Israël en guerre - Jour 526

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L'ancienne directrice-générale du ministère de la Justice, membre du conseil de supervision de Meta et cheffe de l'organisation à but non lucratif Natal, qui se consacre au syndrome post-traumatique. (Autorisation)
L'ancienne directrice-générale du ministère de la Justice, membre du conseil de supervision de Meta et cheffe de l'organisation à but non lucratif Natal, qui se consacre au syndrome post-traumatique. (Autorisation)
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Ce qui compte pour Emi Palmor : avoir conscience qu’Israël est un miracle

Selon la membre du conseil de supervision de Meta et cheffe de l’organisation à but non lucratif Natal, le remède n’est pas la refonte du système judiciaire

Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »

Bienvenue à « What Matters Now » [Ce qui compte maintenant], un nouveau podcast hebdomadaire qui examine un sujet déterminant pour Israël et le monde juif aujourd’hui.

Cet épisode est diffusé pendant un intermède à caractère unique en Israël, celui qui sépare Yom HaShoah – la Journée de commémoration de la Shoah – et Yom Hazikaron – notre journée de commémoration des soldats tombés sur le front pour l’État juif.

C’est un espace liminal qui est naturellement habité par notre invitée de la semaine, l’ancienne directrice-générale du ministère de la Justice Emi Palmor. Spécialiste de la défense des droits de l’Homme à l’international, experte en politique gouvernementale, elle est la fille de survivants de la Shoah et – lorsqu’elle ne donne pas de cours dans des facultés de droit et dans des programmes de leadership, et si elle ne se concentre pas sur son travail à temps partiel au Conseil de supervision de Facebook – elle est aussi la cheffe bénévole de Natal, une organisation à but non-lucratif spécialisée dans les problématiques de la guerre et dans celles des traumatismes liés au terrorisme.

Cette semaine, les gros titres, dans les médias, ont encore évoqué le projet de refonte judiciaire qui est actuellement avancé par le gouvernement – concernant, cette fois-ci, une législation potentielle qui donnerait aux conseillers juridiques un rôle discrétionnaire dans les ministères.

Alors qu’elle travaille depuis 24 ans au sein du ministère de la Justice, avec six années passées à un poste de directrice-générale sous les mandats de ministres issus de différents partis, nous demandons à Emi Palmor : « Qu’est-ce qui compte aujourd’hui ? »

Notre entretien a été édité et condensé dans un souci de clarté et de concision.

Times of Israel: Emi, merci beaucoup de vous joindre à moi aujourd’hui.

Emi Palmor: C’est formidable d’être ici.

C’est un tel plaisir de vous avoir dans nos bureaux de Jérusalem. Nous venons de vivre une semaine bien remplie. Nous avons eu Yom HaShoah, nous avons eu de nombreuses autres choses mais nous avons aussi commencé la semaine en évoquant beaucoup le projet de loi sur les conseillers juridiques. Alors, nous allons nous pencher sur ce sujet ainsi que sur un grand nombre d’aspects de vos fonctions et de votre travail en tant que bénévole. Ainsi, Emi, dites-moi : qu’est-ce qui compte aujourd’hui ?

Je pense que nous ne pouvons pas ignorer le fait qu’il y a eu Yom HaShoah cette semaine et que la semaine prochaine, il y aura Yom HaAtsmaout et qu’ensuite, il y aura Yom HaZikaron en mémoire des soldats et des victimes du terrorisme, parce que tout ce qui nous mobilise ces jours-ci nous amène finalement à revenir sur tout ce qui forme les bases mêmes de l’existence d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, tel qu’il est aujourd’hui et tel qu’il est supposé continuer à être.

Je pense que l’image d’ensemble a beaucoup à voir avec l’analyse de ce que signifie être une démocratie. Je pense qu’il est intéressant qu’une nation se réexamine, qu’elle se pose des questions importantes après 75 années d’existence sans constitution. En Israël, les gens se disent : « Oh, nous avons un sujet tabou ». Eh pourtant, je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse d’un sujet tabou. Je crois que ce qui se passe est une énorme, énorme mise en garde – une mise en garde qui nous saute clairement aux yeux à tous et qui est loin d’être tabou, qui saute aux yeux de chacun d’entre nous. Nous avons une culture politique très particulière – et c’est assurément le cas depuis les cinq dernières années et les cinq dernières élections.

Vous savez, je suis fonctionnaire depuis 1997, j’ai été procureure à la Division criminelle de la Cour suprême, j’ai été directrice du Département des grâces dans les années 2000. J’ai travaillé pendant quatorze ans avec tous les ministres de la Justice qui se sont succédés ou presque, puis je suis devenue directrice du ministère de la Justice en 2014, et ce, pendant presque six ans, ce qui est quelque chose, de nos jours, qui peut être considéré comme exceptionnel, pour ne pas dire inimaginable.

Vous avez travaillé pour des ministres issus aussi de différents partis.

Je suis une fonctionnaire qui a prouvé qu’il était possible d’être directrice-générale d’un ministère placé sous l’autorité d’une ministre comme Tzipi Livni, issue d’un parti qui était à l’époque de centre-gauche. Non, c’était le centre… Aujourd’hui, tout est devenu de gauche ! Tout ce qui n’est pas le Likud [du Premier ministre Benjamin Netanyahu] est devenu de gauche. Puis, j’ai travaillé avec Ayelet Shaked qui était clairement de droite. Elle appartenait à une faction qui s’appelait HaBayit HaYehudi à l’époque.

Et j’ai trouvé un moyen de me positionner comme professionnelle, comme personne qui s’est élevée au sein du ministère de la Justice – pas seulement comme une professionnelle mais comme une personne dotée de l’expérience profonde de ce que signifie appartenir à ce système. Et ça a vraiment bien, très bien marché. Mais apparemment, ça ne compte plus aujourd’hui. On ne se souvient plus que dans le gouvernement, c’est le professionnalisme qui est le plus important parce que tout ce que veulent nos politiciens, c’est de faire avancer des idées, des programmes, des agendas qui parlent de l’infrastructure de la gouvernance, qui parlent de permettre au pays d’aller de l’avant.

