Bienvenue à « What Matters Now » (Ce qui compte maintenant), un podcast hebdomadaire qui examine un sujet déterminant façonnant Israël et le monde juif – aujourd’hui.
Les répercussions du massacre perpétré par le Hamas qui a fait 1 400 morts en Israël, le 7 octobre, se font encore ressentir. Les morts étaient majoritairement des civils – avec notamment de nombreuses familles entières – qu’Israël continue à identifier et à inhumer.
Les Israéliens ont été la première cible de cette attaque barbare mais leur douleur a été partagée par un grand nombre de leurs frères et sœurs juifs dans la Diaspora, tout comme les Israéliens avaient partagé le choc et la souffrance des communautés juives, dans le monde, lors de la fusillade meurtrière qui avait eu lieu à la synagogue Tree of Life de Pittsburgh – une fusillade dont c’est le cinquième anniversaire cette semaine.
Le rabbin Rick Jacobs, président de l’Union for Reform Judaism qui représente environ deux millions de Juifs en Amérique du nord, est venu cette semaine depuis New York pour afficher son amour et sa solidarité avec les Israéliens. Il a pris le temps de rencontrer le Times of Israel après avoir visité le pays et obtenu des informations directes sur la situation ici, sur le terrain.
Dans nos échanges, nous évoquerons la manière dont les Juifs – même issus des courants les plus progressistes – se rassemblent aujourd’hui, certains émettant toutefois des réserves du point de vue humanitaire.
« C’est un moment où nous devons favoriser ce genre de réponse que le monde n’aime pas nous voir prendre – avec une réponse militaire forte pour protéger notre communauté, nos familles, notre pays. Et en même temps, pouvons-nous soutenir, indépendamment de notre position morale dans le monde, que nous ne voyons pas la souffrance des innocents, que nous ne voyons pas la souffrance de ceux qui lancent cet assaut ? Cela fait partie de notre volonté de conserver nos sensibilités religieuses juives, ces sensibilités que nous ne pourrons jamais perdre », dit Jacobs.
Et donc, cette semaine, nous avons demandé au rabbin Rock Jacobs : Qu’est-ce qui compte maintenant ?
La retranscription qui suit a été légèrement réexaminée.
Le Times of Israel: Rick, merci beaucoup d’être avec moi aujourd’hui aux Studios Nomi, à Jérusalem.
Rabbin Rick Jacobs: C’est un honneur d’être ici avec vous.
Nos vies ont changé depuis le 7 octobre, tout le monde ici, en Israël, le ressent et je suis sûre que les Juifs du monde entier le ressentent aussi. Alors je vous le demande, Rick, alors que nous en sommes à la vingtième journée de cette guerre : Qu’est-ce qui compte maintenant ?
Ce qui compte maintenant, c’est que quelque chose de profond a changé le 7 octobre. Manifestement, l’État d’Israël et le peuple juif ont eu de nombreux défis à relever. Les Israéliens ont eu des défis à relever presque quotidiennement mais lorsque nous nous sommes réveillés en apprenant ce qui s’était produit et ce qui était encore en train de se produire en cette matinée de Shabbat, à Shemini Atzeret, à Simchat Torah, cela nous a littéralement traversés et cela nous a touchés au cœur. Et c’est évident que cela a été encore beaucoup plus fort ici, en Israël.
Écoutez, avant le 7 octobre, on se disputait et on débattait au sujet de tout. Nous sommes Juifs, nous sommes des leaders Juifs, on débattait de la refonte judiciaire, de la halakha, de tout. Mais le 7 octobre, à ce moment précis, quelque chose a changé qui nous a fait dire : Il y a un appel beaucoup plus profond qui est en train de se faire entendre à cet instant même, un appel qui nous demande de nous tenir avec force auprès du peuple et de l’État d’Israël, qui nous demande de galvaniser notre communauté en utilisant tous les moyens possibles. Il n’y a pas de droite et de gauche ; il n’y a pas d’orthodoxes, de laïques ou de Juifs réformés. Il ne reste qu’une communauté qui a compris qu’elle venait d’être témoin du massacre des siens, dans leurs habitations. Dans cet État juif célébré qui avait la capacité, pensions-nous, de défendre nos citoyens partout où ils se trouvent, à tous les instants. Cela a fait renaître en nous ce sentiment qui nous dit que nous restons vulnérables même quand nous sommes forts. Je pense que cela nous a aussi rappelé que quelque part, sous tout le reste, il y a quelque chose qui nous relie tous. Et je pense que nous le savions auparavant de manière somme toute intellectualisée mais que nous en avons dorénavant conscience de façon profonde, viscérale. Je pense que cette tragédie sera racontée pour les siècles à venir.
