BERLIN — En 2019, deux militants de Gaza, Hamza Howidy et Amin Abed, avaient organisé un mouvement de protestation qui dénonçait les conditions de vie dures qui prévalaient dans une bande plongée dans la pauvreté. Ils avaient été arrêtés par le Hamas et incarcérés dans la même cellule. Chaque jour, ils avaient été frappés et ils avaient subi des actes de torture.
Au mois d’août 2023, Howidy, 26 ans, est finalement parvenu à quitter Gaza après de nouvelles manifestations – et après un nouveau placement en détention. Abed, 35 ans, est resté dans l’enclave, dans l’incapacité de payer le prix exorbitant exigé pour quitter le territoire et peu disposé à l’idée de laisser s’effondrer encore davantage sa bien-aimée Gaza sous le poids de la mauvaise gestion et de la répression du Hamas.
Même après le 7 octobre, Abed a refusé de garder le silence face aux dévastations infligées par le groupe terroriste à Gaza. Au début du mois, cet activiste connu – qui reste une épine dans le pied du Hamas depuis de nombreuses années – a publié un post en arabe sur Facebook où il fustigeait avec force le groupe islamiste pour le massacre commis par ses hommes armés en Israël.
« Le Hamas savait dès le début qu’Israël allait riposter mais il a été prêt à tout et n’importe quoi pour s’assurer qu’il continuerait bien à gouverner, Gaza est une poule aux œufs d’or pour les chefs du Hamas et pour leurs investissements à l’étranger », disait notamment le post.
Peu après avoir écrit sa publication, Abed a été agressé par une vingtaine de « voyous » – des membres des services de sécurité du Hamas, selon les témoins – qui, le visage masqué, des matraques et des couteaux à la main, sont entrés dans l’école où il s’était réfugié avec sa famille. Il a été pris en charge à l’hôpital pour des fractures aux bras et aux jambes.
« Amin [Abed] est le Gazaoui le plus courageux qui soit », s’exclame Howidy au cours de son entretien avec le Times of Israel, évoquant son ami et ancien compagnon de cellule.
In a shocking photo, political activist Amin Abed is shown with fractures in his hands and feet, wounds across various parts of his body, and a skull fracture, following a brutal assault by Hamas militias. pic.twitter.com/0UApWCnFZn
— Ihab Hassan (@IhabHassane) July 8, 2024
« Il n’a jamais eu peur du Hamas. Quand nous réfléchissions à organiser une manifestation, il était toujours le premier à écrire des publications pour les annoncer, il était toujours le premier à en parler haut et fort. Il a consacré toute sa vie à lutter contre le Hamas, à s’y opposer », explique Howidy (suite à cette agression violente, Abed a indiqué dans un entretien récent qu’il examine désormais, lui aussi, la possibilité de quitter l’enclave côtière.)
Howidy, pour sa part, vit dorénavant en Allemagne où il est arrivé il y a quelques mois. Il a soumis une demande d’asile. Il est logé par le gouvernement allemand, qui lui verse aussi une allocation.
Dorénavant protégé des éventuelles représailles susceptibles d’être exercées par le Hamas à l’encontre de lui-même, voire à l’encontre de sa famille – qui a aussi perdu son habitation dans une frappe israélienne et qui est partie pour l’Égypte – Howidy s’autorise aujourd’hui à laisser libre cours à ses critiques du groupe terroriste sur la scène internationale.
Il a un compte anglophone, sur Twitter, où il parle des souffrances des Gazaouis entre les mains du Hamas et de l’armée israélienne. Il a aussi écrit un certain nombre d’Opinions dans des magazines de premier plan – notamment dans Newsweek – et il a accordé des entretiens aux médias internationaux où il raconte la réalité de la gouvernance terroriste du Hamas sur la population de Gaza. Auprès des journalistes, il s’insurge contre les « libéraux » auto-proclamés qui évoluent sur les campus des universités occidentales – et qui, selon lui, nuisent aux Palestiniens en restant aveugles face aux crimes commis par le groupe terroriste à leur encontre.
Quittant la ville allemande où il vit temporairement – et dont le nom ne sera pas communiqué – pour se rendre à Berlin, Howidy prend le temps de s’entretenir avec le Times of Israel pour décrire, dans le détail, ce qu’il a vécu en tant que dissident du Hamas à Gaza. Il réfute également les idées fausses sur le groupe terroriste et sur les Gazaouis, des idées bien implantées en Occident.
« J’entends souvent des Israéliens demander aux Gazaouis pourquoi nous ne nous opposons pas, pourquoi nous ne renversons pas le Hamas. Vous pouvez voir ce qui est arrivé à Amin Abed pour un post écrit sur Facebook. Imaginez les conséquences qu’il y aurait à aller simplement manifester », dit-il. « Vous seriez clairement en danger de mort ».
