Alors que la campagne visant à éliminer le Hamas est entrée dans son sixième mois, un général américain légendaire qui est entré dans l’Histoire pour avoir changé le cours de la guerre en Irak explique voir se détacher clairement, aujourd’hui, une voie qui permettrait à Israël d’arracher la victoire face au Hamas dans la bande de Gaza.
Une voie que l’État juif, jusqu’à présent, s’est toutefois refusé à envisager.
Le général David H. Petraeus, qui avait commandé la stratégie du « Surge » – ou de l’escalade – consistant à renforcer ses troupes en Irak en tant que chef de la Force multinationale-Irak, en 2007 et 2008, et qui avait ultérieurement dirigé la CIA, indique qu’Israël doit opter pour une approche de contre-insurrection si le pays veut empêcher le Hamas de reprendre le pouvoir au sein de l’enclave côtière.
« C’est impossible de ne pas l’adopter », confie-t-il au Times of Israel en marge d’une conférence organisée par l’Institut d’études sécuritaires nationales à Tel Aviv, au début du mois de mars.
L’insurrection, un procédé qui est devenu particulièrement dominant alors que les forces locales luttaient pour renverser les gouvernements colonialistes, contre les armées conventionnelles, est, selon la définition du général, une campagne lancée « par des forces clandestines désireuses de changer l’ordre politique existant. Ces forces se mélangent habituellement aux civils pour se cacher de ceux qui défendent l’ordre politique ».
Pour contrer et pour neutraliser une insurrection, Petraeus défend une approche connue sous le nom de contre-insurrection – ou COIN. « Centrée sur la population » et non pas « centrée sur l’ennemi », cette stratégie se focalise sur la nécessité de gagner l’adhésion du public pour le séparer des insurgés.
Dans la contre-insurrection – on parle aussi de contre-guérilla – tuer l’ennemi n’est un plus que s’il s’agit d’améliorer la sécurité nécessaire pour que la population puisse créer un espace suffisant pour développer des institutions économiques et politiques. Mais si l’élimination des insurgés fait naître plus de combattants qu’elle n’en détruit, alors une telle méthode devient contre-productive.
Lorsque Petraeus avait pris le commandement de l’effort livré par les Alliés en Irak, au mois de février 2007, les insurgés semblaient être en bonne voie de remporter la victoire. A Bagdad, les violences sectaires faisaient jusqu’à 150 morts par jour. Le commandant sortant, le général George Casey, voulait réduire ses pertes, diminuant progressivement la présence des Américains sur le territoire et confiant les rênes de ce dernier aux forces irakiennes.
Pendant ses 19 mois passés à la tête du commandement, Petraeus était parvenu à modifier drastiquement la trajectoire de la guerre.
« Il faut avoir les bonnes idées », s’exclame Petraeus.
Une transition vers une approche centrée sur la population était sa « bonne idée », dit-il. Il avait fait venir en renfort plus de 20 000 soldats supplémentaires sur le territoire irakien, les sortant de leurs imposantes bases militaires pour mener des opérations de sécurité en faveur de la population.
Avant ce renforcement de troupes, le commandant des forces spéciales américaines, Stanley McChrystal avait dit à Petraeus : « Patron, on a tapé, toutes les nuits, à Ramadi et à Fallujah, avec deux ou trois opérations par nuit. Et la situation a empiré ».
« Vous avez tout à fait raison », avait répondu Petraeus, « parce qu’il faut nettoyer, parce qu’il faut maintenir et construire ».
« Les idées qui sont à la base de la contre-insurrection sont qu’il faut d’abord nettoyer une zone et en assurer le maintien – et qu’il faut assurer ce maintien de manière réellement déterminante, » explique Petraeus à Tel Aviv. « Vous allez cloisonner la zone. Vous allez créer des quartiers fermés, avec 12 ou 13 quartiers complètement clos qui avaient été créés à Fallujah seulement. Vous allez utiliser des cartes biométriques parce que vous allez essayez de distinguer l’ennemi, les extrémistes, des autres. C’est l’idée fondamentale de cette contre-guérilla ».