Je suis d’accord avec vous. A mes yeux, c’est un événement de la même portée symbolique que les attentats du 11 septembre ou, à en croire mon père, que l’assassinat de JFK. Des événements de cette importance. Je voudrais que vous me racontiez comment vous-même avez été informé de ce massacre.
Eh bien, ce n’est très certainement pas une pratique pour moi d’être collé aux médias à Shabbat, mais je regarde ce qui se passe sur mon téléphone parce que nous avons un mouvement très vaste et que nous savons qu’il arrive souvent des choses auxquelles nous devons répondre. Ainsi, en cette matinée de Shabbat, à Simchat Torah, quand j’ai regardé mon téléphone, j’ai vu les nombreux textos directs et autres courriels d’amis en Israël qui disaient que quelque chose d’horrible, de bouleversant, était en train de se produire.
Et là, je suis tout simplement resté collé à mon téléphone pour essayer de trouver quelque chose que nous pourrions faire à notre niveau. Dans ces premiers moments, alors que nous découvrions l’ampleur de l’horreur et que nous entendions les récits de certains amis qui se trouvaient dans leur pièce blindée, tout à côté de la frontière, à Kfar Aza, à Nahal Oz, nous avons été les témoins en temps réel de leur désespoir, de leurs supplications : « Envoyez-nous quelqu’un qui puisse venir nous aider ! ».
Et puis, bien sûr, il a fallu tout de suite que nous essayions de trouver le moyen de mobiliser notre communauté un jour de fête, un Shabbat où les gens font ce qu’ils sont supposés faire, à savoir célébrer un moment joyeux, le vivre intensément. Ce Shabbat n’était pas un Shabbat.
Donc, immédiatement après avoir vu ce qui était en train d’arriver en Israël, vous avez pensé à la nécessité de protéger vos communautés dans toute la Diaspora ?
Avant tout, j’ai essayé de réfléchir et de tenter de comprendre ce que nous devions faire pour être utile pour les nôtres ici, en Israël. C’est eux qui se trouvaient littéralement sur la ligne de front. Laissez-moi vous dire les choses très clairement qui concerne le gouvernement américain – nous sommes un mouvement nord-américain, nous sommes au Canada et aux États-Unis – mais à ce moment très précis, nous devions nous assurer que le gouvernement américain était à l’écoute de ce qui était en train de se produire. Nous n’avons pas, en ce moment, d’ambassadeur américain ici. Nous espérons que nous en aurons bientôt un. Mais vraiment, nous voulions nous assurer que les pouvoirs en place contrôlaient de près la situation – et à l’évidence, comme nous l’avons constaté ces derniers jours, il y a un soutien très fort de la part du gouvernement américain.
Mais à ce moment-là, nous ressentions une telle anxiété, une telle vulnérabilité, et nous n’étions pas encore conscients de l’ampleur de l’attaque. Les premières informations ont fait état de cent personnes assassinées, puis de 200, et le nombre a continué à augmenter. Et le désespoir de ces gens qui étaient dans leur pièce blindée avec leurs enfants, leur demandant de ne pas parler. Je me demande moi-même comment j’aurais pu, quand mes enfants étaient petits, les obliger à se taire pendant ne serait-ce que dix minutes. Alors que dire neuf heures d’affilée ? Et rapidement, ça a été l’alerte rouge à tous les niveaux. Et je pense que la question de la protection de nos communautés, ici, faisait partie du lot. Mais il était évident que le danger absolu, c’était à l’endroit même où se produisait ce carnage. Et nous ne savions pas encore grand-chose sur le grand nombre d’otages. Les choses étaient en train de se dérouler et elles devenaient plus horribles à chaque nouveau récit, à chaque nouvelle information.
C’est encore le cas. Et presque immédiatement votre mouvement, ainsi que d’autres mouvements de tous les États-Unis, ont commencé à organiser des veillées. Racontez-moi.
En y réfléchissant, on était déjà très organisés concernant les veillées avant le 7 octobre. Des veillées qui étaient jusqu’alors clairement pro-démocratie, pro-État juif et démocratique. Et nous avions tissé un partenariat merveilleux, formidable avec les Israéliens qui ne se trouvent pas seulement à New York, mais aussi à San Francisco, à Los Angeles, en Floride, partout. Ce même réseau, en l’espace d’une seconde, s’est transformé, passant des manifestations pro-démocratie aux rassemblements publics à grande échelle en faveur de la sécurité physique des citoyens d’Israël.
