GESHER HAZIV – Ce kibboutz situé à l’ouest de la Galilée – qui est habituellement l’occasion, pour les voyageurs en partance pour des destinations plus au nord, de faire une pause appréciée – est dorénavant le dernier arrêt avant la zone évacuée, installé à l’extrémité de ce qui est devenu la frontière nord de facto de l’État juif.
Depuis le 8 octobre – quand le Hezbollah a commencé ses attaques contre Israël, le groupe terroriste affirmant que ces agressions quasi-quotidiennes venaient en soutien aux Palestiniens de Gaza dans le contexte de la guerre qui est en cours au sein de l’enclave côtière –, le gouvernement israélien a évacué presque toute la population civile des secteurs proches de la frontière avec le Liban, ce qui représente environ 61 000 personnes. Le kibboutz, construit à environ 7,6 kilomètres de la frontière du nord du pays, se trouve à moins d’un kilomètre au sud de la zone évacuée.
Alors que les drones s’abattaient dans les périmètres environnants, la semaine dernière, David Amzel, qui est né à Gesher Haziv, travaillait dans l’arrière-salle de sa boulangerie qui fait aussi office de café, Lechem Tene, ornant de graines de pavot ses miches de pain, son fusil posé sur une table, à côté. Membre de l’équipe d’intervention d’urgence, il raconte jongler entre son travail au fournil et son devoir de garde, réussissant à voler quelques heures ça et là pour dormir.
« J’ai quitté l’armée quand j’avais 21 ans ; j’ai été dans la réserve jusqu’à l’âge de 27 ans et ensuite, j’ai quitté Israël pendant des années », raconte Amzel au Times of Israel dans sa boulangerie, installée dans une oliveraie située au sommet d’une colline. À l’ouest, juste en dessous des tables qui ont été placées pour les clients, à l’extérieur, la mer Méditerranée est là. À l’est, une vallée ouvre sur des montagnes éloignées.
« J’ai 51 ans aujourd’hui et jamais je n’aurais pu penser que je porterais à nouveau l’uniforme », s’exclame Amzel. « Ce n’est absolument pas dans mon état d’esprit, ce n’est pas dans mon vocabulaire. Mais ma première pensée, après le 7 octobre, a été de me demander comment je pourrais réussir à me procurer une arme. »
Alors qu’Israël reste en état d’alerte élevé, se préparant à une riposte du Hezbollah et de l’Iran après les récents assassinats des responsables terroristes Ismail Haniyeh à Téhéran et de Fuad Shokr à Beyrouth, Amzel indique que lui-même et les autres 1 100 résidents environ qui ont fait le choix de rester au kibboutz – soit à peu près 70 % de la population – doivent dorénavant s’adapter à une réalité de plus en plus difficile, où la beauté pastorale se heurte à l’hyper-vigilance.
Les forces dirigées par le Hezbollah attaquent presque quotidiennement des communautés israéliennes et des postes militaires le long de la frontière. jusqu’à présent, les hostilités ont causé la mort de 26 civils du côté israélien, ainsi que celle de 19 soldats et réservistes de Tsahal – ainsi, le 29 août, l’adjudant-chef Mahmood Amaria, 45 ans, qui était soldat au sein de la 300e Brigade régionale « Baram », a perdu la vie dans une attaque au drone du Hezbollah.
Un autre drone chargé d’explosifs, lancé par le groupe terroriste, était retombé à proximité du kibboutz Gesher HaZiv, le 19 août.
« Ce qui est arrivé le 7 octobre m’a complètement ouvert les yeux », indique Amzel – ce jour-là, environ 3 000 terroristes placés sous l’autorité du Hamas, le groupe terroriste au pouvoir à Gaza, ont franchi la frontière par voie terrestre, par voie aérienne et par voie maritime. Les hommes armés ont commis un pogrom, massacrant 1 200 personnes, des civils en majorité, et kidnappant également 251 personnes qui ont été prises en otage dans la bande. Ils se sont livrés à des atrocités et ont perpétré des violences sexuelles à grande échelle, semant la désolation dans le sud d’Israël.
« Jamais je ne regardais les montagnes au nord en me disant qu’une menace ou une autre pouvait provenir de là », ajoute-t-il. Il note avoir toujours été plus préoccupé par la nécessité de perfectionner toujours davantage ses pains, ses croissants et ses pâtisseries.