Attardons-nous un peu sur l’actualité virale de la semaine qui est, bien sûr, le projet de loi sur les conseillers juridiques. Il me semble – je ne suis pas juriste et je n’ai pas passé comme vous 24 années au ministère de la Justice – mais il me semble que le conseiller juridique permet de garantir une sorte d’équilibre des pouvoirs au sein de chaque ministère. Ainsi, la proposition – telle que je la comprends – prévoit que chaque ministre sera en capacité d’embaucher, de façon discrétionnaire, son propre conseiller juridique. Cette embauche pourrait se faire en faveur de quelqu’un qui ne relève pas du secteur public, on pourrait faire appel à un juriste privé – et on pourrait le limoger à son gré, de la même manière. Expliquez-moi tout cela.

Il y a un terme, au sein du gouvernement israélien, qui évoque « les postes de confiance ». Ce sont les quelques postes où les politiciens ont le droit d’embaucher des personnes issues de leur cercle politique, parce que c’est la seule chose logique à faire. C’est notre système.

La ministre de la Justice Ayelet Shaked, à droite, et la directrice-générale du ministère de la Justice Emi Palmor à l’ouverture d’un séminaire avec l’Union européenne, à Jérusalem, le 20 février 2017 (Crédit : Hadas Parush/Flash90)

Nous avons un service – contrairement, par exemple, à ce qui se passe aux États-Unis – nous avons un service civil professionnel. Les gens travaillent dans ce service pendant 20, 30 ou 40 ans. Bien sûr, ils ne restent pas au même poste, ils vont d’une fonction à l’autre. Et il y a quelques postes de confiance, ces postes qu’un ministre a le droit d’attribuer, avant tout, aux membres de son propre cabinet. Il y a aussi le directeur-général.

C’est pour ça que me choisir moi, à ce moment-là, avait été un choix particulièrement rare parce qu’habituellement, c’est une personnalité politique qui prend la fonction de directeur-général. Et vraiment, vraiment, j’en ai la conviction, la nomination d’un conseiller juridique ne doit pas relever de la catégorie des postes de confiance. Et c’est pourtant un changement qui figure dans les changements plus larges que cette loi veut imposer. Et je pense véritablement que c’est une loi déplorable.

Habituellement, je ne parle pas comme ça parce que ça concerne réellement un certain nombre de conseillers juridiques que je connais personnellement et qui sont coincés dans la fonction pendant de nombreuses, très nombreuses années et qui sont – tout comme vous pouvez avoir toutes sortes de personnalités lorsque vous embauchez beaucoup de gens – qui ne sont pas forcément les meilleurs, qui sont parfois très conservateurs, avec des gens qui sont inefficaces, à qui vous allez demander de faire quelque chose et qui ne le feront jamais. Ou qui témoignent d’une certaine agressivité…

La Bureaucratie.

Oui et à cause de ça, à cause de mauvaises expériences vécues auprès de quelques politiciens du Likud, le parti qui a gouverné Israël au fil des 20 dernières années en faisant des allers-retours, ils ont donc accumulé beaucoup d’expérience aux côtés de ce type de personnalités. On va créer une loi qui va réellement détruire le concept même de conseiller juridique, dont la charge est d’assurer l’équilibre des pouvoirs. Et la plupart du temps, un grand nombre de conseillers juridiques sont comme ça, ils trouvent vraiment les meilleures solutions pour obéir à la loi et pour promouvoir les programmes, les agendas, les projets de loi spécifiques, ou tout ce que vous voulez, qui sont avancés par les ministres.

Je pense que l’ironie de l’histoire, c’est que les deux ministres qui étaient déjà profondément, très profondément impliqués dans la promotion de ces idées en 2015, 2016 et 2017, c’était Ayelet Shaked, la ministre de la Justice et Yariv Levin, qui était à l’époque le ministre du Tourisme. Ils avaient formé une équipe ensemble. Tous les deux étaient pratiquement tombés amoureux des conseillers juridiques qu’ils avaient dans leurs ministères respectifs. Mais ils avaient cette volonté de faire en sorte que les conseillers juridiques deviennent des nominations personnelles, des postes de confiance.

Mais la réalité, c’est qu’il y a des gens bien, et des gens moins bien. Ce qui revient à ce que j’ai dit en évoquant notre culture politique. Quand on a fait de mauvaises nominations, par exemple, à des postes de directeurs-généraux et nous avons pu assister à ça – je n’irai pas plus loin personnellement – on a pu voir comment les standards s’abaissent, s’abaissent encore et toujours. Il y a des gens qui ne savent réellement pas gérer un personnel nombreux et comment gérer des situations complexes que tout chef d’entreprise ou que tout ministre saura par ailleurs prendre en charge.

Et je me souviens être devenue directrice-générale parce que j’ai été formée au poste de directrice dans les services, au fil des années. Je suis arrivée avec de nombreuses capacités personnelles et un ministre – je ne dirai pas lequel – qui appartenait au Likud avait dit à Ayelet Shaked : « Peut-être que vous pourriez me prêter Emi, parce que j’ai tel problème avec la conseillère juridique de mon ministère et mon directeur-général ne sait pas comment le gérer. Alors peut-être peut-elle lui parler et lui expliquer les choses, et peut-être pourra-t-elle la convaincre qu’il est temps pour elle de prendre sa retraite ». Elle était restée au même poste depuis 20 ans.

Le ministre de la Justice Amir Ohana, agauche, avec la directrice générale du ministère de la Justice Emi Palmor lors d’une cérémonie d’accueil pour Chana au ministère, à Jérusalem, le 23 juin 2019. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Alors quand vous savez, de l’intérieur, quelle est la réalité, vous savez que ça n’a rien à voir avec les principes de l’État de droit. Je ne sais pas comment vous le dites en anglais, le mot meshilut, gouvernance ? Ce mot à la mode, « gouvernance ». Il s’avère que les ministres et les politiciens adorent en parler. Mais quand on doit joindre le geste à la parole, quand il faut réellement faire le travail, quand vous devez vraiment construire toutes les équipes qui vous sont nécessaires pour faire le travail, pour gouverner, voilà que les politiciens préfèrent faire venir quelqu’un à l’égard de qui ils ont peut-être une dette ou dont ils attendant une certaine loyauté. OK, la fidélité est importante, et ensuite ? Ainsi, ça fait partie du problème.

