Lorsque le roi Josias de Judée a eu 20 ans, il s’est lancé dans une rénovation spectaculaire du Premier Temple de Jérusalem. Pendant le long règne de son grand-père Manassé, au VIIe siècle avant l’ère commune, le Temple était devenu le lieu d’un culte polythéiste destiné à apaiser la puissance régionale assyrienne. Devenu assez âgé pour régner après une période de régence, Josias était déterminé à restaurer le monothéisme du Dieu unique d’Israël.
Les livres des Rois et les Chroniques décrivent en détail comment il s’y est pris, en débarrassant le Temple des objets polythéistes, en détruisant les petits lieux de culte dans tout le royaume et en déterrant même les tombes de leurs prêtres. Au cours de la rénovation du Temple, le prêtre de Josias, Hilkiah, a annoncé une découverte salutaire : un rouleau du livre du Deutéronome, qui a été promu loi, liant les Israélites exclusivement à Adonaï.
Ceci fait partie du récit d’un nouveau regard sur le Pentateuque dans The Book of Revolutions : The Battles of Priests, Prophets, and Kings that Birthed the Torah, écrit par le rabbin Edward Feld et publié par la Jewish Publication Society.
Dans son livre, Feld vise à montrer ce qu’il appelle le pluralisme de la Torah en analysant trois de ses codes juridiques – le Code de l’Alliance de l’Exode 21-24 ; le Code deutéronomique, que l’on retrouve dans tout le Deutéronome ; et le Code de la Sainteté, principalement dans le Lévitique 17-25.
« Ce sont les trois parties de la Torah qui traitent, si vous voulez, de la vie dans le monde », a expliqué Feld au Times of Israel. « Le droit civil, le droit pénal, le comportement, par tout le peuple d’Israël ».
Séparés des Dix commandements, ces codes sont de vastes ensembles d’instructions, toutes délivrées par Dieu par l’intermédiaire de Moïse. Chacun d’entre eux contient des phrases mémorables – « œil pour œil » dans le Code de l’Alliance ; « Justice, tu poursuivras la justice » dans le Code deutéronomique ; et « aime ton prochain comme toi-même » dans le Code de la Sainteté.
Feld affirme que chacun d’entre eux ont été composés à des époques et à des endroits différents. Il attribue le Code de l’Alliance au royaume du nord d’Israël, au 9e siècle avant l’ère commune ; le Code Deutéronomique au sud du royaume de Judée, au 7e siècle avant l’ère commune et le Code de la sainteté à la période de l’exil de Babylone, après l’an 586 avant l’ère commune. Il ajoute que tous les trois ont été placés dans la Torah par des prêtres israéliens en exil à Babylone, à qui il attribue également le mérite d’avoir compilé la version reconnue du Pentateuque.
« Ce qui est extraordinaire concernant les derniers rédacteurs de la Torah, c’est qu’ils ont inclus ces codes qui ne disent pas nécessairement toujours la même chose », s’émerveille Feld. « Ils sont fréquemment en contradiction les uns avec les autres. Les rédacteurs ont cependant voulu les placer tous dans un seul et même livre ».
Par exemple, le Code Deutéronomique appelle à établir un lieu de culte central dans toute la Terre promise tandis que le code antérieur de l’Alliance laisse entendre qu’il peut y avoir de nombreux sites dévolus à la prière.
Rabbin du mouvement massorti, Feld sait très bien à quoi ressemble le travail d’un rédacteur désireux d’équilibrer des passages contradictoires dans les mêmes textes pluralistes. Il a dirigé la création de deux livres de prière de la Rabbinical Assembly qui contenaient des réflexions diverses — Siddour Lev Shalem pour Shabbat et pour les fêtes et Mahzor Lev Shalem pour les Grandes fêtes.
Dans le livre de prières pour les Grandes fêtes, « il y a un poème de Yehuda Amichaï, qui était clairement un poète laïc, et des déclarations de Menachem Mendel Schneerson, le rabbin Loubavitch », note Feld. « Nous les avons tous les deux intégrés dans le même livre de prière. Tous les deux ont quelque chose à nous enseigner. »
Concernant son nouveau livre, il indique que « j’ai basé mon manuscrit sur ce que les érudits ont pu dire. Je les cite et, si je ne les cite pas dans le livre, alors je le fais dans les notes en bas de page. Je ne prétends pas présenter de nouvelles recherches : ma contribution est plutôt d’avoir tout rassemblé de manière très claire afin que tout un chacun puisse suivre les évolutions qui ont eu lieu entre l’Exode et Néhémie ».