Et tout de suite, il y a eu des contre-manifestations de la part des activistes pro-Hamas. Tout de suite – je suis à New York City — il y a eu des gens qui ne manifestaient pas au nom de la dignité et du bien-être des Palestiniens. C’est légitime. Nous pouvons nous réjouir des manifestations quand elles sont respectueuses. Celles-là ne l’étaient pas. Elles étaient pro-Hamas. Elles fêtaient le massacre des nôtres.
Ainsi, à un niveau très basique, nous n’étions pas préparés à voir des personnes intégrées dans notre monde moderne célébrer le meurtre massif de bébés, de femmes et de familles entières, mais c’est pourtant ce que nous avons vu. Et ça a encouragé un grand nombre – notamment des membres très progressistes de notre communauté – à dire : « C’est différent. Quelque chose a dorénavant changé en ce qui concerne la compréhension de notre rôle en tant que juifs, en tant que soutiens, en tant que soutiens progressistes d’Israël ».
Très rapidement, on a compris que c’était une guerre contre le Hamas. Les terroristes avaient fait quelque chose de si odieux, qui allait tellement au-delà de ce qu’on pouvait imaginer, que nous avons su qu’il y aurait une réponse autre que le simple espoir que les choses s’améliorent. Ce n’est pas une réponse. Ce n’est pas un plan. Et ce n’est pas ce dont la communauté juive en Amérique traite en général.
Vous prenez part à des efforts de coexistence et je me demande s’il y a pu y avoir des conversations entre vous et les responsables musulmans de tous les niveaux, qui se sont exprimés pour condamner ce qui était en train de se passer.
Je vais être clair, la plus grande partie des expressions de solidarité qui m’ont été exprimées sont provenues de mes collègues, dans les communautés chrétiennes. Mon téléphone a été rempli de ses expressions de solidarité, notamment de la part de personnes que je ne qualifierais pas de forts soutiens d’Israël. Ces gens ont néanmoins compris que quelque chose de différent était en train de se produire et leurs réactions m’ont réchauffé le cœur. Et la demande que je leur ai soumise, après les avoirs remerciés, ça a été : Est-ce que vous pouvez écrire ça sur les réseaux sociaux ou le dire publiquement ? Ce serait vraiment très important.
J’entretiens des relations très proches avec certains collègues musulmans. Certains ne sont pas originaires du Moyen-Orient et, pour eux, c’est généralement un petit peu plus facile de naviguer dans les eaux troubles de la politique au Moyen-Orient. Mais il y a eu des expressions de solidarité de la part de mes collègues musulmans. Encore une fois, ce n’est pas qu’ils soutiennent le projet du peuple juif dans son ensemble ou le projet de l’État d’Israël dans son ensemble. Mais ils ont dit : « Nous sommes indignés. Nous ne pouvons pas imaginer ce que cela peut être de traverser cela en tant que communauté juive ». Et ils ont exprimé la même chose que ce qu’a dit Joe Biden quand il était ici : « Vous n’êtes pas seuls ». Ce sont les expressions de solidarité que nous avons reçues. J’ai entendu dire que certains rabbins de toute l’Amérique du nord avaient dû attendre un moment pour avoir des nouvelles de leurs partenaires interconfessionnels. Certains rabbins ont même fait savoir qu’ils aimeraient avoir un signe de la part de leurs partenaires.
Je pense que pour ceux qui sont très impliqués dans le monde politique, qui se définissent probablement comme appartenant à l’extrémité très progressiste du spectre, cette attaque horrible a touché un grand nombre d’entre eux, les amenant à adopter un état d’esprit différent. Ce n’est pas qu’ils oublient ou qu’ils renoncent à leurs engagements politiques mais ils n’ont pas été capables de tolérer le massacre de civils innocents.
Et les gens qui vivent le long de la frontière avec Gaza sont, vous le savez – j’ai passé beaucoup de temps dans ces communautés – les plus idéalistes, les plus déterminées à construire une société partagée.
Il y a de l’ironie dans cette situation dans la mesure où ces gens qui sont retenus en captivité par le Hamas sont les mêmes qui, peut-être, ont emmené des membres de leur famille à l’hôpital pour soigner un cancer. Ce sont les activistes de la paix en Israël – un grand nombre d’entre eux vivent dans ces kibboutzim le long de la frontière, dans ces kibboutzim laïcs. Je voudrais creuser un peu plus, malgré tout, la question des progressistes. De nombreuses personnes m’ont dit en privé : « Hé, nous, les Juifs, nous nous sommes mobilisés. Nous nous sommes mobilisés pour Black Lives Matter, nous nous sommes mobilisés pour un grand nombre d’autres mouvements différents et aujourd’hui, nous ne voyons pas nos partenaires dans l’activisme se mobiliser pour nous ». Avez-vous le même sentiment ?