Vous pensez donc, à l’évidence, qu’il y a des problèmes dans le système actuel. Et je me demande si vous-même avez des idées sur d’éventuelles manières de les résoudre parce que pourquoi se trouverait-on donc dans l’obligation de travailler avec quelqu’un avec lequel on n’a finalement aucun atome crochu ?

Nous n’avons pas un problème « d’atomes crochus ». Je pense que nous avons un gros, un très gros problème de supervision, de formation, d’établissement des normes, de retour d’information au sein des bureaux et, je veux vraiment le souligner, de ce que j’appelle le management. Le management, c’est beaucoup plus que d’embaucher des gens, de les renvoyer, d’établir les programmes d’un ministère pour les cinq années à venir, etc… C’est super important mais vraiment, le fait est que lorsque vous ne faites pas tout ça, alors c’est le système tout entier qui est inefficace. Et quand je regarde, par exemple, notre système judiciaire ; quand j’observe les tribunaux en Israël, je vois des tonnes de problèmes et aucun d’entre eux n’est pris en charge par notre ministre de la Justice ou par notre gouvernement actuellement.

Le système est inefficace. Personne n’exerce vraiment de supervision, personne ne pose réellement la question de savoir combien de temps il faudra pour que votre affaire passe devant une Cour des magistrats inférieure. Et quand c’est tout le système qui est négligé parce que les politiciens s’occupent en permanence de la Cour suprême, qu’ils traitent de problèmes constitutionnels, alors une partie de l’absence de confiance placée dans le système a à voir, vraiment, avec des dossiers du quotidien ennuyeux qu’on est susceptibles vous et moi de connaître – une amende pour une infraction routière, par exemple. Ou au fait que quand on veut faire appel à la Cour des magistrats, quand on gère une petite entreprise et qu’on rencontre un problème avec quelqu’un qui ne vous a pas payé, quand vous avez un conflit, quand vous avez un conflit commercial, tout le monde s’en moque.

Et là, on nous dit : « Non, les Israéliens n’ont pas confiance dans le système judiciaire. Les gens n’ont aucune idée de ce qui se passe réellement à la Cour suprême ». Alors oui, parfois – en particulier si vous pratiquez un lavage de cerveau quotidien et que vous ne cessez pas de dire que les magistrats de la Cour suprême agissent contre l’intérêt général, et ainsi de suite.

Des réservistes de l’armée et des activistes manifestant contre le projet de réforme du système judiciaire devant le Bureau du Premier ministre, à Jérusalem, le 2 mars 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Personne ne vient vous faire un lavage de cerveau pour que vous gardiez à l’esprit comment la Cour suprême a permis aux femmes, en Israël, de faire plein de choses différentes qu’elles n’avaient pas le droit de faire auparavant, ou comment la Cour suprême a fait respecter les droits religieux dans tout le pays et pour toutes les religions qui s’y trouvent, ou comment la Cour suprême a protégé les droits des homosexuels en Israël.

Alors il s’agit en grande partie de la prise de conscience, par les Israéliens, de tous les problèmes qui se posent qui a apporté une légitimité à cette réforme. Mais ça n’a pas marché parce que quand le moment est venu – c’est inimaginable que tant d’Israéliens aient eu ainsi la volonté de protéger le système judiciaire en Israël. Vous savez quoi ? Parfois, je me dis à moi-même que je ne suis pas sûre que les gens comprennent réellement ce que tout cela signifie, s’ils sont capables de déceler que la culture politique est complètement folle. Je suis désolée, les besoins politiques de nos politiciens, qui sont importants, paraissent tellement auto-centrés, mais ils ne peuvent pas être la seule chose dont se préoccupe un gouvernement.

Je pense que s’il faut expliquer ce qui s’est déroulé ici au cours des derniers mois, j’ai envie de dire que c’est l’émergence de cette idée que le pouvoir puisse devenir illimité. Que dans ce contexte – en particulier dans la mesure où nous avons traversé cinq élections – la question de savoir l’identité de celui qui a pris la barre du pays est secondaire, c’est finalement une coïncidence. On a pu voir un parti obtenir six députés aux élections comme c’était le cas de Naftali Bennett, qui est ensuite devenu Premier ministre. C’était tout simplement absurde. On pouvait se réjouir en constatant que le gouvernement concerné était composé de partis de droite et de gauche et qu’il faisait naître une certaine forme d’espoir, mais on peut quand même remarquer l’absurdité de voir un homme qui ne bénéficiait pas d’une large légitimité devenir Premier ministre.

Et c’est en rapport avec le fait que la Loi Fondamentale : Le gouvernement avait été modifiée par le gouvernement antérieur, par Netanyahu et par [le chef du parti HaMahane HaMamlahti Benny] Gantz afin de permettre la formation d’une coalition dont ils seraient tous les deux et alternativement les Premiers ministres. Avec un qui prend les rênes du pays et l’autre qui attend. Et cette absurdité est passée comme ça, tout simplement. Quand on a une constitution, il est tout simplement impossible d’adopter des lois comme ça, uniquement parce qu’elles vont servir un intérêt à un moment donné.

Et je pense que ce qui arrive maintenant nous offrira ainsi peut-être de meilleures 75 années à venir.

Wow ! D’accord.

Avec un peu de chance ! Je suis d’un naturel optimiste et je ne me sens pas très optimiste en ce moment, mais s’agissant de regarder de l’avant, je veux croire que nous serons plus forts en tant que nation au lendemain de cette crise incroyable. C’est une crise incroyable.