L’approche avait entraîné des résultats indéniables lorsque Petraeus était stationné en Irak. Le nombre de morts, du côté américain, avait baissé, passant d’un pic de 126 au mois de mai 2006 à une moyenne inférieure à onze après le mois de juin 2008. Le nombre de pertes humaines, du côté des civils irakiens, avait également beaucoup diminué, passant de 1 700 à 200 par mois pendant la même période.
C’est pour cette raison que l’historien Victor Davis Hanson devait décider d’inclure l’éminent militaire américain dans son livre intitulé : Savior Generals: How Five Great Commanders Saved Wars That Were Lost — From Ancient Greece to Iraq.
Et Petraeus voudrait voir Israël adopter cette stratégie dans le cadre de la guerre à Gaza.
Mais il le dit sans équivoque : Le Hamas doit avant tout être vaincu.
Le Hamas doit être détruit tout comme nous avons détruit le cœur d’al-Qaida
« Aucune conciliation n’est possible avec le Hamas », affirme-t-il avec vivacité. « C’est une idée absolument fondamentale. Certains vont en discuter. Je pense, pour ma part, qu’elle ne doit pas faire l’objet de débats. Je pense que le Hamas est l’équivalent d’al-Qaïda ou de l’État islamique ».
« Le Hamas doit être détruit tout comme nous avons détruit le cœur d’al-Qaïda et tout comme nous avons aidé les forces de sécurité irakiennes et les forces démocratiques syriennes à détruire l’État islamique », ajoute-t-il.
Petraeus, comme de nombreux amis d’Israël, s’inquiète de ce qui arrivera à Gaza après le démantèlement de la structure militaire du Hamas.
« Quand vous aurez détruit le Hamas en tant qu’organisation militaire, il y aura encore des résidus, il y aura encore des terroristes individuels, des insurgés, des extrémistes, appelez-les comme vous le voulez » assène-t-il.
Des quartiers sécurisés et clos
Au mois de février, le Hamas avait commencé à refaire surface dans des secteurs d’où Israël avait retiré la majorité de ses soldats, un mois auparavant. Le groupe terroriste avait déployé ses agents de police et il avait versé des rémunérations partielles à certains de ses fonctionnaires de Gaza City. Des milliers d’hommes armés étaient encore dans le nord de Gaza et Tsahal avait dû retourner dans des zones dont les soldats avaient pourtant pris le contrôle auparavant.
Petraeus appelle à l’établissement de quartiers sécurisés, clos, où les locaux pourront fournir les services de base : « C’est pour les empêcher de voir le Hamas s’infiltrer une fois encore dans les communautés – une infiltration dont, dans les circonstances actuelles, les civils ne veulent probablement plus, en particulier dans la mesure où ils pourront accéder à des services fondamentaux ».
Un sondage palestinien qui avait été réalisé à la fin du mois de novembre et au début du mois de décembre, l’année dernière, avait révélé que le Hamas était soutenu par 42% des habitants de Gaza, une légère hausse par rapport au soutien à hauteur de 38% de la population qui avait été enregistré trois mois auparavant.
Mais il y a un inconvénient majeur dans cette approche de la COIN, en particulier pour Israël : elle est exigeante en main-d’œuvre et elle réclame du temps.
Dans « The Western Way of War, » un ouvrage qui a influencé la pensée de Petraeus quand il était jeune, Hanson, l’historien, affirme que parce que les hoplites, dans la Grèce antique, étaient également fermiers, ils privilégiaient des guerres courtes, sanguinaires et décisives pour pouvoir revenir rapidement à leurs cultures et à leurs récoltes. Ce qui a formé l’approche de la guerre de la part de l’Occident, selon Hanson.
C’est par ailleurs une description pertinente de la doctrine classique qui est adoptée par Israël, qui cherche à remporter des victoires aussi décisives et aussi rapides que possible pour permettre aux réservistes de reprendre leur carrière professionnelle.
Israël pourrait, en théorie, mobiliser une nouvelle fois des dizaines de milliers de troupes en rappelant les réservistes qui se sont battus dans les mois qui ont suivi le massacre du 7 octobre. Toutefois, ces hommes ont fait leur retour à la vie civile pour une bonne raison : ils ont des emplois ou des études à continuer, sans parler des tensions qu’un long service de réserve fait peser sur les jeunes ménages.
