Israël en guerre - Jour 66

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De gauche à droite, de haut en bas : ‘The Rebellion of the Daughters: Jewish Women Runaways in Habsburg Galicia,’ écrit par Rachel Manekin. (Autorisation) ; La seule photo connue de la fondatrice des Bais Yaakov, Sara Schenirer. (Crédit : Domaine public) ; Rachel Manekin, autrice de "The Rebellion of the Daughters: Jewish Women Runaways in Habsburg ;Galicia". (Autorisation) ; Michalina Araten, une jeune Juive issue d'une famille hassidique riche qu'elle a finalement fui, mettant la question de l'éducation des femmes sous le feu des projecteurs (Autorisation : Archives centrales des registres historiques de Varsovie) ; Le couvent des Féliciennes situé au 6, rue de Smoleńsk, à Cracovie. Photo prise par Natan Krieger, aux environs de 1890. (Autorisation : Musée historique de la ville de Cracovie, département de la photographie)
De gauche à droite, de haut en bas : ‘The Rebellion of the Daughters: Jewish Women Runaways in Habsburg Galicia,’ écrit par Rachel Manekin. (Autorisation) ; La seule photo connue de la fondatrice des Bais Yaakov, Sara Schenirer. (Crédit : Domaine public) ; Rachel Manekin, autrice de "The Rebellion of the Daughters: Jewish Women Runaways in Habsburg ;Galicia". (Autorisation) ; Michalina Araten, une jeune Juive issue d'une famille hassidique riche qu'elle a finalement fui, mettant la question de l'éducation des femmes sous le feu des projecteurs (Autorisation : Archives centrales des registres historiques de Varsovie) ; Le couvent des Féliciennes situé au 6, rue de Smoleńsk, à Cracovie. Photo prise par Natan Krieger, aux environs de 1890. (Autorisation : Musée historique de la ville de Cracovie, département de la photographie)

Ces jeunes filles hassidiques avaient révolutionné l’éducation juive en Pologne

Dans « The Rebellion of the Daughters, » Rachel Manekin, raconte l’histoire de ces jeunes filles ultra-orthodoxes qui avaient fui en quête d’une éducation plus féministe

NEW YORK — Il y a un proverbe qui dit que « les femmes qui se comportent bien rentrent rarement dans l’histoire ».

Et c’est le sentiment sous-jacent qui habite le tout nouveau livre écrit par l’historienne Rachel Manekin, The Rebellion of the Daughters: Jewish Women Runaways in Habsburg Galicia.

De la fin des années 1880 à la veille de la Première Guerre mondiale, des jeunes femmes juives avaient fui la Nouvelle-Galicie – devenue aujourd’hui la Pologne – pour échapper à leurs foyers orthodoxes, hassidiques en majorité, en trouvant refuge dans un couvent de Cracovie où certaines d’entre elles devaient ultérieurement se convertir au catholicisme romain. Pas parce qu’elles étaient amoureuses, ni parce que leurs parents étaient trop autoritaires, ni même parce qu’elles ne se retrouvaient plus dans le judaïsme. En réalité, elles étaient parties parce qu’elles voulaient plus : Elles voulaient plus d’espace pour exprimer leurs opinions et – peut-être le plus important – elles voulaient plus d’éducation.

Contrairement aux petits garçons ultra-orthodoxes qui fréquentaient les kheders – ces écoles traditionnelles où tout ce qui était enseigné était relatif au judaïsme – les fillettes orthodoxes étaient envoyées dans les écoles primaires polonaises, tout comme le gouvernement austro-hongrois l’avait, à ce moment-là, décidé via ses nouvelles lois sur l’enseignement obligatoire.

« Quand elles sont allées à l’école pour la toute première fois, elles ont découvert que leurs capacités intellectuelles étaient respectées. C’était une nouvelle expérience qui n’avait pas été partagée par leurs parents, parce que ces derniers n’étaient jamais allés à l’école », explique Manekin lors d’un entretien accordé via Zoom au Times of Israel, depuis son domicile de Jérusalem.

« Cette expérience n’avait pas été non plus partagée par les hommes que ces jeunes femmes devaient épouser par le biais d’un mariage arrangé par les parents. Et bien sûr, ces jeunes filles avaient constaté qu’elles n’avaient rien en commun avec eux ».

La communauté orthodoxe de la région avait choisi de répondre à ce qui était devenu connu sous le nom de « la question des filles » par la création de la première école religieuse pour les filles ultra-orthodoxes. Cet établissement scolaire, qui avait été fondé par Sara Schenirer en 1917, avait ouvert la voie à la création de ce qui est devenu une institution du monde juif, le Beit Yaakov, des écoles élémentaires et secondaires juives orthodoxes.