Je me suis sentie triste au cours des trois derniers mois, plus que ce que je pourrais décrire ici-même, parce que je vois très bien ce qui se passe et que je vois également très bien combien ces événements sont destructeurs, combien ils détruisent aujourd’hui la solidarité même dont nous avions été si fiers pendant des dizaines d’années. Être Israélien, qu’est-ce que ça voulait dire ? Ça voulait dire vivre dans un pays où il y avait une forme particulière de solidarité, un type particulier de sécurité qui signifiait que votre peuple ne représenterait jamais un danger pour vous.

Des Juifs ultra-orthodoxes bloquant une rue pendant une manifestation contre l’obligation du service militaire aux abords de la ville de Bnei Brak, le 9 février 2022. (Crédit : Flash90)

Il y a tellement de choses à examiner dans ce que vous dites ici. Je voudrais vous interroger sur de nombreuses choses concernant tout ce que vous avez pu me dire – mais vous avez notamment souligné que ces Lois fondamentales étaient faites rapidement et facilement. Ne peuvent-elles pas être défaites de la même façon ?

Oui, je pense que c’est une partie du problème. Je veux dire qu’une Loi fondamentale, ça doit être renforcé. Il y a une chose importante aussi – ce matin, à la radio, des intervenants évoquaient une solution à apporter si la Cour suprême devait se trouver dans l’incapacité de prendre en charge les Lois fondamentales. Ainsi, l’adoption d’une Loi fondamentale deviendrait beaucoup plus difficile, et elle devrait réunir un consensus plus large. Je pense pour ma part que ce serait une solution équilibrée.

Mais en réalité, il ne s’agit pas seulement des Lois fondamentales. Je n’ai pas les chiffres sur moi, là, mais le pourcentage des législations en Israël est dingue si on le compare aux autres pays. Je veux dire que tous les membres du Parlement pensent qu’ils doivent tenter à un moment de faire approuver une loi, de présenter un projet de loi et ainsi de suite, en oubliant de faire ce qui doit être aussi fait par le Parlement, qui est de superviser le travail du gouvernement. C’est aussi l’un des problèmes de la séparation des pouvoirs en Israël – ils ne sont pas vraiment séparés et le Parlement, de son côté, ne supervise pas le gouvernement comme il le faudrait, ce qui est pourtant très nécessaire.

Et en réalité, c’est ce type de supervision, par exemple, dont le système judiciaire ne bénéficie pas au quotidien – à savoir parler de questions de base, en matière d’efficacité, de clarté, de transparence, de plein d’autres choses – des questions qui nous amènent en réalité à évoquer le conseil de supervision de Meta, parce que la question de la confiance portée dans le système, de nos jours, dépend beaucoup de la transparence de ce dernier.

Et d’ailleurs, nous n’en avons pas du tout parlé mais j’ai beaucoup travaillé, quand j’étais directrice-générale du ministère de la Justice, sur les problèmes de diversité. Et je crois vraiment que sur cette problématique, tout est politisé. Mais la diversité est importante. La diversité dans le système judiciaire est importante mais nous vivons aujourd’hui dans le monde de la post-vérité.

C’est quelque chose qu’on peut reprocher aux réseaux sociaux. On peut y voir des personnes sérieuses dire : « Mais c’est incroyable ! Il n’y a même pas un juge d’origine marocaine à la Cour suprême ». Eh bien si, il y en a un et peut-être que ce n’est pas suffisant, mais ce n’est pas une raison pour dire qu’il n’y en a pas. Mais les gens ne connaissent pas la réalité des faits et pourtant, les faits sont vraiment accessibles. On peut faire une recherche sur Google et voir les noms et les origines de nos juges à la Cour suprême, mais personne ne le fait. Et il suffit qu’un influenceur, sur les réseaux sociaux, se saisisse du truc. On peut dire absolument ce qu’on veut. Personne ne fera le travail de vérification.

Le président de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice, le député Simcha Rothman, à gauche, aux côtés de Gur Blaï, conseiller juridique de la commission lors d’une discussion, à la Knesset, le 14 février 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

À part vous. Mais avant que nous abordions ce sujet, je voudrais m’assurer que je vais parvenir à résumer très rapidement certains points que vous avez soulevés. Il semble que vous disiez que dans ce système, dans le système judiciaire et au ministère de la Justice, en plus de toutes les autres bureaucraties, sur la question des conseillers juridiques – le système n’est pas parfait. Ce système nécessite beaucoup de travail en termes de formation, en termes de supervision et en termes de management. Et les ministres en général ont tendance à espérer pouvoir au moins s’entourer de « yes men » [quelqu’un qui dit « oui » à tout] – ce qu’en tant que politiciens, ils font souvent de toute façon, et vous dites aussi que les politiciens n’ont pas généralement les compétences managériales adéquates pour faire avancer un programme professionnel qui permettrait à la bureaucratie de fonctionner. C’est un sujet en tant que tel.

Maintenant, parlons de Facebook ou de Meta, je pense qu’on l’appelle comme ça maintenant, parlons du Bureau de supervision de Facebook. Vous êtes une des…

Nous sommes 22 membres maintenant. Nous avons commencé à 20 et l’un de nos co-présidents a démissionné, et nous venons tout juste de nommer trois nouveaux membres. Peut-être sommes-nous déjà 23 aujourd’hui, je ne suis pas sûre.

Et je crois que l’objectif est de 26 membres, si je ne m’abuse ?

Tout à fait.

Et vous venez tout juste d’entamer votre deuxième mandat dans ce Conseil de supervision. Avant tout, comment vous êtes-vous retrouvée impliquée là-dedans ? Vous n’avez pas réellement de présence sur les réseaux sociaux, d’après ce que j’ai pu voir.

J’ai été approchée. J’ai quitté le ministère en 2019 et en janvier 2020, j’ai été approchée par des personnes de Meta Israel qui m’ont demandé si je souhaitais envisager d’intégrer le conseil. Je n’avais aucune idée de ce qu’était ce Conseil de supervision, en dépit du fait qu’on en parlait déjà et que Meta a beaucoup fait pour tenter de discuter de la création de ce Conseil dans le monde entier.