Et pourtant, c’est derrière ces montagnes que le groupe terroriste soutenu par l’Iran a stocké son arsenal – 130 000 à 150 000 roquettes et missiles orientés en direction d’Israël, et creusé ses tunnels d’attaques, plus sophistiqués que ceux de son allié palestinien du Hamas.
Depuis que la guerre a commencé, pour se maintenir à flot, Amzel a réduit le nombre de ses heures travaillées, la gamme de ses produits et son personnel. Il est parvenu à garder ouverte sa boulangerie parce que « les gens comptent sur le pain », mais aussi pour que les résidents du kibboutz et des environs puissent venir s’y rencontrer et échanger « pour ne pas se sentir seuls ».
« Grâce à la manière dont fonctionne mon cerveau, je vois quelle est la réalité sur le terrain », dit-il. « On peut avoir des idéaux mais en fin de compte, il faut changer de logiciel pour qu’il s’adapte à la réalité. »
Une nouvelle réalité
Sur les 400 familles qui vivaient dans le kibboutz avant le 7 octobre, un tiers d’entre elles sont parties après avoir pris la décision d’évacuer de leur propre chef. Certaines ont loué leurs habitations aux familles qui habitaient dans des communautés situées plus au nord ; d’autres ne sont pas sûres du moment où elles pourront revenir – si elles reviennent. Les résidents disent que leurs proches, installés dans d’autres secteurs du pays, ont cessé de leur rendre visite et les exhortent à quitter leur lieu de vie.
Avant le 7 octobre, la communauté attirait d’innombrables visiteurs, notamment pour ses plaisirs gastronomiques. Il y avait la boutique de couteaux Nave Chef Knives (qui est encore ouverte) et le domaine viticole Achziv, qui produisait 1 500 bouteilles de vin par an et qui a dorénavant fermé ses portes.
L’inauguration en fanfare d’un restaurant, le Jack’s Restaurant, a été annulée à la mi-octobre, et ses propriétaires déclarent qu’ils attendent une amélioration de la situation pour enfin lancer leur établissement haut de gamme. À travers les fenêtres de ce restaurant chic, des assiettes et des plats sont posés sur les tables, comme dans une nature morte ; sur la terrasse, les parasols ont été repliés et le gazon est rempli de mauvaises herbes.
La communauté a été créée en 1949 sur un site qui était utilisé par l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. Certains bâtiments d’origine ont été rénovés et transformés en commerces – il y a notamment une galerie d’art qui est aujourd’hui fermée.
Parmi les premiers membres du kibboutz, il y avait 120 immigrants du mouvement de jeunesse sioniste et socialiste Habonim, venus d’Amérique du nord, ainsi que d’anciens habitants du kibboutz Beit HaArava, évacués pendant la guerre de 1948, qui a opposé Israël aux armées arabes.
Le kibboutz d’origine mettait l’accent sur la vie communautaire ; les enfants y dormaient dans une maison qui leur était réservée, les salaires étaient mutualisés et les membres prenaient leur repas dans la grande salle à manger. Il a ensuite été privatisé dans les années 1990, s’adaptant ainsi à une économie en pleine évolution. La guerre est le tout dernier défi lancé à cette nouvelle réalité.
Une paire de chaussettes dans nos chaussures
Regardant autour d’elle son beau jardin orné d’arbres peu communs, avec sa douche extérieure qu’elle a décorée à l’aide de coquillages, Galia Hadani Sharif, qui habite avec son époux, Amir, et leurs quatre enfants au sein du kibboutz, dit qu’elle garde toujours « quelque part dans mon esprit la conscience que nous vivons dans une zone de guerre ».
« Nous avons chacun une paire de chaussettes dans nos chaussures de façon à pouvoir partir rapidement », explique Sharif. « Nous avons un sac où nous avons mis nos passeports, un kit de premier secours et de l’argent. Nous savons quel chemin nous prendrons pour partir à travers les champs et dans quelle direction nous devrons courir. »
Cela demande beaucoup d’efforts, du point de vue psychologique, de vivre dorénavant dans le kibboutz, ajoute-t-elle. La majorité des familles ayant de jeunes enfants ont déserté la communauté. La route principale, bordée de pins, reste vide.
« C’est tellement silencieux, les gens dépriment », continue Sharif. « La tension est très palpable dans l’air. J’ai le sentiment d’être lentement rongée par la situation. »
Tous les matins, elle va nager dans une partie de la mer qui est encore autorisée. Elle dit vouloir pouvoir conserver l’idée de « la puissance de la nature ».