Rachel Manekin, autrice de « The Rebellion of the Daughters: Jewish Women Runaways in Habsburg Galicia ». (Autorisation)

Professeure en études juives à l’université du Maryland, Manekin dit se sentir proche des héroïnes de son ouvrage. Elle-même a été élevée dans une ville (très) ultra-orthodoxe israélienne et elle a fréquenté l’une des écoles inspirées par Schenirer quand elle était enfant.

« Je ne peux pas nier que c’est quelque chose de très personnel pour moi. J’ai grandi à Bnei Brak et j’ai été élève dans un Bais Yaakov. Je ne me considère pas comme étant une rebelle s’agissant de religion mais au moment où on m’a présenté un futur époux, j’ai réalisé que ce n’était pas la vie que je souhaitais », dit-elle. « Je n’arrivais pas à trouver un langage commun avec un grand nombre de mes semblables et je savais qu’il me serait impossible de rester là, en étant moi-même si différente. Mais, contrairement aux jeunes filles dont je parle dans le livre, jamais mes parents ne m’ont donné le sentiment que je faisais quelque chose de mal. Il m’ont apporté leur soutien dans tout ce que j’ai entrepris ».

Notre entretien a été révisé pour plus de clarté.

Times of Israel: Pourquoi, selon vous, cette histoire reste très confidentielle ?

Manekin: Je suis historienne et je travaille sur les Juifs de Galicie, et je mets un point d’honneur à lire tout ce qui peut être publié concernant cette région. Pourtant, jamais l’histoire de ces jeunes filles ne m’avait été donnée à lire.

En faisant des recherches, j’ai découvert que les journaux importants, à l’époque, en avaient beaucoup parlé. Le journal viennois Neue Freie Presse – un journal majeur – avait écrit de manière constante au sujet de ces jeunes filles. Il y avait eu des enquêtes de police, des correspondances avec les responsables du gouvernement.

Il y avait tellement de documentation à ce sujet ! Je pense que l’histoire a été mise de côté et qu’elle reste peu connue parce qu’elle est humiliante. Les dirigeants rabbiniques n’avaient rien fait et il y avait eu des histoires peu plaisantes au sujet de familles hassidiques, riches, puissantes.

‘The Rebellion of the Daughters: Jewish Women Runaways in Habsburg Galicia,’ écrit par Rachel Manekin. (Autorisation)

Vous évoquez une éducation juive compliquée, citant la déclaration talmudique qui dit qu’enseigner la Torah à sa fille, c’est comme lui enseigner la luxure (Talmud babylonien, Sotah 20a), avec sa codification conséquente avec la loi juive. Pouvez-vous nous parler de cela un peu plus en détail ?

L’explication que je donne concerne les différentes voies éducatives qui étaient offertes aux garçons et aux filles ultra-orthodoxes à cette période. La version galicienne de 1873 de la loi sur l’enseignement obligatoire qui avait été adoptée par l’Autriche, en 1869, prévoyait une scolarité obligatoire de six ans dans les écoles d’Etat approuvées pour les filles et les garçons de la même manière, Juifs et non-Juifs. Grâce à des arrangements politiques, les dirigeants orthodoxes étaient parvenus à continuer à envoyer leurs fils dans des écoles religieuses.

En ce qui concerne les filles, ils ne voyaient aucun problème à les envoyer dans les écoles publiques et privées polonaises. En fait, de nombreux parents étaient fiers des prouesses de leurs filles. Et ainsi, les garçons avaient eu une éducation juive, et les filles une éducation polonaise. Dans la mesure où la majorité des fillettes ne bénéficiaient que d’une éducation juive très rudimentaire chez elles, cela n’avait fait que creuser l’écart entre elles et leurs parents, qui n’avaient jamais fréquenté une école polonaise, et entre les deux sexes. Quand le moment des mariages arrangés était arrivé, de nombreuses jeunes filles s’étaient alors rebellées.

Quand le moment des mariages arrangés était arrivé, de nombreuses jeunes filles s’étaient alors rebellées

De nos jours, nos filles apprennent beaucoup plus de choses en ce qui concerne l’étude religieuse. Ce qui, selon moi, reste un problème, c’est le fait que la voie ouvrant à l’enseignement supérieur est souvent bloquée. Il y a bien des diplômés qui sortent de Bais Yaakov et de séminaires qui vont à l’université, mais ce n’est pas la norme.

Votre livre me fait penser à la lutte pour l’éducation que de nombreuses jeunes filles sont amenées encore à livrer dans le monde. Avez-vous pensé à cela lorsque vous avez travaillé sur le livre ?

Oui, l’éducation était et elle est encore un combat. Nous savons que cela ne concerne pas seulement les Juifs : L’Afghanistan et Malala [Yousafzai] viennent à l’esprit.