Ainsi, pour moi, ça a été une surprise totale d’être sollicitée. Mais plus j’en ai appris sur le Conseil, plus j’ai constaté que – je sais que ça peut paraître naïf – plus j’ai constaté qu’une telle activité serait dans la continuation de mon travail de fonctionnaire. Je me suis dit qu’après avoir été fonctionnaire en Israël, je pouvais devenir fonctionnaire du monde ! Je pense que ça peut sembler prétentieux, mais ce n’est absolument pas mon intention quand je dis ça. Parce que j’ai vraiment la conviction que mon arrivée au sein du Conseil – c’était en tout cas ainsi que je percevais les choses – m’a autorisée à représenter des voix qui ne sont jamais entendues.

Un homme passant devant le nouveau logo et le nom « Meta » affichés en devanture du siège social de Facebook à Menlo Park, en Californie, le 28 octobre 2021. (Crédit : Justin Sullivan/Getty Images North America/AFP)

Je pense que tout le concept du conseil, qui est comme je l’appelle une start-up régulatoire – est vraiment quelque chose de très courageux et un concept très important d’autorégulation qui part du principe, avant tout, que Meta, dans la Silicon Valley, pourrait être la plaque tournante la plus merveilleuse réunissant les personnes les plus compétentes. Mais pourtant, Meta n’entendra jamais les voix du monde entier. L’entreprise ne sera jamais assez diversifiée. Et elle doit avant tout apporter de la diversité dans son processus décisionnel. Elle doit apporter plus de perspectives dans sa prise de décision. Et cette perspective – ce qui est aussi un concept très intéressant – ne se limite pas à la présence de personnes du monde entier.

Le conseil d’administration, si vous regardez les personnes qui y sont impliquées, ressemble à une publicité de Benetton. Les membres viennent de tous les pays, de tous les horizons.

Oui, mais à mon avis, ce qui est plus important que d’être originaire de tous ces pays, de toutes ces cultures, ce qui est plus important que toutes les langues qui peuvent y être parlées, c’est la diversité professionnelle – parce qu’on l’appelle dans certains endroits la Cour suprême de la méta. Mais il ne s’agit pas seulement de personnes ayant une formation juridique. Il y a des gens comme Alan Rusbridger qui viennent du journalisme, qui ont été rédacteurs en chef du Guardian, l’un des groupes médiatiques les plus importants au monde. Des personnes issues d’ONG, comme Nighat Dad du Pakistan et Julia Owono du Cameroun et de France. Et d’autres personnes issues de systèmes différents. Ce sont des personnes qui viennent d’un milieu technologique.

Des religions différentes.

Des religions différentes, absolument. Il est vraiment intéressant de voir combien, lorsque nous discutons de tous les types de questions, la façon dont une personne qui est activiste en parle ou une personne qui a été juge fédéral aux États-Unis, ou encore l’un de nos entraîneurs, en parle, est différente. Vous vous autorisez à dire d’autres choses, à penser différemment et cela vous permet de prendre des décisions d’une autre manière.

Comment discutez-vous ? Vous retrouvez-vous tous sur Zoom ?

Oui, c’est un système très intéressant parce que nous avons commencé juste au moment où la pandémie de COVID a débuté. Nous devions nous réunir à New York, mais la réunion a été annulée et nous avons réalisé que nous allions être formés sur Zoom. Tout d’abord, nous avons suivi une formation très complète qui a duré environ six mois. Nous avons donc beaucoup appris sur Zoom.

Tout d’abord, nous avons appris à nous exprimer sur Zoom et à nous faire confiance, car il s’agit aussi de comprendre avec qui vous travaillez et comment se sentir suffisamment à l’aise pour vous exprimer, pour ne pas être d’accord.

L’alchimie.

C’est vrai, l’alchimie. Nous avons fini par travailler en panels de cinq personnes. Dans ces groupes, il y a toujours l’un de nos co-présidents et une personne qui représente la région d’où provient l’affaire que nous sommes en train de traiter. Mais nous sommes toujours soutenus par de nombreux professionnels et toutes sortes d’institutions qui nous aident à nous renseigner sur l’origine du dossier, sur la politique de la région concernée, sur les normes démocratiques de cette région, sur les questions linguistiques, sur les questions historiques, sur toutes sortes de choses qui nous aident à essayer de comprendre le texte du contenu des documents que nous recevons.

L’ancienne directrice-générale du ministère de la Justice, Emi Palmor, est aujourd’hui membre de la commission de surveillance Meta et dirige l’organisation à but non lucratif Natal, spécialisée dans le traitement des troubles du stress post-traumatique. (Autorisation)

Prenons un cas particulier, sur lequel je ne sais pas si vous avez travaillé. Il s’agit de photos de personnes trans et non binaires, nues – ou des photos où les tétons étaient couverts, me semble-t-il. Au départ, elles ont été retirées à cause, je crois, de l’idée que ce couple finançait une mastectomie, que certaines personnes transgenres pratiquent pour se sentir plus à l’aise dans leur peau. La publication a donc été supprimée parce qu’elle entrait dans la catégorie, je crois, du travail sexuel. Mais cette affaire a été portée devant le comité de surveillance. Avez-vous travaillé sur cette affaire ?

Nous ne sommes jamais censés dire si nous avons travaillé sur un cas spécifique ou non.

D’accord, donc dans ce cas, qui aurait été amené à donner des conseils ?

Tout d’abord, je pense que l’une des choses les plus importantes que nous aimerions que le public sache, c’est qu’il existe un processus de consultation publique. Tout d’abord, lorsque nous choisissons un cas, nous le publions sur les médias sociaux ainsi que sur notre site web et nous invitons le public à faire part de ses commentaires, de ses points de vue. Et c’est très intéressant. Parfois, ce sont des particuliers, parfois des ONG, toutes sortes de personnes qui s’impliquent dans ces problématiques et qui apportent beaucoup de connaissances. Nous organisons également des réunions avec les parties prenantes sur toutes sortes de questions lorsque nous essayons d’en savoir plus. Enfin, comme je l’ai déjà dit, nous recevons toutes sortes de documents provenant de tous les types d’institutions avec lesquelles nous travaillons, afin de comprendre le contexte, l’histoire et les termes utilisés.