« Mais je souffre beaucoup pour mon pays et je ne veux pas qu’il soit présenté comme étant rempli de terroristes et de partisans du terroristes. Je veux que les gens puissent voir l’autre côté des choses », continue-t-il.
« Nous avons des gens qui sont modérés comme dans n’importe quel autre pays mais nous n’avons pas l’opportunité de prendre la parole et nous ne bénéficions d’aucune protection », poursuit-il.
Il a conscience d’être un pionnier – et c’est ce qui l’a déterminé, dit-il, à s’exposer sur la scène internationale. « Je pense que les habitants de Gaza, avant tout, veulent voir quelqu’un oser parler et se faire entendre et les autres suivront cet exemple », déclare-t-il.
Les manifestations « Nous voulons vivre »
En 2019, des centaines de Gazaouis étaient descendus dans les rues pour demander de meilleures conditions de travail dans le cadre d’un mouvement qui était devenu connu sous le nom « Nous voulons vivre ». Les forces de sécurité du Hamas avaient rapidement étouffé ces marches, frappant violemment les protestataires et plaçant en détention plus d’un millier de personnes. Howidy et Abed avaient figuré parmi elles.
« Ces manifestations n’avaient pas de leader à proprement parler et elles n’étaient pas explicitement politiques », indique Howidy. « Pour être honnêtes, nous voulions renverser le Hamas mais nous ne pouvions pas le dire publiquement et nous avions donc appelé à une réconciliation entre le Hamas et le Fatah, ainsi qu’à de nouvelles élections ».
Les forces de sécurité du Hamas avaient rapidement réprimé le mouvement de protestation. Elles avaient ouvert le feu à balle réelle sur les manifestants pour disperser le rassemblement, se souvient Howidy.
« Les gens avaient commencé à courir pour avoir la vie sauve. Après avoir tiré sur la foule, les milices étaient arrivées avec des matraques et elles avaient tapé sur le plus grand nombre de personnes possible. Et nous avions ensuite été arrêtés », explique-t-il.
Howidy était parvenu à sortir de prison après trois semaines d’incarcération grâce à un pot-de-vin de 3 000 dollars qui avait été versé par sa famille qui est relativement aisée – ce qui représente une somme exorbitante dans l’enclave où le salaire moyen oscille entre 400 dollars et 500 dollars.
D’autres ne devaient pas avoir cette chance. De nombreux manifestants appréhendés ce jour-là avaient passé huit ou neuf mois derrière les barreaux, une peine qui avait duré un an pour Abed. Howidy déclare que son ami a été arrêté par le Hamas à une dizaine de reprises au moins et qu’il avait déjà été hospitalisé pour des fractures aux membres à deux occasions, dans le passé.
Howidy l’affirme : la brutalité dont fait preuve le Hamas – c’était le cas avant et c’est encore le cas maintenant, estime-t-il – est un symptôme de sa faiblesse. Il note avoir réalisé que le sacrifice de la population civile par le groupe terroriste – une population dont il exige une soumission totale depuis plus de 17 ans pour atteindre ses objectifs de destruction – entraînera nécessairement un retour de bâton.
« Le Hamas a peur. Il sait que la population est en colère, qu’elle veut les remplacer mais qu’elle a peur de protester parce que tout le monde sait très bien ce que serait la réponse du Hamas à de telles initiatives. Nous avons déjà essayé à de nombreuses reprises ».
Une vie passée sous les violences du Hamas
Ce jeune adulte de 26 ans a grandi à Gaza City, dans le quartier Rimal, un quartier qui était l’un des plus favorisés de la bande et qui, pour cette raison, a accueilli les habitations de chefs variés du Hamas. Yahya Sinwar, à la tête du groupe terroriste, vivait à 15 minutes à pied du domicile familial et Ahmad Bahar, un autre responsable de premier plan qui est mort dans un bombardement israélien au mois de novembre, résidait près de chez lui.
Howidy n’avait que neuf ans, au mois de juin 2007, quand le Hamas s’était emparé du pouvoir au sein de l’enclave côtière en l’arrachant à l’Autorité palestinienne (AP) après une victoire électorale remportée lors du scrutin législatif palestinien, l’année précédente.
Après ce coup d’état, le Hamas avait exécuté des dizaines de membres du Fatah, la faction laïque à la tête de l’Autorité palestinienne. Environ 600 Palestiniens avaient été tués en quelques semaines dans les combats qui avaient opposé les deux factions.
« J’étais encore jeune mais je me souviens de ces violences. Quand ils avaient pris le contrôle de Gaza, les hommes du Hamas avaient commencé à chercher les personnes du Fatah », dit Howidy.