Considère-t-il qu’un code en particulier est important ? A cette question, il répond que « ce que je pense, c’est que les trois disent quelque chose qui nous parle. J’ai commencé… en pensant que j’afficherais plus de sympathie à l’égard de l’un des trois, que je le préférerais aux autres. Et finalement, les trois m’ont séduit également ; j’ai pu les comprendre d’une nouvelle manière et avec des moments profonds d’introspection spirituelle. »
Vous dites vouloir une révolution
Feld s’est aussi passionné par les événements tumultueux qui ont, à terme, entraîné la création des codes.
Dans le royaume du nord d’Israël, un coup d’état militaire, survenu au 9e siècle avaient l’ère commune, avait renversé la maison d’Omri, qui avait embrassé le paganisme et éloigné le prophète Élie. La propagation du Code de l’Alliance par le nouveau roi Jéhu avait représenté un retour au monothéisme et satisfait le successeur d’Élie, Élisée. Deux cents ans plus tard, dans le royaume de Juda, le règne bref d’Amon, le fils de Manassé, s’était terminé par un assassinat. Le jeune Josias avait succédé à son père, placé sous l’autorité d’une régence avant qu’il n’atteigne la maturité, et il avait fait campagne contre le polythéisme affiché par son grand-père.
La troisième révolution avait été pacifique. Pendant la période de captivité, à Babylone, des prophètes comme Ézéchiel ou Zacharie avaient lancé une nouvelle réflexion, parmi les exilés, sur ce à quoi pourrait ressembler un temple reconstruit à Jérusalem. Et cela avait été sous l’influence de cette pensée, laisse entendre Feld, qu’un groupe de prêtres réformés avaient écrit le Code de la Sainteté.
« Pour ma part – je parle en mon nom personnel – je pense que ce que ces révolutions ont permis de révéler, que ce que ces révolutions ont fait naître, a une signification qui va bien au-delà de la seule période concernée et qu’elle perdure encore au moment présent », écrit Feld dans le livre. « Parce qu’elles ont constitué la recherche d’une compréhension fondamentale de ce que signifie avoir la foi en Dieu et de ce que signifie également le mode de vie exigé par la foi ». Il ajoute que « la puissance religieuse des idées propagées par ces révolutionnaires peut être ressentie par tous ceux qui entrent aujourd’hui dans la vie juive. Le judaïsme est impensable sans référence faite à ces Codes. »
Concernant le Code de l’Alliance, il écrit que « l’idée que le peuple d’Israël ait établi une relation d’alliance avec Dieu a toujours sous-tendu la théologie juive », tandis que « le Code Deutéronomique souligne le concept de mitzvoth — l’idée qu’il est demandé par Dieu, qu’il est commandé par Dieu de se comporter d’une certaine manière. Quant au Code de la Sainteté, « il ajoute sa conception unique de ce que signifie un comportement religieux : Dieu souhaite que chacun de nous se comporte d’une manière qui permettra de transformer nos cœurs ».
Il n’y a pas de fils rebelle
Les Codes étaient parfois très durs ; une loi du Deutéronome exige ainsi qu’un fils rebelle soit présenté devant les anciens avant d’être lapidé à mort (il y a également l’interdiction de l’homosexualité qui est mentionnée dans le Lévitique, 18:22, et les trois Codes tolèrent l’esclavage à un certain degré). Même si des bénédictions étaient réservées pour ceux qui se soumettaient au Code, il y avait aussi des malédictions pour les transgresseurs. Ainsi, les malédictions du Tochacha (Lévitique : 26) sont formulées dans un langage tellement violent qu’elles sont traditionnellement lues à voix basse dans les synagogues.
Et au cours des siècles, une tentative conséquente de catégoriser la loi juive – le Talmud – a choisi d’adoucir certaines parties des Codes.