Les dossiers sont donc préparés pour vous.

Oui, mais beaucoup de travail professionnel est fourni. Je veux dire que concernant l’administration de cet organisme de surveillance… Parfois, les gens ne savent pas comment concevoir ce qu’est cet organisme. Il s’agit d’une société distincte qui dispose d’un personnel nombreux qui nous aide dans toutes sortes de domaines.

Bien qu’il ait été fondé et financé par Meta, il s’agit bien sûr d’une fiducie sans droit de regard, n’est-ce pas ?

Oui, c’est un trust. Il y a eu une première fiducie qui a commencé le travail, d’un montant de 130 000 000 dollars. La fiducie a été renouvelée. Je veux dire qu’une autre somme d’argent très importante a été donnée au conseil d’administration l’été dernier. Il est dirigé par un groupe d’administrateurs et nous avons une charte.

Il est construit de manière transparente, tout en conservant son indépendance. Il est important de dire que, pour autant que je sache, il s’agit pour nous tous d’une occupation à temps partiel. Nous ne dépendons pas du conseil d’administration pour notre subsistance. Je veux dire que nous sommes payés, mais…

Bien sûr, votre temps est important et il semble que vous y consacriez au moins 15 heures par semaine.

C’est censé être 15 heures par semaine. Parfois, nous travaillons sur des OAP, et c’est plus complexe, et nous devons y consacrer plus de temps. Mais fondamentalement, c’est un endroit qui garantit notre indépendance. Et je dois dire qu’après 24 ans de travail en tant que fonctionnaire, je ne me souviens pas d’avoir été aussi libre de critiquer, de dire ce que je pense, d’être interrogée sur mes critiques en Israël, par exemple, que je ne l’ai été depuis que je suis au conseil d’administration.

Nous essayons donc d’être transparents – nous essayons d’exprimer notre indépendance de toutes les manières possibles – et vous pouvez constater vous-mêmes, si vous regardez de près, que nombre de nos décisions et recommandations ne conviennent pas à Meta, et qu’elles posent de nombreuses difficultés en termes de mise en œuvre, en termes d’investissement à faire pour mettre en œuvre ce que nous recommandons. Nous avons également le privilège de poser des questions à Meta, de recevoir ou non des réponses et d’être transparents vis-à-vis du public quant à savoir si Meta a répondu à nos questions. Cela a été très important, par exemple, pour la décision Trump, qui a été l’une des premières décisions.

Bien, parlons-en.

Oui, parlons-en. Nous avons été très transparents sur les questions que nous avons posées, sur celles qui ont reçu une réponse et sur celles qui n’en ont pas reçu. Et si vous faites le suivi de ces questions, vous comprenez comment tout ça a le potentiel de changer Meta. Et je pense que cela change Meta, et pour le mieux.

Des partisans du président américain Donald Trump participant à un rassemblement, à Washington, le 6 janvier 2021. (Crédit : AP Photo/John Minchillo/Dossier)

 Le cas de Trump dont nous parlons est, bien sûr, d’après ce que j’ai compris, qu’après les émeutes du 6 janvier, Trump a été exclu de Facebook, ainsi que de Twitter. Bien sûr, il est retourné sur Twitter plus tôt, mais il a été exclu de Facebook. Quel est le rôle du conseil d’administration dans cette affaire ?

Il s’agit d’une affaire très intéressante. Tout d’abord, elle s’est déroulée très rapidement. Nous avons commencé à travailler et le dossier a surgi. Je ne sais pas si vous vous souvenez du terme, mais il a été exclu « indéfiniment », ce qui, lorsque vous le traduisez en hébreu, laisse penser que c’est pour de bon.

C’est vrai, même en anglais.

Et en anglais aussi, on peut penser que c’est pour de bon. Mais ce que cela signifiait, c’est que c’était d’une manière indéterminée – en fait, jusqu’à ce qu’on comprenne ce qui s’était passé parce que nous n’avions pas vraiment le type d’outil nécessaire lorsque cela s’était produit. Tout d’abord, ce qui est très inhabituel dans ce cas, c’est que ça n’était pas un simple utilisateur qui faisait appel. Habituellement, nous ne recevons des dossiers que si un utilisateur fait appel. Il s’agissait d’un cas que Facebook nous avait envoyé, pour nous demander notre avis après avoir fait la démarche initiale.

Ce que nous avons découvert, c’est que – en parlant de réexamen judiciaire et de questions d’État de droit – le terme « indéfiniment » ne figurait pas dans les règles de Meta. Ils avaient utilisé une sanction qui n’existait pas. Ils avaient inventé cette sanction pour quelqu’un qui était à l’époque l’un des utilisateurs les plus influents de la plate-forme. Je pense donc que le simple fait de révéler qu’ils étaient capables de faire quelque chose qui n’était pas autorisé par leur propre règlement avait été très important, tout comme le fait de leur renvoyer la balle et de leur dire : « Nous n’allons pas résoudre ce problème à votre place. Vous devez examiner vos règles et trouver une solution adéquate ».

Dans ce cas, vous devez décider en fonction de vos règles. Si vous le souhaitez, vous pouvez réécrire vos règles afin de pouvoir à l’avenir imposer ce type de sanction à un utilisateur.

Ce n’était qu’une chose. Il y en a eu beaucoup d’autres et je pense qu’il s’agit d’une décision importante qui mérite d’être lue aujourd’hui par tous ceux qui s’intéressent à la démocratie, à l’État de droit, aux médias sociaux et aux responsabilités. Je pense que c’est l’une des choses les plus importantes à comprendre : le conseil de surveillance est l’une des expressions du fait bien réel que, bien qu’il s’agisse d’une entreprise technologique, c’est une entreprise qui a des responsabilités en termes de droits de l’Homme. Les principes directeurs des Nations unies pour les entreprises font partie d’un concept que de nombreux utilisateurs ne comprennent pas : aujourd’hui, une entreprise comme Meta est une entité dont les responsabilités peuvent être comparées à celles d’un État.