« Ils accrochaient leurs cadavres aux motos qu’ils chevauchaient et ils paradaient dans les rues de mon quartier », se rappelle-t-il. « C’était un cauchemar. Le but, c’était de choquer suffisamment la population en lui montrant les pires actes de violence de manière à ce que les gens n’osent plus s’exprimer et ce, le plus longtemps possible ».
« C’est la même tactique qui a été reprise par l’État islamique à Mossoul », ajoute-t-il, faisant référence à la capture, par Daesh, de cette localité – la deuxième plus grande ville de l’Irak – en 2014.
« Ces images et les scènes de liesse sont gravées dans ma mémoire et elles restent dans les esprits de tous les Gazaouis, tout comme les scènes de réjouissances qui ont été observées, le 7 octobre. Une personne normale ne célèbre pas la mort de qui que ce soit », indique Howidy.
Le spectre de la sauvagerie du Hamas pèse sur le quotidien des Gazaouis. Lorsque Howidy avait été arrêté pour la première fois en 2019, son séjour en prison avait été relativement court par rapport à ce qu’avaient vécu certains de ses amis. Mais les prisons du Hamas étaient effroyables.
« Trois semaines de violences physiques et d’actes de torture, c’est très, très long. Quand les gens, en Occident, pensent à une prison, ils pensent à la nécessité d’appeler un avocat, au procès qui va se dérouler devant le tribunal. A Gaza, vous vivez sous un régime terroriste ; il n’y a rien de tout cela. Pas de visite de la part de votre famille. Vous n’avez aucune idée de ce qui va vous arriver », s’exclame-t-il.
Howidy ajoute que le Hamas avait créé de toute pièce des charges à son encontre et à l’encontre des autres détenus.
« J’ai été accusé de choses ridicules. Par exemple, au cours des premiers jours, j’ai été accusé de collaborer avec les autorités israéliennes. On m’a ensuite accusé de travailler avec l’Autorité palestinienne. Et enfin, les derniers jours, je me souviens qu’ils m’avaient dit que j’étais payé par les Émirats arabes unis. Et moi j’étais là à me dire : Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? J’ai manifesté seulement parce que je veux un emploi ! ».
Howidy déclare que les violences quotidiennes l’avaient presque brisé.
« Finalement, vous finissez par vous dire que vous pourriez bien plaider coupable, juste pour qu’ils cessent de vous frapper. Je pense que si j’étais resté plus longtemps, j’aurais fini par admettre tout ce qu’ils voulaient », précise-t-il.
Les opposants au Hamas, à Gaza, étaient redescendus dans les rues au cours de l’été 2023, demandant une amélioration de leurs conditions de vie difficiles en reprenant le même slogan, « Nous voulons vivre » – un mouvement de protestation qui n’avait guère attiré l’attention des médias internationaux, déplore Howidy.
Une fois encore, le jeune adulte était allé manifester et une fois encore, il avait été incarcéré pendant deux semaines. Le pot-de-vin qui avait été versé par sa famille pour le faire sortir de prison s’était élevé, cette fois, à 5 000 dollars.
Après les répressions brutales de ce mouvement par les forces du Hamas, Howidy avait perdu tout espoir de pouvoir un jour avoir une vie normale à Gaza. Avec les encouragements de sa famille qui craignait de ne pas pouvoir le faire sortir de prison une troisième fois, il avait décidé de quitter l’enclave, rejoignant les environ 300 000 Gazaouis qui avaient laissé derrière eux l’enclave côtière pour trouver une vie meilleure à l’étranger avant le 7 octobre.
La machine de propagande du Hamas
Howidy se souvient que dans son enfance, les Israéliens étaient toujours décrits, dans les discours du Hamas, comme des agents du Mossad qui recrutaient des collaborateurs au sein de la population palestinienne. Il lui était alors dit et répété que la paix avec les Israéliens était impossible.
Toutefois, quand il était encore à Gaza, il était secrètement entré en contact avec un certain nombre d’Israéliens sur les réseaux sociaux – « Par curiosité », dit-il – et il s’est depuis lié d’amitié avec certains. Aujourd’hui, il conseille à ses amis, dans la bande, d’entrer en communication avec leurs voisins.
« Les Israéliens sont des gens normaux. Il y a une petite minorité d’extrémistes mais avec la plupart d’entre eux, c’est possible de se réconcilier », affirme-t-il. « Il faut seulement comprendre leurs inquiétudes et en particulier en matière de sécurité. Il suffit de regarder leur histoire ».
La propagande anti-israélienne haineuse du Hamas est omniprésente dans la bande placée sous l’autorité du Hamas. Pendant quatre ans, Howidy avait étudié la comptabilité au sein de l’Université islamique de Gaza – une université qui a été fréquentée par un grand nombre de dirigeants du groupe terroriste au pouvoir.
A cette époque, dit-il, il avait subi un lavage de cerveau constant, pas seulement concernant Israël et les Juifs mais aussi contre les autres religions – et notamment contre la petite minorité chrétienne qui se maintient au sein de l’enclave côtière.