Des difficultés que Petraeus n’a aucun mal à reconnaître.
« Il faut un nombre très important de troupes pour faire ce type d’opération de maintien des quartiers », admet-il. « Mais s’il n’y a pas ces opérations, vous finirez avec un ennemi qui va se reconstituer ».
Tous les experts américains ne sont pas convaincus de la pertinence de l’approche de la contre-guérilla dans le cadre des combats en cours à Gaza.
« Vous ne pouvez pas mener une contre-insurrection contre une armée ennemie », affirme John Spencer, chef du département d’études de guérilla au sein de la prestigieuse académie militaire américaine de West Point.
« Vous menez une guerre contre une armée ennemie. Oui, le Hamas est un groupe terroriste reconnu comme tel mais il a aussi une aile politique, avec une armée qui contrôlait un territoire. Le Hamas est une organisation militaire qui a envoyé des brigades envahir Israël. Israël a déclaré la guerre », continue-t-il.
Au début de son séjour en Israël, Petraeus a été invité par le ministre de la Défense, Yoav Gallant, et par le directeur-général du ministère, Eyal Zamir, pour une longue conversation sur la guerre. Petraeus dit avoir été impressionné par cet échange.
« Ils reconnaissent que la plus grande difficulté est la possible reconstitution du Hamas », commente-t-il. « Ils comprennent très bien quelle est la dynamique en jeu ».
Mais le Premier ministre Benjamin Netanyahu a affiché sa réticence à l’idée de présenter un plan détaillé pour l’après-guerre à Gaza dans un avenir dont le Hamas serait absent, craignant des fractures au sein de sa coalition d’extrême-droite.
A la mi-février, il a malgré tout présenté un plan prévoyant de permettre à « des responsables locaux », sans affiliation avec les terroristes, d’administrer les services dans la bande à la place du Hamas. Ce plan fait aussi la promotion de la coopération avec l’Égypte pour mettre un terme aux trafics à Gaza, attribuant aux pays arabes la responsabilité du financement de la reconstruction de l’enclave. Il réclame aussi la fermeture de l’UNRWA, l’agence controversée chargée des réfugiés palestiniens au sein des Nations unies, actuellement dans la tourmente – certains de ses employés auraient ainsi pris part au massacre commis, le 7 octobre, sur le sol israélien.
Le plan de Netanyahu prévoit également la démilitarisation de Gaza et la « déradicalisation » de sa population.
Un projet qui a été reçu plutôt fraîchement à Washington.
« Terriblement difficile »
Tandis que la Maison Blanche a averti qu’une opération israélienne majeure dans la ville de Rafah serait « un désastre » et « une ligne rouge » — tout du moins dans les circonstances actuelles — Petraeus dit ne pas voir d’autre choix que celui d’une offensive dans cette localité du sud de la bande, à un moment ou à un autre.
« Benny Gantz, mon vieux camarade et ami, a absolument raison lorsqu’il dit que vous n’envoyez pas les pompiers éteindre seulement 80% de l’incendie », explique-t-il avec un sourire, faisant allusion aux propos tenus par le ministre du cabinet de guerre, la cellule de commandement militaire gouvernementale, à Washington. « Il faut l’éteindre en totalité ».
Israël a annoncé que les résidents de la ville – située le long de la frontière égyptiennes – seraient évacués avant une opération militaire.
Petraeus estime que les inquiétudes des États-Unis face aux civils qui se sont réfugiés à Rafah et dans ses environs sont « légitimes ».
En même temps, il déclare partager la préoccupation des Israéliens qui craignent que le Hamas n’utilise le déplacement des civils vers le nord du territoire comme occasion unique de se regrouper.
Malgré les critiques sans concession faites par Washington et d’autres capitales qui s’insurgent face aux pertes humaines croissantes du côté des civils, dans la bande de Gaza, Petraeus reconnaît « les efforts consentis par l’armée israélienne pour tenter d’épargner les civils avec tous les textos, tous les prospectus et autres qui cherchaient à réduire au maximum le nombre de victimes ».
Il ajoute que son entretien avec Gallant, qui était consacré aux plans mis en place par Israël pour protéger les civils, l’a « rassuré ».