Elle a posé ses jalons sur le territoire. Le Metaverse bien sûr. Mais ce que vous dites est fascinant. Pour l’exprimer avec mes propres mots : Essentiellement, Facebook échappe à la réglementation d’une entreprise parce qu’il s’agit d’une entité mondiale qui dépasse les frontières et qu’il existe une notion de droits de l’Homme à l’international. Et votre conseil d’administration, semble-t-il, essaie de les protéger et d’en discuter au moins.

Meta s’est également engagé à protéger les droits de l’Homme et je pense que c’est le conseil d’administration qui traduit ces engagements dans le contrôle quotidien du contenu de la plate-forme. C’est très difficile. Ce n’est pas une mission simple. Et c’est pourquoi je pense que nous avons ce mélange de personnes qui sont, je l’ai dit… Nous ne sommes pas seulement des personnes avec une formation juridique, mais oui, nous avons quelques professeurs de droit des universités les plus importantes qui sont capables de nous donner ces outils de base pour analyser comment les décisions et les normes de la communauté sont alignées aux normes et aux engagements pris en matière de droits de l’Homme.

La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, déposant une gerbe dans la salle du souvenir à Yad Vashem lors de la journée de commémoration de la Shoah, le 18 avril 2023. (Crédit : Erik Marmor/Flash90)

Vraiment fascinant. Je vous retiens trop longtemps, mais avant de terminer, j’aimerais évoquer au moins Yom HaShoah, la journée de commémoration de la Shoah, et le prochain Yom Hazikaron, notre journée de commémoration. Votre nom témoigne de votre héritage. Pouvez-vous expliquer à nos auditeurs pourquoi ?

Oui, je suis, je pense, un membre typique de la deuxième génération. Mes deux parents ont vécu la Shoah. Ma mère était dans un camp de concentration en Ukraine, en Transnistrie. Mon père se trouvait dans une autre partie de la Roumanie. Il a été persécuté et s’est enfui d’un endroit à l’autre, mais il n’a pas été déporté. Mon nom est en fait l’initiale des noms de ma grand-mère et de mon arrière-grand-mère, Esther et Machle, c’est-à-dire Michal. Ils ont donc pris le E d’Esther, le Mi de Michal et le « Emi ». J’ai 56 ans et je pense que depuis que j’ai trois ans, j’explique au monde ce que ce nom signifie. Ce n’est pas Amy. Les gens pensent parfois que je suis américaine et que je m’appelle Amy ou Amelia ou quelque chose comme ça. C’est Emi, comme le prix. Et c’est aussi le nom de mes grands-mères.

Comment cet héritage a-t-il influencé votre travail ?

Tout dans mon travail, je pense, est influencé par cela. De plus, mes parents ont été persécutés après leur retour. Ils ont été persécutés par le régime communiste en Roumanie. Et je pense que l’idée que je me suis faite de ce que c’est que d’être en Israël signifie que, tout d’abord, il y a l’héritage juif, il y a la nécessité de comprendre notre histoire et la façon dont nous avons besoin d’avoir un pays. Mais le volet démocratique est issu du souvenir de ce que signifie être une minorité et de ce que signifie être persécuté sur la base de la race.

Des Israéliens d’origine éthiopienne manifestent contre les violences policières, à Tel Aviv le 30 janvier 2019. Photo Tomer Neuberg/Flash90

Une grande partie de mon travail sur l’éradication du racisme, la protection des droits des minorités et la promotion des minorités, par exemple, au sein du gouvernement, s’explique par le fait que j’ai regardé mes parents et que j’ai compris ce que cela signifiait. Mon père a été expulsé de l’université parce qu’il était sioniste, parce qu’il était Juif et parce qu’il était sioniste dans les années 1950 en Roumanie, et mes parents ont connu l’antisémitisme de bien des façons. Je peux également vous dire que mon père était diplomate, j’ai donc voyagé avec mes parents dans le monde entier, et j’ai eu ma propre expérience de l’antisémitisme en tant qu’enfant. J’ai toujours appelé cela de l’antisémitisme positif, car je recevais de nombreux compliments sur le fait que je n’avais pas l’air juif, que je n’agissais pas comme une Juive, etc. Il faut un certain temps à un enfant pour comprendre qu’il ne s’agit pas vraiment d’un compliment. J’ai donc pris conscience de cette réalité dans la vie quotidienne de mes parents, dans mon enfance et dans la façon dont j’ai été élevée.

Avant d’aborder Yom HaZikaron, parlez-nous brièvement du rapport Palmor, qui est lié à ce sujet.

Le rapport Palmor est un rapport qui avait été remis au gouvernement après les protestations de la communauté éthiopienne en Israël et qui traitait du maintien de l’ordre, de tous les types de discrimination et qui demandait de déterminer s’il existait un racisme institutionnel à l’encontre des Israéliens d’origine éthiopienne.

Il s’agissait d’une question ultrasensible. La décision de créer cette commission avait été très difficile à prendre et je suis très fière de ce rapport. Soit dit en passant, il existe désormais une étude de cas à Harvard, rédigée par le professeur Robert Livingstone de la Kennedy School.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu recevant le rapport de la commission Palmor pour éradiquer le racisme dirigé contre les Israéliens éthiopiens de la directrice-générale du ministère de la Justice, Emi Palmor, dans le Bureau du Premier ministre, à Jérusalem, le 31 juillet 2016. (Crédit : Amos Ben Gershom/GPO)

Le rapport a formulé 53 recommandations, qui ont presque toutes été mises en œuvre par le gouvernement. Tout d’abord, il a reconnu l’existence d’un racisme institutionnel en Israël à l’encontre des Israéliens d’origine éthiopienne. Mais il a également formulé des recommandations pratiques à l’intention de la police, du système judiciaire, du système éducatif et d’autres instances, comme le ministère de la Santé, sur la manière de faire changer la situation et de créer une infrastructure qui garantira à l’avenir que toutes ces choses ne continueront pas à se produire.