Dans le livre, je raconte l’histoire d’Anna Kluger, pour qui les études étaient une passion. Elle ne voulait se consacrer qu’à elles. Elle avait réussi à obtenir son baccalauréat et elle s’était inscrite dans le plus grand secret à l’université. Elle avait eu, plus tard, un doctorat à l’université de Vienne. On ne raconte pas les histoires de ces femmes nourrissant une passion intellectuelle. On ne parle pas du cran qu’elles ont eu pour pouvoir réaliser leurs rêves.

Michalina Araten, une jeune Juive issue d’une famille hassidique riche qu’elle a finalement fui, mettant la question de l’éducation des femmes sous le feu des projecteurs (Autorisation : Archives centrales des registres historiques de Varsovie)

Qu’est-ce qui vous a surpris le plus dans cette recherche ?

J’ai une amie qui avait hérité des jumelles que sa grand-mère utilisait à l’opéra. Ses grands-parents étaient originaires de Cracovie. L’histoire raconte que son grand-père était hassidique mais que sa grand-mère allait à l’opéra, à des conférences. Elle s’habillait comme une femme hassidique convenable, mais elle faisait toutes ces choses.

Je pense qu’il est difficile pour nous de comprendre parce que nous anticipons l’harmonie, nous voulons que tout puisse s’ajuster d’une manière ou d’une autre – mais la réalité était que la vie était pleine de contradictions pour certaines femmes à ce moment-là. Je ne tente pas de dire qu’elles n’étaient pas très pieuses, que toutes s’étaient éloignées du judaïsme. Je dis simplement qu’en raison de leur éducation, les esprits d’un nombre croissant de femmes s’étaient ouverts.

Cela avait aussi été une époque marquée par le renforcement du féminisme. Les femmes assistaient à des conférences, elles allaient au théâtre. Il y avait beaucoup de choses qui se passaient, les femmes fréquentaient tous ces endroits. Qu’auraient-elles pu faire d’autre dans leur temps libre ? Cela avait entraîné une confrontation entre elles et leur famille.

Le fait que ces jeunes femmes aient trouvé refuge dans un couvent avait-il exacerbé les relations entre les Juifs et les catholiques à l’époque ?

Oui, c’est évident. C’était une période où l’antisémitisme s’était renforcé dans l’empire des Habsbourg. Il y avait eu des violences dans des villages situés aux abords de Cracovie en 1898. Il y a un ouvrage à ce sujet qui s’appelle The Plunder et qui décrit tout cela. Il y a d’ores et déjà des tensions inter-religieuses.

C’était une période où l’antisémitisme s’était renforcé dans l’empire des Habsbourg

La presse juive de l’époque s’était référée à ce qu’il se passait comme à des enlèvements mais l’église catholique polonaise, de son côté, évoquait le choix libre de jeunes femmes. Les demandes soumises par les familles juives et par la police de perquisitionner le couvent avaient également contribué à cette situation.

Le couvent des Féliciennes situé au 6, rue de Smoleńsk, à Cracovie. Photo prise par Natan Krieger, aux environs de 1890. (Autorisation : Musée historique de la ville de Cracovie, département de la photographie)

Pouvez-vous nous en dire plus sur Sara Schenirer et sur son impact ?

D’une certaine manière, elle avait fait partie de ces filles rebelles.

Quand elle était plus jeune, elle avait assisté à des conférences publiques pour les femmes, elle était allée au théâtre. Mais elle avait finalement abandonné ces activités de jeunesse et elle s’était consacrée au travail de l’éducation des fillettes ultra-orthodoxes, pour qu’elles acceptent et qu’elles célèbrent leur statut différent.

La seule photo connue de la fondatrice des Bais Yaakov, Sara Schenirer. (Crédit : Domaine public)

Je considère Schenirer comme une passionnée de la religion, une idéologue orthodoxe qui a pris la tête d’un mouvement qui a été simultanément une révolution dans l’éducation à la Torah et une contre-révolution dans l’éducation des femmes : Une révolution dans l’enseignement de la Torah parce qu’une éducation juive formelle en direction des femmes orthodoxes avait été enfin fermement établie, mais une contre-révolution parce que le système éducatif qu’elle avait aidé à mettre en place aura délibérément bloqué la possibilité des femmes d’accéder à l’enseignement supérieur. De récentes études se sont concentrées sur la révolution, en ignorant la contre-révolution.

Dans votre livre, qu’est-ce qui est l’élément qui est, selon vous, le plus important à retenir pour le lecteur ?

L’histoire des femmes, c’est l’histoire des familles, l’histoire des communautés. Tout est entremêlé. Si nous n’intégrons pas l’histoire des femmes, nous manquons un grand nombre de choses qui se passent au sein d’une société. Connaître l’histoire des femmes nous permet d’avoir une image plus complète de la société.

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