Je ne le ressens pas dans un sens général. Je pense qu’il y a eu, c’est certains, de nombreuses personnes qui sont venues à nous, de nombreuses personnes qui sont entrées en contact avec nous. Il y a des gens avec lesquels nous avons travaillé, côte à côte, pour défendre les droits civils, pour aider à mettre en place une société en Amérique du nord où les gens de couleur, de toutes les origines, de tous les genres, de toutes les sexualités peuvent vivre dans la paix, dans la dignité et dans l’égalité. Et je pense qu’il y a des personnes qui, auparavant, ne s’exprimaient que sur l’establishment politique israélien. Les voix du gouvernement israélien actuel n’ont pas franchement été en harmonie avec celles des groupes juifs libéraux. Elles n’ont pas été en harmonie non plus avec les voix d’un grand nombre de progressistes.
Mais cette guerre, ce n’était pas une histoire de nouveau politicien ou une histoire de politique de ce gouvernement. Cela a été une attaque contre des êtres humains, contre des familles. Et j’ai même envie de dire que ce sont certains parmi les plus progressistes qui se sont manifestés et qui se sont exprimés avec le langage le plus clair. Et un grand nombre d’entre eux ont également dit : « Est-ce que ça va ? Est-ce que je peux faire quelque chose ? »… Et à ce moment-là, je n’ai pas voulu seulement les remercier, mais j’ai voulu leur demander de faire part de leur soutien devant leur congrégation, devant leur communauté plus largement, parce que cette guerre n’allait probablement pas prendre une seule journée ni une seule semaine. Et nous avons immédiatement compris qu’il y aurait beaucoup de solidarité, beaucoup d’empathie mais qu’au fil de la campagne, de la guerre, et comme nous le constatons en ce moment, la vague de l’opinion pourrait rapidement se retourner contre Israël, quand Israël ferait ce qui est nécessaire de faire, à savoir riposter au Hamas – et non riposter à tous les Palestiniens. C’est une guerre contre le Hamas.
Ainsi, c’est actuellement, franchement, que j’ai envie de dire que c’est plus difficile, que la solidarité est la plus indispensable.. Et c’est à cela que nous essayons de travailler et que nous y travaillons dur – pour solidifier certaines de ces coalitions de foi et de conscience.
C’est certain. Nous le voyons assurément sur la scène internationale, le vent à tourné. Je ne dirais pas qu’il « est en train de tourner ». Il a tourné il y a peut-être une semaine en ce qui concerne les médias internationaux. Et, bien entendu, il y a une souffrance terrible à Gaza. Il n’y a pas de doute, il n’y a pas de doute objectivement parlant à cela. Et pourtant, nous nous demandons ici en Israël, nous sommes tellement nombreux à se le demander, pouvons-nous nous permettre de manquer cet instant de clarté morale ? Les enfants qui ont été décapités, violés, pris en otage ; les grands-mères, les survivants de la Shoah hissés sur des motos, battus à coups de matraque ? Nous avons d’ores et déjà entendu le témoignage des otages qui ont été libérés. Comment se fait-il qu’Israël ne puisse pas opérer à Gaza sans essuyer la condamnation du monde ?
Eh bien, je pense que vous avez absolument raison. Et nous nous tenons à 100% avec Israël dans cette crise, dans cette catastrophe, dans ce moment de souffrance et de deuil écrasants. Et en même temps, nous sommes un peuple qui sait également combien la souffrance de l’innocent est douloureuse. Il y a un commentaire sur l’extrait de la Torah de la semaine, dans Parshat Lech Lecha, Chapitre 15, juste après qu’Avram – qui n’est pas encore Abraham – vient au secours de Lot, son neveu, retenu en otage. (Vous vous dites en ouvrant la Torah : « Pardon, mais comment ont-ils pu savoir que nous serions amenés à lire ça cette semaine et combien il serait nécessaire que nous entendions ces mots ? »…) Avram assemble un groupe de combattants et il se bat, il gagne et il peut faire libérer ce membre de sa famille. Ainsi, la Torah nous dit ce qui est nécessaire à des moments pareils. Parfois, je pense à Avram comme à un Elie Wiesel ou à un Martin Buber mais en fin de compte, il tient beaucoup de Gary Cooper. Il se bat.
Le Chapitre 15 s’ouvre avec ‘Al Tira, Avram’. N’aie pas peur. Et le midrash dit : Pourquoi avait-il peur ? Ce n’est pas qu’il avait peur d’une autre attaque. Dans le Midrash Rabbah, il est écrit qu’il avait peur parce qu’il avait bien pu tuer un innocent dans la guerre qu’il venait de mener. Ce ne sont pas des écrits qui ont été rédigés par un rabbin du mouvement réformé, au 21e siècle. Cela a été écrit il y a des siècles. Cela fait également partie de notre ADN. Cela fait partie de ce qui fait de nous, de qui nous sommes.