Bien sûr, elles se poursuivent, mais, par exemple, en termes de maintien de l’ordre, il y a d’énormes progrès au sein de la police israélienne. Je suis extrêmement fière que trois ans après la remise du rapport au gouvernement, les arrestations de mineurs d’origine éthiopienne aient déjà diminué de 50 %, et que l’incarcération de mineurs d’origine éthiopienne ait baissé de plusieurs dizaines de pourcentages.

C’est vraiment énorme. Je pense que c’est le travail dont je suis le plus fière et qui est toujours d’actualité. La Cour suprême et d’autres tribunaux en Israël citent ce rapport et s’appuient sur ses données et ses conclusions dans nombre de leurs décisions. Il est donc enseigné dans les universités. Il a vraiment un impact sur la vie quotidienne en Israël.

C’est tout un héritage pour le secteur public. Parlons maintenant de votre travail bénévole, qui s’inscrit dans le cadre de Yom HaZikaron.

Je suis très fière d’être la présidente d’une association de défense des droits de l’Homme. Je suis très fière d’être la présidente d’une ONG appelée Natal. Natal est une ONG qui a été créée il y a 25 ans par Judith Yovel Recanati pour traiter le syndrome de stress post-traumatique (TSPT) des victimes de la guerre et du terrorisme, des anciens combattants, bien sûr, et des citoyens qui subissent le terrorisme en Israël.

Elle a commencé par mettre en place des lignes d’assistance téléphonique très spéciales qui ne se contentent pas de dire que l’on peut appeler quelqu’un, mais qui savent aussi comment créer une relation régulière entre les bénévoles et les professionnels de la ligne d’assistance et les personnes qui ont besoin de ce type d’aide. Ce service offre une aide clinique gratuite aux personnes qui en ont besoin. Il y a de nombreuses années, le ministère de la Défense a tenté d’améliorer le traitement de nos vétérans souffrant de TSPT, sans vraiment comprendre ce que nous appelons les blessures invisibles, car lorsque quelqu’un a perdu sa main, on peut le voir. Mais lorsque quelqu’un souffre de TSPT, la plupart du temps, et pendant de très nombreuses années, en particulier après la guerre du Kippour, les gens avaient honte de dire qu’ils souffraient. Je veux dire que cela allait à l’encontre de l’héritage machiste de ce que signifie être un soldat en Israël.

Illustration : Une voisine réconfortant Natalia Vlasenko, dont le mari, Pavlo Vlasenko, et le petit-fils, Dmytro Chaplyhin, ont été tués par les forces russes, alors qu’elle pleure dans son jardin à Boutcha, en Ukraine, le 4 avril 2022. (Crédit : AP Photo/Vadim Ghirda/Dossier)

Il s’agit donc d’un travail très important. Et je pense que j’ai vécu une expérience très inhabituelle lorsque Natal a eu l’honneur d’être choisi par Michal Herzog, l’épouse de notre président Isaac Herzog, et Olena Zelenska, l’épouse du président ukrainien Volodymyr Zelensky, pour former des professionnels ukrainiens qui sont venus ici en juillet afin d’essayer de réfléchir à la manière d’aider leurs concitoyens qui traversent une guerre aussi terrible et de leur apporter la guérison psychique dont ils ont besoin et le soutien mental dont ils ont aussi besoin.

Ce projet a été financé par des dons très généreux en provenance d’Amérique du Nord et de plusieurs fondations. Mais je pense que la possibilité de prendre en charge notre propre douleur, avec les connaissances que nous avons développées sur la façon de traiter, de guérir, de prévenir les dommages, pour les donner au monde, même dans le cadre de la la guerre d’Ukraine, où ma propre mère a été dans un camp de concentration… C’est vraiment une histoire juive incroyable, une histoire israélienne qui vaut la peine d’être racontée. Et nous apportons cette aide à d’autres communautés en Amérique du Nord et dans le monde.

Nous ne pouvons pas terminer cet épisode du podcast juste avant le 75ème Yom HaAtsmaout, comme cela, bien que tout ait été très important. J’aimerais que vous me parliez un peu plus de votre optimisme sur le fait que nous vivons un moment qui nous permettra de renforcer Israël.

Cela me donne presque envie de pleurer. Hier, je me trouvais dans le bureau de Natal à Tel Aviv lorsque la sirène de la Journée de la Shoah a retenti, et je regardais par la fenêtre. Je veux dire que de nombreux membres des familles de ma mère et de mon père ont été assassinés pendant la Shoah.

Mais j’ai regardé autour de moi et je me suis dit que ce pays était beau. Il est incroyable que j’aie le privilège de vivre ici, entourée de mon propre peuple, avec les réalisations incroyables de l’État d’Israël et une sécurité incroyable pour mes enfants, des choses qu’ils ne peuvent même pas imaginer. Je veux dire, c’est de notre vivant qu’ils ont eu la chance de connaître leurs grands-parents – ces grands parents qui, eux, avaient été persécutés lorsqu’ils étaient enfants, et qui n’avaient connu ni l’enfance, ni l’adolescence, ni même les années d’université que celles que vivent aujourd’hui mes enfants.

Rita Yahan-Farouz allumant une torche lors de la cérémonie du 74e anniversaire de l’indépendance d’Israël, organisée au mont Herzl, à Jérusalem, le 4 mai 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

C’est donc un miracle. C’est un miracle. Et je suis très reconnaissante à mes parents d’avoir fait ce choix de venir et d’être arrivés ici. Je ne choisirais jamais un autre endroit, quoi qu’il arrive. Et même en ces jours de réformes judiciaires, je vois les drapeaux pendant les manifestations, et j’aime notre drapeau, il m’apporte vraiment beaucoup de fierté et d’espoir.

Emi, merci beaucoup.

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