« Le Talmud dit qu’une situation comme celle du fils rebelle n’a jamais eu lieu dans toute l’Histoire juive », remarque Feld, « mais qu’elle doit servir comme une sorte d’enseignement, qu’il ne faut pas adopter ce genre de comportement. Il est certain que personne ne ferait appliquer la punition exprimée dans la Torah. Il y a une façon d’appréhender la Torah ».
L’idée du livre est venue à Feld dans les années 2000, lorsqu’il était rabbin au Jewish Theological Seminary. Il avait alors remarqué que de nombreux étudiants avaient du mal à concilier leur foi religieuse et la critique biblique.
« J’ai voulu montrer qu’on peut étudier le judaïsme historique, adopter un point de vue critique sur la bible et en tirer cette signification spirituelle », dit-il.
Et c’est ainsi qu’il s’est plongé dans les sources bibliques qui racontaient l’histoire des Israélites pendant la période de 700 ans qui avait commencé par l’installation des douze tribus sur la Terre promise et qui s’était terminée par l’exil le long du Tigre et de l’Euphrate. Il a trouvé des contenus particulièrement précieux dans le Livre des rois et dans les Chroniques, dit-il, ajoutant qu’il a recoupé les narrations bibliques avec des sources contemporaines d’autres cultures du Levant, comme l’Assyrie et Babylone, et avec des éléments archéologiques, notamment issus de l’État moderne d’Israël.
« La plus grande surprise à été de découvrir l’ampleur de l’influence réelle des enseignements prophétiques sur ces Codes », continue Feld, qui cite deux thèmes de ces enseignements – la loyauté à l’égard du Dieu d’Israël, du Dieu unique, et l’enseignement central du Dieu d’Israël – « celui de l’égalité, de l’équité sociale, de l’attention apportée aux pauvres et la question fondamentale de notre rapport les uns aux autres ».
L’Alliance comme constitution
Grâce à un travail de détective, il présente le Code de l’Alliance comme une création du royaume du nord d’Israël – en tant que confédération, le code souligne une relation d’alliance entre le gouvernant et le peuple, en opposition avec la monarchie directe du royaume de Juda. Le Code Deutéronomique, a-t-il découvert, avait suivi de près les réformes de Josias et il avait incarné les efforts livrés vers le droit constitutionnel.
Il explique avoir aussi découvert que les voisins d’Israël avaient eu une influence. Le dirigeant de l’Assyrie s’était proclamé le roi des rois – un terme qui devait être ensuite exclusivement associé à Dieu dans la bible hébraïque. Feld a aussi été surpris par la popularité et par la persistance du polythéisme parmi les Israélites anciens, ce qui causait le désespoir de réformateurs tels que Josias.
A des stades divers de l’histoire biblique, l’Israélite moyen ou le Judéen moyen n’adorait pas une seule divinité
« C’est clair », explique Feld, « à des stades divers de l’histoire biblique, l’Israélite moyen ou le Judéen moyen n’adorait pas une seule et unique divinité. Les prophètes disaient : ‘Mais comment pouvez-vous faire cela ? Comment pouvez-vous être à ce point égaré ?’ Il y avait des érudits qui disaient : ‘Oh, les prophètes exagèrent’. Mais sur la base des éléments archéologiques qui sont dorénavant à notre disposition, nous savons que les prophètes n’exagéraient pas ».
« C’est un phénomène qui se répète au fil des générations », songe-t-il. « C’est une sorte de bataille qui ne connaît pas de fin ».
Le livre note que les révolutions mentionnées dans le texte peuvent avoir eu lieu de manières différentes – et pourtant, chacune d’elles a été vitale pour le judaïsme. Les Codes de l’Alliance et Deutéronomique soulignent le caractère exclusif de la relation entre Dieu et les Israélites tandis que le Code de la Sainteté met l’accent sur l’importance du comportement personnel éthique par le biais du lien entre l’Homme et le Dieu unique, un lien qui se reflète à travers le verset : « Vous serez saints car moi, votre Dieu, je suis saint. »
« Finalement, j’espère que les lecteurs vont réaliser la difficulté rencontrée par les idées bibliques, à l’époque, avant qu’elles ne triomphent », écrit Feld. « Leur triomphe, en quelque sorte, n’avait rien ‘d’inévitable’ – et pourtant, combien les idées que ces moments révolutionnaires ont pu capturer sont-elles devenues pérennes, déterminantes ! »