Nous pouvons soutenir Israël et l’armée à 100 % dans leur réponse indispensable à l’attaque. C’est leur devoir de protéger les familles israéliennes, le pays. Et ce sera impossible de les protéger en laissant le Hamas continuer à acquérir de la puissance militaire, en maintenant des millions de personnes en otage à Gaza. Ils ne tentent pas de rendre la vie « déplaisante » pour les Israéliens : ils voudraient que nous ne soyons pas là. Ils voudraient nous effacer de la surface de la terre. Et ils ne se focalisent pas seulement sur Israël : ils visent tous les Juifs. Ainsi, ce n’est pas possible, à l’heure actuelle, de se contenter de chanter « Oseh Shalom, od yavo Shalom » (Faites la paix, la paix arrivera sûrement). Nous vivons un moment où Israël doit favoriser ce genre de réponse que le monde n’aime pas nous voir prendre – avec une réponse militaire forte pour protéger notre communauté, nos familles, notre pays. Et en même temps, pouvons-nous soutenir, indépendamment de notre position morale dans le monde, que nous ne voyons pas la souffrance des innocents, que nous ne voyons pas la souffrance de ceux qui lancent cet assaut ? Cela fait partie de notre volonté de conserver nos sensibilités religieuses juives, ces sensibilités que nous ne pourrons jamais perdre.
Il y a tellement de gens qui disent que le Hamas a été porté au pouvoir au cours d’élections « libres » entre guillemets, dans la bande de Gaza, avec un vote en 2006 et une prise de pouvoir en 2007. Et qu’ainsi, tous les résidents de Gaza sont forcément des partisans du Hamas. Que répondez-vous à cela ?
Je pense que c’est une lecture très simpliste des choses. J’ai déjà entendu ça auparavant. Je l’ai entendu de la bouche de certains au cours des derniers jours, ici. Je ne pense pas qu’il y ait ce qu’on peut appeler des élections libres à Gaza. Je veux dire que le dernier scrutin remonte à il y a quinze ans ou plus – c’est difficile d’affirmer que toute la population de Gaza approuve ce que le Hamas est en train de faire en ce moment. Je ne pense pas que le Hamas puisse affirmer que la population de Gaza toute entière est unie derrière sa guerre brutale.
L’un de nos employés de l’URJ, ici – un homme remarquable – fait ses miluim, il fait son devoir de réserve dans une unité d’éducation qui travaille sur le code d’éthique de l’armée, en rappelant aux soldats quelles sont leurs obligations au niveau éthique au moment où ils sont sur le point d’entrer dans la bataille. Ce qui est également une partie importante de ce que signifie « servir au sein de l’armée israélienne ». Cela fait partie de ce que nous sommes intimement et à mon avis, c’est quelque chose de crucial. Et nous ne prenons donc pas pour cible les civils.
Les civils subissent-ils les conséquences de la conduite de la guerre ? Oui, mais Israël ne les vise pas délibérément. C’est une différence déterminante. C’est une chose de dire « Vous avez voté ou non pour le Hamas ? » ou « Vous soutenez ou non le Hamas ? » mais la sécurité des civils doit toujours rester, quoi qu’il arrive, une priorité urgente. Le Hamas s’en prend délibérément aux civils ; nous connaissons les plans qui étaient les leurs quand ils ont traversé la frontière. Ils cherchaient des familles ; ils sont entrés dans ces communautés avec des cartes précises ; ils savaient où étaient les gens. Ainsi, pour moi, c’est l’approche opposée en matière de morale. Ce sont des questions complexes à un certain niveau mais elles ne le sont pas à d’autres niveaux.
Le Hamas se fond au sein de la population civile. C’est un travail qui ressemble à la ruée vers l’or, de trouver le Hamas dans le reste de la population civile. Bien sûr, il y a des dégâts collatéraux. Et vous avez déjà évoqué ces progressistes qui semblent intégrer un peu plus le peuple juif, mais nous entendons déjà des voix dissidentes. If Not Now a d’ores et déjà adopté ses positionnements, il a organisé des manifestations, des choses de cette nature. La vie sur les campus est encore lourde, en particulier dans cette classe d’âge où tout semble tellement clair – sans qu’on comprenne véritablement les choses. Les jeunes se dressent, ils dénoncent Israël à voix forte aujourd’hui – et un grand nombre de ces jeunes sont Juifs. Est-ce que vous leur parlez ?
