On ne peut se préparer de manière efficace qu’en appréhendant un avenir potentiellement négatif, » estime Siegelman.
Un mantra qui entraîne parfois des réactions de surprise – et surprenantes – de la part de ses clients. Il a récemment rencontré un groupe de rabbins orthodoxes qui étaient venus le consulter. Quand les rabbins lui ont demandé comment ils pouvaient mieux se protéger, eux et leur communauté, Siegelman a ouvert son sac à dos, il a sorti une arme et il l’a posée sur la table. Les rabbins ont tressailli et secoué la tête, exprimant leur inquiétude de ce que la vue d’une arme ne fasse peur à leurs fidèles.
Siegelman a alors rétorqué : « Eh bien, c’est très exactement le sentiment que doit avoir votre ennemi ». Puis, après une pause, une rabbin, la seule femme qui se trouvait dans la pièce, a déclaré : « Amenez les armes. »
Aujourd’hui, ce sont des gardiens armés qui patrouillent autour des synagogues de ces congrégations.
Siegelman entretient des liens forts avec la communauté juive d’Atlanta et son expérience de soldat d’une unité de combat, au sein de Tsahal, lui a ouvert des portes. Mais de manière générale, la crédibilité et la solidité des entreprises de sécurité privées – de la formation jusqu’à la certification, en passant par les agréments et les assurances – sont très variables et il peut être difficile, pour les clients, d’effectuer des vérifications sur ce type de prestataire de service.
Des policiers hors-service peu nombreux
« Si une organisation peut se le permettre, nous suggérons l’embauche de policiers en dehors de leurs heures de travail », commente Davis du SCN. Mais non seulement cette formule est chère, mais de surcroît, la main d’œuvre n’est plus aussi disponible qu’elle pouvait l’être dans le passé en particulier à un moment où les départements de la police, dans tout le pays, connaissent une crise du recrutement qui vient s’ajouter au départ prématuré des agents. Elles luttent aujourd’hui pour remplir leurs rangs.
Si les congrégations, les écoles ou les centres communautaires décident d’embaucher des partenaires privés, « il doit y avoir un dialogue ouvert et constant entre l’organisation juive, la firme de sécurité privée et les forces de l’ordre », explique Fladrich. Et toutes les parties doivent s’engager, si possible, dans un mode d’intervention qui a été conjointement décidé « de manière à ce que tout le monde soit sur la même longueur d’onde si quelque chose arrive. »
Il y a une autre question clivante qui fait en ce moment l’objet d’un débat dans de nombreuses institutions juives des États-Unis : Les fidèles doivent-ils être autorisés à porter une arme à feu dans une synagogue ? C’est une discussion qui a également lieu dans un grand nombre de communautés chrétiennes et certaines églises conservatrices ont encouragé les fidèles à s’armer, en particulier dans des états pro-arme à feu comme la Georgie.
Davis supplie de laisser ces armes aux professionnels – plus exactement à la police. « Une chose contre laquelle nous mettons en garde, ce serait la perspective de voir des gens sortir une arme dans un lieu de culte – des gens qui, peut-être, ne s’en sont jamais servi ».
Zimmerman partage le même point de vue. « Nous ne voulons, pour notre part, que des personnes qui ont été correctement formées, qui savent se servir de leur arme ». Le cas échéant, note-t-il, « cela pourrait être plus dangereux qu’utile ».
Les échos de la guerre en Israël, l’antisémitisme en recrudescence et la crainte nourrie par les communautés juives en ce qui concerne leur sécurité obligent des organisations comme la Congrégation Beth Shalom à faire face à un nouveau dilemme, au-delà des coûts qui explosent et des débats qui entourent les différentes mesures de sécurité.
« Nous devons nous protéger mais nous ne voulons pas non plus devenir une forteresse », dit Zimmerman. « Nous voulons encore être ouverts et accueillants ». Pour le moment au moins, la priorité reste toutefois évidente, ajoute-t-il : la sécurité avant tout.