« Il y avait deux ou trois écoles chrétiennes à Gaza et un club chrétien où les gens se retrouvaient pour jouer au foot. L’un de mes professeurs avait dit qu’il voulait que le Hamas les fasse disparaître », se rappelle-t-il.
« Comme je vous l’ai déjà dit, c’est comme l’État islamique », ajoute-t-il, en référence au fait que l’organisation salafiste prenait pour cible tous les groupes religieux autres que musulmans sunnites. « Mais ils sont dotés d’un bon service de relations publiques. Ils savent comment soutenir leur narratif de combattants pour la liberté. Et grâce aux régimes turc et qatari, ils peuvent se financer ».
Mais après avoir régné d’une main de fer pendant 17 ans, après avoir entraîné des conflits armés répétés avec Israël, après avoir détourné des milliers de dollars versés en aides à la population pour construire ses tunnels et pour s’armer, le Hamas a perdu les faveurs de la majorité des Gazaouis, maintient Howidy.
« La population civile, à Gaza, est très en colère contre le Hamas aujourd’hui – c’est le cas également d’un grand nombre de personnes qui le soutenaient, dans le passé ».
Look what Hamas is doing to a hungry man who tried to "steal" from the American aid meant for civilians.
Hamas thugs repeatedly beat him up with a crowbar fracturing his bones as he pleaded for forgiveness.The savages have no mercy. I was an eyewitness to their brutality in… pic.twitter.com/jXr0QrDQYL
— Mosab Hassan Yousef (@MosabHasanYOSEF) May 11, 2024
« S’ils n’aiment pas nécessairement Israël, les Gazaouis ont réalisé que le Hamas les utilise comme des pions, comme des boucliers humains et rien de plus. Ils ont réalisé que la seule stratégie du Hamas est d’optimiser le nombre de victimes civiles ».
La tactique perverse du Hamas – qui choisit de se cacher dans les infrastructures civiles – n’est pas une nouveauté. Le groupe terroriste avait opté pour le même mode opératoire au cours des conflits antérieurs avec Israël, dit Howidy.
« La population, à Gaza, est pleinement consciente de ça. Lors des guerres précédentes, on se disait toujours les uns aux autres de rester à distance des écoles et des hôpitaux parce qu’on savait très bien que le Hamas s’y cachait. Toutefois, quand on voit que ce genre d’endroit est pris pour cible par l’armée israélienne et qu’il y a des morts chez les civils, il est impossible, pour nous, de l’accepter dans la mesure où le Hamas y mènerait des opérations. Il doit y avoir d’autres moyens de le combattre ».
Affronter les partisans du Hamas en Occident
Howidy a retenu l’attention des médias après la publication d’une Opinion dans le magazine Newsweek, au mois d’avril, alors que les manifestations anti-israéliennes organisées sur les campus universitaires américains et occidentaux battaient leur plein. Dans le journal, il critiquait les protestataires pour leur incapacité à condamner le terrorisme et pour leur tendance à glorifier le terrorisme.
« Vous savez ce qui aiderait réellement les Palestiniens à Gaza ? Ce serait de condamner les atrocités du Hamas. A la place, les manifestants scandent régulièrement leur slogan en faveur ‘d’une mondialisation de l’Intifada’. Apparemment, ils ne réalisent pas que les Intifadas ont été catastrophiques pour les Palestiniens et pour les Israéliens, tout comme le 7 octobre a été désastreux pour la population de Gaza », avait écrit Howidy dans son Opinion.
Il répète ces critiques au cours de son entretien avec le Times of Israel.
« Le problème, c’est que les gens, en Occident, accordent du crédit à ce narratif des ‘combattants pour la liberté’, un narratif qui est totalement mensonger. Oui, Israël mérite de nombreuses critiques – je critique pour ma part Israël. Mais ce à quoi le Hamas se livre, ce n’est pas à un combat pour la liberté et il ne défend pas non plus les droits des Palestiniens », note-t-il.
« Sur les campus, les manifestants croient qu’Israël est un pays constitué de suprématistes blancs. Ils ignorent que plus de 50 % des Israéliens sont des descendants des Juifs arabes », ajoute-t-il.
« Je ne veux pas leur dire à qui apporter leur soutien mais ils devraient tout de même prendre plus de temps pour s’informer sur ce conflit avant de choisir qui sera l’ennemi et qui sera le héros. S’ils savaient ce que le Hamas a fait vivre aux Palestiniens au-delà de ce qu’il a fait subir aux Israéliens le 7 octobre – par exemple, ce qu’il a fait aux manifestants descendus dans les rues en 2019 – ils réaliseraient qu’ils soutiennent des terroristes dotés d’un bon service de relations publiques. »