Eh bien, avait tout, soyons clairs sur la taille de ce groupe. Il y avait un petit groupe [d’activistes de Jewish Voice for Peace et d’IfNotNow] qui se trouvait au Capitole américain. Ils avaient le droit de manifester mais alors que je me déplace en Israël, ces derniers jours, de nombreux Israéliens semblent supposer qu’ils appartiennent au mouvement Réformé. Ce n’est pas vrai.
Notre positionnement : nous sommes la plus grande organisation sioniste, nous défendons Israël. Y a-t-il des gens dont la voix est dissonante au sein de notre mouvement ? La réponse est oui. Au sein de la communauté juive plus largement ? La réponse est encore oui. Alors, établissons clairement la taille de ces groupes. Mais mon sentiment est que je veux parler avec eux, je veux m’engager auprès d’eux. Je ne les efface pas du tableau. Je ne dis pas : « Eh bien, nous sommes tous en désaccord ». Non : Je veux entrer dans un débat sérieux avec eux, discuter avec eux.
Je veux aussi que les gens qui écoutent ce podcast sachent que nous sommes presque deux millions, selon le décompte de Pew sur ses deux dernières études. Ce n’est pas une petite poignée des Juifs américains qui sont avec Israël, c’est la majorité écrasante. Et toutes nos synagogues ont organisé des veillées pour Israël ; elles ont invité leurs communautés de foi locales et elles sont venues remplir nos sanctuaires, se tenir à nos côtés dans les espaces publics. C’est le visage de notre mouvement.
Il y en a certains qui, actuellement, ont choisi de se tenir à l’écart. Mais j’ai envie de vous le dire, je pense qu’un grand nombre de ces progressistes a été ébranlé, qu’ils ont dû réexaminer même certaines manières qu’ils ont de s’exprimer, comment le faire et quand le faire. Ces derniers représentent une partie très importante de notre conversation.
Je pense qu’il est réellement important que la communauté juive au sens large sache qu’actuellement, nous organisons nos communautés de manière à ce qu’elles puissent adopter individuellement les otages, de façon à ce que nos congrégations puissent ressentir un lien plus profond. Nous le faisons avec le mouvement massorti et avec l’Orthodox Union (OU). Pourquoi ? Parce qu’à l’extérieur des frontières d’Israël, il semble que nous parvenions à travailler ensemble. Vous voyez ça ?! Ce serait une bonne chose que l’État d’Israël remarque qu’en fait, nous avons un sens plus développé de klal Yisrael, d’achdut Yisrael, l’unité du peuple juif. Et cela fait partie des choses que j’ai vraiment envie de mettre en avant. Cela fait partie des choses que j’ai envie de dire. C’est une grande leçon à tirer. Et cela vaut la peine également d’entendre ces histoires.
La vie sur les campus, au cours des 20 dernières années, a été difficile pour de nombreux Juifs, vous êtes d’accord avec ça ?
Bien sûr. Mais je pense également que l’essor de l’antisémitisme n’est pas seulement l’essor de toute la question relative au sujet Israel-Palestine. Nous avons aussi constaté, depuis des années, la recrudescence du nationalisme chrétien blanc, qui est une forme d’antisémitisme très meurtrière. Et ça, nous le ressentons dans nos communautés et nous le ressentons aussi sur les campus. Nous savons tous que le point de vue qui domine, d’une manière ou d’une autre, dans le monde progressiste, c’est que les Palestiniens sont toujours les victimes et qu’Israël est toujours l’agresseur. Tout comme nous l’avons vu avec cette histoire de l’hôpital qui avait été bombardé à Gaza : l’histoire était déjà écrite. La majorité des gens n’avaient même pas besoin de savoir quels étaient les faits. Ils n’avaient pas besoin de savoir quels étaient les faits parce qu’ils croyaient déjà que le coupable, c’était Israël. Et bien sûr, il s’est avéré qu’Israël n’était pas responsable – mais la messe était déjà dite.
Je pense que sur les campus, nos étudiants juifs progressistes défendent leurs camarades de couleur, ils se dressent contre l’oppression des étudiants appartenant à la communauté LGBTQ et ils s’opposent aussi à un grand nombre des politiques qui avaient été mises en œuvre par la précédente administration. Pour certains progressistes, défendre Israël n’entre pas dans leur ordre du jour politique.