Évoquant la campagne au sol actuellement en cours contre le Hamas, Petraeus estime qu’elle est « plus difficile et plus complexe que tout ce que nous avons été amenés à faire ».
« C’est le contexte le plus terriblement difficile, en matière d’opérations urbaines, que nous avons connu depuis 1945 au moins », dit-il. « Vous avez presque 600 kilomètres de tunnels très bien développés, avec des infrastructures souterraines, des usines, des quartiers-généraux qui ont tous été installés sous le sol. Vous avez des tours qui doivent être nettoyées. Vous devez nettoyer chaque immeuble, chaque étage, chaque pièce, chaque cave, chaque tunnel ».
L’armée israélienne a perdu 260 soldats dans le cadre de l’offensive terrestre à Gaza.
« Vous avez un ennemi qui ne porte pas l’uniforme dans la majorité des cas », poursuit Petraeus, « un ennemi qui utilise les civils comme boucliers humains, qui détient encore en captivité 130 otages, ce qui complique à l’évidence une situation qui est déjà très complexe. »
Il resterait 129 otages qui avaient été enlevés par les hommes du Hamas, le 7 octobre, dans la bande de Gaza – tous ne seraient plus en vie – après la remise en liberté de 105 civils au cours d’une trêve d’une semaine qui avait eu lieu à la fin du mois de novembre. Quatre captives avaient été relâchées auparavant. Trois otages, encore en vie, ont été secourus par les troupes et les dépouilles d’onze captifs ont aussi été rapatriées, notamment celles de trois hommes qui avaient accidentellement été tués par les militaires après avoir échappé à la vigilance de leurs geôliers.
L’accord avec l’Arabie saoudite de retour sur la table
Après de multiples postes de commandement au Moyen-Orient – et un passage à la tête de la CIA – Petraeus connaît personnellement de nombreux acteurs de la région et il connaît notamment Mohammed Bin Salman, le puissant prince héritier saoudien.
L’administration Biden œuvre à conclure un accord historique qui permettrait à l’Arabie saoudite et à Israël de normaliser leurs relations diplomatiques. Le royaume et d’autres pays arabes réclament des initiatives en faveur de la création d’un futur état palestinien dans le cadre de tout potentiel accord.
Un accord de normalisation « n’est d’aucune façon écarté par les Saoudiens », indique Petraeus, « mais il y a manifestement une plus grande emphase placée sur un engagement clair en faveur de la solution à deux États ».
Il précise qu’un état palestinien était « la condition numéro un, numéro deux et numéro trois » lorsqu’il avait rencontré le roi d’Arabie saoudite au milieu des années 2000. « Puis cela n’a plus été vraiment d’actualité, en quelque sorte », note-t-il.
Depuis le 7 octobre, continue Petraeus, « c’est quelque chose qui est revenu de manière très importante dans les esprits et c’est une question que les Saoudiens voudraient régler. Je pense que c’est redevenu une condition beaucoup plus importante que ce n’était le cas à la veille du 7 octobre ».
Israël a l’opportunité de conclure un accord révolutionnaire avec l’Arabie saoudite, souligne Petraeus.
Alors que le Hamas est dans ses tunnels, c’est aussi l’occasion pour Israël de remplacer le groupe terroriste, sur le terrain, par une autre autorité qui serait chargée de gérer les affaires à Gaza.
Et Petraeus est convaincu qu’Israël ne doit pas rater ces deux opportunités qui lui sont données.
Lorsqu’il commandait la 101e Division aéroportée à Mosoul, en Irak, il avait reconnu que l’économie locale dépendait de la reprise du commerce avec la Syrie – mais il n’avait ni l’autorité nécessaire, ni le temps de lancer des négociations commerciales entre les deux pays.
Il avait pris l’initiative d’ordonner à ses troupes de rouvrir unilatéralement le poste-frontière, du côté irakien, et les affaires avaient repris.
« Il faut sauter sur les opportunités et il faut les exploiter tant qu’elles se présentent », estime Petraeus en commentant les décisions qu’il avait été amené à prendre. « Il ne faut pas les examiner trop longtemps parce qu’elles ne sont rapidement plus d’actualité, et c’est là qu’on est obligé de forcer les choses ».