« Personne ne peut me prendre cette capacité à faire de belles choses »
« Personne ne peut me prendre cette capacité à faire de belles choses », indique-t-elle.
Mais la guerre a toutefois chamboulé le quotidien. Son époux était enseignant au lycée, au sein du kibboutz. Au début de la guerre, l’établissement a fermé ses portes pour des raisons de sécurité et il a été déplacé à Kiryat Bialik, à environ 30 kilomètres de là. La famille a donc dû acheter une deuxième voiture pour qu’il puisse se rendre à son travail – avec un trajet de plus d’une heure à chaque fois.
Sharif explique qu’après le 7 octobre, le couple et les enfants s’étaient installés chez sa mère à elle, dans le centre d’Israël, pendant deux mois. Mais la famille est revenue, bravant les difficultés, parce que « c’est chez nous ».
D’autres encore, comme Margie Lewis qui habite dans le kibboutz depuis 1966, ne sont pas sûrs que rester soit le bon choix.
« J’espère que je ne vais pas regretter cette décision insensée », dit-elle.
La guerre a tout pris
Il y avait, à l’entrée du kibboutz, une station-service, une supérette et deux restaurants.
« Les gens attendaient une pizza pendant une heure tellement j’étais occupé », déclare Nir Givati, propriétaire du restaurant Pizza Fornetto, alors qu’il se tient devant son four en briques dont il sort une Margherita toute chaude. « Mes affaires aujourd’hui représentent 10 % de ce qu’elles étaient par le passé. »
Il raconte que le gouvernement lui a donné des indemnisations, comme aux autres entrepreneurs locaux, mais que « la guerre a tout pris ». Il est propriétaire de restaurant depuis quatre décennies. Il dit en avoir assez.
« Faire fonctionner une entreprise en Israël, c’est déjà du suicide, mais faire fonctionner une entreprise pendant la guerre, c’est encore pire », s’exclame-t-il.
« Je suis pessimiste pour le pays tout entier », ajoute-t-il. « Mais la vérité, c’est qu’il n’y a personne pour réparer ce qui ne va pas. »
Au restaurant Humus Eliahu, tout à côté, Ran Waizman, le gérant, déclare que son établissement rencontre de grosses difficultés et que « personne ne sait de quoi sera fait demain ».
« On a dû s’habituer à la situation », commente Karin Michael qui fait le trajet, tous les jours, depuis la ville de Kfar Yasif pour travailler à la supérette. Les affaires étaient bonnes pour l’enseigne, par le passé – elle vendait des raquettes de maktot en bois, des ballons ou des canots gonflables aux plagistes. Mais la côte dont les rochers s’avancent dans l’eau de couleur émeraude, une côte qui est habituellement prise d’assaut par les baigneurs, par les pêcheurs et par les campeurs, est déserte.
C’est important de rester
Vivian Prinsbo Amzel, l’épouse de David, est une artiste et elle est aussi cuisinière à Lechem Tene, la boulangerie que le couple possède. Avant de commencer à faire revenir des oignons pour les clients, en cette matinée de vendredi, elle prend une pause rapide, notant que le vendredi est dorénavant le seul jour de la semaine où le commerce fonctionne encore bien.
Après le 7 octobre, le couple et ses deux enfants ont quitté « une maison hippie avec des murs en boue et un sol en bois » pour s’installer dans une maison où il y a une pièce blindée, qui est devenue la chambre de leur petit garçon d’onze ans.
« Les terroristes veulent que nous ayons peur et que nous partions », déclare-t-elle. « Mais c’est important de rester. »
« On nous apprend qu’il faut aimer nos ennemis », ajoute Prinsbo Amzel, qui note être une chrétienne croyante et qui raconte avoir grandi dans l’ancienne province du Transvaal, en Afrique du Sud. « Ce qui signifie que nous devons les aimer et prier pour qu’ils changent et pour qu’à leur tour, ils apprennent à aimer leur prochain. »
Elle déclare qu’elle tente de rester positive, ajoutant que sa foi lui apporte de l’espoir.
« Je me dispute avec mes amis de gauche qui sont désespérés », raconte-t-elle. « Mais Israël est en train de trouver sa boussole morale. Quand je regarde autour de moi, je vois de la beauté, du courage et de la force. »