Notre mouvement Réformé œuvre à former une nouvelle génération qui saura comment défendre les valeurs libérales juives tout en entretenant un lien fort avec Israël. Et au fait, nous sommes conscients du fait qu’Israël, ce n’est pas seulement le gouvernement mais toute une population dont les points de vue sont très différents. Quand nous faisons venir un plus grand nombre de jeunes en Israël avant qu’ils n’intègrent l’université, ils ont l’occasion de se créer un narratif de première main. Ils peuvent dire sur les campus, quand quelqu’un leur affirme : « Israël est X ou Y », ils peuvent répondre : « Tu sais, j’ai des amis en Israël ». Ce n’est pas quelque que j’ai entendu auparavant. Et laissez-moi vous dire ce que je sais. Cette approche est très différente de celle qui consiste à leur demander de mémoriser des éléments de langage ou des éléments de débat de manière à ce qu’ils puissent argumenter – il s’agit de faire du lien à Israël une partie intégrante de leur identité.
C’est une chose que nous faisons main dans la main avec le ministère de la Diaspora. Le projet avait été initié sous le précédent gouvernement, par Nachman Shaï, qui avait demandé : « Que pouvons-nous faire ensemble ? »
Nous venons de faire une retraite avec les Israël Teen Fellows, qui se sont réunis dans notre camp de Géorgie le week-end dernier. Ils ont appris ce dont ils ont besoin pour donner du sens à ce qui se passe en Israël et dans les Territoires palestiniens, et savoir comment être de bons leaders pour leurs pairs. Il ne s’agit pas seulement de dire : « Je suis allé en Israël, regardez les photos, j’ai passé un bon moment. » Tout cela est très bien. Mais cela ne suffit pas. Avec notre programme, l’idée est de leur donner la possibilité d’adopter les valeurs juives fondamentales qui correspondent à ce qu’ils sont. Nous voulons qu’ils puissent dire : « Mes valeurs font que j’aime Israël, mes valeurs font que je défends ces convictions. » Et s’ils souhaitent aller plus loin, il s’agit pour eux de savoir comment être présents sur les réseaux sociaux alors qu’ils voient certains de leurs pairs publier des choses vraiment dures sur Israël. Faut-il fermer les yeux et éteindre son téléphone en espérant que cela aille mieux ou existe-t-il un moyen de les aider à agir de manière constructive ? Nous travaillons énormément à tout ça. Nous ne nous contentons pas de regarder ce qui se passe sur les campus et de dire : « C’est vraiment grave. Je ne sais pas quoi faire. » Nous faisons plutôt en sorte d’éduquer les nouvelles générations afin qu’elles disposent de faits, qu’elles aient des convictions et des expériences leur permettant de vivre leurs convictions sionistes libérales.
D’une certaine manière, cela ressemble à un véritable programme, proactif et tout en nuances. J’aimerais revenir à l’antisémitisme : vous avez commencé par dire : comment protéger ma communauté ? Avez-vous l’impression qu’en ce moment, alors que la guerre fait rage, votre communauté est en danger ?
Nous sommes bien conscients des menaces qui planent : nous nous sommes d’ailleurs entretenus avec le ministre de l’Intérieur Alejandro Mayorkas à deux reprises, ces deux dernières semaines. Il travaille en étroite collaboration avec l’ADL et le Secure Communities Network. Nous travaillons de manière très transparente avec toutes ces agences. L’été dernier, à Macon, en Géorgie, alors que notre synagogue réformée se préparait pour le Shabbat, le rabbin a regardé par la fenêtre et remarqué que des néo-nazis étaient là. Eh bien, en un clin d’œil, ils ont pu activer notre réseau. Non seulement les forces de l’ordre sont venues mais en plus, elles savaient exactement quoi faire. C’est aussi simple que ça. Nous étions plutôt bien préparés et nous avons efficacement réagi.
Dans les jours suivants le 7 octobre, nous avons atteint un tout autre niveau. Le niveau de menace a considérablement augmenté et même si nos communautés ont des protocoles de sécurité très sophistiqués, ils doivent être renforcés. Il n’est pas nécessaire de porter un drapeau israélien pour s’attirer les foudres de ceux qui soutiennent le Hamas. Le simple fait de porter une kippa ou une étoile de David peut suffire à se faire violemment attaquer. Le simple fait de faire savoir, d’une manière ou d’une autre, que l’on est juif peut mettre une personne en danger.
Il y a aussi le cas de ce petit garçon musulman palestinien de 6 ans, à Chicago, qui a été poignardé à mort. Quel était son crime ? Il faisait partie d’une famille musulmane palestinienne. En Amérique, la haine est un vrai business : nous aimerions que l’ensemble de la communauté bénéficie des mesures de sécurité sur lesquelles nous travaillons.
Mais ce n’est pas le moment de paniquer. Ce n’est pas le moment de dire, arrêtons d’être juifs dans les mois qui viennent, nous y reviendrons plus tard. Des gens sont très fiers d’être juifs. Nous n’allons pas arrêter d’aller à la synagogue, à l’école, dans les camps d’été ou dans nos JCC, mais il faut le faire intelligemment. Il faut que les gens se sentent en sécurité, au moment de déposer leur enfant de deux ans à la maternelle de la synagogue. Ils doivent pouvoir compter sur un protocole adapté à la situation. C’est ce que nous faisons. Malgré tout, je sais qu’il faut rester vigilant. Nous ne pourrons jamais nous reposer sur nos lauriers, question sécurité. Quelle que soit la façon dont notre système fonctionne, il faut continuer à l’améliorer, cela fait aussi partie de la solidarité.
Encore une fois, nous savons que les gens qui vivent près de la frontière de Gaza, dans les communautés que nous connaissons si bien et qui sont à portée de roquettes, sont sur la ligne de front. Tout comme nous sommes conscients des liens entre les communautés juives de la diaspora et Israël. Nous sommes liés dans tous les sens du terme, dans tous les problèmes que nous rencontrons. Il est important que les Israéliens comprennent ce qu’est l’antisémitisme, tout comme nous avons besoin que les Juifs de la diaspora comprennent les menaces violentes qui pèsent contre les Israéliens. Il faut faire de ce moment une opportunité de renforcement mutuel et de lien.
C’est le cinquième anniversaire de la fusillade terroriste à la synagogue Tree of Life de Pittsburgh. Pouvez-vous me dire de quelle manière la communauté juive a évolué, changé depuis, notamment dans sa relation avec Israël ?
Je me souviens du moment où l’attaque a eu lieu contre la synagogue Tree of Life, j’étais ici en Israël. En ce matin de Shabbat, avant les événements, je me trouvais avec nos lycéens du programme Heller High School – ils étaient peut-être 70 – et nous avions une sicha, une conversation au moment du déjeuner de Shabbat. Qu’est-ce qui vous préoccupe ? me demande un étudiant : « Rabbin Jacobs, avez-vous personnellement fait face à de l’antisémite cette année ? » J’ai répondu non. Mais après-coup, je me suis dit : « Sois un rabbin, Rick, un éducateur. » J’ai donc demandé aux lycéens, à chacun des 70 : « Combien d’entre vous ont été victimes d’antisémitisme ces derniers temps – je ne parle pas de lire des choses sur le sujet mais bien d’en avoir fait l’expérience au sein de votre communauté ? » Ils venaient de partout en Amérique du Nord, de petites communautés rurales, de grandes villes. Les deux tiers ont levé la main : ils ont raconté ce qu’ils avaient vécu, dans leur école, au sport, au sein de leur communauté. Ils avaient personnellement fait l’expérience de la haine anti-juive. À ce moment précis, j’étais bien loin de me douter de ce qui allait se passer, ce jour-là, à Pittsburgh ou dans les années à venir, mais cette conversation était le signe que quelque chose avait changé. Mais il y a aussi eu une incroyable solidarité de la part de la communauté interconfessionnelle après la fusillade de Tree of Life.
J’aime rappeler que le Shabbat qui a suivi la fusillade, nos synagogues étaient bondées et que cela n’a pas seulement eu d’effet sur la communauté juive, mais aussi sur nos partenaires interconfessionnels. Cela n’était jamais arrivé de toute l’histoire juive auparavant. Pas dans les années 1930, lorsque la Nuit de cristal s’est produite. Les Allemands n’ont pas dit : « Comment pouvons-nous vous aider ? » Mais c’est ce qui est arrivé au sein de nos communautés, c’est ce qu’a montré le gouvernement. Il est important de prendre conscience que ces relations interconfessionnelles peuvent être des forces de changement.
Je pense que personne, au sein de la communauté juive au sens large, n’a pris à la légère la menace antisémite ravivée par l’attaque de la synagogue Tree of Life. Le tireur n’était pas motivé par la situation israélo-palestinienne, il ne supportait pas l’attention témoignée par la communauté juive envers les immigrants et les réfugiés, et bien d’autres choses encore que notre communauté est très fière de faire. Sa haine s’était nourrie de toutes les théories du complot qui circulent depuis des siècles. À ceux qui nous disaient que la menace venait d’un seul côté de l’échiquier politique, nous répondions, excusez-moi, nous sommes confrontés à l’antisémitisme, d’où qu’il vienne, et nous le prenons très au sérieux, mais nous n’allons pas non plus cacher ce que nous sommes, chez nous, au sein de nos communautés.
Rick, merci beaucoup d’avoir été avec moi aujourd’hui.
Ce fut un honneur. Le moment est difficile, mais je vous remercie de m’avoir donné la possibilité de parler et de partager quelques réflexions sur la situation. Un grand merci.
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